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xvi e ? xvii e ? xviii e siècle ?

Quelles sources ? Des lectures à l'épreuve d'imaginaires linguistiques

A. Quelles périodes de référence ?

2. xvi e ? xvii e ? xviii e siècle ?

Si l'on s'en tient à la culture française, il faut bien constater que le classicisme de France n'est pas le même que celui de Régnier ou de Boylesve. En considérant les siècles classiques dans leurs frontières les plus larges, on observe que les trois écrivains ne doivent pas leurs classiques aux mêmes époques. Pour schématiser, Henri de Régnier est, des trois, celui dont la culture embrasse le plus étroitement le classicisme stricto sensu, le classicisme de la seconde moitié du xviie siècle. Le xviie siècle de René Boylesve est plus décentré et baroque, tantôt tiré vers le xvie siècle, tantôt mâtiné d'esprit xviiie siècle. Enn, Anatole France doit essentiellement ses classiques au xviiie siècle et, à quelques exceptions près, il dit ne pas aimer le siècle de Louis XIV. Mais précisons pour chacun.

On peut exclure d'emblée le xvie siècle, siècle avant-coureur de l'âge classique, des aec-tions de Régnier. À la diérence de France et de Boylesve, Régnier n'évoque pratiquement aucun auteur de la Renaissance, sinon Ronsard  poète ayant signicativement ÷uvré pour un avènement classique de la langue française , et concède volontiers qu'il n'a  jamais beaucoup

aimé la langue du xvie siècle  (C., 1933, p. 858). Il note encore son  Peu de goût pour les écrivains du xvie siècle, Ronsard excepté, qui est très grand, et du Bellay, qui est souvent charmant, mais Rabelais, mais Montaigne...  (C., 1930, p. 839).

L'admiration inconditionnelle dont Ronsard fait cependant l'objet trouve son expression dans la deuxième section de Flamma tenax (1922-1928)1, l'un des derniers recueils de poésie de Régnier. Le poète  et notamment le sonnetiste  s'inscrit dans une lignée qui s'étend de Ronsard à Mallarmé, et il règle dans ces quinze poèmes sa dette envers la plus brillante étoile de la Pléiade. En le promettant à une gloire éternelle, Régnier prend le parti de Ronsard contre les classiques, du moins les plus doctrinaires :  Et les Ronsard toujours déroutent les Boileau2. Non seulement Régnier, poète âgé mais toujours élève de Ronsard, se place dans le lignage du poète des Amours3, mais il emprunte ses mots dans une  Odelette  ( Ronsard, allons voir si la rose / Est toujours au matin éclose4) et pousse l'identication jusqu'à parler en son nom, à la première personne, dans la prosopopée du poème  Ronsard à l'indèle 5.

Quant aux siècles classiques à proprement parler, l'avis de Régnier n'est pas sans mélange :

Le xviiie siècle, un siècle rongé d'un cancer analytique, un siècle d'ennui qui aboutit au dépaysement de l'exotisme de Saint-Pierre ou de Chateaubriand et au brusque opium des révo-lutions.

Qui sait si 89 n'est pas l'ennui de deux siècles et une tentative simplement néronienne ? (C., 1888, p. 152)

Mais son goût pour les siècles classiques, très tiède alors, s'est attisé avec l'âge. Incontestable-ment, son jugement ultérieur est moins sévère que celui du jeune homme qu'il est en 1888, et le xviie siècle trouve vite grâce à ses yeux6, s'il ne révise pas aussi explicitement son opinion sur le xviiie siècle. Dans cette réticence à l'égard du siècle des Lumières (que France et Boylesve tiennent en bien plus haute estime), il entre sans doute une part, même minime, de ranc÷ur aristocratique. Régnier prend trop manifestement plaisir à rappeler les généalogies nobiliaires7

1. H. de Régnier,  Le Laurier de Ronsard , Flamma tenax (1922-1928), Mercure de France, 1928, p. 39-58. Par surcroît, des lettres échangées avec Heredia font état d'une conversation sur le chef de le de la Pléiade. Sa teneur n'est pas connue.

