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V ARIABILITÉ STRATÉGIQUE ET VARIABILITÉ INTRA - INDIVIDUELLE EN MÉMOIRE

CHAPITRE 4. DIFFÉRENCES D’ÂGE, VARIABILITÉ INTRA-INDIVIDUELLE EN

4.5. V ARIABILITÉ STRATÉGIQUE ET VARIABILITÉ INTRA - INDIVIDUELLE EN MÉMOIRE

La variabilité stratégique correspond à des variations dans le type de stratégies utilisées. Siegler (1994) montre que la variabilité stratégique peut intervenir à plusieurs niveaux. Un même individu peut utiliser des stratégies différentes pour résoudre des problèmes différents. Il peut utiliser des stratégies différentes pour résoudre le même problème à deux moments différents. Il peut même utiliser plusieurs stratégies pour résoudre le même problème au même moment. A partir d’une analyse factorielle conduite sur cinq indices de variabilité stratégique et sur deux groupes d’âge différents (enfants et jeunes adultes), Coyle (2001a) a obtenu deux facteurs indépendants qui correspondent à deux types de variabilité stratégique : la diversité stratégique et le changement stratégique. La diversité stratégique se rapporte au nombre de stratégies différentes qu’un individu applique dans une épreuve de mémoire. Le changement stratégique fait référence aux variations quant à la fréquence d’utilisation des stratégies ou au nombre de stratégies utilisées au cours de différentes occasions. Après avoir considéré deux types de variabilité stratégique différents (diversité stratégique et changement stratégique), nous allons maintenant présenter les recherches qui ont

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montré leur importance chez les jeunes adultes et les adultes âgés ainsi que leur relation avec les performances en mémoire épisodique.

En ce qui concerne la diversité stratégique, Roberts (1968) rapporte que les jeunes adultes utilisent en moyenne 2.84 stratégie différentes au cours d’une épreuve de rappel libre. Il existe néanmoins d’importantes différences interindividuelles puisque certains participants mentionnent n’utiliser qu’une seule stratégie et d’autres sept. Kirchhof et Buckner (2006) montrent dans une épreuve d’apprentissage d’images que les jeunes adultes utilisent en moyenne 6 stratégies différentes. Les individus qui utilisent le moins de stratégies différentes en utilisent trois et ceux qui utilisent le plus de stratégies différentes en utilisent neuf. Plusieurs études tendent à montrer que les jeunes adultes utilisent plus de stratégies différentes que les adultes âgés dans les épreuves de rappel libre (Rankin et al., 1984 ; West, Dark-Freudeman et Bagwell, 2009 ; Zivian et Darjes, 1983). Dans un échantillon d’adultes âgés entre 51 et 89 ans, l’âge corrèle négativement avec le nombre de stratégies différentes utilisées dans une épreuve d’apprentissage d’associations nom-visage (Saczynski et al., 2007). Dans d’autres domaines, il a également été montré que les jeunes adultes montrent une diversité stratégique plus importante que les adultes âgés (en arithmétique, voir Duverne, Lemaire et Vandierendonck, 2008, lors d’un rappel de faits autobiographiques, voir Anderson, Cohen et Taylor, 2010). Par contre, dans une épreuve de mémoire de travail, les adultes âgés utilisent autant de stratégies différentes que les jeunes adultes (Bailey, Dunlosky et Hertzog, 2009). Hormis l’étude de Bailey et al. (2009), il semble donc que les adultes âgés utilisent moins de stratégies différentes que les jeunes adultes. Cela peut être expliqué par le fait qu’il peut être coûteux pour les adultes âgés d’utiliser plusieurs stratégies comme le font les jeunes adultes.

Si les jeunes adultes font preuve d’une plus grande diversité stratégique que les adultes âgés, cela signifie-t-il donc qu’il vaut mieux utiliser plusieurs stratégies qu’une seule ? Quelques études ont été conduites chez les jeunes adultes en vue de répondre à cette question. Celles-ci montrent que plus les jeunes adultes utilisent de stratégies différentes dans les épreuves de rappel libre, meilleures sont leurs performances (Kirchhof et Buckner, 2006 ; Zivian et Darjes, 1983). Coyle (2001a) montre toutefois que le nombre de stratégies différentes utilisées par un échantillon de jeunes adultes ne corrèle pas avec le nombre de mots rappelés dans une épreuve de rappel libre. A ma connaissance, aucune étude ne s’est encore penchée sur la corrélation entre le nombre de stratégies utilisées et le nombre de mots correctement rappelés dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots. Par ailleurs, aucune étude ne montre le lien entre la diversité stratégique et les performances dans un groupe d’individus composé uniquement d’adultes âgés (Zivian et Darjes, 1983). Afin de s’assurer que la diversité stratégique est effectivement liée à de meilleures performances, il est nécessaire de conduire de nouvelles études. Cela est confirmé par le fait que les études qui ont montré une association entre la diversité stratégique et les performances en mémoire épisodique ont utilisé des rapports verbaux globaux pour mesurer les stratégies utilisées.

