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Classicisme et classiques : quoi et qui ?

B. Anatole France ou le type du classique 1900

2. France, maître de Boylesve

Si France s'est manifestement peu intéressé à ses deux cadets2, l'inverse n'est pas vrai. Boylesve, surtout, n'a jamais démenti son admiration pour lui.

La relation des deux hommes a surtout été de courtoisie. Ils se rencontrent vraisemblable-ment pour la première fois en 1892, à l'occasion d'un dîner à la Tour d'Argent oert par les jeunes écrivains à leur prestigieux aîné, qu'ils voulaient  avoir pour [eux] seuls3 . Mais leurs rapports n'ont pas dépassé le cadre mondain, et les archives ne révèlent pas une correspondance très nourrie. La Bibliothèque nationale conserve seulement deux lettres de Boylesve à son aîné4. La première, datée du 5 mai 1918, utilise un papier de qualité supérieure à celui qu'il utilise or-dinairement, ce qui laisse transparaître une certaine déférence. On y lit que Boylesve a manqué de peu Anatole France, qu'il comptait voir à Antibes en vue de solliciter son appui académique en bonne et due forme. Boylesve rappelle à ce titre que France est le second (après Paul Her-vieu) à lui avoir conseillé de poser sa candidature, ce dont on peut tout de même déduire que France lui accordait une certaine estime. Boylesve ne perd pas cette occasion de rappeler que la sienne est ancienne. La seconde lettre en fait foi. Il s'agit d'une petite carte de visite, sans date, mais à l'évidence très antérieure au premier document, à considérer l'adresse (le 19 boulevard Saint-Michel, où Boylesve vécut jeune homme). Cette carte accompagne apparemment un livre adressé au Maître en ces termes :

René Boylesve [imprimé] s'excuse auprès de celui que son plus cher désir serait d'être autorisé à appeler son Maître, d'avoir osé lui dédier un si faible essai, et le supplie de ne retenir de cette témérité, qu'un témoignage  le seul possible  de la plus grande dévotion littéraire.

De quel livre s'agit-il ? Aucun n'est dédié à Anatole France. S'agirait-il d'une simple dédicace manuscrite ? Plus tard, Le Carrosse aux deux lézards verts (1920), dédié à Gonzague Truc, portera en épigraphe cette célèbre phrase du Jardin d'Épicure :  Ils n'ont pas Virgile, et on

1. Dans un article de 1924, G. Pioch observe que quelques-uns s'indignent de ce qui lui apparaît salutaire : dans son ÷uvre, France réalise  l'équilibre des forces souvent ennemies  ( Anatole France et la Paix , Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientiques, 19 avril 1924, p. 3).

2. C'est l'une des récriminations de Régnier à son endroit : à plusieurs reprises, il déplore que le critique du Temps, qui a tout pouvoir sur l'opinion publique, ne fasse pas vendre ses livres (d'après P. Besnier, Henri de Régnier, op. cit., chap. III).

3. Jacques des Gachons, ami de Boylesve, en témoigne dans  Souvenirs de la trentième année , Varia, Le Divan,  Le souvenir de René Boylesve , t. VIII, 1936, p. 78-80.

les dit heureux parce qu'ils ont des ascenseurs , signe d'un respect toujours vif1. Le livre mentionné pourrait être Les Bains de Bade (1896), petit roman qui aurait valu à Boylesve ces mots élogieux du maître :  Votre conte est excellent... Et puis, vous avez un délicieux tour d'esprit et de style2 . De façon certes laconique, France ne renie pas cet avis par la suite :  Boylesve ?  répond-il, interrogé par le Gil Blas en 1904.  Beaucoup de talent. Très intéressant, Boylesve ! 3.

Que les éloges de Boylesve pour France aient été de bonne foi, on s'en assure à la lecture de son journal intime, qu'on ne saurait soupçonner d'insincérité. La page du 14 avril 1894 rapporte cette anecdote :

Je suis rentré chez moi tout à l'heure en me demandant s'il ne faudrait pas en nir. C'est la première fois que l'idée sérieuse de ceci me vient, et j'ai monté mon escalier en me répétant : Il ne faut jamais désespérer, jamais, jamais ! Eh bien, la grâce d'un article d'Anatole France que j'ai lu en rentrant me ramène à mon bureau, et jusqu'à l'extrémité j'écrirai pour essayer seulement de répandre par le monde une parcelle d'un charme approchant. Dans cinq minutes, je vais m'oublier dans quelque création imaginaire et je descendrai peut-être joyeux ce soir, quoique plat de bourse4.

