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VOCATION EXTENSIVE DE LA COUTUME SUR LES AUTRES SOURCES

SECTION I : SUREXPOSITION ARTIFICIELLE DE LA SOURCE COUTUMIÈRE

A. VOCATION EXTENSIVE DE LA COUTUME SUR LES AUTRES SOURCES

Le juge pénal international tend à faire déborder la source coutumière sur les autres sources internationales, qu’il s’agisse des conventions internationales ou des principes généraux du droit. Il en résulte un véritable enchevêtrement des sources.

a) Sur les traités

L’étude de la jurisprudence des juridictions pénales internationales révèle une tendance à l’expansion de la source coutumière sur la source conventionnelle. Le droit conventionnel est ainsi peu à peu happé par un droit coutumier. Si le caractère ambivalent de certaines grandes

conventions est indéniable511, la démarche suivie par le juge pénal international donne

souvent le sentiment que le droit conventionnel seul est impuissant à dégager des solutions. La position du Secrétaire général des Nations Unies qui a érigé en principe le fait que les TPI devaient appliquer du droit coutumier explique en partie la relative désuétude du droit conventionnel « simple ».

Même si le droit conventionnel paraît très présent dans la jurisprudence des juridictions pénales internationales, il est souvent utilisé à titre accessoire, comme preuve de l’existence d’une norme coutumière. Lorsque le juge cite une disposition conventionnelle, il s’empresse bien souvent d’ajouter que cette disposition revêt un caractère coutumier. Le droit

511

Les Conventions de Genève de 1949 sont considérées comme des conventions de codification, elles revêtent donc par conséquent également une valeur coutumière.

conventionnel, constamment accompagné d’une référence au droit coutumier se trouve donc ainsi affaibli par la jurisprudence des juridictions pénales internationales. A la lecture de la jurisprudence pénale internationale, on a parfois le sentiment qu’une convention qui ne revêt pas de caractère coutumier n’aurait pas de valeur. Le traité apparaît ainsi comme une source imparfaite du droit international.

De nombreuses normes contenues dans des traités relatifs au droit international humanitaire ont acquis une valeur coutumière. Certaines normes voient donc ainsi leur existence consacrée à la fois dans un traité et par le biais d’une coutume. La CIJ a eu l’occasion d’aborder cette question dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua ayant opposé le Nicaragua aux Etats-Unis. Elle considère qu’« on ne voit aucune raison de penser que, lorsque le droit international coutumier est constitué de règles identiques à celles du droit conventionnel, il se trouve « supplanté » par celui-ci au point de n’avoir plus d’existence

propre »512. En cas d’identité de contenu entre une norme coutumière et une norme

conventionnelle, « ces normes conservent une existence distincte »513. Cette jurisprudence

consacre donc pleinement l’autonomie des sources du droit international public. Une norme coutumière codifiée par une convention ne perd pas son caractère coutumier. C’est particulièrement le cas de l’interdiction du recours à la force qui, bien que codifiée par la Charte des Nations Unies, conserve une existence autonome. Selon la CIJ, une même norme peut faire l’objet d’une consécration dans différentes sources du droit international.

Devant les tribunaux pénaux internationaux, ce qui apparaissait comme un cas de figure exceptionnel est au contraire très fréquent. Les Tribunaux pénaux internationaux s’adonnent à un jeu de renvoi incessant entre la source coutumière et les conventions internationales. Les TPI, pour asseoir leurs raisonnements juridiques, préfèrent fonder leurs énoncés juridiques sur plusieurs sources internationales que sur une seule. En multipliant le recours aux sources pour renforcer la légitimité de leurs décisions, les juges créent parfois une certaine confusion dans

ce domaine, ce qui n’est pas sans danger514

. La diversité des sources utilisées par le juge pénal

512

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), 27/06/1986, fond, Recueil CIJ 1986, p. 95, § 177.

513 Ibid. § 178.

514 En 1992, dans son cours à l’Académie de droit international de La Haye, Prosper Weil qui observait la tendance envahissante de la coutume faisait part de son inquiétude : « Si l’évolution récente suscite des inquiétudes, ce n’est donc pas parce qu’elle accorderait trop d’importance au droit non écrit et réduirait la place du droit écrit. C’est parce qu’elle tend à brouiller de manière excessive les deux voies d’accès à la normativité et à priver la voie conventionnelle de sa spécificité (…) A partir du moment où une règle formellement conventionnelle est analysée comme étant aussi de nature coutumière, les traits propres à la norme

international est surtout destinée à masquer son pouvoir normatif grandissant. Plus il se réfère à des sources internationales, moins le juge semble susceptible de créer du droit. Or, c’est pourtant l’inverse qui se produit compte tenu de la diversité des instruments utilisés qui confère au juge une grande liberté.

