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Rendez-vous manqués avec la postérité  La question du classi- classi-cisme

S'il est une explication délicate, mais qu'il faut bien considérer, c'est la valeur des ÷uvres. Si France, Régnier et Boylesve ont, à diérents égards, échoué à devenir des  classiques  au sens commun du terme, c'est peut-être en raison de la qualité variable de leur production, que l'on s'eorcera d'apprécier équitablement. Certes, ils sont très vite passés de mode parce qu'ils ont refusé de sacrier aux goûts nouveaux, dans un désir louable d'exercer en plein leur liberté d'artistes. Mais il n'en faudra pas moins considérer l'inégale qualité des textes, non seulement d'un livre à l'autre du même auteur, mais aussi d'un auteur à l'autre (ce pourquoi il est intéressant de confronter un écrivain de renom international, un autre réputé de son vivant mais vite oublié ensuite et un dernier jugé secondaire de son vivant même)  ne serait-ce que pour se faire l'avocat du diable et embrasser (pour mieux la comprendre) l'opinion qui relègue ces auteurs au rang des écrivains déconsidérés.

Une autre explication repose sur ce qu'on pourrait appeler un phénomène d'éblouissement, que résume fort bien l'un des narrateurs de Régnier lorsqu'il commente l'oubli dans lequel est tombé son personnage :  Rien ne passe plus vite à l'oubli qu'une gloire comme, de son vivant, la connut M. d'Amerc÷ur1 . Pour Bertrand Vibert, Régnier a subi le même sort que son personnage :

Si l'on distingue les  poètes maudits  par le peu de reconnaissance dont ils jouirent de leur vivant, assurément Régnier fut un poète béni. Faut-il dire : hélas ? Sort peu enviable en eet post mortem, qui lui valut, par l'eet d'une loi inverse, de s'eacer trop vite et injustement du paysage des Lettres2.

Une arrière-pensée romantique sous-tend ce phénomène, l'idée que le génie littéraire se mesure au mépris dans lequel un auteur est tenu par ses contemporains. France a trop fait l'unanimité, et c'est bien ce que Gide semble lui reprocher :

[...] il reste sans inquiétude ; on l'épuise du premier coup. Je ne crois pas beaucoup à la survie de ceux sur qui tout le monde s'entend [...]. Pour ma part, il n'a jamais précédé ma pensée. Au moins l'explique-t-il. C'est de cela que ses lecteurs lui savent gré. France les atte3.

France reète la pensée de tous : c'est donc que le génie personnel lui fait défaut. S'ajoute à cela un autre phénomène, directement lié à l'avant-gardisme celui-là, le phénomène de tabula rasa qui veut qu'on ne bâtisse que sur les ruines de la génération immédiatement précédente.

1. H. de Régnier, La Canne de jaspe, dans Contes symbolistes, B. Vibert (éd.), op. cit., t. II, p. 236. R. Lalou suggère pareil constat à propos d'Anatole France, qui connut,  en 1924, une apothéose qui rappela celle de Voltaire. Puis ce fut l'entrée dans le "purgatoire de la gloire"  (Histoire de la littérature française contemporaine, de 1870 à nos jours, op. cit., éd. 1940-1941, p. 292-293).

2. B. Vibert,  Introduction  à La Canne de jaspe, op. cit., p. 213. 3. A. Gide, Journal, 9 avril 1906, Gallimard, 1939.

C'est parce que France est un écrivain en vue que la génération surréaliste, qui tuile la sienne, s'est acharnée contre sa mémoire  pour ainsi dire par système, distribuant sur son catafalque les quatre pages collectives du tract Un cadavre, aux titres aussi insolents que  Avez-vous déjà gié un mort ?  ou  Refus d'inhumer 1. Marie-Claire Bancquart propose une explication similaire à cet opprobre :  France n'a pas du tout le tempérament d'un créateur ex nihilo, cela est parfaitement vrai , comme bien des écrivains ; mais  s'il a été plus malmené qu'eux pour avoir imité, c'est qu'il a connu l'infortune de mourir en un temps où [...] eurissait ce romantisme qu'est le mouvement surréaliste : celui-ci, comme tout romantisme, en appelait à la création sans modèles ni pères2. Que les Surréalistes soient romantiques en cela, peut-être, mais avec une hargne destructrice que n'eurent certes pas les Romantiques de 1830. Ces mêmes Romantiques, surtout, avaient dû enlever leur victoire à l'arrachée à des Néo-classiques bien armés ; les Surréalistes, eux, s'en prenaient à un mort.