2. C'est un vers du sonnet  Laisse qu'au lieu d'apprendre... , ibid., p. 42. Régnier rend-il toutefois un discret hommage au poète classique, dans le nom qu'il donne au personnage du Mariage de minuit (1903), Jacques Boispréaux  en lequel Franck Javourez voit la contraction de Boileau-Despréaux ? (Henri de Régnier  Écriture et libertinage, op. cit., p. 302). À noter aussi, chez Boylesve, le patronyme Desréaux. Les Desréaux sont les propriétaires d'un jardin somptueux, détruit après leur disparition (Souvenirs du jardin détruit, J. Ferenczi & ls, 1928).

3. On peut citer le cizain qui termine  Je plante en ta faveur... , Flamma tenax, op. cit., p. 43 :  C'est là que je viendrai, par le sentier rustique, / Ronsard, que tu foulas d'un pas grave et rythmique, / Écouter la ramure et la source, et m'asseoir, // Essayant, sous ce pin qui sur cette eau s'incline, / D'imiter humblement en mon humble savoir / Ce chant qu'Apollon mit en ta gorge divine .

4. Ibid., p. 52. 5. Ibid., p. 57.

6. Dans une lettre, l'histoire Pierre de Nolhac consacre Régnier  l'homme du grand siècle  (P. de Nolhac à H. de Régnier, lettre du 15 oct. 1904, Ms. 6292, F. 116, Bibliothèque de l'Institut).

7. À commencer par la sienne, qu'il détaille longuement dans un article des Proses datées,  Les trois ls de Madame de Chasans  (Mercure de France, 1925).

et rapporte trop complaisamment des épisodes liés à la cruauté révolutionnaire1 pour ne pas en éveiller l'idée. La politique l'occupe peu, certes, mais de toute évidence il n'est pas un fervent démocrate  et l'on peut penser que c'est précisément parce que l'heure est à la démocratie qu'il se détourne aussi absolument de la politique contemporaine. La phrase du xviiie siècle, qu'il juge sinueuse et inquisitrice, lourdement introspective sans être expressive, massive dans les développements de sa pensée, lui déplaît peut-être au surplus par la place qu'elle tient dans le développement des idées révolutionnaires2.

Si l'on veut dresser un tableau synoptique de ses sympathies littéraires, il apparaît donc assez clairement que Régnier préfère le dessin ferme et noble de la phrase du xviie siècle au style plus ené et lâche d'un certain xviiie siècle, qu'il juge trop mou, contourné, complaisant, et dont Les Confessions de Rousseau sont peut-être pour lui le parangon3. Même l'÷uvre de Laclos, qu'il aectionne tant, sera nalement repoussée pour des raisons de style. Cela expliquerait que Régnier ait davantage cherché  voire mieux réussi ?  à imiter le xviie que le xviiie siècle. Tel est l'avis de Gilles Philippe :

Le pastiche de la langue Grand Siècle que Régnier orit dans Le Bon Plaisir en 1902 et le pastiche de la langue des Lumières qu'il donna dans Les Rencontres de M. de Bréot en 1904 n'ont pas la même signication. Le second est, au demeurant, moins convaincant que le premier, car il consiste simplement à agrémenter le recours à la norme haute d'un appareil lexical à couleur classique4.

La ligne de partage entre une langue Grand Siècle et une langue empruntée aux Lumières5

ne nous semble pourtant pas très nette, et à notre sens, les romans historiques de Régnier se caractérisent plutôt par une relative homogénéité sur le plan stylistique. Les phrases du Bon Plaisir paraissent toutefois globalement plus courtes et moins sinueuses que celles de La Double Maîtresse ou de La Pécheresse, mais on y rencontre néanmoins, çà et là, des phrases d'un dessin plus maniériste6, très semblables à celles des Rencontres : la distinction est davantage quantitative que qualitative. D'autre part, un roman comme La Pécheresse, rédigé dans un style abondant et méandrique, place pourtant son action au temps de Louis XIV, comme Le Bon Plaisir, sans pourtant chercher à élaguer sa syntaxe. Il est vrai que, si l'époque est la même, le milieu représenté ne l'est pas, et le monde libertin de La Pécheresse ne peut sans doute s'exprimer dans les mêmes formes que celui de la Cour qui sert de théâtre au Bon Plaisir.

1. Pour exemple, on songera à la vieille Anne-Claude de Fréval, jetée vive dans les douves à la n de L'Escapade.

2. Cette haine du xviiie siècle a largement été relayée par le xixe siècle, à son ouverture si hostile aux Lumières, tenues pour responsables des événements traumatisants de la Terreur. Sur ce sujet, voir S. Zékian, L'invention des classiques, op. cit., 2012.

