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Conclusion. La Belle Époque des classicismes

Classicisme et classiques : quoi et qui ?

D. Conclusion. La Belle Époque des classicismes

Au terme de ce chapitre, il apparaît que le classicisme, dont le xixe siècle s'empare comme catégorie de l'histoire des arts et des idées, ne recouvre pas la même réalité selon le contexte

1. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre de 1902, Ms. 6285, F. 158, Bibliothèque de l'Institut.

2. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre du 1er janvier 1919, Ms. 6285, F. 230, Bibliothèque de l'Institut. 3. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre du 13 mai 1905, Ms. 6285, F. 163, Bibliothèque de l'Institut. 4. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre c. 1920-1921, Ms. 6285, F. 270, Bibliothèque de l'Institut.

d'usage. Une chose est sûre, le discrédit relatif dans lequel les Romantiques l'avaient tenu dans les premières décennies du siècle est devenu tout à fait minoritaire, à telle enseigne que les hommes des années vingt pensent vivre un nouvel âge classique, analogue au xviie siècle, à en croire le titre d'ouvrages comme celui de Gonzague Truc, Classicisme d'hier et classiques d'aujourd'hui (19291). Le titre même des grandes études sur le classicisme signale le renverse-ment de valeurs : du Romantisme des classiques d'Émile Deschanel en 18832 au Classicisme des romantiques de Pierre Moreau en 19323, la hiérarchie a changé. Les deux ouvrages pour-suivent apparemment le même but (assouplir les scissions trop rigides entre les deux catégories littéraires) mais par des démarches opposées : Émile Deschanel postule la supériorité du ro-mantisme quand c'est le classicisme qui sert de valeur étalon à Pierre Moreau. Mais, parce qu'il y a désormais consensus sur sa valeur, le classicisme devient au cours des années 1900 le lieu d'une guerre d'usure, et chaque belligérant s'eorce d'emporter des parcelles de son territoire sémantique. La lisibilité du conit se complique lorsqu'on s'avise que les adversaires sont parfois aussi des alliés, qui partagent des frontières poreuses en certaines portions. Voici les principaux prétendants.

Le moins polémique est peut-être le classicisme formel, qui touche l'expression  langue, style, composition  et qui est dans une certaine mesure celui d'Anatole France et du second René Boylesve. Les deux écrivains occupent ainsi une zone relativement paciée du domaine classique. Ce formalisme classique est si bien admis qu'il ordonne un véritable mythe scolaire, émergeant dans les dernières années du xixe siècle4. Il reste malgré tout des batailles à gagner, et les années 1900-1920 durcissent la réaction classique à mesure que s'impose un sentiment de décadence linguistique (et intellectuel plus globalement). Anatole France est pris à partie dans ce mouvement de résistance. Il est par exemple la bannière de ralliement qu'agite Abel Hermant dans un article de 19245, où l'auteur s'adresse, par posture, à un jeune homme :  vous n'ignorez pas le mal dont soure la langue française, et auquel peut-être a-t-elle déjà succombé sans que nous nous en soyons aperçus , lui dit-il, comme si désormais les  symptômes de décadence  et autres  signes de décomposition  de la langue était chose universellement reconnue.

C'est ce climat qui favorise des positions comme celles de l'essayiste Julien Benda. D'une certaine façon, Benda est un réactionnaire, lui qui guerroie contre ce qu'il appelle le  panly-risme  du temps. À son sens, l'époque, dominée par un individualisme croissant, embrasse un

1. G. Truc, Classicisme d'hier et classiques d'aujourd'hui, Les Belles Lettres, 1929. 2. É. Deschanel, Le romantisme des classiques, Calmann-Lévy, 1883.

3. P. Moreau, Le classicisme des romantiques, Plon, 1932.

4. S. Chaudier identie chez les pédagogues, comme Augustin Pellissier, une  vulgate classique , déclinée en grands principes comme la  précellence de l'autorité , l' ordre , la  transparence  ou la  discipline  (A. Pellissier, Premiers principes de style et de composition, Hachette, 1909, p. 78-79, cité par S. Chaudier,  La référence classique dans la prose narrative , chap. 7 de G. Philippe et J. Piat (dir.), La langue littéraire : une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, op. cit., p. 282-283).