En dramatisant un peu, on pourrait donc conclure que Boylesve doit la vie à ce mentor malgré lui. Par la suite, en public et en privé, Boylesve multipliera ses hommages 5 comme autant de preuves supplémentaire que France est une référence majeure pour sa génération. À la mort d'Anatole France encore, à deux ans de la sienne, Boylesve conserve à son maître toute son estime littéraire (à une réserve près : il n'aime pas tellement L'Île des Pingouins) :

Il a donné des pensées, des réexions morales  sans se présenter comme penseur ni comme moraliste  au moment où le public, un peu gavé du roman dépourvu d'idées, demandait à rééchir.

[...] Il l'a fait sous la forme la plus accessible et la plus attrayante, sans qu'elle s'abaissât ja-mais, et qui plus est, sous la forme qui rappelle le plus aux hommes de goût ce qu'ils connaissaient déjà : classicisme, antiquité, etc.

Au moment où la langue s'épaississait ou s'avilissait sous l'inuence de la peinture, il est apparu, un ambeau à la main, pour nous faire souvenir de l'usage auguste auquel était réservé le français : instrument divin de l'esprit. Je lui eusse volontiers prêté pour devise un tronçon de l'aphorisme bien connu :  Spiritus at... 6.

De là à conclure que Boylesve ait intentionnellement cherché à imiter France, il y a cependant un pas que nous nous garderons de franchir. Les références manifestes à l'÷uvre de France, en tout

1. Il faut dire que l'année précédente, Boylesve a été reçu à l'Académie avec le concours de France. 2. A. France à R. Boylesve, lettre citée par M. Piguet dans L'homme à la balustrade, op. cit., p. 108. 3. A. France, réponse à l' Enquête sur le Mouvement Littéraire  du Gil Blas, 9 août 1904, p. 2.

4. R. Boylesve, extrait inédit de son journal, 14 avril 1894, cité par H. Barret,  Boylesve, admirateur d'Anatole France ? , Les Heures Boylesviennes, XLIII, 2015, p. 25.

5. D'élogieux propos, notamment à l'occasion de la nomination académique de France en 1896, sont regroupés de façon posthume dans R. Boylesve,  Anatole France , Prols littéraires, textes recueillis par É. Gérard-Gailly, La Renaissance du Livre, 1962.

cas, sont plutôt des marques d'hommage, depuis l'épigraphe déjà cité du Carrosse jusqu'aux allusions moins explicites  comme le  singe tourne-broche  du même conte (CLV, p. 82), rappelant le chien qui tient le même oce dans la Rôtisserie avant d'être relayé par Jacques, lequel y gagna son sobriquet.

La critique, pourtant, n'a pas manqué d'établir la liation, depuis Proust jusqu'à son bio-graphe François Trémouilloux, plus récemment :

Pour Boylesve, France fut toujours, en ce qui regarde son métier d'écrivain, un maître et un modèle. User d'un même classicisme dans l'élaboration de la phrase, vénérer la même clarté dans l'exposition des idées, préserver le même clin d'÷il ironique lorsqu'il s'agit d'aborder la peinture des sentiments, c'était le soubassement de leur patrimoine à l'un et à l'autre, le même fonds de commerce serions-nous tenté de dire à partir duquel chacun a pu réaliser une ÷uvre diérente et cependant d'une même parenté1.

Boylesve a sans doute souert de cette lourde généalogie. Inscrire un écrivain dans un aussi prestigieux lignage, c'est lui fournir des lettres de recommandation pour la postérité, mais c'est aussi courir le risque de le tenir dans l'ombre de ses protecteurs. L'histoire littéraire, ÷uvrant contre lui sans toujours en avoir eu l'intention, fait de Boylesve une sorte de  sous Anatole France , voire de Régnier de seconde zone. C'est du moins l'image résiduelle qui persiste après lecture de René Lalou :

[Boylesve] nous invite parfois à écouter des variations littéraires sur tous les sujets chers à l'alexan-drinisme du premier France ou bien cette jolie intrigue libertine des bords de Loire, la Leçon d'amour dans un parc, qui est d'un Régnier inégal2.

