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APPLICATION VARIABLE DU DROIT DE LA RESPONSABILITE ETATIQUE

SECTION I : LE JUGE APPLIQUE CERTAINES RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

B. APPLICATION VARIABLE DU DROIT DE LA RESPONSABILITE ETATIQUE

S’il se réfère au droit de la responsabilité étatique dans l’affaire Tadic, le TPIY s’écarte néanmoins de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice sur la question. Le TPIR ne semble quant à lui pas réellement enclin à appliquer des notions de droit international général.

a) Modification du critère d’imputabilité établi par la CIJ

C’est à l’occasion de l’affaire Tadic que le TPIY a fait une autre application remarquée d’un autre concept du droit international public : celui de la responsabilité internationale. Afin d’identifier les règles pertinentes du droit international humanitaire applicables aux victimes des serbes de Bosnie, le TPIY a dû déterminer la nature du conflit armé qui a secoué la région. Ce conflit était-il interne ou international ?

Les actes pour lesquels Dusko Tadic était inculpé se sont déroulés lors du conflit en République de Bosnie-Herzégovine. Les victimes dans les camps d’Omarska, de Keraterm et

de Trnopolje étaient au pouvoir des forces armées et des autorités de la Republika Srpska (la

République des serbes de Bosnie), mais pouvait-on considérer qu’elles étaient des personnes protégées au sens de la Convention de Genève ? Pour se faire, il faudrait que les forces

armées de la RepublikaSrpska soient considérées comme des organes ou des agents de facto

du Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie (RFY).

Selon le TPIY, « (l)a qualité de "personnes protégées" de ces victimes dépend de la date à laquelle elles sont tombées au pouvoir des forces occupantes. Le moment exact auquel une

personne ou une région tombe au pouvoir d’une partie à un conflit dépend du fait que cette

partie exerce un contrôle effectif sur un territoire »244.

Un problème de droit international pur devait donc être tranché par le TPIY : la RFY pouvait-elle se voir imputer les actes des serbes de Bosnie ?

En droit international public, les Etats ne sont pas responsables du fait des particuliers, sauf si ces derniers bénéficient du statut d’organe de l’Etat. Le TPIY remarque pourtant qu’ « en droit international coutumier, les actes des personnes, groupes ou organisations peuvent être

imputés à un État lorsqu’ils agissent en tant qu’organes ou agents de facto de cet État »245.Le

TPIY se trouve donc face à un « problème particulier de l’application des principes généraux

du droit international relatifs à la responsabilité de l’État pour des organes ou agents de facto

aux circonstances spécifiques de forces rebelles menant un combat en apparence interne contre le gouvernement reconnu d’un État, mais dépendant du soutien d’une puissance

étrangère dans la continuation de ce conflit »246.

Consciente du caractère général de la question posée, la Chambre de première instance du TPIY se réfère immédiatement à l’arrêt des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci rendu par la Cour internationale de justice en 1986 relatif à la responsabilité de l’Etat. Ne pouvant retenir en vertu du critère développé dans cet arrêt l’imputabilité des

actes des forces armées de la RepublikaSrpska à la RFY, la Chambre acquitte l’accusé des

charges pesant contre lui au titre de l’article 2 du Statut du TPIY.

En appel, le Procureur conteste la validité de ce raisonnement et invite la Chambre d’appel à ne pas baser son raisonnement uniquement sur l’affaire Nicaragua. La Chambre d’appel du TPIY va donc procéder à une analyse détaillée et approfondie des critères d’imputabilité de la responsabilité internationale et en dernier lieu, refuser d’appliquer le critère établi par la CIJ. Il est tout à fait intéressant de noter que sur ce point de droit international public « pur », la Chambre d’appel n’a pas hésité à invalider le raisonnement de la Chambre de première instance. En effet, selon la Chambre d’appel, « (i)n the case at issue, given that the Bosnian Serb armed forces constituted a "military organization", the control of the FRY authorities

244 Affaire Tadic, 1ère instance, 7 mai 1997, § 580. 245

Ibid. § 584. 246 Ibid. § 585.

over these armed forces required by international law for considering the armed conflict to be

international was overall control going beyond the mere financing and equipping of such

forces and involving also participation in the planning and supervision of military operations. By contrast, international rules do not require that such control should extend to the issuance of specific orders or instructions relating to single military actions, whether or not such

actions were contrary to international humanitarian law »247.

Non seulement le juge pénal international applique des règles considérées comme des règles de droit international « pur » mais lorsqu’il le fait, il n’hésite pas à s’écarter des solutions élaborées par la CIJ. Le juge pénal international affirme par conséquent sa capacité et sa légitimité à appliquer des règles de droit international général. Tout en recourant à des concepts propres au droit international général, le TPIY affirme sa capacité à raisonner en dehors des prescriptions de la CIJ.

Dans l’affaire Nikolic248

, la Chambre de première instance utilise le projet d’articles de la Commission du droit international sur la question de la « Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite » pour déterminer si l’enlèvement par des personnes privées de l’accusé Nikolic pouvait être imputable à la SFOR qui l’a ensuite transféré au TPIY. Même si la Chambre reconnaît expressément que l’application de cet instrument à une force multinationale n’est pas tout à fait pertinente, il est intéressant de noter que le TPIY cherche à se référer au droit de la responsabilité étatique et donc au droit international public pour trancher cette question.