5. A. Hermant,  Anatole France et la Littérature française , Les Nouvelles littéraires, artistiques et scien-tiques, 19 avril 1924, p. 2.

romantisme délétère. Le règne de l'émotion et de la sensation représente un péril, et le classi-cisme est l'arme pour le combattre. Avocat de la raison contre l'intuition, de l'universel contre l'individuel, Benda est pourtant un adversaire farouche d'Action française, bien que ce parti promeuve apparemment les mêmes principes. Mais Benda est un républicain et un homme de gauche et s'il valorise le classicisme, ce n'est pas au nom de valeurs conservatrices. Son classi-cisme se veut un progressisme : les rôles attribués par les partisans de la modernité sont chez lui inversés ; ce sont les modernes qui sont les primitifs, et les classiques les dépositaires de la civilisation.

Que les modernes soient les barbares, c'est tout de même une opinion défendue par le classicisme patriotique ou par le national-classicisme, depuis Maurice Barrès jusqu'à Charles Maurras. Avec les idées d'Action française, qui émanent de la défaite de 1870 et du boulan-gisme subséquent, l'enjeu classique se déplace du terrain linguistique et esthétique au terrain idéologique1. Le classicisme réduit à ses composantes d'ordre et de bon sens fédère un mouve-ment de cohésion nationale, d'obédience monarchiste et catholique. L'esprit anarchiste, dont le romantisme est rendu responsable, est l'ennemi à abattre. On voit comment le classicisme est instrumentalisé par ces organes politiques. D'une notion d'abord historique, les maurrassiens font du classicisme une notion territoriale, un monopole français2.

En bref, si les disciples de Charles Maurras rejoignent leur adversaire Julien Benda, c'est dans une commune opposition au Romantisme et aux écoles considérées comme ses épiphé-nomènes. Une même foi en des valeurs supposées éternelles comme la beauté ou la raison conduit cependant les premiers seuls à un nationalisme furieux et à une forme de terrorisme néo-classique. Mais il est d'autres foyers de revendication classique pour faire barrage à cette vision. Les  classiques modernes , parmi lesquels André Gide, sont eux aussi de féroces adver-saires du maurrassisme. En particulier, leurs positions divergent radicalement sur leur façon de se situer dans l'histoire. Le classicisme maurrassien, pour lequel les Anciens sont insurpassables, assume un statut conclusif. Jean-Marc Bernard se fait gloire de ce classicisme expirant :

Il n'y a pas deux points littéraires à la même hauteur dans l'histoire d'une langue. Nous sommes donc condamnés à ne plus pouvoir dépasser le xviiesiècle. Nous n'écrirons plus désormais

1. Gil Charbonnier montre bien dans son article  l'articulation entre programme politique maurrassien et esthétique littéraire  qu'organisent des revues comme Les Guêpes et L'Action française ( L'idéologie du néoclassicisme dans Les Guêpes , en ligne : http://www.fabula.org/colloques/document2461.php, consulté le 15 mars 2017).

2. Pour Brunetière déjà, seul ce qui est national est classique. Le classicisme correspond à l'intervalle de temps où la littérature échappe aux inuences étrangères :  Nous donnons et nous recevons ; on nous emprunte et nous rendons ; nous imitons des modèles et nous en proposons. Il y a une littérature française encore toute grecque et latine, et il y en a une autre devenue tout anglaise et tout allemande , consent-il : le classicisme, en somme, est pris en tenaille entre la Renaissance et les Lumières. Mais à la diérence de Maurras, ce postulat lui permet justement d'envisager les classicismes d'autres nations : de façon générale, une littérature classique, qu'elle soit française, anglaise, allemande ou italienne, est une  littérature où toute une race reconnaît sa propre conception de la vie, son interprétation particulière de la nature et de l'homme, le tour personnel qu'elle a donné à l'expression de ces sentiments généraux que sont le patrimoine commun et l'héritage durable de l'humanité  ( Classiques et romantiques , art. cité, p. 421)

que quelques pièces d'anthologie. À une autre littérature de devenir classique, de reprendre, poursuivre et développer l'÷uvre d'Athènes.