Régnier, lui, court moins le danger d'être vu comme l'épigone d'Anatole France, même si des liens existent entre eux.

3. ... et de Régnier ?

Selon les apparences, les relations que Régnier a eues avec France n'ont pas été plus intimes que celles que Boylesve a entretenues avec le même. Régnier côtoie régulièrement France dans le monde  ils appartiennent au tout-Paris  et consigne ces rencontres de loin en loin dans ses Cahiers. Ce sont surtout des dîners qui les réunissent. Ils fréquentent aussi les mêmes salons, ceux de Mmede Cavaillet3, de Mmede Saint-Victor, de MmePailleron, de M. et MmeMille. L'ancien poète du Parnasse est également du nombre des invités du très mondain mariage

1. F. Trémouilloux, René Boylesve, Un romancier du sensible, op. cit., p. 349. À propos du Carrosse plus spéciquement, Trémouilloux note encore la parenté :  D'une facture rappelant nettement celle de La Rôtisserie de la reine Pédauque d'Anatole France, que Boylesve tient pour modèle de style et de ton, et tout autant les Contes philosophiques de Voltaire, de la lignée de qui le tourangeau se revendique, Le Carrosse... raconte l'histoire d'une modeste famille de bûcherons [...]  (p. 315).

2. R. Lalou, Histoire de la littérature française contemporaine, op. cit., t. II, p. 74.

3. M.-C. Bancquart note que vers 1905, Régnier est le bienvenu chez la maîtresse de France (Un sceptique passionné, op. cit., chap. XXII).

de Régnier avec la lle de Heredia. Somme toute, leurs liens directs semblent avoir surtout consisté en obligations académiques. Régnier accomplit son pèlerinage à la Villa Saïd en 1911 ; France est tout de même le premier académicien auquel Régnier s'est adressé. Au reste, la seule correspondance qui subsiste a trait à cette visite : une lettre très formelle présentant la requête de rendez-vous1.

Si leurs rapports furent très tièdes, c'est que Régnier éprouve une certaine aversion pour l'homme, sinon pour l'÷uvre. Bien sûr, comme tout un chacun, Régnier paye son tribut à celui qu'on présente immanquablement comme le sauveur de la langue française. Sur la scène publique, il inventorie les qualités classiques de l'écrivain, même après sa mort :

Je me rendais compte du grand service qu'il rendait aux Lettres françaises en y restituant, au lendemain de la brutale poussée du naturalisme, une tradition submergée sous le lourd ot réaliste, et qu'il remettait élégamment et savamment en honneur. Sa prose, admirable de clarté, de souplesse et de force harmonieuse, était un exemple de goût et de mesure. C'était une prose d'humaniste et d'érudit, où l'heureux choix du vocabulaire égalait la sûreté de la syntaxe. Il y régnait une sorte de perfection aisée, d'un charme insinuant et d'un attrait irrésistible. Elle était maniée avec un tact merveilleux et mise au service d'un esprit dont l'étendue naturelle s'était accrue des ressources d'une curiosité innie. Nul mieux que France ne savait tirer prot de ses lectures et il en assimilait la substance avec une ingéniosité diabolique2.

L'éloge peut sembler surjoué et Régnier a plutôt l'air de s'acquitter d'un devoir d'époque. Au demeurant, ce commentaire marque plus une concordance d'esprit qu'une anité de c÷ur  encore cette anité intellectuelle est-elle mise en doute par les rares remarques de Régnier sur l'÷uvre francienne, dans l'intimité de sa pensée. De bonne heure, il note à part dans ses Cahiers :  Le dernier livre de France est mauvais. Ce sont des bribes qui ont, pourtant, une certaine grâce d'écriture  (C., 1894, p. 411). François Broche commente ce propos : ce mauvais livre, ce serait Le Jardin d'Épicure, dont Régnier désapprouvait le pessimisme.

