Relire sans préjugés l'÷uvre de Boylesve, celle de Régnier et à plus forte raison celle de France, dont l'usage scolaire a peut-être trop éché la lecture, implique une prise de conscience des conditions dans lesquelles s'eectua leur legs.
Des écrivains français à la charnière des xixeet xixesiècles, période qui assiste au crépuscule du Naturalisme, aux amboiements décadento-symbolistes et à l'aube des avant-gardes, on met généralement à l'honneur les plus hardis et les plus novateurs. Pourtant, à la marge des expériences audacieuses, il fut aussi des écrivains, et de renom, qui refusèrent d'entrer dans la course à la nouveauté. Parions que le principal tort de ces auteurs fut de contrevenir à la règle d'or moderne selon laquelle l'innovation formelle est tout, idée dont nous sommes encore
1. A. Compagnon, La Troisième République des Lettres. De Flaubert à Proust, Seuil, 1983.
2. L. Forment, L'invention du post-classicisme de Barthes à Racine L'idée de littérature dans les querelles entre Anciens et Modernes, dir. H. Merlin-Kajman, Université Sorbonne nouvelle Paris 3 (soutenue le 5 déc. 2015).
largement tributaires. Or, c'est en conscience que France, Régnier et Boylesve ont préféré à la quête erénée de l'inédit celle d'un accent sincère et personnel. Le panthéon littéraire, dans sa composition actuelle, a certainement souert d'une conception trop étroite de la valeur littéraire, et nombre d'écrivains de prix auront pâti de cette tyrannie avant-gardiste. Tâchons donc d'examiner d'un regard élargi leur droit de cité dans la littérature française.
Problème souvent pointé, la transmission des ÷uvres se fait essentiellement de proche en proche. Une génération joue sa réputation dans la réception de la suivante. Or, les esthétiques modernistes inscrivent à leur programme le refus d'hériter, du moins d'hériter de la génération qui précède1. Mais ce qui n'intéresse pas une génération peut fort bien intéresser la suivante. Bien sûr, ce qui n'a pas été aussitôt légué n'est pas automatiquement détruit à jamais. Judith Schlanger est optimiste : Tout ce qui devient inactuel ne disparaît pas. La mémoire culturelle assure, dans certains cas, la persistance du rejeté2 ce qui laisse à Bernard Quiriny cet espoir : Et si, anachronique au xxe siècle, Régnier redevenait actuel aujourd'hui3? . C'est pourquoi nous répondrons à l'invitation de Paul-André Claudel, qui veut entreprendre une reterritorialisation de la production du passé4 an de courir la chance de découvrir de ces tentatives qui semblèrent absurdes à une époque donnée, et qui, aujourd'hui, nous paraissent non seulement tout à fait acceptables, mais même irremplaçables .
Sans doute le phénomène n'est-il pas nouveau. Après les querelles des Anciens et des Mo-dernes des siècles classiques, les Romantiques avaient à leur tour fortement ébranlé le culte rendu aux Anciens. Mais les avant-gardes des années 1920 furent plus radicales encore, en pro-mulgant le meurtre systématique des pères. Les Romantiques ordonnèrent, dit-on, un véritable changement de paradigme, généralement qualié de moderne . Les avant-gardes du début du xxe siècle en amorcèrent un autre, parfois appelé moderniste , la modernité auto-légitimée devenant sa propre n. Des auteurs comme Anatole France ont payé le prix de ce changement de système de valeurs5. Il eut en eet de lourdes conséquences historiographiques, la principale
1. Cette attitude horripile justement Anatole France, à raison de plus lorsque l'adhésion précède la trahison. C'est pourquoi il prend la défense de Zola contre ses disciples devenus détracteurs, et bien qu'il éprouve lui-même peu de sympathie pour l'÷uvre du Naturaliste. Il s'indigne contre les mauvais ls qui signèrent le Manifeste des Cinq , comparant Zola au vénérable et vulnérable Noé : Vous savez que M. Zola vient d'éprouver le même traitement que le patriarche Noé. Cinq de ses ls spirituels ont commis à son égard, pendant qu'il dormait, le péché de Cham. Ces enfants maudits sont MM. Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Paul Margueritte et Gustave Guiches. Ils ont raillé publiquement la nudité du père (VL1, p. 221).