En ce qui concerne le changement stratégique, les données de la littérature montrent que les jeunes adultes ont tendance à abandonner des stratégies peu efficaces pour utiliser des stratégies adaptées à la tâche lorsque leurs performances en mémoire épisodique sont mesurées à plusieurs reprises (Delaney et Knowles, 2005 ; Paivio et Yuille, 1969). Paivio et Yuille (1969) ont tout d’abord montré dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots que les jeunes adultes rapportent utiliser de plus en plus la stratégie d’imagerie et de moins en moins la stratégie de répétition lorsqu’ils doivent mémoriser 3 listes de paires de mots à la suite. Quelques décennies plus tard, Delaney et Knowles

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(2005) montrent dans une épreuve de rappel libre que 78 % des jeunes adultes utilisent une stratégie peu efficace comme la répétition lors de l’apprentissage de la première liste de mots et que près de la moitié d’entre eux (44 %) utilisent une stratégie de création d’histoire lors de l’apprentissage de la quatrième liste de mots. En revanche, les adultes âgés semblent peu changer de stratégies au cours de multiples occasions auxquelles leurs performances sont mesurées dans une épreuve de mémoire épisodique. Par exemple, Derwinger, Stigsdotter Neely et Bäckman (2005) ont demandé à des adultes âgés de décrire les stratégies employées pour apprendre des nombres à quatre chiffres à trois occasions. Il ressort que 86 % des adultes âgés emploient les mêmes stratégies lors des trois occasions et seuls 14 % des participants passent d’une stratégie simple à une stratégie complexe. Les études qui ont directement examiné si les jeunes adultes changent davantage de stratégie au cours d’une épreuve de mémoire épisodique que les adultes âgés montrent également que la variabilité stratégique est plus importante chez les jeunes adultes (Kahana et Wingfield, 2000 ; West et al., 2009). Tout d’abord, Kahana et Wingfield (2000) ont montré que les jeunes adultes utilisent davantage la stratégie de catégorisation sémantique au fil des essais dans une épreuve de rappel libre que les adultes âgés. West et al. (2009) montrent également que les jeunes adultes font davantage usage de la stratégie de catégorisation sémantique au fil des essais que les adultes âgés (voir les travaux de Touron pour des résultats semblables dans des épreuves de vitesse de traitement, Touron, 2006 ; Touron et Hertzog, 2004a,b ; Touron et al., 2004).

Les résultats suggèrent donc clairement qu’il y a plus de jeunes adultes que d’adultes âgés qui changent de stratégie au cours d’une épreuve de mémoire épisodique. La question qui demeure est la suivante : les individus qui changent de stratégie ont-ils de meilleures performances que les individus qui n’en changent pas ? De plus, est-ce que les performances des individus qui changent de stratégie varient davantage que celles des individus qui ne changent pas de stratégie ?

A ma connaissance, une seule étude s’est intéressée à la relation entre la magnitude des changements stratégiques et les performances moyennes dans une épreuve de mémoire épisodique chez les jeunes adultes (Coyle, 2001a). Les données montrent que l’amplitude des changements stratégiques corrèle négativement et significativement avec le nombre de mots correctement rappelés. Les jeunes adultes les plus performants sont ceux qui utilisent les mêmes stratégies tout au long de l’épreuve.

Plusieurs études montrent qu’il existe un lien entre le changement stratégique et l’apprentissage dans une même épreuve. Par exemple, la diminution des temps de réponse dans des épreuves de vitesse chez les jeunes adultes et les adultes âgés s’explique par une augmentation de la sélection de la stratégie de récupération de la solution en mémoire, qui est plus rapide à exécuter que la stratégie de scannage ou de calcul (Touron et Hertzog, 2004a,b ; Touron et al., 2004). Toutefois, ces études portent sur les temps de réponse et non sur le nombre de bonnes réponses. D’autres études montrent une correspondance entre l’augmentation dans la sélection d’une stratégie efficace et l’augmentation des performances au fil des essais dans l’apprentissage de la même liste de mots (Kahana et Wingfield, 2000 ; Paivio et Yuille, 1969 ; West et al., 2009). Toutefois, comme les individus apprennent à chaque occasion les mêmes mots, il est difficile de déterminer si c’est l’utilisation de plus en plus fréquente de la stratégie optimale qui est directement responsable de l’augmentation du nombre de mots rappelés ou si les deux phénomènes sont la conséquence d’un effet d’apprentissage des mots (voir également Runquist et Farley, 1964). Selon Coyle et Bjorklund (1997), il est indispensable d’administrer des items différents à chaque essai pour s’assurer que

