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Pour un classicisme non dogmatique

Le classicisme, étalon des débats contemporains

B. France, Boylesve et Régnier dans les nouvelles Querelles des Anciens et des Modernes

3. Pour un classicisme non dogmatique

D'abord rangé parmi les Symbolistes, Henri de Régnier a très tôt échappé aux classications :  M. Henri de Régnier n'est pas un dogmatique1 , expliquera Frédéric Lefèvre au terme d'un entretien de 1924. De la même façon, ni René Boylesve ni Anatole France ne sont des esprits dogmatiques. Le premier l'écrit à Régnier :

Vous demandez si j'ai une théorie littéraire ? [...] Je crois qu'il n'y a pas d'écrivain qui ait moins d'idées préconçues que moi. [...] Je demeure, quant à moi, tout à fait étranger aux systèmes2.

Le professeur de scepticisme qu'est Anatole France n'est évidemment pas non plus l'homme d'un système.

André Suarès envisage deux types de classicisme. Le premier, imitateur, est un classicisme d'emprunt ; il est pauvre et dogmatique3. Le second,  le vrai classique, un classique créateur4, garde vive l'inspiration des classicismes antérieurs. Le premier se signale par  un certain bon goût, une espèce de correction froide, une manière polie d'être pauvre, une vertu qui ne se dénit que par les manques5 . On sait que c'est notamment le national-classicisme qui est visé. Boylesve et même Régnier, on l'a noté, ont parfois gravité dans la sphère maurrassienne, signant entre autres des articles pour la Revue critique des idées et des livres d'Eugène Marsan. Ce journal néo-classique de couleur nationaliste, qui t bon accueil à Maurice Barrès, Charles Maurras, Henry Bordeaux ou encore Léon Daudet, t campagne contre le romantisme  le  bovarysme , pour reprendre l'expression de Jules de Gaultier. Sans doute cette ligne éditoriale ambiguë a-t-elle été cause de méprise de la part de Régnier ou de Boylesve : ce contre quoi ils s'inscrivent n'est pas tant le romantisme qu'une certaine idée de la modernité. L'un et l'autre l'auront peut-être compris, car ils prendront vite leur distance vis-à-vis des néo-classicismes détournés qui se cristalliseront avant guerre, classicismes agressivement réactionnaires, souvent nationalistes et antisémites6.

1. F. Lefèvre,  Une heure avec M. Henri de Régnier , 2èmesérie, Nouvelles littéraires, artistiques et scien-tiques, 22 novembre 1924, p. 2.

2. R. Boylesve à H. de Régnier, lettre du 1er janvier 1919, , Ms. 6285, F. 231, Bibliothèque de l'Institut. 3.  On a l'air de croire que la forme d'une ÷uvre fait passer sur le fond, et qu'un petit manteau classique fera prendre un petit homme pour un grand. C'est n'avoir aucune idée de la forme, et qu'elle est l'esprit même : c'est par la forme que tout vit  (A. Suarès,  Du classique , La Grande Revue, 25 juin 1910, repris dans Âmes et visages, Gallimard, 1989, p. 179-180).

4. Ibid., p. 176. Dans la suite de l'article, Suarès propose d'appeler classique toute ÷uvre de qualité :  De proche en proche, je réduis l'ordre classique à la forme vivante, qui est la seule forme juste  (p. 178).

5. Ibid., p. 175.

6. La Revue critique des idées et des livres se retournera d'ailleurs contre Régnier en la personne d'Henri Clouard, qui y publie notamment le 10 Février 1911 un article intitulé  L'÷uvre d'Henri de Régnier  (no 68, p. 273-289), où il tient des propos pour le moins elleux à l'égard du poète.

Régnier, plus que Boylesve peut-être, marque son indépendance en caricaturant la jeunesse royaliste contemporaine dans Romaine Mirmault et dans Le Divertissement provincial, sous la bannière de ralliement presque ubuesque de  Ventre-Saint-Gris . Régnier a pu avoir lui-même de la sympathie pour le régime ancien ; cela ne l'empêche pas de regarder d'un ÷il très critique la monarchie anachronique défendue par Action française et de ne voir en les Camelots du roi que d'assez grotesques trouble-fêtes :  les Ventre-Saint-Gris étaient une association de jeunes gens qui, sous couleur de réaction, protaient de tous les prétextes pour faire tapage dans les rues, casser les réverbères, bousculer les passants et nir leur journée ou leur nuit au poste1. À la veille d'une guerre mondiale, Régnier s'écarte de  la bande de l'Action Française  (C., 1913, p. 660) et de la èvre qu'elle contribue à répandre :  [...] le patriotisme, c'est la folie du moment  (C., 1913, p. 668), songe-t-il.

