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Fin des antagonismes. Romantique et classique ?

Le classicisme, étalon des débats contemporains

A. Des débats à géométrie variable

2. Fin des antagonismes. Romantique et classique ?

 Assurément, l'opposition modernité/classicisme, qui traverse une part importante du dis-cours critique du xxe siècle, peut sembler aujourd'hui articielle et peu rigoureuse historique-ment2 , constatent les préfaciers d'un ouvrage sur Le classicisme des modernes (2007). Mais si le système antithétique perdure dans les esprits du xxe siècle, il faut pourtant reconnaître que sa caducité est préparée de longue date.

C'est plus précisément une trêve entre romantisme et classicisme que le début du xxe siècle engage. Il serait par ailleurs naïf de croire que la production et la critique littéraire du siècle précédent ont toujours unanimement avalisé ce système d'opposition. Au moment même où le Romantisme ouvre les hostilités contre le classicisme, des voix, certes isolées, s'élèvent déjà pour railler l'artice d'un tel bipartisme. Celle de Musset est l'une des plus considérables. Celui que l'on voit parfois comme le plus classique des Romantiques publie en 1836 quatre lettres3, co-signées du double pseudonyme de Dupuis et Cotonet, lesquels seront par la suite démasqués. La bonne volonté de Dupuis et de Cotonet, comme plus tard celle de Bouvard et de Pécuchet, a pour fonction de révéler les lacunes scientiques : les deux signataires prétendent n'avoir  jamais pu comprendre [...] ce que c'était que le romantisme , bien que depuis 1824,  on ne parl[e] [...] que de romantique et de classique . Ils laissent le mot du bon sens à MmeDupuis, qui  dit que c'est jus vert, ou vert jus . L'examen qui suit opère à la façon d'un raisonnement par l'absurde, montrant les failles des dénitions courantes.

Les sarcasmes déguisés de Musset redisent combien le débat entre romantisme et classi-cisme fut passionné au xixe siècle. Mais si d'aucuns en exacerbent la rivalité, d'autres marchent vers la paix4. Les années 1880 marquent une étape déterminante vers la résolution du conit. L'heure est encore à l'incertitude et les réticences sont grandes, mais une idée entre en germi-nation, remotivant l'intuition de Stendhal : celle que les vrais classiques furent, en leur temps, des romantiques. C'est la thèse ardemment défendue par Émile Deschanel dans un ouvrage

1. Ibid., p. 1178.

2. J.-Ch. Darmon et P. Force,  Introduction , Le classicisme des modernes, op. cit., p. 261. 3. A. de Musset,  Lettres de Dupuis et Cotonet , La Revue des deux mondes, 1836.

4. Ainsi, quand les uns veulent à toute force trancher la question du classicisme ou du romantisme de Chénier (voir supra, p. 105), les autres envisagent plutôt en lui le tuilage entre les dernières manifestations classiques et les premiers signes romantiques. C'est notamment le cas de Régnier qui le proclame  dernier des classiques et [...] premier des modernes  (voir infra, p. 250).

intitulé Le romantisme des classiques1, que Ferdinand Brunetière résume en ces termes :  Un romantique serait tout simplement un classique en chemin de parvenir, et, réciproquement, un classique ne serait rien de plus qu'un romantique arrivé2 . Cette considération est promise à un certain épanouissement. Elle sera portée par Anatole France dans La Révolte des anges (1914). Le personnage de Gaétan s'arrête sur une ÷uvre du jeune Delacroix et s'exclame :

Comme cette composition est classique et traditionnelle ! Autrefois on n'y voyait que d'étonnantes nouveautés. Maintenant nous y reconnaissons une multitude de vieilles formules italiennes3.

Par un eet de relativité historique, l'audace, avec le temps, paraît classique4. Émile Deschanel pousse l'idée à son comble et fait du romantisme préalable des écrivains la condition sine qua non de leur accès ultérieur au panthéon classique. Le raisonnement est simple : il faut d'abord heurter les préjugés de son temps pour faire date dans la mémoire collective. Brunetière, qui analyse sa thèse, en tire les implications et examine le cas d'écrivains oubliés :

Faute d'avoir été susamment romantiques, ils ne sont pas devenus classiques. Le royaume de la gloire, selon le joli mot de Marmontel, ressemble au royaume des cieux. Regnum c÷lorum vim patitur, et violenti rapiunt illud. On n'y pénètre que par escalade, eraction et bris de clôture5.