2. J. Schlanger, La mémoire des ÷uvres, Nathan, coll. Le texte à l'÷uvre , 1992, p. 147. 3. B. Quiriny, Monsieur Spleen, Notes sur Henri de Régnier, Seuil, 2013, p. 14.
4. P.-A. Claudel, Une esthétique des ÷uvres mineures est-elle possible ? , 2007 [Atelier Fabula] http://www.fabula.org/atelier.php?Une_esth%26eacute%3Btique_des_%26%23156%3Buvres_mineures_ est-elle_possible_%3F [consulté le 24 juin 2015]
5. Dans un article, Bernard Frank revient sur l'étrange trajectoire qui t passer Anatole France du pinacle aux oubliettes : Oui, Anatole France ne fut pas miné pierre par pierre, il fut exécuté par toutes les modernités du monde : surréalisme, communisme, fascisme, freudisme, etc. Et par les anciennes Églises qui n'avaient pas de raison de le ménager. Et la masse des auteurs nouveaux, des techniques nouvelles qui sortait, hirsute, aamée de la guerre de 14-18. On avait besoin de place, il n'y aurait jamais assez de morts pour les vivants et les survivants. ( Allez, France , Le Nouvel Observateur, 17 mars 1999.)
étant de livrer une vision faussée de l'histoire littéraire des années 1910-1920, de laquelle a surtout perduré d'image d'un bouillonnement d'avant-gardes. De façon rétroactive, ce qui était somme toute marginal occupa usurpa la place centrale.
L'histoire littéraire telle qu'elle s'est écrite au xxe siècle est distordue par des illusions d'op-tiques déjà pointées : par eet de contraste, l'éclatante nouveauté des avant-gardes accentue après coup l'aspect rétrograde des classicismes de la Belle Époque. Ce processus de minori-sation posthume d'auteurs majeurs de leur vivant doit être pris en compte dans un eort de neutralité historiographique. D'autant plus que cet eet d'optique n'est pas seulement fortuit : c'est activement que les avant-gardes ont entrepris une révision de l'histoire, sur la base de va-leurs nouvelles les va-leurs. Julien Gracq, surréaliste en sa jeunesse, put en juger aux premières loges :
[...] toute école littéraire se caractérise, [...] autant que par son apport créateur, par le ltrage neuf qu'elle opère des ÷uvres du passé (le surréalisme, qui semble avoir plus clairement que les autres discerné et employé les moyens de pouvoir par lesquels s'impose un mouvement , a pris grand soin, avant même presque de commencer à produire, de publier son Index ; Lisez ne lisez pas, et sa généalogie idéale [...]1).
En conséquence de quoi, d'école en école, par un eet pervers, la part de remise en ordre du passé va grandissant aux dépens de l'apport original et en particulier, ce qui ne manque pas d'ironie, le surréalisme, autant sans doute que par ses ouvrages, s'impose à l'histoire littéraire pour avoir bouleversé de fond en comble, à sa lumière, l'antique bibliothèque poétique2 . Tout se passe donc comme si, étrangement, l'histoire progressait à double sens, l'histoire passée étant réécrite à mesure que s'écrit l'histoire présente ; comme si le viseur de l'avenir et le rétroviseur du passé ne faisaient qu'un (ce qui n'interdirait pas de concevoir le séduisant paradoxe d'une mémoire du futur3...).
L'histoire littéraire présente bien des points sensibles qui rendent son établissement déli-cat. Les zones de moindre visibilité, qui risquent d'échapper aux historiens, sont nombreuses. Le premier angle mort menace les époques de transition, les époques où les lois esthétiques subissent des mutations majeures. Paul-André Claudel prend précisément l'exemple de l'occul-tation d'Anatole France :
[...] l'existence d'un itinéraire littéraire à cheval entre deux siècles conduit souvent à une sous-estimation de sa portée historique quand ce n'est pas au rejet de l'écrivain dans le siècle qui
1. J. Gracq, En lisant en écrivant, op. cit., p. 751.
2. C'est l'un des paradoxes de la modernité qu'on pourrait joindre à la liste d'Antoine Compagnon : Comme si, dans le déclin graduel des pouvoirs créateurs d'une civilisation, [...] pour tout nouveau changement, l'appoint d'une énergie de récupération devenait de plus en plus nécessaire (ibid.).