Ce dédain non dissimulé, les maurrassiens le lui rendent bien. Dans La Grande Anthologie, recueil parodique de 1914, trois poèmes sont attribués à  Henri-Mathurin de Reigner2 . Ce pseudonyme masque un collectif d'auteurs liés à l'Action française, anti-Symbolistes activistes. Ce nom-valise croise de façon transparente ceux d'Henri de Régnier et de Mathurin Régnier. C'est dire si Régnier, associé à un adversaire de Malherbe, est vu comme un danger pour la renaissance d'un  génie français . Ces faux extraits sont placés dans la section  Les Anti-quaires , aux côtés de poèmes signés  Sébastien-Charles-Georges Leconte de Lisle-Adam  ou de  Jehan Richepaing . L'une des trois pièces, un sonnet, est prétendûment extraite d'un recueil à paraître, intitulé Spéculum des instants, titre qui réécrit par une distorsion pédante et réductrice celui du Miroir des heures. Le penchant régniérien pour le passé est donc bien identié, mais il est compris comme une marque de préciosité décadente et aectée. Voici ce sonnet :

Maestro Sacrum

Maître, dans le creuset où rougeoyait la fonte, N'ayant point de métal qui m'appartînt à moi, J'ai jeté, plein d'orgueil et d'extase et d'émoi, Bayésid, Bragadin, Cyzique et Métaponte, Dès mes plus jeunes ans ayant aimé ta ponte, Aigne qui ne pondait que tous les trente mois, Des vers pareils aux tiens j'en s dix à la fois ; Je l'énonce à regret et l'avoue à ma honte. Mais j'ai, chez l'antiquaire, et chez le brocanteur, Racheté le turban, le Centaure, le Teur,

1. H. de Régnier, Romaine Mirmault, Mercure de France, 1914, p. 46.

2. Anonyme, La Grande Anthologie  La seule qui ne publie que de l'inédit, Société des édi-tions Louis-Michaud, 1914, p. 36-41 (consulté le 23 mars 2015, https://archive.org/details/ lagrandeantholog00pari).

Hercule, Rome, Naple, et la Drachme et le Cygne, Et dans mes vers hâtifs songe qu'il est réel

Que, pour signier ma modestie insigne, Je fais les singuliers rimer aux pluriels.

Il faut convenir que la parodie présente des éléments de réussite. Certains stylèmes de la poésie de Régnier sont observés, comme son goût pour la polysyndète (v. 3), sa propension au symé-trisme, souligné ici par le pléonasme (v. 8), ses références exotiques et antiques (la rime plus que riche des v. 4 et 5 en accuse l'exagération burlesque, faisant rimer  et Métaponte  avec  aimé ta ponte  dans une quasi holorime allaisienne). L'obsession spéculaire de Régnier est caricatu-rée par le pléonasme ( N'ayant point de métal qui m'appartînt à moi  v. 2). Les mots rares, archaïques ( aigne  pour agneau v. 6) ou étrangers, compilent jusqu'au non-sens les grands noms de l'histoire, le sultan Bayésid, version ottomane de Bajazet, voisinant pêle-mêle avec la famille vénitienne des Bragadini ou avec la cité grecque de Cyzique. La pompe héroï-comique, le style amphigourique et les nombreuses absurdités singent un mallarmisme de convention, et on entend bien qui est ce  Maestro Sacrum  du titre, Mallarmé, ou peut-être Heredia. Le poète se dénonce comme un suiveur, dont la seule audace consiste à faire  les singuliers rimer aux pluriels  (v. 14). Ses licences lui valent ce sarcasme des prétendus éditeurs :  Nous essayions de corriger certaines licences de versication et de style qui, de la part d'un Antiquaire, nous semblaient un peu bien osées1 [...] . La satire est limpide : qu'il soit antiquisant ne fait pas de Régnier un classique (mais un  antiquaire  peu consistant) ; son style retors fait même de lui le contraire d'un classique.