Quelques années plus tard, l'idée fait son chemin, et Proust la fait sienne, défendant l'idée paradoxale que ce sont les romantiques qui sont le mieux à même d'apprécier les classiques :

[...] les classiques n'ont pas de meilleurs commentateurs que les  romantiques . Seuls, en eet, les romantiques savent lire les ouvrages classiques, parce qu'ils les lisent comme ils ont été écrits, romantiquement, parce que, pour bien lire un poète ou un prosateur, il faut être soi-même, non pas érudit, mais poète ou prosateur. Cela est vrai pour les ouvrages les moins  romantiques . Les beaux vers de Boileau, ce ne sont pas les professeurs de rhétorique qui nous les ont signalés, c'est Victor Hugo :

Et dans quatre mouchoirs de sa beauté salis Envoie au blanchisseur ses roses et ses lys. C'est M. Anatole France :

L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pièces En habits de marquis, en robes de comtesses6.

La double équation qui fait des romantiques des éclaireurs et des classiques des suiveurs s'en trouve invalidée, ce qui fait dire à Proust :  Je crois que tout art véritable est classique, mais

1. É. Deschanel, Le romantisme des classiques, Calmann-Lévy, 1883.

2. F. Brunetière,  Classiques et romantiques , Revue des deux mondes, troisième période, t. 55, janvier 1883, p. 412.

3. A. France, La Révolte des anges (1914), Calmann-Lévy, 1921, p. 38.

4. G. Lanson en convient à certains égards :  les romantiques, moins révolutionnaires qu'ils ne disaient, avaient reçu sans discussion un grand nombre d'usages de la versication classique [...]  (Histoire de la littérature, op. cit., p. 1133).

5. F. Brunetière,  Classiques et romantiques , art. cité, p. 413. Brunetière poursuit l'idée jusqu'au paradoxe :  si tous les romantiques, à la vérité, ne sont pas devenus des classiques, sans le vouloir ; tous les classiques du moins, sans le savoir, ont jadis commencé par être des romantiques. Et le comble du romantisme, par une conséquence inattendue peut-être, [...], c'est le classicisme .

6. M. Proust,  Pastiches et mélanges , Contre Sainte-Beuve, Gallimard, coll.  Bibliothèque de la Pléiade , 1971, note de la p. 190.

les lois de l'esprit permettent rarement qu'il soit, à son apparition, reconnu pour tel , car  une vérité ne s'impose pas du dehors à des esprits qu'elle doit préalablement rendre semblables à celui où elle est née1. Classique et novateur ne sont pas antinomiques pour Proust qui, de ce fait, promeut Baudelaire et Manet au rang de  classiques non encore reconnus  :

Ces grands novateurs sont les seuls vrais classiques et forment une suite presque continue. Les imitateurs des classiques, dans leurs plus beaux moments, ne nous procurent qu'un plaisir d'éru-dition et de goût qui n'a pas grande valeur. Que les novateurs dignes de devenir un jour classiques, obéissent à une sévère discipline intérieure, et soient des constructeurs avant tout, on ne peut en douter [...]. En résumé, les grands artistes qui furent appelés romantiques, réalistes, décadents, etc., tant qu'ils ne furent pas compris, voilà ceux que j'appellerais classiques2.

Pour Proust donc, il y a plus de proximité entre un romantique et un classique qu'entre un classique et un  imitateur des classiques .

Mais l'idée défendue par Émile Deschanel ne rencontre pas immédiatement une large adhé-sion. En 1883, date à laquelle il lui donne son expression académique, la résistance est encore forte, et Brunetière met un point d'honneur à chercher les failles de cette hypothèse. Il re-prend d'abord l'essayiste sur la dénition des termes. Pour Brunetière, romantisme n'a de sens qu'historique et sa dénition doit donc d'abord rendre compte des ÷uvres de 1830. Il montre comment Émile Deschanel réduit le romantisme à la seule  nouveauté , et le met au dé de discerner ce qui est véritablement nouveau en art. Il le prend en défaut de réduire le  nou-veau  aux nounou-veautés qui seules triompheront3et s'imposeront postérieurement comme norme esthétique. L'argumentation de Brunetière se fonde sur une double mise en cause, celle d'une révolution et celle d'un progrès dans les arts. Il montre que dans sa conception du romantisme, Émile Deschanel présume de la supériorité de celui-ci : le romantisme serait la dernière phase de l'évolution littéraire et même son  couronnement , quand bien même ce couronnement prend le titre de classicisme, de nature à asseoir les autorités.

