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De la notion de compétence

Dans la présentation du cadre théorique de notre recherche, nous avions constaté une certaine omniprésence, en ingénierie de la formation, de la notion de compétence. De manière à clarifier la signification de ce terme et en faire usage approprié, nous avions estimé nécessaire d’en dégager une définition. De même, il nous paraissait potentiellement révélateur de chercher à faire émerger, à travers les propos de nos interlocuteurs, la sensibilité à la notion de compétence dans le contexte de la DGEO et de l’offre de formation continue à destination des enseignants à l’école obligatoire.

Il nous a semblé intéressant de recenser dans chaque verbatim d’entretien la fréquence d’utilisation du mot “compétence”

par nos interlocuteurs!; compte tenu du fait que les interviews ont eu des durées sensiblement différentes, il nous a paru plus éloquent d’homogénéiser ces valeurs en les rapportant au nombre de lignes du verbatim de l’entretien. Ces données sont présentées dans le tableau ci-après!:

Entretien HEP-VD Entretien DGEO Entretien Directeur Entretien SPV

Fréquence d’utilisation du mot “compétence”

Nombre de lignes du verbatim de l’entretien Fréquence d’utilisation rapportée à 100 lignes

19 9 1 0

466 246 389 527

4.1!% 3.7!% 0.3!% 0!%

Statistiques de l’emploi du mot “compétence” par nos interlocuteurs47

En raison de l’option qui a présidé à la constitution de notre corpus, nous ne pouvons pas prétendre à la représentativité de ces résultats. Nous prendrions en effet le risque de mesurer des idiosyncrasies langagières davantage que la place de la notion de compétence dans la culture du contexte observé. Toutefois, nous avons constaté que nos deux interlocuteurs de l’IFC de la HEP-VD se partageaient l’emploi de ce terme à raison de 8 itérations contre 1148. Dès lors, sans prétendre conférer un caractère significatif aux chiffres de ce tableau, nous nous autorisons à leur accorder une qualité indicative.

Nous pouvons constater que le mot “compétence” est essentiellement employé par les Responsables de la direction de l’IFC de la HEP-VD ainsi que par le Directeur général de la DGEO!; il est prononcé une fois par le Directeur, et à aucun moment par le Président de la SPV.

Le document Référentiel de compétences professionnelles a été établi par la HEP-VD et n’a pas fait l’objet d’une validation par la DGEO!; cela explique peut-être pourquoi ce sont les Responsables de la direction de l’IFC de la HEP-VD qui ont fait l’usage le plus dense de cette notion. L’emploi presque équivalent de ce terme par le Directeur général de la DGEO nous semble également coïncider avec le fait que le Référentiel de compétences professionnelles de la HEP-VD n’a jamais non plus été remis en question par la DGEO, voire que son Directeur général l’a signalé comme faisant partie des documents palliant l’absence de cahier des charges pour les enseignants à l’école obligatoire.

Il nous semble également révélateur, dans la situation d’un entretien portant sur le pilotage de la formation continue des enseignants à l’école obligatoire, que le terme de compétence n’ait pour ainsi dire jamais été employé par le Directeur d’établissement, et encore moins par le Président de la SPV. Nous pensons qu’il pourrait y avoir un lien entre ce constat et le

47 Références de ce mot dans les verbatims des entretiens!: HEP, ll.!37, 68 (2 fois), 100 (2 fois), 102, 103, 109 (2 fois), 129, 155, 165, 166 (2 fois), 167, 171, 172, 442 et 465!; DGEO, ll.!5, 31, 40, 42, 65, 69, 118, 176 et 177!; Dir, l.!178.

48 ST!: HEP, ll.!100 (2 fois), 102, 103, 155, 165, 166 (2 fois), 167, 171 et 172!; PAB!: HEP, ll.!37, 68 (2 fois), 109 (2 fois), 129, 442 et 465.

fait que la version en consultation du cahier des charges pour les enseignants à l’école obligatoire n’a jamais été stabilisée et qu’une combinaison de textes prescripteurs supplée à son absence. Un manque de clarté pourrait en découler en termes d’attentes de la part de la DGEO vis-à-vis des enseignants, de rapports entre ceux-ci et leur Direction d’établissement du point de vue de leur formation continue, voire de la place des compétences dans leur perception de leur rôle et de leur fonction.