Avec une distance moins partiale, on peut au contraire saluer ce positionnement : n'être pas classique à l'appréciation des extrêmes, c'est aussi esquiver tout enfermement partisan. La discorde est aussi politique et cet autre titre du recueil parodique, Les Jeux prussiques et chauvins pour Les Jeux rustiques et divins, le suggère bien. Le procès du classicisme engagé par les avant-gardes au xxe siècle est d'ailleurs dû en partie à son appropriation par les idéologies extrémistes. Walter Benjamin a vu le danger des classicismes dogmatiques. Il prend l'exemple du classicisme de Weimar et de sa récupération par le régime nazi :

[Les sectes] cherchent à s'approprier le passé comme un titre de haute origine ou comme un paradigme. C'est ainsi que la littérature classique devient ici un modèle. La grande préoccupation de l'auteur est de tirer de cette littérature l'exemple premier et canonique d'une révolte allemande contre l'époque, d'une guerre sainte des Allemands contre le siècle2.

Un phénomène comparable est à l'÷uvre en France. Et Régnier, de toute évidence, est par-faitement dédouané. L'enjeu est donc de taille pour les classiques non-dogmatiques que sont

1. Ibid., p. 40.

France, Boylesve et Régnier : conquérir à leur façon le territoire classique, c'est chercher à en-diguer le phénomène d'instrumentalisation idéologique dont sont victimes les Classiques ; c'est en disputer le titre de propriété que les nationalistes cherchent à s'arroger.

C'est bien à leur façon, en eet, que les trois écrivains sont classiques, également éloignés qu'ils sont du classicisme politique et du classicisme documentaire des historiens. Le classicisme est pour eux matière à rêver et matrice à leurs inventions imaginaires. Ce qui ne signie pas qu'ils repoussent toute liation, tant s'en faut. Boylesve est celui que la question de l'héritage et de l'originalité, ou celle du conservatisme et du progressisme dans les lettres, a le plus tourmenté. De la querelle classico-romantique en eet, il retient surtout cet aspect du débat. A priori, il est, des trois écrivains, le classique le plus intransigeant et le moins suspect de romantisme. Du moins est-ce le souvenir que Gonzague Truc garde de lui après sa mort :

Et c'est dire qu'il n'est nullement romantique, ce qui fait le plus surprenant et le meilleur de son cas. Romantiques, nous le sommes encore tous. Nous l'avouons par nos inquiétudes, par nos recherches, par notre allure contournée, par nos plaintes, par nos discours trop volontiers oratoires et lyriques, par notre marche inlassable vers les paradis à retrouver. Romantiques, Henri de Régnier, Francis Jammes, Péguy, Gide et Claudel [...] ; romantique Anatole France, pour avoir atteint la vie jusque-là où elle se dérobe devant le néant. René Boylesve ne l'est point ; il compose ses romans avec souplesse et rigueur ; il écrit une langue saine, il ne bavarde jamais ni ne divague ; il ne laisse passer de l'émotion que ce qu'il en faut, enchaîné par l'÷uvre sans en être contraint, trop sage enn, et trop raisonnable, peut-être, pour se contenir trop1...

Il faut sans doute nuancer ce jugement. La sagesse apparente de Boylesve, dans ses romans contemporains notamment, cache souvent une émotion paroxystique et une sentimentalité aiguë bien éloignée de la tempérance allouée au classique. Boylesve en est très conscient, observant en lui-même une tension foncière. Ses premières lectures, écrit-il à Régnier, en sont le reet :

Mes premières admirations, après la période lamartinienne, ont été Les Lettres Persanes et les romans de Voltaire. Cela ne s'arrange pas très bien avec mes goûts de début, mais c'est le commencement de la complexité de ma nature, qui dure encore. J'aimais la rêverie, l'harmonie du langage, mais j'aimais aussi l'ironie, l'observation narquoise et le style clair volontiers disant un peu plus qu'il n'en a l'air2.