3. Une chercheuse et plasticienne, Alice Forge, a déposé un projet de thèse en arts plastiques sur la question (Mémoires du futur : la fabrique du fantôme auctorial, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Un article co-signé par Béatrice Guéna rend compte de son travail ( Les Éditions Pyrodactyles ou la nostalgie de la littérature , http://www.fabula.org/lht/13/guenaforge.html) et son site en donne un aperçu (http:// aliceforge.com/) [sites consultés le 9 mars 2017].
précède : de l'inconvénient de naître dans le deuxième tiers d'un siècle1.
Michel Décaudin, qui étudie la poésie des années 1890-1910, note en particulier le peu d'intérêt porté sur cette période, hâtivement jugée médiocre et perçue comme la queue de la comète symboliste, époque écartelée entre le passé et l'avenir2 . Et si, depuis ces propos datant de 1960, des études universitaires ont pu réparer en partie l'injustice, les années 1900 restent pour les honnêtes gens une zone d'ombre, éclairée seulement par quelques pépites, Jarry, Proust, Apollinaire, Claudel auxquels on ne saurait résumer une époque autrement diverse.
Si ces époques pivots sont mal considérées par l'histoire, c'est, au premier chef, parce que leur complexité ne se laisse pas facilement raconter et que, rebelles à tout devenir-scolaire, elles passent mal dans les mémoires. Mais c'est aussi parce que, en faisant son tri, la postérité choisit plus volontiers les premiers d'une génération montante que les derniers d'une génération à son déclin. Or Anatole France est bien, selon Régnier, le dernier d'une génération :
Anatole France est, dans notre littérature, un superu. Il est notre plaisir. Il n'est pas nécessaire. Son art est un art d'agrément. Il utilise les ressources traditionnelles de la langue, il résume et parachève. Il a pour limites sa propre perfection. Il ne la dépasse point. Ce qui se trouve en lui réuni se trouve ailleurs épars. Il met la dernière main. (C., 1902, p. 476)
Être le dernier d'une génération, pour Régnier, est aussi un atout il joue sur le double sens de dernière pour le signier : Anatole France est une somme (sinon un sommet), une synthèse. René Boylesve aussi a conscience la déclaration de guerre aidant d'appartenir à la n d'une époque. Il se montre curieusement lucide dans une lettre à Régnier :
Il me semble que l'on s'enquiert d'un monde passé, d'une période historique qui, je l'ai prévu maintes fois, paraîtra charmante par sa douceur et sa liberté, mais que la grandeur de celle qui s'ouvre écrasera sans pitié3.
Quelques mois plus tard, il adresse au même quatre pages d'alexandrins, parmi lesquels on lit : Chantons le temps passé ! tâchons d'en faire un autre ; / Mais ne nous leurrons pas : il est ni, le nôtre4! . La conséquence se fera peu attendre et la déferlante avant-gardiste emportera leur souvenir, l'histoire littéraire portant l'accent sur ceux qui ouvrent la marche, non sur ceux qui la ferment. Car tandis qu'eux se sentaient hommes du passé, d'autres incarnaient
1. P.-A. Claudel, Une esthétique des ÷uvres mineures est-elle possible ? , art. cité. C'est aussi l'analyse d'A. Thibaudet : Anatole France est mort au moment où s'ouvrait la première de nos crises d'après-guerre, ce qu'on a appelé la crise de la littérature. La crise de sa mémoire est liée à cette autre crise, qui n'est pas terminée. Elle implique un cas plus vaste que son cas personnel. Mais cela reste un honneur pour lui, que son cas prenne une valeur de symbole, que ce faiseur de mythes devienne un mythe littéraire, qu'autour de cet héritier des littératures puisse se former le plus clair du problème de leur héritage. (article de La Revue universelle [références manquantes], cité par M.-C. Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, op. cit., p. 408.) Par un juste retour des choses, Anatole France pourrait donc devenir un objet d'étude primordial à travers le problème littéraire qu'il cristallise.