Bien sûr, l'oubli ne s'explique pas seulement à proportion du succès, sans quoi Anatole France, qui fut le plus exposé, aurait dû être aussi le plus oublié. En un sens, ce fut le cas dans les années qui suivirent immédiatement sa disparition. Sa chute fut d'autant plus spectaculaire, en eet, qu'il tombait de haut. Dans une enquête de 19343, soit dix ans après la mort du maître, Anatole France est rejeté à l'unanimité. On ne lui passe pas son attitude de pasticheur, son manque apparent de sensibilité, sa distance de moraliste et son style trop léché : en somme, c'est sa tempérance classique qui irrite les écrivains de 19344. Ironie de l'histoire, on lui impute des vices qu'on lui comptait comme vertus dix ou vingt ans en amont, et on le condamne pour les mêmes raisons qui avaient jadis fait sa gloire.

C'est ici qu'il faut faire le clair sur la délicate question du classicisme. En 1910, la mode est décidément au classicisme. En 1891 déjà, l'École romane, fondée par Jean Moréas et Charles Maurras, canalise les extravagances symbolistes vers un devenir-classique. Débordant le champ poétique, le phénomène prend de l'ampleur dans les premières années du siècle, où l'on crie volontiers à la crise de la langue française, crise dont certains voient le remède dans un repli puriste, dans un classicisme rigoriste. Le classicisme est alors brandi pour toutes sortes de raisons, non seulement linguistiques et esthétiques5, mais aussi politiques et idéologiques. Dans

1. Entre autres titres signés Paul Éluard, Philippe Soupault, Joseph Delteil, Pierre Drieu La Rochelle ;  Avez-vous déjà gié un mort ?  est de Louis Aragon,  Refus d'inhumer  d'André Breton.

2. M.-C. Bancquart,  Introduction  dans A. France, ×uvres, Gallimard, coll.  Bibliothèque de la Pléiade , t. I, 1984, p. XXIII.

3. D'après M.-C. Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, Calmann-Lévy, 1984, p. 408. Les réfé-rences manquent.

4. Or  il n'est pas bon de paraître trop vite et d'emblée classique à ses contemporains ; on a grande chance alors de ne pas rester tel pour la postérité  (Ch.-A. Sainte-Beuve, Qu'est-ce qu'un Classique ? (21 octobre 1850), Causeries du lundi, Garnier frères, t. III, [année de publication manquante], p. 49).

5. Un débat d'époque oppose deux visions du style, qui ranime le vieux débat ayant jadis confronté les Romantiques aux Néo-classiques. Remy de Gourmont défend l'impératif d'originalité ; Antoine Albalat en tient pour un idéal d'impersonnalité.

les années 10, il possède de nombreux avatars, aussi incompatibles que le national-classicisme de l'Action française  lequel se veut pur, français et conservateur  et le classicisme moderne de La Nouvelle Revue française  hybride, cosmopolite et avant-gardiste. L'élan prit pourtant n après guerre, et l'appel à un nouveau sursaut classique dans les années 1920-1922, lancé par Jules Romains, resta sans franche réponse. Les avant-gardes triomphantes de l'entre-deux-guerres couvraient désormais de leurs clairons tapageurs les derniers roseaux classicisants.

Replacé dans ce contexte donc, le classicisme n'est ni anachronique ni marginal, et cette impression rétrospective résulte d'un eet de distorsion de l'histoire, qu'il faudra analyser. En 1900,  être classique c'est être de son temps1. L'ennui, c'est que ce qui est  de son temps  se soumet à cette loi qui veut que la mode du jour soit le démodé du lendemain.