3. Voir  Le cas de Rousseau , infra, p. 207.

4. G. Philippe,  J'aimerais mieux bien écrire qu'écrire bien , art. cité, p. 237-238.

5. Est-il d'ailleurs certain que la langue des Lumières ait constitué l'horizon stylistique de Régnier pour les Rencontres, roman qui semble plutôt situer son histoire à la n du xviie siècle ?

6. L'incipit de La Pécheresse, par exemple, présente des phrases assez retorses, cousues d'outils subordonnants et anaphoriques, brodées d'insertions et d'expressions coordonnées sémantiquement redondantes.

Dicile, pourtant, de conclure chez Régnier à une coïncidence entre le style d'une époque donnée et le contexte narratif correspondant.

Au reste, l'existence de styles d'époque est sans doute discutable. Ceux-ci tiennent néan-moins une place importante dans les représentations stylistiques d'alors. C'est Gustave Lanson qui mène la réexion la plus systématique : pour lui, la syntaxe est le reet des m÷urs et de l'âme du siècle, et un modèle syntaxique donné forme  un dessin qui l'assortit à l'architecture ou au costume du temps1 . Il distingue ainsi une  phrase du Grand Siècle  et une  phrase du xviiie siècle , qu'il décline chacune en diérents  styles . De façon un peu surprenante, le style de Régnier correspond davantage au  style Louis XIII  selon la dénition lansonienne. La phrase Louis XIII, comme celle de Régnier, est volontiers  ample, à longue queue, empanachée superbement, ou gracieusement enrubannée, ou grotesquement enluminée d'une architecture solide, un peu lourde, irrégulière souvent et parfois symétrique, capable encore de se charger de sensations et de donner des fêtes aux yeux et aux oreilles2 . Elle a le goût des beaux ordon-nancements, symétriques notamment3. La description semble faite spécialement pour la prose de La Pécheresse.

La manière de Régnier n'est pourtant pas absolument étrangère, par moment, au  style Louis XIV , qui évolue vers des phrases plus brèves, nettes, dégagée de leur pesant appareil conjonctif, et qui  va, c'est certain, se simpliant, se polissant, s'adoucissant, s'amollissant, s'appauvrissant aussi, se refroidissant, se vidant de sa sève, s'étalant en façade pompeuse, s'amincissant en sécheresses distinguées4 . C'est une phrase qui, pour atteindre la vérité qui est son but, prend soin d'écarter toute passion corruptrice. Elle devient plus oratoire, plus sobre, modelée sur le mouvement latin. Plus que Régnier, ce sont les romanciers de la nrf qui investiront cet imaginaire stylistique  ainsi qu'Anatole France, dans une certaine mesure. Mais les textes tardifs, comme L'Escapade ou Les Lettres diverses et curieuses, se tournent eux aussi vers un style assagi qui n'est pas toujours loin dans l'intention du style coupé5 du second xviie

siècle.

Quant à la  phrase du xviiie siècle  d'après Lanson, elle prolonge le  style Louis XIV , dont elle outre les procédés pour les cristalliser :  Plus d'éloquence. Plus de panache, plus de phrase à longue queue. Plus d'ampleur. Plus de gravité. Une phrase courte, sèche, nerveuse,

1. G. Lanson, L'art de la prose (1905-1907), op. cit., p. 56. 2. Ibid., p. 65.

3. Lanson voit en Guez de Balzac le meilleur exemple de cette propension à la symétrie, qui donne  une noblesse théâtrale et boursouée  à son style (ibid., p. 71).

4. Ibid., p. 55.

5. Style coupé :  Style à phrases courtes (par opposition au "style étendu") et/ou style à phrases hachées, constituées d'unités juxtaposées et dépourvues de liens grammaticaux marqués. Le style coupé est donc bref ou discontinu, et le plus souvent l'un et l'autre à la fois : il s'oppose à ce double titre au style périodique. Cette opposition [...] recouvre globalement le clivage entre l'atticisme ([...] qui vise la pureté du style) et l'asianisme (qui vise le style orné) [...]  (B. Roukhomovsky, Lire les formes brèves, Nathan université, 2001, p. 141).

hachée, sautillante, qui semble ne vouloir parler qu'à l'esprit [...]1. C'est le style d'une époque qui voue une foi absolue à l'esprit humain et à la raison. La poésie n'en est pas absente toute-fois, mais elle est subordonnée à un esprit de mesure, ltrée par un rationalisme qui décolore et uniformise les sensations rapportées, nivelée sur l'étalon d'une raison universelle. Sans doute, c'est passer un peu vite sur Marivaux, sur Bernardin de Saint-Pierre, sur Rousseau, et réduire à bon compte le xviiie siècle à ses plus arides philosophies et à sa plus fade poésie. Les commen-tateurs ultérieurs rendront mieux justice à la part de sincérité et de sensibilité de cette prose. Mais telle est, sur les grandes lignes, la synthèse qu'en donne Lanson et que semble rejoindre pour partie la vision de Régnier.