Dans un eort de neutralité, Brunetière propose de dénir au préalable classique et roman-tique, en les dégageant autant que possible des jugements de valeurs qui leur sont associés. Il commence par vider le terme classique de sa teneur méliorative, en citant des écrivains qui ne sont à l'évidence pas des classiques (en ce qu'ils ne sauraient devenir des modèles de bon goût), mais qui soutiennent avantageusement la comparaison avec certains classiques en titre. Il rend ensuite inopérant tout dualisme en montrant comment les qualités classiques et ro-mantiques supportent des degrés. Ce faisant, il suppose plutôt une sorte de curseur qui irait des  hardiesses  romantiques aux  qualités moyennes4 des classiques. Puis il s'attarde sur

1. M. Proust, lettre à É. Henriot pour son enquête sur le classicisme et le romantisme, La Renaissance politique, littéraire, artistique, 8 janvier 1921 (reproduite dans Contre Sainte-Beuve, op. cit., p. 617).

2. Ibid., p. 617.

3.  M. Deschanel appelle romantique dans le passé tout ce dont le romantisme a fait son prot dans un temps plus voisin de nous  (F. Brunetière,  Classiques et romantiques , art. cité, p. 417).

ces  qualités moyennes , qui ne doivent pas se comprendre, chez les grands auteurs, comme art timoré du juste-milieu, mais plutôt comme  équilibre  ou  pondération  entre toutes les facultés créatrices, depuis l'emportement jusqu'à la raison1. En somme, c'est une autre fa-çon de rejoindre l'idée d'une continuité défendue par Émile Deschanel, mais en renversant la perspective : Deschanel arme que les qualités romantiques sont en fait déjà présentes chez les classiques de valeur quand Brunetière prétend que ces qualités romantiques, au fond, sont classiques. La nuance n'est cependant pas anodine, loin de là. Brunetière change d'axiome : le romantisme sert de mètre étalon à Émile Deschanel là où, pour lui, c'est le classicisme qui incarne la littérature la plus accomplie.

En fait, la réponse de Brunetière à Deschanel met en évidence un point d'inexion historique dans la courbe des valeurs. Le classicisme est en passe de détrôner le romantisme, et Brunetière termine son article plus à découvert, incriminant, non les Romantiques certes, mais le Roman-tisme théorique qui,  animé qu'il était de la haine de tous les classiques indistinctement, d'une sotte haine [...] nous report[a] jusqu'à l'époque du pire désordre peut-être et de la plus grande confusion de la langue2  en préférant Jodelle à Corneille ou Du Bartas à Racine. Brunetière fait nalement du Romantisme un mouvement rétrograde, ce qui ne manque pas de sel.

On voit aussi comment Brunetière résiste à cette tendance naissante de conciliation entre romantisme et classicisme, réarmant nalement une diérence qui lui tient à c÷ur :  il n'y a décidément rien qui ressemble moins à un romantique qu'un classique [...]. Ils sont précisé-ment aux deux pôles de l'histoire de notre littérature nationale3 . Tirant dans l'autre sens, il prend soin de redessiner clairement les contours du classicisme, pour faire face au risque de ou conceptuel dont d'après lui la littérature a beaucoup à perdre. Sa dénition, méthodique, raermit les frontières : ne peut être qualié de classique que ce qui, premièrement, survient à un moment de maturité linguistique, deuxièmement, s'accorde au tempérament national, troi-sièmement, s'illustre dans le genre qui convient le mieux au goût du temps (tragédie au xviie

siècle, roman au xviiie siècle). Cette dénition discriminante veut rendre inepte par avance toute réaectation des Romantiques dans le champ classique, eux qui écrivirent à un moment de déclin de la langue (Brunetière rejoint la doxa sur ce point) et qui ouvrirent leur inspiration aux inuences d'autres nations. Mais le barrage posé par Brunetière n'arrêtera pas ce mou-vement vers la synthèse ; après Émile Deschanel, qui voit du romantisme chez les classiques, c'est Maurice Barrès qui diusera l'idée réciproque, en admettant une part de classicisme dans certaines ÷uvres romantiques.