Ces deux décennies représentent donc une petite enclave dans l'histoire littéraire, un mo-ment où le classicisme revient en force. Rechargé positivemo-ment, il peut migrer d'une école à l'autre sans être en rien suspecté de stérilité  se compliquant de signications variées et par-fois troubles. Ce classicisme trop pluriel, peu théorisé, attaché parpar-fois à des valeurs devenues équivoques, entaché même par des dérives fascisantes, devient bientôt suspect. Si la Troisième République le préserve comme valeur patrimoniale, il ne résiste pas à la Cinquième et à l'as-saut de penseurs qui voient en lui l'instrument d'un pouvoir bourgeois, à la suite d'un certain Barthes ou d'un Barthes malentendu2. Dorénavant, on ne voit plus l'équilibre mais l'immo-bilisme, la règle autrefois stimulante devient un joug à secouer, la normativité linguistique, censée favoriser la compréhension entre les hommes, un facteur d'oppression et de restriction des libertés. De ces vieilleries il fallait nettoyer les arts. Et même si ni Boylesve, ni Régnier, ni France n'appartinrent à aucune des chapelles néo-classiques déclarées, ils furent en somme jetés avec l'eau du bain.

Régnier, Boylesve et France ont fait double frais, car ils ont également pâti du ou théo-rique attaché à la notion de classicisme lorsqu'elle qualie les entreprises des années 1900-1920,

1. Pour reprendre, en la détournant, l'expression qu'emploie Henri Clouard dans un article de La Phalange en 1909. Il faut donc lire France, Boylesve et Régnier ce contexte à l'esprit. C'est ce que fait G. Philippe, qui a soin de relativiser l'exception que représente Anatole France en l'inscrivant dans une tendance d'époque, caractérisée par  [...] la référence toujours convoquée au classicisme. De fait, le tournant des xixe et xxesiècles a été marqué par l'appel sans cesse renouvelé d'un retour à Boileau : Renan, Zola, Maupassant, France ont ainsi communié dans une même nostalgie d'un éden stylistique d'avant la chute. Autant voire plus qu'à la montée des avant-gardes, la Belle Époque et même l'entre-deux-guerres furent sensibles à un imaginaire néoclassique dont la Nouvelle Revue française va sembler, en partie à tort, le porte-drapeau et le "style nrf" l'emblème . (G. Philippe, Le rêve du style parfait, Presses Universitaires de France, 2013, p. 11-12.)

2. Philippe Roger examine dans un article la position de Barthes : pour dire vite, Barthes ne se défend pas de lire les classiques avec passion (notamment en raison de leur  disponibilité ) tout en étant l'un des grands adversaires du  mythe  classique, de la récupération dont il fait l'objet dans les discours du pouvoir (voir Ph. Roger,  Barthes post-classique , dans Le classicisme des modernes : représentations de l'âge classique au xxe siècle, PUF, numéro thématique de la Revue d'histoire littéraire de la France, 2 avril 2007). Le Barthes de  Plaisir au classique , en ce sens, ne contredit pas celui de la querelle contre l'universitaire Raymond Picard : ce qui est en jeu n'est pas tant l'÷uvre des Classiques que la position critique qu'elle supporte au milieu du xxe

qui l'ont au besoin dévoyée ou instrumentalisée. Passé ce moment de grâce, classique a ainsi pu devenir synonyme de bourgeois, de nationaliste ou même de fasciste, mais aussi, au plan artistique, de conservateur ou de rétrograde. Sans doute l'anathème frappe-t-il Régnier plus durement que France ou Boylesve puisque, avant de se plaire à une atmosphère esthétique classicisante (disons, résolument à partir de 1900), il fut le moins classique des trois  ce qui eût pour eet d'accentuer le contraste, et l'image d'un auteur  rentré dans le rang . Après une jeunesse d'avant-garde symboliste, pleine de fougue et d'audace, avide d'expérimentations (comme le vers libre), Régnier, grisé par des succès faciles, se serait aligné, étriqué dans un classicisme un peu aecté. Le moderne des premières années aurait eu une maturité et une vieillesse frileuses, conventionnelles et décevantes. Il est vrai que son style très orné, très artiste dans les années 1880-1890, semble aller s'assagissant  passant de l'inuence de Mallarmé à celle de Saint-Simon. De cet assagissement du style, qui reste d'ailleurs à prouver, on a retiré l'idée que Régnier n'était qu'un imitateur, en route vers une pétrication néo-classique ; pire : en route vers l'académisme.