Sachons alors mourir dignement. Que nos derniers ouvrages aient au moins l'apparence de la solidité et de la proportion1.

Les adversaires de la nrf leur en font grief : il n'y a pas de quoi s'enorgueillir d'être des classiques  rétrospectifs , pour reprendre le mot d'Henri Ghéon2. À l'opposé, le classicisme moderne se veut un mouvement d'avant-garde, ce qui fait dire à André Gide qu' on ne devient pas plus Français en singeant les manières de la vieille France, et [que] la meilleure façon de l'être, c'est de l'être naturellement3 . En conséquence de quoi le classicisme qu'il appelle de ses v÷ux ouvre une ère, quand celui des maurrassiens en ferme une.

La catégorie des classiques modernes doit pourtant être appréhendée avec beaucoup de précaution, car on y admet (a posteriori parfois) des auteurs aussi divers que Charles Péguy, Marcel Proust, Paul Claudel, Paul Valéry, André Gide, Albert Thibaudet, Jacques Rivière. On peut toutefois homogénéiser certains regroupements, dans un premier tri que le chapitre suivant poursuivra.

André Gide est en complet porte-à-faux avec Charles Maurras et les siens, à qui il se mesure par revues interposées. Le classicisme qu'il envisage s'enrichit d'un cosmopolitisme que lui conteste la doctrine maurrassienne, dans une obsession de pureté qui fera le fond dogmatique des fascismes à venir. Gide n'a que faire de pureté, lui qui voit la santé dans le métissage. Cela ne l'empêche pas de défendre l'idée qu'il n'est de classiques que Français4 ce qui ne revient pas à dire, comme Charles Maurras, qu'il n'est de Français que classiques. Pour Gide, le classicisme est une exception française, non une condition pour être français ; le classicisme est français de fait, non intrinsèquement, et il peut à ce compte faire feu de bois étrangers. Le classicisme de Gide n'appelle aucun repli sur soi  repli national, repli culturel  ou repli sur le passé glorieux :

Que m'importent [...] les Trianon les plus parés et les plus solennels Versailles ! Je ne laisse-rai pas habiter dans mon c÷ur plus de regret que d'espérance, et ne retiendlaisse-rai du passé que l'encouragement au futur5.

Ce classicisme expansif est en fait un appel à sortir des étroites frontières morales dénies par le passé chrétien. Le classicisme de Gide ressortit d'abord à un paganisme revitalisant, confronté

1. J.-M. Bernard,  Réponse à M. André Gide , Les Guêpes, décembre 1909, cité par M. Décaudin, La crise des valeurs symbolistes, op. cit., p. 319.

2. H. Ghéon englobe le néo-classicisme moréassien :  Nous aimons mieux nous trouver sur le chemin qui mène à la beauté classique, que sur celui qui en revient  ( Le classicisme et M. Moréas , La Nouvelle Revue française, juillet 1909).

3. A. Gide cité par M. Décaudin, ibid., p. 342.

4. Pour M. Michel Murat, c'est la première proposition de Gide sur le classicisme ( Gide ou "le meilleur représentant du classicisme" , Le classicisme des modernes, op. cit.).

5. A. Gide,  Nationalisme et littérature (troisième article)  (1909), Essais critiques, Gallimard,  La Pléiade , p. 199. Cette article est une réponse à J.-M. Bernard, cité plus haut.

à la morale puritaine et morbide du pôle romantico-chrétien1. André Gide ne rejette pas toute forme de romantisme ; mais il le dit clairement : pour lui, un bon romantisme est au fond un classicisme, ou, pour le dire autrement, un bon classicisme est un  romantisme dompté . Il formalise cette idée au début des années 1920 :

L'÷uvre d'art classique raconte le triomphe de l'ordre et de la mesure sur le romantisme intérieur. L'÷uvre est d'autant plus belle que la chose soumise était d'abord plus révoltée. Si la matière est soumise par avance, l'÷uvre est froide et sans intérêt. J'ajoute que ne devient pas classique qui veut ; et que les vrais classiques sont ceux qui le sont malgré eux, ceux qui le sont sans le savoir2.