Dès lors, en même temps que la notion de compétence est centrale dans le cadre du pilotage et de l’ingénierie d’une offre de formation continue, elle ne possède pas une grande place chez certains de mes interlocuteurs – ce constat pourrait peut-être même s’étendre aux catégories d’acteurs qu’ils représentent au sein de ma recherche. Compte tenu de ce qui précède, nous nous voyons conforté dans la validation partielle de notre première hypothèse!: il nous semble qu’une vision individuelle de leur métier prévaut dans la culture professionnelle des enseignants!; de plus, le programme de formation continue de la HEP-VD ne nous paraît pas favoriser un processus de gestion des compétences au sein des établissements de la scolarité obligatoire. Les enseignants et leurs Directeurs, dans leurs perceptions de leurs rôles respectifs ainsi que dans leurs rapports en termes de formation continue, ne constituent vraisemblablement pas actuellement un contexte dont la culture est particulièrement sensible à la prise en compte des compétences.

De la notion de professionnalisation

Peut-être des analyses similaires pourraient-elles être menées à propos du terme de professionnalisation!; toutefois, étant donné notre constat, dans l’arrière-plan au cadre théorique de cette recherche, du caractère peu stabilisé de cette notion ainsi que du processus y relatif, nous ne nous aventurerons pas dans pareille entreprise qui nous paraît par trop hasardeuse.

Relevons simplement que, selon le Président de la SPV, le terme de professionnalisation serait en devenir auprès des enseignants, mais actuellement plutôt perçu comme une offense!:

Puisque tu utilises ce terme, professionnalisation est un terme qui n’est jamais utilisé par aucun enseignant à ma connaissance. C’est une notion qui est encore en devenir chez les collègues, qu’ils ressentent d’ailleurs […] presque comme une offense. «!Ah!! Parce qu’on n’est pas des professionnels!?!». Alors quand on leur explique en effet qu’un métier, une profession, c’est pas la même chose![…]. (SPV, ll.!210-214)

À nouveau, il se pourrait qu’il y ait lieu de mettre cette citation en lien avec la place de la compétence dans la culture professionnelle des enseignants. En effet, le Président de la SPV fait remarquer que, dans un processus de

professionnalisation, l’employé devrait tendre à suivre des formations traitant de domaines pour lesquels il éprouve des lacunes en termes de compétences. À l’inverse, les enseignants auraient plutôt tendance, dans la situation actuelle, à s’inscrire à des cours de formation portant sur des domaines avec lesquels ils ont des affinités, c’est-à-dire par définition des domaines pour lesquels ils se sentent ou sont déjà relativement compétents (SPV, ll.!217-224).

Ces points de vue nous confortent dans notre avis qu’un pilotage de la formation continue des enseignants à l’école obligatoire, mené selon les principes de l’ingénierie, participerait d’un processus de gestion des compétences et pourrait contribuer à conférer à ce métier des caractéristiques lui octroyant le statut de profession.

Domaines de formation centraux ou faisant défaut

Lors de l’entretien, nous invitions nos interlocuteurs à nous signaler les types de cours auxquels ils considéreraient pertinent que les enseignants participent ou pour lesquels ils estimeraient nécessaire qu’une offre de formation continue existe. Notre ambition était de faire émerger les champs que ces différents acteurs considèrent comme centraux ainsi que de signaler ces domaines de formation comme pertinents et faisant éventuellement défaut dans le programme de formation continue de la HEP-VD. Notre volonté n’était pas de constituer un ensemble construit et cohérent vis-à-vis de l’ensemble des

compétences mobilisées dans l’exercice du métier d’enseignant, cette fonction étant déjà assurée par les onze

compétences clés du Référentiel de compétences professionnelles de la HEP-VD. Ces domaines de formation, que nous avons constitués en catégories, sont donc à considérer comme nous ayant été désignés comme particulièrement pertinents, sans qu’il soit en aucune manière prétendu à leur exhaustivité.