En eet, au cours des décennies qui suivent, comme on le sait, le débat se développe article

1.  Un classique est classique parce que dans son ÷uvre toutes les facultés trouvent chacune son légitime emploi  :  sentiment ,  essor de l'imagination ,  bon sens , etc. (ibid., p. 419.)

2. Ibid., p. 429-430. 3. Ibid., p. 432.

après article et passionne le milieu intellectuel. Dans les années 1900, le conit n'est pas encore épuisé mais le désir de paix gagne les esprits. Tous n'osent pas encore prononcer les noms de classicisme et de romantisme ; on souhaite plus discrètement un accord entre les tendances réaliste et idéalisme qui divisent la littérature du xixe siècle. Mais chez Tancrède de Visan, assurément, réalisme et idéalisme sont bien les émissaires du classicisme et du romantisme :

De cette notion de l'ordre est né notre idéo-réalisme contemporain qui synthétise dans une fusion supérieure et très puissante l'idée romantique et l'idéal classique. Cet idéo-réalisme [...] pourrait se formuler ainsi : Porter l'univers en soi (idéalisme) et soi-même s'enfermer volontairement dans une petite patrie (tradition et réalisme1).

Telle est l'ambition avouée de René Boylesve, qui adopte la même grille de classication que Tancrède de Visan ou que Gustave Lanson2, mais qui a ceci d'intéressant qu'il l'appose sur son propre ÷uvre, terrain d'arontement des deux aspirations.

Dans les mêmes années 1900, les v÷ux de paix se précisent chez d'autres. Une grande  Enquête sur le Mouvement littéraire  réalisée en 1904-1905 par Georges Le Cardonnel et Charles Vellay au compte du Gil Blas3 rapporte une aspiration généralisée à un certain retour à l'ordre, qui maintienne toutefois les acquis du romantisme. Paul Souchon, par exemple, désire  la naissance d'une littérature plus claire, plus saine, classique par la forme, mais hardiment moderne pour le fond et l'inspiration4. René Boylesve livre ses impressions :  La tendance la plus nette qui m'apparaisse est celle qui aboutit à tout confondre, [...] la raison avec la passion , mais il formule des v÷ux plus partisans :

Après 1870, Flaubert attribuait notre décadence au même vice, déjà ; il appelait cette confusion  fausseté  et il en voyait la cause dans un reste de romantisme, à savoir :  La prédominance de l'inspiration sur la règle . Je ne veux pas discourir sur cette opinion qui ne me paraît pas dénuée de bon sens5.

Il en discourt pourtant et manifeste un désir d' ordre  et d' autorité  sur lequel nous aurons à revenir.

On devine les implications politiques de semblables doléances. André Suarès se montre très lucide : l'opposition esthétique est le cheval de Troie d'une opposition politique, qui fait le jeu de l'extrême-droite. Dans un article au ton pamphlétaire6, il déclare caduque les bannières de

ral-1. T. de Visan, article du Mercure de France, 16 février 1909, cité par M. Décaudin, La crise des valeurs symbolistes, op. cit., p. 295.

2. Voir supra, p. 110.

3. Cette suite d'entretiens, dont le projet est annoncé le 29 juillet 1904, prétend refaire l'enquête menée treize ans plus tôt par Jules Huret. Il s'agit de déterminer les prochaines orientations de la production littéraire.

4. Sa réponse est publiée le 16 avril 1905. 5. Ces propos paraissent le 23 août 1904.

6. A. Suarès,  Classique et romantique , La Grande Revue, 10 septembre 1909 (repris dans Portraits et Préférences. De Benjamin Constant à Arthur Rimbaud, Gallimard, 1991).

liement classique et romantique, peu signiantes au plan esthétique ( Romantique, classique : jeu de mots1 ), et qui recouvriraient surtout des postures idéologiques :

Un peu partout, on entend des docteurs graves et bien moins Jacobins que Jésuites, cette fois, qui vont, prêchant du nez, et conjuguant sans relâche : Je suis classique, nous sommes classiques ; il faut être classique. Il n'y a d'art que le classique ; il n'est bon esprit que classique ; il n'est raison que la classique. Mais encore, qu'est-ce que ce classique2?