On le comprend, le classicisme est doté d'un a priori positif, quand le romantisme est tenu en suspicion. L'enjeu est politique chez Maurras ; il est moral chez Gide, qui ne s'en cache pas :

Les qualités que nous nous plaisons à appeler classiques sont surtout des qualités morales, et volontiers je considère le classicisme comme un harmonieux faisceau de vertus, dont la première est la modestie. Le romantisme est toujours accompagné d'orgueil, d'infatuation3.

Le classicisme de Gide est bel et bien moderne : il n'est pas romantique. Le chapitre qui suit reviendra sur ce distinguo.

Concurremment, Paul Valéry défend l'idée d'un classicisme moderne, qui ne recouvre pas tout à fait la même dénition. Comme Gide cependant, il donne au classicisme des limites élargies. Son classicisme, qui ne tient lui non plus aucun compte des frontières du Grand Siècle, est toutefois moins moderniste qu'anhistorique. Quant aux frontières spatiales, elles sont plus libérales encore que celles de Gide, et il ne cantonne nullement le classicisme à la France  ou pour mieux dire, le classique, Valéry n'employant pas le substantif4. Il doute en eet de la validité conceptuelle des catégories traditionnelles, trop rigides :

Il est impossible de penser  sérieusement  avec des mots comme Classicisme, Romantisme, Humanisme, Réalisme  On ne s'enivre ni ne se désaltère avec des étiquettes de bouteilles5.

Plus qu'un moment, une géographie ou une école artistique donc, le classique est pour Valéry une qualité de l'esprit. La notion est inopérante historiquement, mais valable poétiquement ; elle

1. Ce système de pensée trouve encore son expression dans son autobiographie Si le grain ne meurt (1926) :  Alors, c'est le doute, le trouble, le romantisme et la mélancolie, de tout cela nous étions las ; de tout cela nous voulions sortir. Mais ce qui nous dominait surtout, c'était l'horreur du particulier, du bizarre, du morbide, de l'anormal. Et dans les conversations que nous avions avant le départ, nous nous poussions, je me souviens, vers un idéal d'équilibre, de plénitude et de santé. Ce fut, je crois bien, ma première aspiration vers ce qu'on appelle aujourd'hui le "classicisme"  (Souvenirs et voyages, Gallimard, coll.  Bibliothèque de la Pléiade , 2001, p. 271).

2. A. Gide, Incidences (1924), Essais Critiques, Gallimard, coll.  Bibliothèque de la Pléiade , p. 281. Ce texte est démarqué d'un article antérieur publié dans La Renaissance politique, littéraire et artistique le 8 janvier 1921.

3. Ibid., p. 279.

4. C'est l'observation de Michel Jarrety ( Valéry : du classique sans classicisme , Le classicisme des mo-dernes, op. cit., p. 359).

caractérise la quête du continu, la haine du fragmentaire, de l'inachevé et de la dispersion, qui serait le propre du moderne. A priori, Valéry retrouve Gide quant aux travers incriminés. Mais il est un autre point sur lequel ils semblent en complet désaccord. On ne cite plus la fameuse ouverture de  La crise de l'esprit  (1919) :  Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles1 . Cette conscience d'une mortalité culturelle outrepasse de loin l'idée classique de translatio imperii (et studii), qui porte l'attention sur une permanence de la culture (par delà les civilisations), là où Valéry la porte sur sa périssabilité :  Et nous voyons maintenant que l'abîme de l'histoire est assez grand pour tout le monde2 . C'est en cela que Valéry est moderne (d'une autre façon que Gide), prenant acte d'une crise historique profonde. Les classiques ont espoir que tout ne soit pas détruit, conants en un transfert des savoirs et des idées, et en leur retour périodique. Chez Valéry, cette conance est perdue : les civilisations périssent ; et surtout les savoirs et la raison ne sont plus garantes de leurs survies. Au lendemain de la guerre, il expose ce sentiment d'impuissance :  Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? , interroge-t-il ;  il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d'hommes 3. La guerre a prouvé que le Vrai n'est pas le Bien. Si Valéry est un classique, c'est assurément avec une conscience moderne, et son pessimisme se démarque radicalement de l'optimisme historique d'André Gide4. Valéry ne croit pas du tout que le classicisme aura raison du mal, ni qu'il inaugure une ère nouvelle, plus libre et plus heureuse. Ce déplacement fait naître des questions sur la promotion classique que fait néanmoins Valéry. Sans doute cette valeur-refuge est-elle bien précaire ; mais il n'en est pas d'autre :

Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l'Europe. Elle a senti, par tous ses noyaux pensants, qu'elle ne se reconnaissait plus, qu'elle cessait de se ressembler, qu'elle allait perdre conscience [...]. Alors,  comme pour une défense désespérée de son être et de son avoir physiologiques, toute sa mémoire lui est revenue confusément. Ses grands hommes et ses grands livres lui sont remontés pêle-mêle5.