Voici les contenus potentiels de formation proposés par nos interlocuteurs et déclinés selon quatre catégories!:

1. Contenus disciplinaires

• difficultés liées à l’enseignement des disciplines!;

• évolution des contenus d’enseignement!;

• évolutions didactiques!;

• évolution des moyens d’enseignement.

2. Relations aux élèves et à la classe

• conduite de la classe!;

• évolutions dans les relations avec les élèves!;

• évolution des difficultés rencontrées!;

• interculturalité!;

• problèmes socio-éducatifs de la classe!;

• prise en charge de la violence.

3. Dimension adulte de l’école

• relations avec les parents!;

• coopération entre enseignants!;

• travail en équipe!;

• participation à des projets pédagogiques!;

• tenue d’un réseau.

4. Autres dimensions inhérentes au métier d’enseignant

• échanges de pratiques!;

• évolutions dans les aspects social, politique et juridique du métier d’enseignant49!;

• connaissance de ses droits et de ses devoirs!;

• maîtrise de l’outil informatique!;

• prise de notes!;

• rédaction d’un procès-verbal!;

• réformes scolaires.

Une fonction qui nous avait été signalée de l’offre de formation continue consiste en la proposition de contenus de formation qui n’ont pas pu être abordés en formation initiale, soit faute de temps à disposition, soit parce qu’ils n’étaient pas encore existants à ce moment-là. La seconde possibilité intègre donc les évolutions du métier d’enseignant, et nous pouvons observer que bon nombre des propositions ci-dessus relèvent de cet aspect.

Une cinquième catégorie pourrait être constituée de cours de formation continue qui nous ont été signalés comme pouvant gagner à s’effectuer en partenariat avec des personnes extérieures au métier d’enseignant!:

5. Modalités alternatives de formation continue

• lecture des médias, en collaboration avec des étudiants en journalisme ou des journalistes!;

• notions de droit, conjointement avec des étudiants de la Faculté de Droit à l’Université!;

• comment mener un entretien avec des parents, en partenariat avec des associations de parents.

Un travail subséquent à cette mise en catégories pourrait être d’identifier, parmi l’offre de formation continue de la HEP-VD, les cours correspondant à cette liste de domaines!; cas échéant, ceci permettrait de requérir la mise sur pied des unités de formation qui feraient éventuellement défaut. Ce n’est toutefois pas l’objet de cette recherche, pour laquelle nous avons pris le parti de nous concentrer sur le processus d’élaboration du programme de formation continue de la HEP-VD, et non pas sur l’analyse de ses contenus. La valeur que nous conférons à la présence de ce recensement dans ces pages réside donc dans le signalement d’autant, sinon davantage, de dimensions autres que centrées sur l’enseignement aux enfants et les contenus disciplinaires, ainsi que nous l’évoquions dans les commentaires de notre deuxième hypothèse spécifique.

49 C’est sur l’inscription de la profession enseignante dans ses rôles social, politique et juridique que le Président de la SPV verrait éventuellement un léger manque dans le programme de formation continue de la HEP-VD, voire également dans la formation initiale des enseignants (SPV, ll.!265-283).

Relevons encore que quasiment aucun contenu ne nous a été signalé par nos interlocuteurs comme leur paraissant faire défaut dans le programme de formation continue de la HEP-VD, exceptées peut-être les évolutions du métier d’enseignant aux plans social, politique et juridique!; ceci confirme le caractère pessimiste que nous avions avoué de nos hypothèses spécifiques.

