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CHAPITRE 3. STRATÉGIES D’ENCODAGE EN MÉMOIRE ÉPISODIQUE CHEZ LES JEUNES ADULTES ET

3.1. D IFFÉRENCES D ’ ÂGE ET SÉLECTION STRATÉGIQUE

3.1.3. R APPORTS GLOBAUX

La méthode des rapports globaux permet d’interroger les individus sur les stratégies d’encodage employées dans une épreuve de mémoire juste après la phase de rappel10. Il y a généralement deux façons d’interroger les individus : par questions ouvertes ou par questions fermées. Dans le cadre de questions ouvertes, le chercheur demande aux individus de quelle façon ils s’y sont pris pour mémoriser le plus de mots possibles. Dans le cadre de questions fermées, les participants reçoivent généralement une liste de stratégies et doivent indiquer lesquelles ils ont utilisé. Dans certaines études, il leur est également demandé d’indiquer à quelle fréquence ils estiment avoir utilisé

10 Il est également possible d’interroger les individus entre la phase d’encodage et la phase de rappel mais comme aucune étude n’a utilisé cette procédure, nous n’allons pas l’évoquer.

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chacune des stratégies de la liste. Ces deux méthodes sont désignées sous le terme de rapports globaux car les individus désignent les stratégies utilisées en général. Il ne leur est pas demandé d’indiquer comment ils ont appris certains mots en particulier. Voyons à présent les résultats de sept études ayant exploré si les jeunes adultes et adultes âgés utilisent des stratégies différentes dans les épreuves de rappel libre (Brooks, Friedman, Gibson et Yesavage, 1993 ; Hertzog, McGuire et Lineweaver, 1998 ; Hertzog, McGuire, Horhota et Jopp, 2010 ; Rankin, Karol et Tuten, 1984 ; Verhaeghen et Marcoen, 1994 ; Zivian et Darjes, 1983) et dans les tâches d’apprentissage de paires de mots (Naveh-Benjamin et al., 2007)11.

Les deux premières études à s’être intéressées à la question des différences de stratégies d’encodage entre jeunes adultes et adultes âgés (Rankin, et al., 1984 ; Zivian et Darjes, 1983) n’ont pas montré de différences d’âge. En dehors de l’absence de différence d’âge, ces deux études se ressemblent en plusieurs aspects. Premièrement, dans les deux études, une liste de stratégies est donnée aux participants et ces derniers indiquent uniquement lesquelles ils ont utilisé. Il n’a pas été demandé aux participants de préciser à quelle fréquence ils ont employé les stratégies, Deuxièmement, le nombre de participants dans chacun des groupes d’âge est restreint (10 participants par groupe d’âge dans l’étude de Zivian et Darjes (1983) et 18 participants par groupe d’âge dans l’étude de Rankin et al. (1984)). Il faut donc considérer ces résultats avec précaution étant donné la petite taille des échantillons.

Dans les études suivantes qui ont utilisé la méthode par questions fermées, les participants cochent les stratégies utilisée parmi une liste et indiquent à quelle fréquence ils les ont utilisées (Brooks et al., 1993; Verhaeghen et Marcoen, 1994). Ces études diffèrent donc de celles qui viennent d’être évoquées (Rankin et al., 1984 ; Zivian et Darjes, 1983) car elles n’évaluent pas seulement quelles sont les stratégies utilisées par des jeunes adultes et des adultes âgés mais essaient de déterminer s’il existe une différence d’âge dans la fréquence d’utilisation de ces stratégies. Brooks et al. (1993) ont demandé à des jeunes adultes, des adultes âgés entre 55 et 70 ans et des adultes âgés de plus de 70 ans de mémoriser 12 noms et prénoms associés à des visages. Après la phase de rappel, les chercheurs ont distribué un questionnaire aux participants dans lequel figurent des stratégies auxquelles ces derniers attribuent une note sur une échelle de Likert en 7 points en fonction de la fréquence à laquelle ils les ont utilisées. Il est alors intéressant de relever que le groupe des jeunes adultes utilisent plus souvent une stratégie qui consiste à donner un sens aux noms et prénoms des individus sur les photos que les deux groupes d’adultes âgés. Par ailleurs, il s’avère que l’utilisation de cette stratégie corrèle positivement avec le nombre de prénoms et de noms correctement rappelés.

Verhaeghen et Marcoen (1994) ont demandé à un groupe de jeunes adultes et un groupe d’adultes âgés de décrire au moyen d’un questionnaire les stratégies utilisées dans l’apprentissage d’une liste de 25 mots. Les participants décrivent sur une échelle de Likert en 5 points à quelle fréquence ils ont utilisé chacune des stratégies décrites dans le questionnaire. Les auteurs de cette étude montrent que les jeunes adultes font davantage usage de stratégies d’association et de regroupement que les adultes âgés. Les deux études ayant permis aux participants d’indiquer à quelle fréquence ils utilisent certaines stratégies montrent des différences d’âge significatives. Comme le suggèrent Brooks et ses collègues (1993), il est fort probable que les jeunes adultes et les adultes âgés utilisent les mêmes

11 A ma connaissance, une seule étude a utilisé la méthode des rapports globaux dans les épreuves d’apprentissage de paires de mots. La majorité des études ont utilisé la méthode des rapports item par item pour investiguer les différences d’âge dans les stratégies utilisées dans les épreuves d’apprentissage de paires de mots.