La fureur destructrice de 14-18 n'aurait sans doute pas pu être évitée ; faute de plus sûre garantie, dans un eort pitoyable, les grandes ÷uvres de la civilisation sont néanmoins le seul recours possible pour tenter de reconstruire ce qui peut encore l'être.

Henri de Régnier est certainement le plus étranger à tous les avatars classiques de son temps. Ce qui le distingue surtout, c'est que tout en aspirant à une forme de classicisme, il n'en présume pas la supériorité  axiomatique pour tous les prétendants au titre. Contrairement à

1. P. Valéry,  La crise de l'esprit  (1919), Variété I (1924), Gallimard, Folio essais, 2009, p. 13. 2. Ibid., p. 14.

3. Ibid., p. 15.

4. L'optimisme de Gide s'exprime directement dans un article de 1909, adressé aux jeunes nationalistes,  Nationalisme et littérature (troisième article)  (art. cité, p. 199). L'article se conclut ainsi :  Et voici pourquoi, chers jeunes traditionalistes, si j'admire autant que vous notre "grand siècle" et partage avec vous beaucoup d'idées, je ne veux épouser ni votre pessimisme ni votre renoncement .

Gide par exemple, le romantisme lui semble aussi souhaitable que le classicisme ; et il n'a pas la modernité en horreur, comme Benda ou Maurras. Ces raisons situent Régnier dans une zone particulièrement conictuelle du débat, lui qui a le tort, aux yeux des puristes du classicisme, d'être aussi, et ouvertement, un éminent moderne. Provisoirement, on peut postuler une certaine parenté avec André Gide, bien que des dissensions personnelles les aient bien éloignés après 1900. Le romantisme doit pour les deux romanciers être harmonieusement combiné au classicisme. Le classicisme gidien empiète en eet sur les attributions romantiques, et il le charge d'explorer les zones d'ombre, par delà ce qui s'impose immédiatement à la raison. Régnier partage cette idée1: comme Barthes plus tard2, les deux romanciers ne réduisent pas le classicisme au cartésianisme. Au point de jonction des deux siècles, le classicisme est donc une notion plurielle. Plu-sieurs visions coexistent, parfois frontalement opposées dans leurs prémisses comme dans leurs nalités. Les frontières disputées recouvrent diérents diamètres ; les adversaires convoitent d'ailleurs des ères disciplinaires diérentes, ce qui n'améliore pas la lisibilité du conit. Cer-tains sont poètes avant tout ; d'autres sont principalement des critiques, chroniqueurs, historiens ou essayistes, c'est-à-dire des littérateurs au second degré : ainsi de la plupart des maurrassiens, Henri Massis, Pierre Lasserre, Henri Clouard et d'autres. C'est pourquoi il est intéressant de concentrer l'étude sur le champ romanesque, qui a des spécicités et une autonomie relative dans ce débat3.

Le trouble attaché à la notion de classicisme en fait aussi un objet intellectuellement stimu-lant. Notion mouvante, vivante, modelée selon les besoins, elle tient un rôle dans tous les débats d'époque. En dénitive, son intérêt réside moins dans ce qu'on veut lui faire signier positive-ment, que ce contre quoi on la construit. Dénir un classicisme per se, même en se tenant à un moment donné (le tournant des xixe et xxesiècles), conduit sans doute à une impasse. Laissons le dernier mot de ce chapitre à Michel Murat, qui remarque avec raison que le classicisme est une notion  dont le contenu varie en fonction des débats où il sert d'argument4. En 1910, en eet, on n'est pas classique dans l'absolu, mais classique par rapport à : reste à préciser quoi.