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l’augmentation dans l’utilisation d’une stratégie se fasse indépendamment d’une augmentation dans le sentiment de familiarité avec les items à mémoriser. Enfin, on ne compte plus le nombre d’études montrant une relation entre un entraînement de la mémoire basé sur l’enseignement de stratégies d’encodage et l’amélioration des performances en mémoire (Bailey, Dunlosky et Hertzog, 2010 ; Baltes et Kliegl, 1992 ; Brehmer, Li, Müller, von Oertzen, et Lindenberger, 2007 ; Brehmer, Li, Straube, Stoll, Oertzen, Müller et Lindenberger, 2008 ; Carretti et al., 2007 ; Cavallini, Pagnin et Vecchi, 2003 ; Derwinger et al., 2005 ; Dunlosky, Kubat-Silman et Hertzog, 2003 ; Kliegl, Smith et Baltes, 1989, 1990 ; O’Hara, Brooks, Friedman , Schröder, Morgan et Kraemer, 2007 ; Verhaeghen et Marcoen, 1996 ; Verhaeghen, Marcoen et Goossens, 1992). Malheureusement, ces études ne permettent pas de vérifier si les individus qui changent spontanément de stratégie obtiennent des performances qui varient davantage que ceux qui maintiennent la même stratégie.

Les seules études qui mettent directement en relation la variation dans la sélection de stratégies et la variation de performances en mémoire épisodique ont été conduites auprès d’enfants (Coyle, 2001b ; Coyle et Bjorklund, 1997 ; Schlagmüller et Schneider, 2002 ; Kron-Sperl, Schneider et Hasselhorn, 2008). Par exemple, Coyle (2001b) a demandé à des enfants de 9 ans d’apprendre 5 listes de mots et a observé les stratégies employées par les enfants dans chacune de ces listes. Un écart-type intra-individuel calculé sur le nombre de stratégies différentes utilisées au travers des 5 listes corrèle alors avec la variabilité intra-individuelle en mémoire épisodique. Coyle et Bjorklund (1997) montrent également qu’un score de différence entre deux listes de mots dans le nombre de stratégies utilisées corrèle avec un score de différence relatif au nombre de mots correctement rappelés entre ces deux listes chez les enfants de 9 et 10 ans.

4.6. Résumé

Dans ce chapitre, nous avons montré que ces dernières années l’intérêt des chercheurs s’est porté sur la question de la variabilité intra-individuelle dans les performances mais également de la variabilité stratégique. En ce qui concerne les différences entre les jeunes adultes et les adultes âgés et la variabilité intra-individuelle en mémoire épisodique, les résultats ne sont pour l’instant pas consistants au travers des études.

Nous avons également montré que la plupart des études qui portent sur les différences d’âge dans l’ampleur de la variabilité intra-individuelle présentent des défauts méthodologiques importants. Par exemple, les épreuves utilisées comportent peu d’items, ce qui diminue considérablement l’amplitude de la variabilité intra-individuelle observée. Par ailleurs, le nombre d’occasions auxquelles les performances en mémoire épisodique sont évaluées est souvent faible, ce qui limite également la possibilité d’observer la variabilité intra-individuelle en mémoire épisodique.

Nous avons également passé en revue des travaux qui montrent que la variabilité stratégique dans les épreuves de mémoire épisodique est considérable. Quelques travaux suggèrent par ailleurs que la variabilité stratégique est plus forte chez les jeunes adultes que chez les adultes âgés. D’une part, certaines études montrent que les jeunes adultes utilisent plus de stratégies différentes que les adultes âgés (ce que l’on nomme la diversité stratégique). D’autre part, certaines études suggèrent que les jeunes adultes sont plus enclins à changer de stratégie lorsque leurs performances sont mesurées à plusieurs occasions (ce que l’on nomme le changement stratégique).

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Relevons qu’actuellement nous ne connaissons aucune étude qui a tenté de rapprocher de manière explicite la variabilité intra-individuelle en mémoire épisodique et la variabilité stratégique chez les jeunes adultes et les adultes âgés. Quelques travaux sur cette question ont été conduits chez les enfants et ont montré que les enfants qui changent le plus de de stratégies ont une variabilité intra-individuelle en mémoire épisodique plus importante. Il est donc nécessaire de comprendre le rôle de la variabilité stratégique sur les performances en mémoire épisodique et sur la variabilité intra-individuelle des performances en mémoire épisodique chez les jeunes adultes et les adultes âgés.

Nous nous proposons de tester ces relations dans les études qui vont être présentées.

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