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stratégies mais à des fréquences différentes. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi les études de Rankin et al. (1984) et de Zivian et Darjes (1983) ne montrent pas de différence d’âge dans le type de stratégie utilisée. Si l’on reprend les termes de Reuchlin (1978), cela signifie que le catalogue de stratégie utilisé par les jeunes adultes et les adultes âgés est le même. En revanche, les stratégies les plus efficaces sont plus facilement évocables chez les jeunes adultes que chez les adultes âgés.

Examinons à présent les résultats de trois études dans lesquelles des questions ouvertes ont été adressées aux jeunes adultes et aux adultes âgés pour identifier les stratégies utilisées. Dans l’étude de Hertzog et al. (1998), des jeunes adultes et des adultes âgés disposent de 4 minutes pour apprendre une liste de 40 mots. Après la phase de rappel, l’expérimentateur demande aux participants de quelle manière ils ont mémorisé les mots. Sur la base des réponses données, les auteurs distinguent dans chaque groupe d’âge les participants qui utilisent des stratégies efficaces (par exemple, organisation sémantique, stratégies interactives), ceux qui utilisent des stratégies peu efficaces (par exemple, répétition) et ceux qui n’utilisent pas de stratégie. Il ressort alors que 47.6 % des jeunes adultes utilisent des stratégies considérées efficaces par les auteurs contre 35.2 % des adultes âgés. Par ailleurs, seulement 23 % des jeunes adultes ne rapportent utiliser aucune stratégie alors que la proportion d’adultes âgés n’employant aucune stratégie s’élève à 39 %. A l’aide de la même méthode, Hertzog et al. (2010) montrent que 65 % des jeunes adultes utilisent une stratégie efficace alors que seulement 39 % des adultes âgés le font. Ainsi, les deux études ayant employé des questions ouvertes montrent que les jeunes adultes et les adultes âgés n’utilisent non seulement pas les mêmes stratégies mais que les jeunes adultes utilisent des stratégies qui s’avèrent en réalité plus adaptées que celles utilisées par les adultes âgés. Dans la seule étude ayant utilisé la méthode par questions ouvertes dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots, il semble également que les jeunes adultes utilisent des stratégies plus efficaces que les adultes âgés. Naveh-Benjamin et al.

(2007) ont demandé à des jeunes adultes et des adultes âgés de décrire avec leurs propres termes la manière avec laquelle ils ont mémorisé des paires de mots. Au sein du groupe des jeunes adultes, 63

% utilisent des phrases et 29 % génèrent des images interactives pour apprendre les paires de mots.

Au sein du groupe des adultes âgés, il n’y a aucun individu qui utilise l’une de ces deux stratégies, mais 67 % qui emploient la répétition et 22 % ne mentionnent utiliser aucune stratégie.

Sur les sept études que nous venons d’examiner, cinq montrent des différences d’âge significatives allant dans le sens que les jeunes utilisent des stratégies plus efficaces que les adultes âgés (Brooks et al, 1993 ; Hertzog et al., 1998 ; Hertzog et al., 2010 ; Naveh-Benjamin et al., 2007 ; Verhaeghen et Marcoen, 1994). Les deux autres études ne montrent pas de différence significative entre les jeunes adultes et les adultes âgés (Rankin et al., 1984 ; Zivian et Darjes, 1983). Comme les méthodes utilisées dans ces études ne sont pas exactement les mêmes, examinons à présent la question de leur validité, de leurs qualités et faiblesses respectives.

La seule étude permettant de se faire une idée sur la fidélité des rapports stratégiques globaux a été conduite par Verhaeghen et Marcoen (1994). Dans leur étude, les jeunes adultes et adultes âgés apprennent trois listes de mots différentes et les chercheurs mesurent pour chacune des listes la fréquence à laquelle les participants utilisent la stratégie de répétition et la stratégie d’organisation sémantique. Dans les deux groupes d’âge, des différences interindividuelles plus ou moins stables émergent dans l’utilisation de ces deux stratégies (les coefficients de fidélité oscillant entre r = .66 et r = .86 chez les jeunes adultes et entre r = .47 et r = .76 chez les adultes âgés). Cela signifie donc que

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les individus qui utilisent le plus l’une des stratégies dans une liste de mots sont également ceux qui l’utilisent le plus dans les deux autres listes.

Mentionnons à présent toutes les études qui montrent la validité convergente des rapports globaux.