Tiraillé entre les pôles romantique et classique, Boylesve l'est surtout, et bien au-delà des questions artistiques, entre le conservatisme et le progressisme. Son ÷uvre romanesque est hantée par l'idée récurrente que le respect servile et mécanique des traditions est cause de désolation. Témoins ses romans La Jeune Fille bien élevée (1909) et Madeleine jeune femme (1912) : dans ces textes qu'on peut qualier de féministes, la jeune lle en question, née dans une famille de petite bourgeoisie provinciale, est sacriée sur l'autel des traditions. Promise à un brillant avenir de pianiste, Madeleine, sur qui pèse le poids des coutumes matrimoniales

1. G. Truc, Introduction à la lecture de René Boylesve, op. cit., 1931, p. 39-40.

séculaires, épouse nalement un notable qu'elle n'aime pas, avec qui elle part vivre à Paris. Au demeurant la bourgeoisie parisienne, apparemment moins esclave des traditions, futile et sans repère, ne fournit pas un cadre plus propice à son épanouissement. De nombreuses nouvelles disent le piège des usages. Une nouvelle recueillie dans Le Dangereux Jeune Homme (1921),  Oh ! Ne chante pas ! , le fait entendre sur un ton humoristique. Un jeune homme s'éprend d'une jeune lle, qu'il demande en mariage. À compter de ce jour tout se gâte. Le badinage et la légèreté cèdent la place au sérieux et l'on s'adonne désormais à cette unique et mortelle occupation : écouter chanter la promise. Celle-ci se prête sans la moindre passion à ce devoir, respectant un  rite étrange et tyrannique1 . Le futur époux croit entendre par sa bouche des générations de ancées improvisées cantatrices. Il prend son mal en patience, et sa part de sourance inutile.

Boylesve n'est donc pas le défenseur de tous les conservatismes. Sa position est cependant plus nuancée en ce qui concerne l'héritage artistique. Une autre nouvelle du même recueil formule ses interrogations : faut-il nécessairement marcher dans les pas d'un maître ? La nouvelle porte précisément ce titre,  Le Maître . Le personnage central est une jeune pianiste pauvre, Suzon Despoix. D'humeur gaie et honnête lle, elle vit de leçons et on l'invite volontiers dans le monde. Un soir, tandis qu'elle joue Chopin, on s'enquiert de son talent. La révélation délie les langues et l'on veut à tout prix savoir qui a été son maître. Elle n'ose avouer qu'elle a appris seule, ayant ce que le narrateur salue comme une qualité rare : un  tempérament original . Les spéculations conduisent à un pianiste tchécoslovaque, dont elle serait par ailleurs la maîtresse. Pour couper court aux cancans, Suzon n'a d'autre choix que d'inventer le nom d'un maître, au grand soulagement de la foule, qui la laisse enn en paix. Boylesve, par cet apologue, se montre très réservé vis-à-vis de l'esprit d'école qui sévit alors. Pas question, pour lui, de se donner des maîtres simplement pour répondre à un appel extérieur. S'il ne conçoit pas l'art désamarré de tout héritage, c'est un héritage intimement choisi qui doit servir de fondation à une ÷uvre bien personnelle. Cet héritage choisi et non subi, il l'arme peut-être par le nom de plume qu'il se donne : en signant Boylesve plutôt que son patronyme Tardiveau, c'est pour son matronyme qu'il opte (Boilesve, réorthographié). Filiation, non de convention, mais d'adhésion.

En fait, la question de l'héritage et des écoles n'a cessé de le travailler, et sa position à leur égard est complexe. Un entretien de 1904 montre son incertitude :

Mais alors, je regrette les écoles ? Je ne sais, n'ayant jamais, quant à moi, reçu la parole d'un maître, et ayant, moi comme les autres, un besoin exagéré d'indépendance. J'imagine toutefois qu'un homme expérimenté n'eût épargné beaucoup de peine, et c'est une grave erreur de croire qu'une direction intelligente puisse oppresser la liberté2.

1. R. Boylesve,  Oh ! Ne chante pas ! , Le Dangereux Jeune Homme, Calmann-Lévy, 1921, p. 100.

2. R. Boylesve,  Sur le mouvement littéraire , réponse à une enquête du Gil Blas menée par G. Le Cardonnel et Ch. Vellay, 1904, reprise dans Opinions sur le roman, op. cit., p. 6-7.