Pour prouver l’existence d’une norme coutumière, il est fréquent que le juge pénal international se réfère à des conventions internationales. Cette attitude tout à fait classique vise à dégager les logiques animant les volontés étatiques. Si la majorité des Etats ratifie un traité interdisant un certain type d’armes, il est possible de déduire de l’existence et du contenu de la convention en question que les Etats considèrent la production et l’utilisation de cette arme comme illégales. Le droit conventionnel revêt une place de choix dans les outils permettant au juge pénal international de constater l’existence d’une règle coutumière. Le problème est que, dans la mesure où le droit conventionnel n’est utilisé que dans ce cadre, comme preuve d’une coutume, il perd peu à peu son existence propre. Le caractère obligatoire du droit conventionnel « simple » se trouve par conséquent indirectement amoindri dans l’esprit collectif.

Les TPI n’ont cessé d’affirmer le caractère coutumier de traités tels que les Conventions de Genève ou la Convention sur le génocide. Si formellement les règles qu’elles contiennent sont écrites, leur valeur coutumière se trouve substituée à leur valeur conventionnelle. Même si la CIJ affirme l’indépendance des sources du droit et la possibilité pour une norme d’être à la fois conventionnelle et coutumière, dans les faits, le droit conventionnel se trouve aspiré par la source coutumière. Selon Luigi Condorelli, la jurisprudence du TPIY permet de voir « le droit coutumier comme capable de voler au secours du droit conventionnel pour donner promptement à l’ordre juridique international ce qui lui manquait afin de permettre de criminaliser les violations graves du droit humanitaire applicables dans les conflits non

internationaux »515.

conventionnelle s’effacent derrière les caractéristiques de la voie coutumière. Attaquée par cette manœuvre enveloppante, la voie conventionnelle perd son autonomie au profit de la voie coutumière, laquelle lui impose

ses propres caractéristiques » p. 183. Prosper Weil parle même de « contamination de la convention par la coutume » p 184. WEIL (P.), « Le droit international en quête de son identité. Cours général de droit international public », RCADI 1992, IV, tome 237, p. 9-370.

515

CONDORELLI (L.), « La place de la coutume dans la justice pénale internationales au regard, en particulier, du TPIY et du TPIR », Droit international humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporains, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 199.

Le recours intensif à la source coutumière permet en effet de neutraliser les insuffisances des deux sources internationales principales dans la mesure où nous disposons à la fois d’un texte écrit qui permettra de déterminer aisément les obligations des Etats - ou plutôt des individus dans notre cas - et d’une large opposabilité. En tant que moyen de preuve privilégié de l’existence d’une coutume, la convention perd peu à peu son autonomie, une norme conventionnelle « simple » souffrant d’un faiblesse naturelle ; celle de n’être applicable qu’aux Etats parties.

Mis à part le fait de décrédibiliser la source conventionnelle, ce recours intensif à la coutume conduit à certaines dérives. L’utilisation par les TPI du Statut de la CPI donne en effet le sentiment qu’il n’existe plus de distinction entre le droit conventionnel et le droit coutumier. En dépit du fait que le Statut de la CPI ne fasse pas l’objet d’une acceptation universelle, les TPI lui confèrent une valeur importante lorsqu’il s’agit d’attester l’existence d’une règle coutumière. Le contenu du Statut de la CPI constitue en effet bien souvent l’argument phare permettant de clôturer un raisonnement.

L’ampleur des références au Statut de la CPI conduit inconsciemment à conférer une valeur tout à fait particulière à cet instrument. Utilisé tour à tour pour confirmer, valider ou invalider une solution, le Statut de la CPI est dorénavant incontournable. En agissant ainsi, c’est-à-dire en donnant à un instrument purement conventionnel, une portée quasiment coutumière, le juge pénal international brouille nécessairement la théorie des sources. Comment considérer en effet qu’un instrument faisant l’objet de tant de réticences puisse un jour acquérir cette force ? Un Statut rejeté par les Etats les plus puissants de la planète ne peut pas avoir acquis, à ce stade, de valeur coutumière. Le principe de l’effet relatif des traités et la nécessité de respecter la souveraineté étatique s’opposent à une telle idée ; il serait en effet trop simple d’imposer par la voie coutumière des obligations que les Etats ont refusé d’accepter conventionnellement. La source coutumière est donc instrumentalisée par le juge pénal international pour contourner le consentement des Etats. En ce sens, il fait une utilisation contestable de la théorie des sources. Conçue au départ pour préserver la souveraineté des Etats, elle se trouve dans ce contexte totalement dévoyée.

b) Sur les principes généraux de droit

L’autonomie des principes généraux de droit par rapport aux autres sources du droit international public et spécialement par rapport à la coutume a été largement mise en doute par la doctrine : ces principes se confondraient donc avec la coutume et ils n’auraient pas d’existence autonome. Un principe général, une fois établi aurait ainsi vocation à acquérir le statut de droit coutumier.

Dans le contexte pénal international, c’est plutôt l’inverse qui semble se produire. En effet, lorsque les juridictions pénales internationales constatent l’existence de certaines normes qu’elles qualifient de coutumières, il semble en réalité, qu’il s’agisse de principes généraux de droit, c’est-à-dire de règles communes aux divers systèmes juridiques.