Le TPIY agit donc de manière quelque peu contradictoire : lorsqu’une question d’imputation des actes d’entités paramilitaires à un Etat se pose, il modifie le critère dégagé par la CIJ mais lorsque a priori, aucune règle internationale ne le lie dans l’hypothèse de la SFOR, il décide de recourir à un document formalisant des règles coutumières internationales.

En tout état de cause, même lorsque le TPIY décide de ne pas appliquer le critère dégagé par la CIJ, il ne s’écarte pas du droit international public mais de la lecture qu’en donne l’organe

247 Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, § 145. 248

Affaire Nikolic, Décision relative à l’exception d’incompétence du tribunal soulevée par la défense, Chambre de première instance II, 9/10/2002, § 60.

judiciaire principal des Nations Unies. Dans les deux cas, la volonté de se référer au droit international public est finalement évidente, ce qui n’est pas forcément le cas du TPIR.

b) Attitude différenciée du TPIR

En ce qui concerne l’application des règles générales du droit international public, nous pouvons constater certaines différences entre le TPIY et le TPIR. Alors que le TPIY met fréquemment en œuvre des règles internationales à caractère général, le TPIR semble moins actif dans cette démarche, comme s’il cherchait avant tout à se concentrer sur son activité pénale. Les jugements et arrêts du TPIY paraissent en effet souvent plus empreints de références au droit international que ceux du TPIR. Ces derniers présentent en effet un aspect plus technique.

C’est sans doute le caractère interne du conflit rwandais qui explique que le TPIR recoure moins que le TPIY aux notions fondamentales du droit international public. En effet, le génocide qui a provoqué la création du TPIR s’est exclusivement déroulé sur le territoire rwandais, sans que le pays ne connaisse de phénomène de dislocation. Malgré l’existence de deux communautés fortement clivées au Rwanda Ŕ les hutus et les tutsis Ŕ aucune tentative de sécession n’a été entreprise et les frontières de l’Etat rwandais sont demeurées stables tout au long de la période de trouble. De plus, ce sont les autorités rwandaises elles-mêmes qui ont sollicité la création d’un tribunal pénal international pour réprimer les auteurs du génocide. Le caractère volontaire de cette démarche a donc naturellement limité les contestations basées sur une violation de la souveraineté étatique rwandaise. La stabilité des institutions rwandaises ainsi que leur volonté d’accueillir un tribunal international ont donc contribué à désamorcer les questions internationales d’ordre général qui se sont posées lors de la création du TPIY. Contrairement à l’article 1 du Statut du TPIY qui donne compétence au Tribunal pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, l’article premier du Statut du TPIR habilite le Tribunal à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

La compétence du TPIR est plus réduite que celle du TPIY et limite donc l’apparition de questions liées au respect de la souveraineté étatique ou à la mise en jeu de la responsabilité

internationale d’un Etat. Tout d’abord, la compétence ratione temporis du TPIR est

extrêmement succincte Ŕ une année - par rapport à celle du TPIY, totalement ouverte à partir

de 1991249. De plus, le Statut du TPIR limite la poursuite des auteurs de violations graves du

droit international humanitaire hors des frontières rwandaises, aux seuls ressortissants de nationalité rwandaise, désamorçant ainsi de manière anticipée toute exception d’incompétence

du Tribunal. A contrario, aucune limitation liée à la nationalité des responsables ne figure

dans le Statut du TPIY. Sans réelle dimension internationale, le conflit rwandais ne se prêtait donc pas à des développements sur les fonctions et les concepts essentiels du droit international.

Le TPIR s’avère par conséquent moins disposé que le TPIY à ancrer son raisonnement dans le droit international public. Pour l’heure, il est encore trop tôt pour dresser un bilan de la pratique de la CPI dans ce domaine. Le caractère extrêmement ouvert de sa compétence pourrait favoriser à première vue les questionnements relatifs au droit international public « pur ». Pourtant, comme nous le verrons plus avant, la Cour pénale internationale se distinguera sur ce point des juridictions qui l’ont précédée en se focalisant avant tout sur sa dominante pénale. Dans la mesure où la Cour pénale internationale est susceptible de juger des individus liés à de très nombreux conflits armés internes et internationaux, elle se transformerait en juge mondial si elle se prononçait sur des questions liées à la souveraineté des Etats impliqués dans ces conflits. Or, tel n’est absolument pas l’objectif poursuivi par les créateurs de la CPI qui ont exclusivement souhaité mettre en place une juridiction de nature pénale. Pour préserver sa crédibilité mais également pour que les Etats coopèrent avec elle dans la poursuite des criminels, la CPI se doit de rester en retrait sur les questions de droit international général qui pourraient surgir lors de la poursuite d’un individu.

Même si seul le TPIY applique des règles générales du droit international public, les juridictions pénales internationales dans leur ensemble appliquent les règles issues du droit des conflits armés.

249

C’est l’absence de limite temporelle dans le Statut du TPIY qui a permis au Tribunal de poursuivre certains individus pour des faits liés à la guerre du Kosovo.

§ 2. Le droit international humanitaire

En appliquant le droit international humanitaire, le juge pénal international, et tout particulièrement le TPIY, affirme sa capacité à interpréter et à appliquer le droit international (A). La répression des violations du droit international humanitaire inscrit ainsi le juge pénal international dans l’ordre juridique international (B).

A. IMPORTANCE DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE DANS LA MISSION