La bonne attitude, pour lui, se situe quelque part entre la bride des maîtres et la liberté absolue de ceux qui ne conçoivent d'art qu'absolument original. Mais un maître n'est pas nécessairement un tyran et les tenants de l'originalité sont victimes d'une autre erreur, de  la fausse notion que l'on a de l'originalité nécessaire  :

L'originalité est nécessaire, mais elle ne consiste pas à ne ressembler à personne, elle consiste à être soi-même, ce qui s'obtient quand on ne s'eorce pas à n'être ni celui-ci ni celui-là1.

France distingue quant à lui  deux sortes d'originalité : celle qu'on cherche sans la trouver et celle qu'on trouve sans la chercher ; celle-ci est la meilleure2  : l'originalité érigée en règle ÷uvre à contre-emploi. Ni France ni Boylesve ne décrient donc toute espèce d'originalité, bien au contraire. Un tempérament singulier demeure au principe des chefs-d'÷uvre, comme Boylesve le fait clairement entendre dans cette note :

À propos d'un jeu en ce moment à la mode et qui consiste, étant donné une phrase, un vers ou une page, à en dire l'auteur, on pourrait soutenir que ce ne sont pas les meilleurs esprits qui sont les plus aptes à gagner ici, surtout parmi les écrivains. Les plus forts à ce jeu, parmi ces derniers, ce sont ceux qui, ayant cru qu'écrire est un art qui s'apprend des maîtres, ont étudié tous les procédés, toutes les manières, tous les trucs. Les écrivains les meilleurs sont généralement les plus spontanés et souvent les plus dédaigneux : ils n'ont pas appris dans les livres ; ils n'ont pas la religion des maîtres ; ils sont plus préoccupés d'eux-mêmes, c'est-à-dire de leurs pensées ou de leurs propres visions que de ce que d'autres ont fait ; ils risquent de passer pour ignorants. Il arrive qu'ils le soient3.

Mais pourvu qu'ils soient fertilisants, les héritages sont plutôt des auxiliaires à la création littéraire. Boylesve s'inscrit lui-même dans le sillon du  roman balzacien4  qui trouve, dit-il, sa perfection dans Madame Bovary :

[...] je l'admire par-dessus tout, parce que j'y vois une tradition féconde, parce que le tempérament français y a montré ses aptitudes, et parce que ce qu'il comporte de règles, étant uni, à juste dose, avec l'inspiration personnelle qui ne manque jamais à un écrivain né, me paraît la plus belle méthode à proposer5.

La démarche souhaitable repose en somme sur une juste alliance entre originalité et héritage, le génie français assurant la cohérence de l'union. Anatole France le rejoint, allant jusqu'à douter de l'existence d'un génie entièrement singulier et neuf, délié de tout antécédent et crédité d'une puissante créatrice illimitée :

1. R. Boylesve,  Sur les tendances moralisatrices dans le roman , réponse à une enquête des Marges, 1904, reprise dans Opinions sur le roman, op. cit., p. 22.

2. A. France,  Le Symbolisme  Décadents et déliquescents , Le Temps, 26 déc. 1886. 3. R. Boylesve, note sans date, Feuilles tombées, op. cit., p. 320.

4. R. Boylesve,  Sur les tendances moralisatrices dans le roman , art. cité, p. 17. 5. Ibid., p. 17.

Le génie lui-même commence par imiter ; son originalité s'arme par degrés. Au lieu de réunir avec eort les membres épars, son légitime butin, et d'en former, comme il faisait d'abord, un tout où les parties primitives trahissent leur origine et leur destination étrangère, le génie, de ces mêmes membres pris où il lui plaît, fait un être vivant, harmonieux et doué d'une existence propre. C'est là toute l'originalité du génie1.

Il n'y a donc pas, pour ces écrivains, de choix à faire entre tradition et innovation, pour la bonne raison que les deux n'entrent pas en conit. Au sein d'un système de pensée qui ne reconnaît pas de pertinence dualiste, on peut donc être héritier et pionnier, ou, pour mieux dire, on peut cultiver une tradition sans en être thuriféraire, et une originalité sans en faire une n exclusive. C'est bien ce qui explique que Régnier ait été aussi mal compris des gardiens du temple que des avant-gardes, comme le dit bien Julien Schuh : dans les années 1880 déjà,