Car qui dit classique dit respect d'une norme linguistique. Or, norme et style, bientôt, deviendront antinomiques. C'est le constat de Gilles Philippe :

Parce que la littérature ne serait pas compatible avec l'académisme, les  auteurs à dictée  ne seraient pas des auteurs, et s'il est un mérite que nous croyons pouvoir attribuer au xixe siècle nissant, c'est d'avoir dénitivement découplé les notions de style et de norme1.

Anatole France est bien sûr le parangon de ces  auteurs à dictée  qui rent le fond des maîtres d'école sous la Troisième, et ce succès scolaire est une autre cause de désintérêt. Pourtant on peut se demander, d'abord, comme le suggère Gilles Philippe, s'il est juste de bannir les auteurs (prétendûment) normatifs du champ littéraire, et ensuite si vraiment un certain respect de la norme est incompatible avec un style riche et même singulier. Pour Julien Gracq, l' écriture  la plus convenue recouvre parfois la  sensibilité  la plus audacieuse  et qu'est-ce que le style, sinon l'expression d'une façon de sentir ? Gracq observe le phénomène chez Stendhal, qu'il qualie de bifrons :

Une des recettes qui permettent à un chef-d'÷uvre de passer un long moment inaperçu, [Le Rouge et le Noir] l'a utilisée : un habillage d'archaïsme, entièrement miné de l'intérieur par la corrosion d'un tempérament, d'une sensibilité originale2.

Il s'explique ainsi la froideur des contemporains :

Le Rouge et le Noir, paraissant en pleine surchaue romantique, [...] faisait à première vue de Stendhal, par l'écriture comme par le genre d'esprit, un épigone fané des petits maîtres [...] du dix-huitième siècle, [...] et ce vernis suranné camouait tout le reste.

1. G. Philippe, Le rêve du style parfait, op. cit., p. 2.

2. J. Gracq, En lisant en écrivant (1980), dans ×uvres complètes, Gallimard, coll.  Bibliothèque de la Pléiade , t. II, p. 578-579.

Les contemporains ne voyaient que la face  vieillotte  de l'÷uvre comme les seconds lecteurs n'ont plus vu que le  renouvellement  apporté. Gracq modélise enn ce curieux renversement du point de vue :

[...] ce Stendhal bifrons, qui ne l'est plus pour nous, ne l'était pas davantage pour ses contem-porains. Seulement c'est l'autre face qu'ils voyaient, exclusivement : occurrence rare, mais non tout à fait exceptionnelle, au tournant d'une époque, d'un livre fait comme ces portes, dues à l'ingéniosité de Duchamp, qui ne peuvent fermer une pièce qu'en en ouvrant une autre, et vice versa.

Le phénomène mis au jour éclaire notre propos. En inversant la chronologie de la réception, eu égard au contexte en tout point diérent, on peut reconduire l'analyse : là où les contemporains de Régnier ou de Boylesve voyaient la face novatrice, nous voyons pour notre part, une fois refermée la porte des années 1920, la face désuète de leur ÷uvre. Les époques charnières, selon Gracq, favorisent un tel eet, et l'on comprend comment, mis en regard des Surréalistes, ces classiques de la dernière heure peuvent faire gures de vieilles barbes.

Car s'il est bien un eet programmé par les esthétiques classiques mêmes, c'est la discrétion. Gustave Lanson fait de la transparence la qualité même du style classique, qu'il compare à une  glace sans tain1 . Ce style classique qui croit en la coïncidence du mot et de la chose, et qui par là-même s'eace pour laisser voir les objets et la pensée nus, c'est l'exacte antithèse du style artiste  les deux étant régulièrement renvoyés dos à dos, à la Belle Époque :

Par [le style classique], nous prenons le contact des objets dont il expose les signes ; nous percevons les choses en lui, et notre perception ne s'arrête pas un instant à lui. Il s'abolit pour nous par sa justesse même. C'est un style excellent : aucune sensation d'art ne s'y attache ; ce n'est pas un style d'artiste2.

Le divorce du langage et du réel a souvent été commenté ; qu'il soit fondé ou non, il fait partie d'un imaginaire d'époque3, et c'est en réaction à cette crise que la langue classique fait l'objet d'une telle revalorisation. Désormais, on oppose la  bonne prose  classique à la  belle prose 4

moderne,  quand on fait un eort de neutralité : les plus réactionnaires opposant plutôt la philologie classique à la prétendue misologie moderne.