2. M. Décaudin, La crise des valeurs symbolistes (1960), op. cit., p. 11.
3. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre du 14 octobre 1914, Ms. 6285, F. 198, Bibliothèque de l'Institut. 4. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre du 2 juillet 1915, Ms. 6285, F. 203, Bibliothèque de l'Institut.
erontément l'avenir. Du moins les étoiles montantes de la nrf se voyaient-elles ainsi : Nous sommes des gens pour qui s'est réveillé la nouveauté de vivre il y a loin, sans doute, de cet appétit vital au Vivre avilit d'un Régnier nous vivons maintenant dans un présent tout débarbouillé de son passé, tout gagné par l'avenir1. Ainsi se voyaient aussi les Futuristes conduits par Marinetti, qui inscrit au point no 8 de son Manifeste (1909) : Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles !... À quoi bon regarder derrière nous, du moment qu'il nous faut défoncer les vantaux mystérieux de l'impossible ? , et au point no 10 : Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques [...] . Ce qui fut en partie fait.
La seconde zone aveugle (ou brouillée) de l'histoire littéraire, ce sont les dernières ÷uvres, non pas d'une époque cette fois mais d'un écrivain. On étudie plus volontiers, semble-t-il, les écrivains à l'ascension ou au faîte de la gloire qu'à son déclin ; plutôt le Régnier symboliste de la première heure, donc, que le Régnier classicisant de la maturité, et quand bien même cette impression d'une décroissance des forces créatrices, chez lui, dépendrait fortement du contexte, Bertrand Vibert remarquant qu' au fond, Régnier est plutôt resté dèle à lui-même dans un monde qui a changé2 . C'est pourtant essentiellement le second Régnier qui nous occupera, celui dont le prestige commence à passer, la Belle Époque terminée, et qui laisse déjà deviner le peu de retentissement qu'aura son décès en 1936.
Il est intéressant d'étudier des auteurs en passe d'être démodés, de retrouver les signes avant-coureurs. De son vivant déjà, Anatole France t la pâture d'une jeunesse impétueuse et en plein essor, qui voyait en lui un auteur pour ses parents et grands-parents. En 1913, le jeune François Mauriac prête au personnage principal de L'Enfant chargé de chaînes (1913) ces pensées peu charitables : Il lui [à un vieil oncle] importait peu que la substance [de ses lectures] fût médiocre : l'÷uvre d'Anatole France le contentait parfaitement . La fracture se situe aux alentours de la Première Guerre mondiale. Régnier lui-même redoute alors l'essouement de son génie : Je constate chez moi une "baisse" de l'imagination, de l'invention, un ralentissement de la sensibilité, une usure... qui est le résultat de ma vie de 1916 à 1920, et puis la guerre... (C., 1922, p. 785). De là à penser que son classicisme ne serait qu'un pis-aller pour combler un tarissement imaginatif, il y a pourtant loin. Certes il n'est pas, en Régnier, qu'un découvreur audacieux : mais à examiner de plus près le crépuscule des écrivains, on pourrait bien y trouver des attraits d'abord inaperçus.
Car s'il est un travers de l'histoire littéraire, c'est de ne s'occuper que de l'oiseau rare, de ce qui fut en son temps l'exception, mieux, la promesse de l'avenir. France, Boylesve et Régnier ne furent ni des marginaux, ni des précurseurs ni même des arrière-gardistes excentriques.
1. Jacques Rivière tient ces propos dans la Nouvelle Revue française (cité par M. Décaudin, op. cit., p. 418). 2. B. Vibert, Introduction pour La Canne de jaspe, op. cit., p. 201. Selon P. Besnier, c'est une autre délité, à l'éditeur du Mercure de France, dont l'image de Régnier aurait souert : Il faut se demander [...] si la délité de Régnier à Vallette ne lui a pas nui en l'ancrant dans une maison qui vivait essentiellement sur son fonds (Henri de Régnier, op. cit., p. 406).