Car c'est bien à travers ces catégories de  phrases d'époque , très commodes, que pense Régnier. Ainsi, pour lui, il est acquis que la langue du xviiie siècle est détestable. C'est elle qui nuit à Musset et à Lamartine,  [...] aussi mauvais écrivains l'un que l'autre  tous deux très imbus encore du xviiie : ils en écrivent presque la langue poétique  (C., 1907, p. 584). Son jugement est certes nuancé ensuite, et il concède à Musset  un tour d'esprit français et pimpant, qui le relie au siècle précédent par Crébillon, Marivaux et Beaumarchais . C'est qu'il ne condamne pas un certain esprit du xviiie siècle, désinvolte et primesautier2  seulement son langage, qui, dans sa représentation, doit correspondre peu ou prou à une exaspération du style de Fénelon, écrivain jugé insupportable3, poète falot et conteur trop didactiquement démonstratif.

C'est Rousseau qui incarne le mieux ce style décrié, hérité pour partie de Fénelon :  C'est souvent un bon écrivain, éloquent et incisif, souvent insupportable. [...] Je ne l'aime pas  (C., 1903, p. 513). Il ne pardonne pas  la lourdeur et le sérieux de l'assommant Rousseau  (C., p. 513), qu'il poursuit inlassablement de son animosité, le jugeant  médiocre, poncif, boursoué , épinglant  la banalité des épithètes ; sa phrase rondouillarde et qui peint sans faire voir [...]  (C., 1918, p. 749). En dénitive, c'est aux yeux de Régnier un style ampoulé sans être expressif, un style d'apparat, tout extérieur, qui ne s'accorde guère avec ses aspirations intimes4. C'est oublier injustement, sans doute, à quel point les maîtres du second xviiie siècle ont été pionniers dans le développement d'une sensibilité moderne, semant les premiers ferments

1. Ibid., p. 140.

2. Il situe d'ailleurs à plusieurs reprises ses romans  historiques  sous le règne de Louis XV : le premier et le dernier d'entre eux, La Double Maîtresse et L'Escapade se déroulent au xviiiesiècle.

3. C'est un lieu commun d'alors : A. Albalat fait de la prose de Fénelon un repoussoir stylistique, tenant son style descriptif pour un mauvais pastiche d'Homère ( Le faux style descriptif , chap. VII, La formation du style par l'assimilation des auteurs, Armand Colin, 1901). Pour G. Lanson, le style sensuel de l'auteur du Télémaque, désormais ressenti comme académique et mignard, est devenu représentatif du  style pompier  (L'art de la prose, op. cit., p. 114).

4. Contrairement à Gustave Lanson, Régnier ne semble pas voir en Rousseau un précurseur de l'écriture  artiste   qui place la sensation au c÷ur de l'expression  caractéristique de la sensibilité moderne (G. Lanson, L'art de la prose, op. cit., chap. XIV  Deux phrases artistiques du xviiiesiècle  I. La phrase musicale de Jean-Jacques Rousseau , p. 198-204).

du Romantisme.

On peut juger singulière cette haine achée du style du xviiie siècle, chez un homme qui en aime tant la tournure d'esprit. Sans doute Régnier jette-t-il le bébé (linguistique) avec l'eau du bain (historico-esthétique) : le xviiie siècle n'est pas seulement à ses yeux celui des libertins admirés ; c'est aussi pour lui à la fois celui des ratiocinateurs réformistes  qui rent naître les idées révolutionnaires  et celui des fervents de la sensibilité  en lesquels Régnier voit d'abord la faiblesse et la fadeur artistique. Cette aversion pour la langue du xviiie siècle est certainement avant tout une posture, qui témoigne de sa distance envers ces dérives. Cela expliquerait le sentiment d'anachronisme de Franck Javourez, pour qui Régnier transporte un libertinage renvoyant  à l'âge d'or de la Régence  dans des romans se déroulant aussi bien sous le règne de Louis XIV :  Les "railleries impies" de Marc-Antoine de la Péjaudie font songer à l'ironie voltairienne... déplacée sous le règne du Roi-Soleil1!   ainsi, l'esprit brillant du xviiie