L'attaque est directe : Suarès accuse les apôtres du classicisme de masquer la pauvreté de leur art3. Pour lui, discréditer (esthétiquement) le Romantisme est une manière détournée de discréditer (politiquement) la Révolution de laquelle il procéderait.

En général, on hait la nouveauté quand on n'est pas capable de la comprendre ; et c'est qu'on ne l'est pas de la produire. Quand on a l'esprit étroit, on dit qu'on l'a classique : parce qu'il faut toujours se vanter4.

On comprend qui est visé : ces classiques auto-proclamés qui ont la nouveauté en horreur, ce sont les écrivains de la sphère maurrassienne qui,  comme ils ne sont pas de leur temps, [...] voudraient faire croire qu'ils sont d'un autre5 . Or d'après Suarès,  les vrais classiques n'ont jamais voulu l'être6 .

Après une telle sortie, sans doute, l'étiquette classique apparaît piégée. Au demeurant, les années 1900-1920, à l'exception des écrivains d'Action française, prônent plutôt un classicisme intégratif, qui conduit à terme à la ruine de l'ancien dualisme. Peu à peu, on devient plus sensible à ce qui fait la porosité des catégories qu'à ce qui les imperméabilise. André Suarès n'est pas le seul à démentir l'assertion qui fait des classiques des êtres tout de raison et des romantiques des victimes complaisantes de leurs passions. Pour lui, les classiques n'échappent pas à la subjectivité, en vertu du fait qu'ils sont toujours des hommes, limités à leur seul point de vue. Il n'admet guère qu'un point d'opposition, concernant l'eort de domination des penchants naturels :

Le romantique, si ce mot a un sens, sera donc l'artiste qui se perd dans la nature, qui n'est point au-dessus des émotions où elle l'engage, enn qui n'en est jamais maître. Le classique est alors celui qui possède la matière de ses émotions, quelque étendue ou ardente qu'elle soit ; c'est le poète dont la prérogative humaine n'abdique jamais, et qui, s'emparant de l'histoire, de la nature

1. Ibid., p. 132.  Il n'y a ni classique, ni romantique. Chaque homme reste ce qu'il est. Et chacun naît quand il peut . Refusant d'entrer dans des considérations de valeur, Suarès partage l'idée alors bien répandue qu' un grand poète romantique l'emporte sur un petit classique ; et un grand classique ne le cède à personne, pour la même raison. Les ÷uvres capitales, d'où qu'elles viennent, nissent toujours par être classiques  (ibid., p. 127).

2. Ibid., p. 125.

3.  À leur goût, point de talent sans quelque pauvreté. [...] La pensée leur est suspecte, et toute audace  (ibid., p. 127).

4. Ibid., p. 129.

5. Ibid., p. 128. Suarès a ensuite une formule incisive :  La plupart de ceux qui se disent classiques sont des morts qui se croient vivants  (p. 129).

et de toutes passions, ne s'anéantit dans aucune, mais au contraire, reste homme dans toutes, et presque contre toutes1.

Mise à part cette distinction, l'opposition est fortement mise en cause et n'est plus aaire que de détail.

Les années 20 assistent aux derniers spasmes de ce débat moribond. L'histoire retient prin-cipalement trois grands acteurs d'une fusion classico-moderne ou classico-romantique, Proust, Gide et Valéry.

Proust rebat les cartes : il conserve l'opposition traditionnelle mais la reporte à un autre ni-veau du domaine littéraire. Constatant que les écrivains les plus romantiques lisent de préférence les classiques, il émet cette hypothèse :

On pourrait presque aller jusqu'à dire, renouvelant peut-être, par cette interprétation d'ailleurs toute partielle, la vieille distinction entre classiques et romantiques, que ce sont les publics (les publics intelligents, bien entendu) qui sont romantiques, tandis que les maîtres (même les maîtres dits romantiques, les maîtres préférés des publics romantiques) sont classiques2.

Ce ne sont plus les productions qui sont soit classiques soit romantiques ; mais selon Proust,