Mais la grande majorité des propos que Régnier tint sur France concerne l'individu bien plus que le romancier ou l'essayiste. La réticence de Régnier à son endroit est d'abord humaine ; l'article que nous venons de citer est d'ailleurs ambivalent, voire un peu perde : sous couvert de louer l'auteur, Régnier discrédite l'homme. L'article s'ouvre par une anecdote gratuite, dans laquelle France se distingue surtout par sa couardise, n'ayant pas  demand[é] raison3 d'une gie évitée par la fuite4. France choque Régnier par des manières qui lui semblent inconve-nantes et c'est surtout sa conversation qui attise son agacement. Le même article rapporte leur première rencontre, dans un dîner oert en l'honneur de Jean Moréas :  Si l'écrivain, chez Anatole France, m'a toujours inspiré une vive admiration, la sympathie que j'ai éprouvée pour

1. H. de Régnier à A. France, lettre de juin 1910, NAF 15438, F. 93 (BnF, site Richelieu). Les fonds Régnier et France ne conservent pas d'autres lettres.

2. H. de Régnier,  Anatole France , De mon temps..., op. cit., 1933, p. 40. 3. Ibid., p. 38.

4. Dans une scène à la Buster Keaton, France aurait couru autour d'une table pour semer son assaillant, dans le bureau de l'éditeur Alphonse Lemerre.

l'homme était notablement moindre . Régnier concède toutefois qu'il l'a  trop peu connu pour [se] rendre compte si cette involontaire prévention était ou non justiée , mais que l' in-surmontable ennui  que lui causait sa conversation l'arrêtait à l'impression d' une espèce de "raseur supérieur" 1.

Les Cahiers redisent cette antipathie, par des portraits grotesques bien qu'assez énigma-tiques, comme celui-ci :  "Madame de Verdun avait la gueule de côté" : note du troisième volume de Tallemant, qui pourrait servir d'épigraphe à une étude sur Anatole France  (C., 1890, p. 231) ou celui-là :  France, perde et délicat, a en lui de l'Athénien et du Parthe  (C., 1893, p. 341), dont on ne sait trop s'ils se veulent amusants ou oensants. De façon moins équivoque, dans les années 1909-1910, au cours desquelles il l'a souvent rencontré, Régnier note à plusieurs reprises combien France  pérore , racontant la même histoire jusqu'à six fois. La prétention du grand homme à monopoliser l'attention des dîneurs l'irrite, ainsi que sa diction laborieuse. Un dîner de l'année 1916 est à l'origine de ce portrait :

Je ne l'avais pas vu depuis plusieurs années. Il a vieilli, porte la barbe plus carrée et la moustache plus longue. Il a blanchi, mais j'ai retrouvé le regard inquiet, ironique, tendre et perde des beaux yeux noirs2. La causerie est toujours pleine de détours, la phrase d'incidentes, la parole d'hésitation. Visiblement, il n'aime pas les apartés et veut être écouté. Il parle de la fausseté de l'histoire, de choses diverses... En partant, il m'a tendu la main, une main très douce, exible, légère, presque sans os, une main presque déjà immatérielle de vieillard. (C., 1916, p. 714)

L'animosité s'estompe un peu avec le temps, mais Régnier s'en tiendra toujours à une certaine froideur. C'est que la réserve est aussi politique. Dans l'article cité précédemment, Régnier juge le sympathisant socialiste  plus ou moins anarchiste  et rapporte peu élégamment cette anecdote : au cours d'un dîner, France causait politique tout  en savourant un succulent pâté  ;  Regardez, murmura quelqu'un à l'oreille de son voisin, regardez ce qu'il mange et vous ne croirez pas ce qu'il dit 3. C'est à se demander si le dîneur anonyme n'est pas Régnier lui-même. Contrairement à Boylesve, Régnier échappe à la sphère d'inuence de son prédécesseur  peut-être parce qu'il fut d'abord du clan dissident des Symbolistes. De fait, les romans de France n'imprègnent que fort peu ceux de Régnier, même si on peut hasarder un cousinage entre l'abbé Hubertet (DM) et l'abbé Coignard (RRP, OJC), savants bons vivants et précepteurs d'un jeune homme ; ou entre M. de Verdelot (E), brave homme à qui incombe l'éducation d'une jeune lle, et Sylvestre Bonnard (Le Crime de Sylvestre Bonnard), lui aussi en charge d'une pupille. La critique contemporaine n'a pas manqué de noter les points de contact, quelle qu'en soit l'intention. Le parallélisme peut se vouloir louangeur, mais il entre aussi bien dans des stratégies satiriques. Henri Clouard qui, en bon partisan d'Action française, méprise Régnier, ne perd pas une si belle occasion de faire de lui un Anatole France à la manque :

1. Ibid., p. 41-42.

2. Régnier se montre sensible aux yeux, dont il observe souvent qu'ils ne vieillissent pas. 3. Ibid., p. 43.

Voilà un romancier [...] qui ne peut manquer d'exciter en nous, malgré tant de jolies pages, je ne sais quelle pitié amusée, lorsqu'il se précipite sur les traces glorieuses de M. Anatole France [...].