Le culte de l'original, facteur clef dans la transmission des ÷uvres, domine encore aujourd'hui, quoi qu'on en ait dit. On n'a jamais tant revendiqué la nouveauté, comme une qualité en soi, que pendant les Trente glorieuses, où l'adjectif nouveau, qui est de toutes les réclames, demeure un argument de vente de tout premier plan, jusque dans le domaine des arts et des idées (les années 1950-1960 virent eurirent Nouveau roman , Nouvelle vague , Nouvelle critique , Nouvelle Philosophie , Nouvelle cuisine , Villes nouvelles ...). Et à ceux qui pensent que la postmodernité a depuis lors enterré le modèle moderniste, il sut d'objecter les discours publics, qui n'ont de cesse de mettre en avant politiques ou pédagogies innovantes , qui achent le progressisme comme gage de abilité et le changement comme perspective évidemment désirable1. Nous continuons de vivre dans une temporalité toujours déportée vers un futur étincelant à l'horizon, quand même il s'agirait de mettre en garde contre les périls qui menacent sa splendeur. Au reste, qu'on ne s'y trompe pas, les vogues dites rétro n'annoncent guère la sortie du paradigme moderniste ; la plupart du temps, elles récupèrent des motifs du passé pour les coudre ensemble en un patchwork ornemental ou ludique, où la trahison est plus de mise que la tradition. On invoque pourtant cette dernière à tout propos, au point qu'elle est devenue, ces décennies, un autre argument de vente, parallèle à celui qui promeut le nouveau. Un produit est alléchant s'il est nouveau ou s'il est étiqueté traditionnel ou authentique (notamment dans les domaines gastronomiques ou touristiques2). On pourrait en retirer l'idée que la nostalgie du passé, soudain redoté de valeur, est devenue aussi forte que le goût du futur ; mais ce serait sans doute un leurre, et qui en dirait long sur nos sociétés, en quête surtout d'un pittoresque assez superciel.
On peut toutefois concéder que les prémices d'un changement aeurent, bien qu'elles de-meurent très incertaines. En eet, la question de l'héritage apparaît de plus en plus cruciale (un héritage qui comprend mais dépasse la sphère culturelle) et de mieux en mieux prise en compte dans les débats sociétaux. Pour l'heure, on considère surtout l'héritage que notre époque laissera aux suivantes (héritage écologique, géopolitique, etc.). L'héritage à nous laissé par nos aînés n'est pas vraiment au c÷ur des préoccupations, mais le temps est peut-être venu où, moins
pré-1. Dans une récente conférence, l'épistémologue et physicien Étienne Klein distingue la rhétorique du progrès de celle de l'innovation . Il remarque que la première, qui domine largement le discours politique jusqu'aux présidentielles de 2007 comprises, se voit brutalement supplantée par la seconde lors des suivantes élections. Au progrès est attachée la vision historique héritée des Lumières, vision qui promet un futur désirable vers lequel l'humanité cheminerait d'un pas volontaire. L'innovation suppose une autre lecture de l'histoire, en marche vers une menace que les inventions humaines pallieraient au fur et à mesure. La distinction d'É. Klein est parfaitement pertinente, mais elle ne doit pas éclipser la même logique qui sous-tend ces deux conceptions : que l'histoire progresse vers le Bien ou vers le Mal, elle est dans les deux cas incluse dans un récit téléologique (É. Klein, Oublier le sens, oublier la science, au prot de la croyance , conférence donnée le 4 février 2017 à Strasbourg, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=X-ZMgwUvz9k&index=3&list=WL, consulté le 15 mars 2017).
2. P. Jourde analyse brillamment ce phénomène de société dans un essai sur l'authenticité (Littérature et authenticité. Le réel, le neutre, la ction, L'Harmattan, 2001). On y trouve notamment un intéressant dévelop-pement sur le Saint-Nectaire fermier.
somptueux, nous sommes prêts à reconsidérer l'idée d'un héritage du passé dont nous aurions vraiment et profondément des bénéces à tirer (la question culturelle, telle qu'elle est posée aujourd'hui, semble plutôt traitée sur le mode d'un folklore superfétatoire, un luxe qu'on bud-gète au bonheur des aléas économiques et qui sert de variable d'ajustement les jours néfastes). Le temps vient peut-être où, lassés par les seules ÷uvres de demain, las aussi de l'attitude qui consiste à détourner l'attention d'une ÷uvre sitôt qu'une autre, plus neuve, la remplace, on se demande plus sincèrement quel traitement réserver aux ÷uvres du passé. Alors nous avons sans doute des enseignements à tirer de l'examen de la Querelle des Anciens et des Modernes qui se joua à l'articulation des xixeet xxesiècles, et qui fut un moment nodal dans l'orientation des