Mais il est pourtant un classicisme qui n'est ni réactionnaire, ni conservateur d'ailleurs. L'amour d'un âge révolu, tel qu'il se manifeste dans l'÷uvre de Boylesve, de Régnier ou de France, ne laisse pas d'intriguer, car il ne se comprend jamais de manière univoque. Il serait malavisé en eet d'interpréter leur attitude comme un repli rétrograde et nostalgique, un refuge misanthrope éloigné des hommes et des considérations de leur époque. Tant s'en faut : et si

1. G. Lanson, L'art de la prose (1905-1907, 2eéd.), Librairie des Annales politiques et littéraires, 1909, p. 14. 2. Ibid., p. 12.

3. W. Marx date des dernières années du xixe siècle une crise corollaire, celle qui marque l'autonomisation de la littérature. Voir L'adieu à la littérature. Histoire d'une dévalorisation xviiie-xxe siècle, Minuit, 2005.

c'était plutôt  là est le n÷ud du problème  une forme paradoxale de modernité que cette propension à interroger et à imiter les auteurs de l'Ancien Régime ? Dans des perspectives toutes modernes d'ailleurs, les trois écrivains manifestent une forme d'hyperconscience sur leurs ÷uvres et les choix qui président à leur composition et à leur écriture, développant dans des textes critiques leurs réexions littéraires et stylistiques  si bien que si imitation des Anciens il y a, il faut bien reconnaître qu'elle s'opère sans naïveté et sans servilité. Si les trois auteurs mènent une réexion de forme classique sur l'homme, la morale et la société, elle semble se creuser simultanément d'une véritable inquiétude moderne sur les menaces qui pèsent sur l'intégrité humaine, en cette période de crise axiologique où les grandes certitudes sont ébranlées (crises religieuses, sociales, découvertes sur le psychisme humain...). En aucun cas, les auteurs de l'Ancien Régime ne font l'objet d'une imitation gratuite. Bien au contraire, les tournures d'esprit et les traits stylistiques empruntés aux Anciens semblent de pertinents et subtils instruments propres à l'examen et à l'expression de réalités complexes ou inouïes. De cela, il faudra prendre la mesure.

Un autre problème se pose, terminologique celui-là. Étudier le classicisme suppose de donner un sens clair à la notion. Or plusieurs dicultés compliquent les eorts de dénition.

D'abord, c'est une notion des plus polysémiques et labiles, ce qui explique qu'elle ait pu faire l'objet d'aussi nombreuses récupérations au début du xxe siècle. Faisons rapidement le point.

1. L'adjectif classique, en remontant à sa source étymologique latine, a d'abord qualié les classici cives, les citoyens de première classe. De l'idée d'élite, il demeure sans doute quelque chose dans les emplois postérieurs du mot. L'adjectif a ensuite pu être employé à propos de la littérature, par métaphore, pour désigner des ÷uvres de premier ordre1.

2. Par extension, classique en vient à désigner les ÷uvres du canon et partant les auteurs étudiés dans les classes, puis les ÷uvres et auteurs emblématiques, qui servent de modèles ou d'autorité.

3. Ce n'est que très tard que classique caractérise une période esthétique spécique (le néologisme classicisme faisant son apparition), période à la délimitation d'ailleurs uctuante. Peuvent être dits classiques certains siècles de l'Antiquité grecque (celui de Périclès) ou romaine (celui d'Auguste) ; les décennies correspondant au règne (1661-1715) ou à une portion du règne de Louis XIV (c. 1660-1680) ; le xviie siècle tout entier (l'idée voltairienne d'un  Siècle de Louis XIV  a fait orès) ; voire les xviie et xviiie siècles ensemble (Chateaubriand, Taine et d'autres admettent un  siècle de deux cents ans2) ;  et dans la sphère musicale, les frontières

1. Ces considérations étymologiques sont empruntées à A. Génetiot, Le classicisme, PUF, 2005 et à Ch.-A. Sainte-Beuve, Qu'est-ce qu'un classique ? (21 octobre 1850), Causeries du lundi, op. cit., p. 38-55. Sainte-Beuve rappelle que c'est Aulu-Gelle qui, le premier, a importé l'adjectif classicus dans la littérature.