De l’évaluation de la formation

Dans notre discussion de la troisième hypothèse spécifique, nous avions mentionné le fait que la mesure du transfert des apports des cours dans la pratique des participants ne constitue pas une pratique régulière de l’IFC de la HEP-VD. Nous avions signalé la recherche lancée par les Responsables de la direction de l’IFC de la HEP-VD, visant à remédier à cet état de fait en dépassant la mesure de la satisfaction des participants. Par ailleurs, le Directeur interrogé nous a indiqué une action de formation qui s’était déroulée dans son établissement, lors de laquelle l’évaluation faisait partie intégrante de la formation. Masingue attribue au mode d’évaluation de la formation un caractère révélateur vis-à-vis de la politique de formation!:

La question de l’évaluation est une question ancienne et récurrente de toute politique de formation et sa mise en œuvre devrait être une ardente obligation s’imposant naturellement aussi bien à ceux qui la réalisent qu’à ceux qui la prescrivent. Dans les faits les choses ne sont pas toujours aussi claires. On peut l’exiger dans les discours mais ne pas trop souffrir de constater qu’elle est trop difficile à réaliser pour être effectivement entreprise. Car en fait dans l’économie de la dépense, l’évaluation est perturbatrice.

Dans ces scénarii où les volumes font office de politique, le prescripteur ne souhaite pas nécessairement que l’on constate le flou de sa commande, le payeur le laxisme de son contrôle et le formateur-producteur l’écart de son process et de son effort entre ce qui lui était formellement demandé et ce qu’il a obtenu ou décidé d’obtenir (suivant l’adage que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son désavantage).

Par contre dans les logiques d’investissement, de gestion de projet ou de qualité, elle est une condition nécessaire de la politique de formation!: on pourrait presque valider ce raisonnement par la formule!: «!Dis-moi comment tu pratiques l’évaluation et je te dirai quelle est ta politique.!»

En réalité l’affirmation si souvent entendue que l’évaluation de la formation est difficile ou impossible relève davantage d’un déficit politique que méthodologique!: elle est en fait proportionnelle à la qualité des objectifs qui ont été donnés en amont aux actions de formation mises en œuvre!: quand ces objectifs sont opérationnels, l’évaluation est réalisable relativement facilement et à peu de frais, lorsqu’ils sont flous soit par eux-mêmes soit dans leur articulation avec les moyens mobilisés l’évaluation devient complexe, onéreuse et sujette à caution. On retrouve derrière ce constat la phrase-slogan d’une grande pertinence!: «!L’évaluation commence avant la formation.!» (2004, p.!402) Les Responsables de la direction de l’IFC de la HEP-VD nous ont indiqué que chaque édition du programme de formation continue compte environ 300 unités de formation. Il en découle que les contenus sont disparates, et que pour le cas de la formation continue des enseignants il semble en effet difficile de mener de manière centralisée une mesure systématique du transfert des apports des cours dans la pratique des participants. Pour les formations complémentaires certifiantes en revanche, l’évaluation des transferts dans les pratiques nous semble plus aisée à mener du fait de la plus longue durée de la formation, voire nous paraît incontournable en raison de l’enjeu de la certification. En formation continue, ce serait selon nous aux formateurs, à l’instar de ceux étant intervenus dans l’établissement du Directeur interrogé, d’intégrer cette dimension d’évaluation à leurs actions de formation. Toutefois, nous glissons ici vers l’ingénierie pédagogique, qui se situe en-dehors de l’objet de notre recherche. Signalons simplement que la dimension d’évaluation des transferts dans les pratiques est une condition de la politique de formation, et qu’à ce titre les Responsables de l’IFC de la HEP-VD pourraient – devraient – requérir son intégration, par les formateurs, dans leurs cours de formation continue.

Perspectives

L’analyse des entretiens que nous avons eus avec quatre acteurs centraux concernés par la formation continue des enseignants à l’école obligatoire nous a permis de comprendre de quelle façon l’élaboration du programme de formation continue de la HEP-VD est actuellement pilotée. La vérification de nos hypothèses spécifiques nous a permis d’identifier certaines entraves à un pilotage optimal de l’offre de formation continue à destination des enseignants à l’école obligatoire.

Commençons par mettre ces obstacles en relation avec notre question de recherche, de manière à faire émerger nos recommandations pour le pilotage de cette offre. Pour rappel, notre question de recherche était formulée comme suit!:

«!Quelle forme de pilotage de l’offre de formation continue pour les enseignants à l’école obligatoire, menée par quels acteurs, constitue la réponse la plus en adéquation avec les missions du cahier des charges de cette fonction, en vue de la production d’une professionnalité définie pour ce métier!?!»