Tout d’abord, les individus qui rapportent utiliser la stratégie d’organisation sémantique à l’aide de rapports globaux obtiennent des scores ARC plus élevés que les individus qui ne mentionnent pas utiliser (ou très peu) cette stratégie (Rankin et al., 1984 ; Roberts, 1968). Kirchhoff et Buckner (2006) ont également montré qu’un rapport global collecté sur les stratégies utilisées dans une épreuve d’apprentissage de paires d’images interactives (effectuée dans un scanner) corrèle avec des mesures cérébrales. En effet, plus les individus décrivent utiliser une stratégie verbale, plus leur activité cérébrale dans le cortex préfrontal gauche le long du gyrus préfrontal inférieur est importante. Par ailleurs, plus les individus décrivent utiliser la stratégie d’inspection visuelle, plus leur activité cérébrale dans le cortex occipital-temporal gauche est importante. Ces données montrent que les stratégies décrites par les individus reflètent des activités neuronales différentes (Kirchhoff et Buckner, 2006 ; Kirchhoff, 2009). Mentionnons pour terminer l’étude de Logie et al. (1996) qui montre que l’effet de similarité phonologique et l’effet de longueur de mots, considérés de longue date comme des indices de répétition subvocale, sont plus marqués chez les individus déclarant avoir utilisé la stratégie de répétition simple ou de répétition cumulative que chez les individus déclarant avoir utilisé des stratégies d’organisation sémantiques ou d’imagerie.

En ce qui concerne la validité prédictive des rapports globaux, à ma connaissance, toutes les études qui ont utilisé la méthode de rapport par questions fermées montrent que les différences individuelles dans la fréquence à laquelle sont employées certaines stratégies corrèlent avec le nombre de mots mémorisés chez les jeunes adultes et les adultes âgés (Camp et al., 1983 ; Rankin et al., 1984 ; Verhaeghen et Marcoen, 1994 ; West, Bagwell et Dark-Freudeman, 2008). La méthode de rapport par questions ouvertes montre également une bonne validité prédictive concernant le nombre de mots rappelés chez les jeunes adultes et les adultes âgés (Hertzog et al., 1998, 2010).

Nous avons jusqu’ici montré que les rapports globaux possèdent une fidélité satisfaisante, une bonne validité convergente étant donné qu’ils apportent des informations allant dans le même sens que d’autres indices stratégiques, mais également une bonne validité prédictive étant donné qu’ils corrèlent avec le nombre de mots mémorisés dans les épreuves de rappel libre et dans les épreuves d’apprentissage de paires de mots. Une autre question intéressante à se poser concerne la correspondance entre les rapports globaux avec questions ouvertes et les rapports globaux avec questions fermées. Tout d’abord, il faut relever que chaque méthode est intéressante puisqu’elle présente un avantage que l’autre méthode ne possède pas et un inconvénient que l’autre méthode permet de compenser. La méthode par questions ouvertes possède l’avantage de ne donner aucune indication sur les stratégies possibles dans les épreuves de mémoire. De ce fait, elle n’encourage pas les individus à rapporter des stratégies qu’ils n’ont en réalité pas utilisées. En revanche, il est possible qu’à l’aide de ce type de question, les individus ne parviennent pas à se rappeler de toutes les stratégies qu’ils ont utilisées. La force de la méthode par questions fermées est qu’elle encourage les participants à décrire de façon plus exhaustive les stratégies utilisées. En revanche, elle peut également inciter certains individus à mentionner des stratégies qu’ils n’ont en réalité pas utilisées. A ma connaissance, uniquement deux études portent sur la validité convergente de ces deux types de rapports globaux (questions fermées et questions ouvertes). Camp et al. (1983) montrent dans un échantillon d’universitaires que 81 % des stratégies spontanément décrites à l’aide de la méthode

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par questions ouvertes se retrouvent parmi les trois stratégies considérées comme les plus utilisées à l’aide de la méthode par questions fermées. Saczynski, Rebok, Whitfield et Plude (2007) montrent en revanche que le type de rapport stratégique affecte le nombre de stratégie décrites dans cinq épreuves de mémoire épisodique. Les adultes âgés décrivent en effet utiliser davantage de stratégies à l’aide de la méthode par questions fermées qu’à l’aide de la méthode par questions ouvertes.

Malgré les nombreux indices de la validité des rapports globaux pour identifier les stratégies utilisées par les participants, cette méthode possède également des inconvénients (Ericsson et Simon, 1980, 1993 ; Richardson, 1998). Premièrement, cette méthode ne permet pas de discerner sur quels items les différentes stratégies ont été utilisées. Deuxièmement, lorsqu’il est demandé aux participants de désigner la fréquence à laquelle ils ont utilisé une certaine stratégie, il est difficile voire impossible pour eux de se rappeler précisément sur combien d’items ils ont utilisé cette stratégie. Par conséquent, il leur est nécessaire d’effectuer une estimation de la fréquence d’utilisation de la stratégie, qui peut s’avérer très éloignée de la fréquence réelle d’utilisation de cette stratégie. Pour ces raisons, d’autres chercheurs ont préféré utiliser des rapports item par item pour déterminer si les jeunes adultes et les adultes âgés utilisent des stratégies différentes pour apprendre une liste de paires de mots12.