Dans l’affaire Rajic, la Chambre de première instance du TPIY assimile d’ailleurs droit coutumier et principes généraux du droit en constatant que : « In its Brief and Second Supplement, the Prosecution has not proven that these elements are aggravating

circumstances pursuant to customary international law or general principles of law »516. Le

Procureur soutenait en effet que le fait d’avoir fui la justice aggravait la peine encourue. Nous doutons de la vocation du droit international public à réglementer de telles questions. En assimilant coutume et principes généraux, la Chambre reconnaît d’ailleurs implicitement le caractère inapproprié de la coutume dans ce domaine.

La manière dont le droit international général se trouve défini dans le document destiné à aider la CPI à interpréter certaines dispositions de son Statut (les éléments des crimes) est tout à fait particulière et révèle à bien des égards une certaine confusion : « (l)es crimes contre l’humanité (…) supposent une conduite inadmissible au regard du droit international général

applicable tel qu’il est reconnu par les principaux systèmes juridiques du monde »517

. La coutume internationale est ici clairement assimilée aux principes généraux de droit.

Le TPIR adopte une attitude similaire comme en témoigne ce court extrait du jugement Akayesu : « Il est clair aujourd'hui que l'article 3 commun a acquis le statut de règle du droit

coutumier en ce sens que la plupart des Etats répriment dans leur code pénal des actes qui,

516

Affaire Rajic, Chambre de première instance I, jugement relatif à la sentence, 6/05/2006, § 132. 517 Éléments des crimes, p. 8.

s'ils étaient commis à l'occasion d'un conflit armé interne, constitueraient des violations de

l'article 3 commun »518.

Pour apprécier si la contrainte peut-être une condition exonératoire de responsabilité, la Chambre de première instance du TPIY affirme se référer « à des principes généraux du droit

traduits dans de nombreuses législations et jurisprudences internes »519. Cette attitude nous

semble plus conforme à la réalité. Le droit puisé exclusivement dans les jurisprudences internes n’est pas du droit coutumier. Si formellement les juges pénaux internationaux affirment appliquer du droit coutumier, ils appliquent en réalité des principes généraux de droit, c’est-à-dire des principes communs aux divers systèmes juridiques.

Le juge pénal international procède donc parfois à une analyse plus juste et consacre l’existence de règles issues de pratiques internes sans recourir à la coutume. Nous pouvons notamment prendre l’exemple du viol qui constitue en vertu de l’article 5 du Statut du TPIY, un crime contre l’humanité mais qui ne fait pas l’objet d’une définition en droit international.

Ecartant rapidement tout recours au droit international520, la Chambre de première instance se

tourne dans l’affaire Furundzija, vers les principes du droit pénal communs aux grands systèmes juridiques. Ces principes émanent donc du droit interne.

Cette idée se trouve confirmée dans l’affaire Kunurac : « (l)e recours aux principes généraux du droit, communs aux principaux systèmes juridiques du monde, permet, en l’absence de règles de droit international conventionnel ou coutumier sur la question, de dégager les règles internationales pour déterminer les circonstances dans lesquelles les actes de pénétration

sexuelle définis ci-dessus constituent un viol »521. Les principes communs aux différents

systèmes juridiques sont donc clairement considérés comme des sources du droit international. En effet, ils sont «révélateurs d’une certaine tendance internationale sur un point de droit, dont on peut considérer qu’elle fournit une bonne indication de l’état du droit

international en la matière »522. En dépit de leur caractère purement interne, ces principes

pourraient donc acquérir le statut de droit international.

518 Affaire Akayesu, Chambre de première instance I, jugement 2/09/1998, § 608. Passage souligné par nous. 519 Affaire Erdemovic, Chambre de première instance, 29/11/1996, § 19.

520 « La présente Chambre de première instance fait observer qu’aucun autre élément que ceux mis en évidence ne peut être tiré du droit international conventionnel ou coutumier, de même que ne sont d’aucun secours les principes généraux du droit pénal international ou ceux du droit international » in Affaire Furundzija, Chambre de première instance, 10/12/1998, § 177.

521

Affaire Kunurac, Chambre de première instance, 22/02/2001, § 439. 522 Ibid.

Le droit international public en tant que droit régissant les relations entre Etats, ne se compose pas ou très peu de règles issues des ordres juridiques internes. Les principes généraux de droit ne font pas partie des sources majeures du droit international public ; ils ne jouent qu’un rôle très résiduel dans cet ordre juridique. Un droit qui émanerait donc presque exclusivement de la concordance des droits nationaux ne pourrait donc pas être considéré comme du droit international public.

Le juge pénal international en cherchant à conférer une valeur coutumière à chaque convention internationale et en qualifiant de coutume ce qui constitue selon toute vraisemblance un principe général du droit orchestre une vaste confusion des sources internationales. Cette confusion, loin de desservir le juge pénal international, lui confère au contraire une importante marge de liberté.