En un matin de distraction généreuse, Maurras écrivit que la Double Maîtresse était traversée  des plus belles réminiscences d'Anatole France  ; et je vois bien que l'auteur en eet est hanté de ce grand souvenir, non seulement dans le récit des aventures de Galandot le Romain, mais plus encore peut-être dans les Rencontres de M. de Bréot. Il y a là un ragoût de paradoxes philosophiques, de cyniques confessions, de libre débauche, traversées de harangues sermonneuses et de pensées édiantes qui nous vient tout droit de la Rôtisserie de la reine Pédauque, mais ne fait que nous donner l'envie de relire ce chef-d'÷uvre une fois de plus. L'abbé Jérôme Coignard a de bien petits élèves, et lui seul a montré le naturel d'un grand esprit. Tout est là1.

Charles Maurras avait lui aussi fait de l'abbé Hubertet un  nouvel abbé Coignard2, mais il s'était en eet montré moins implacable. La n de l'article auquel Henri Clouard renvoie est toutefois très ambiguë :

Le livre est abondant, plein de vie, de force. Traversé des plus belles réminiscences d'Anatole France et de Gabriel d'Annunzio. Il respire une large, charmante, crue et saine senteur d'amour ; une brise venue des farces de Molière, des lettres de la Sévigné, des mémoires de Saint-Simon y ajoute un fumet d'herboristerie, de clystère et de médecine que certains délicats hument avec délices.

Pour ma part, je n'y connais rien et n'en ai ni goût ni dégoût.

D'autres critiques ont vu entre les deux ÷uvres une parenté moins honteuse. C'est d'abord le style qui les rapprocherait ; tel est l'avis que défend Paul Delior à la parution du Passé vivant (1905) :

Si l'on pouvait enn remarquer des incertitudes dans quelques pages de ses livres précédents, le style enchante ici par sa pureté et sa précision. M. Henri de Régnier est sûrement l'écrivain qui avec M. Anatole France et M. Remy de Gourmont, use de la langue la plus purement française3.

On le comprend, la comparaison avec France vaut ici promotion littéraire. Henry Dérieux établit un même parallélisme neuf ans plus tard :

Outre que c'est un livre fort voluptueux, peut-être n'a-t-on goûté tant la Double Maîtresse que parce qu'elle évoque certains romans de M. France. Le public aime particulièrement les dé-couvertes qui sont plutôt des reconnaissances. [...] Sans doute, M. de Régnier n'est-il pas sans s'apparenter à l'auteur de Jérôme Coignard, du moins dans ce premier roman. Encore serait-il plus juste de dire qu'ils ont eu des maîtres communs : les conteurs galants de France et d'Italie. Ils s'en sont inspirés et les ont interprétés, chacun suivant son tempérament propre, M. France avec plus d'amertume peut-être, plus de sécheresse sarcastique ; M. de Régnier avec plus de pittoresque, en homme pour qui, avant de comporter des goûts et des sentiments, le  monde extérieur  existe, si fortement même qu'il surait à la rigueur à l'intéresser4.

1. H. Clouard,  L'÷uvre d'Henri de Régnier , La Revue critique des idées et des livres, 10 Février 1911, no

68, p. 284-285.

2. Ch. Maurras,  M. Henri de Régnier : La Double Maîtresse , Revue encyclopédique, 17 mars 1900. 3. P. Delior,  Le Passé vivant, de Henri de Régnier , La Plume, 1er juin 1905, p. 447.

4. H. Dérieux,  L'÷uvre romanesque de M. Henri de Régnier , Le Mercure de France, 1er août 1914, p. 440-441.

Les critiques  lorsqu'ils ne sont pas polémistes  accordent à Régnier plus d'autonomie qu'à Boylesve : la parenté avec l'auteur de la Rôtisserie n'éclipse pas l'originalité de Régnier. À la diérence de son cadet, Régnier n'est pas donné pour un descendant d'Anatole France, et