siècle trouve une place plus à la convenance de Régnier, dans un xviie siècle de meilleure tenue. Comme Henri de Régnier, René Boylesve admire profondément le xviiesiècle. Mais contrai-rement à lui, il ache aussi une franche sympathie pour les époques qui précèdent et qui suivent le siècle classique par excellence. Un esprit renaissant touche en particulier Les Bains de Bade, qui mettent en scène un personnage historique, le Pogge, l'auteur des Facéties, récits trucu-lents très proches encore des fabliaux du Moyen Âge. Le roman se déroule au Quattrocento pour respecter la vérité historique, mais il porte nalement peu de traces de la manière du xve

siècle. Boylesve ne s'est laissé inuencer ni par les récits de son héros, ni par la langue de leur traduction du xve siècle (par Guillaume Tardif). La trame du récit est néanmoins fournie par une lettre du véritable Pogge à son ami Niccolo Niccoli, lettre dans laquelle il décrit son séjour aux célèbres bains de Baden.

C'est plutôt le souvenir de Rabelais,  notre gros Shakespeare à nous  (LAP1, p. 164), qui marque certains passages. Mais ces souvenirs sont plus de simples clins d'÷il qu'une véritable imprégnation stylistique. Le sein de Véronique  moëlleux  comme  un duvet d'oison  (BB, p. 181-2) ne serait-il pas, par exemple, un souvenir de Rabelais, qui conclut au chapitre XIII de Gargantua que le meilleur  torche-cul  est de même matière ? Et le frère Ildebert du Carrosse aux deux lézards verts n'est-il pas un cousin de frère Jean des Entommeures, redoutable défen-seur des vignes de son monastère ? Chassé de son couvent pour y avoir mené des expériences scientiques, frère Ildebert y est réintégré :  une maladie s'était déclarée sur les vignes du couvent, les celliers étaient vides. Le supérieur s'est souvenu que le frère Ildebert connaissait des secrets  (CVL, p. 136). Même la Leçon d'amour dans un parc, qui se déroule pourtant dans le premier xviiie siècle, semble faire de discrètes allusions onomastiques à l'auteur de Gargantua : l'amant de Ninon, objet de grandes tensions ménagères, s'appelle Foisse, ce qui est

peut-être un écho aux fouasses volées qui déclenchent la guerre picrocholine. Le nom même de la gouvernante, Quinconas, fait songer aux créations lexicales fantaisistes de Rabelais1.

La mémoire d'un xvie siècle rabelaisien se devine pourtant plus qu'elle ne s'énonce. Des trois auteurs qui nous intéressent, Boylesve est sans doute le plus scabreux. Les nouvelles du Pied fourchu sont parfois très salées et leur langue fort leste. Le début abrupt d' Une aaire d'État  le laisse percevoir :  [...] on a violé ma s÷ur !  (PF, p. 9). Il est question d'une jeune nonne enceinte à qui l'on demande le nom de son violeur :  Et qui donc, monsieur, t un enfant à la Vierge Marie ? , répond-elle innocemment. Le président du tribunal relate les faits   Et il vous la trousse en un tour de main  , ce à quoi la nonne répond :  Je vous remercie, monsieur, dit-elle du ton le plus ingénu, de m'avoir éclairée sur un sujet que j'ignorais tout à fait  (p. 13). À la lecture, la crudité grinçante de ce récit de nonnes violées laisse un peu l'impression du chapitre de l'abbaye de Thélème réécrit par Voltaire ou par Boyer d'Argens.

Sur  L'aventure de Lorette Pimento  soue encore l'impertinence grivoise des fabliaux renaissants :  On cite le cas d'une dame de bonne famille, nommée Lorette Pimento, qui coucha avec le Diable et avec le bon Dieu  (PF, p. 19), en somme  une femme honnête qui n'avait encore jamais trompé son mari qu'avec le curé de Girgenti . C'est un monde à l'envers : Dieu, à qui Lorette demande son intercession auprès du Diable pour qu'il accepte d'être encore une