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RÉPRESSION DES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

SECTION I : LE JUGE APPLIQUE CERTAINES RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

B. RÉPRESSION DES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

N’adhérant pas réellement à l’inclusion de la prohibition du génocide et du crime contre l’humanité dans le domaine du droit international humanitaire, nous focaliserons notre attention sur la mise en œuvre concrète par le juge pénal international du droit international humanitaire au sens strict. Après avoir déterminé les conditions générales d’application du droit international humanitaire, les juridictions pénales internationales procèdent à la répression concrète de ses violations.

a) Conditions générales d’application du droit international humanitaire

Compte tenu de leur mission, les juridictions pénales internationales font une application importante des règles du droit international humanitaire. Le juge pénal international, qui doit se prononcer sur la culpabilité d’individus, explore de manière conséquente les règles du droit des conflits armés. En effet, que ce soit devant le TPIY ou devant le TPIR, les crimes commis ont été commis alors qu’un conflit armé se déroulait.

Pour déterminer si un individu est responsable d’un crime de guerre, le juge doit, au préalable, déterminer s’il existait bien un conflit armé au moment des faits qui lui sont reprochés et si son acte s’inscrivait dans ce contexte. Il serait en effet inconcevable de raisonner en termes de violation du droit international humanitaire si l’acte en question relevait de motifs purement personnels. Le juge doit également se prononcer sur la nature interne ou internationale du conflit armé afin de déterminer avec exactitude la portée des règles applicables.

Les juridictions pénales internationales doivent donc déterminer le champ d’application du droit international humanitaire. La jurisprudence des TPI fournit diverses indications à ce sujet. En effet, « le champ temporel et géographique des conflits armés internationaux et

internes s'étend au-delà de la date et du lieu exacts des hostilités »276. De plus, « (l)es Conventions de Genève restent silencieuses sur le champ géographique des "conflits armés" internationaux mais les dispositions suggèrent qu'au moins certaines des clauses desdites Conventions s'appliquent à l'ensemble du territoire des Parties au conflit et pas simplement au

voisinage des hostilités effectives » 277. La Chambre d’appel du TPIY estime « qu'un conflit

armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre Etats ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels

groupes au sein d'un Etat »278.

Le juge pénal international en répondant à la question de savoir si un conflit armé s’est déroulé en Ex-Yougoslavie à partir de 1991 procède à une véritable analyse et à une application du droit international public. Il procède également à une qualification de la nature du conflit : « Les conflits dans l'ex-Yougoslavie revêtent les caractères de conflits à la fois internes et internationaux, que les Membres du Conseil de sécurité avaient clairement les deux aspects à l'esprit quand ils ont adopté le Statut du Tribunal international et qu'ils avaient l'intention de l'habiliter à juger des violations du droit humanitaire commises dans les deux contextes »279.

Le TPIY s’est également prononcé sur une notion bien connue du droit international public : celle de l’occupation. Dans l’affaire Naletilic, la Chambre de première instance estime « qu’il existe une différence fondamentale entre établir l’existence d’un état d’occupation et prouver celle d’un conflit armé international, auquel le critère du contrôle global est applicable. Un degré supplémentaire de contrôle est requis pour établir l’occupation, qui se définit comme la période de transition entre l’invasion et la conclusion d’un accord sur la cessation des hostilités. En raison de cette différence, les obligations d’une puissance occupante sont bien

plus lourdes que celles d’une partie à un conflit armé international »280

.

Le TPIY se prononce donc sur des questions tout à fait centrales du droit des relations entre Etats. Le TPIY développe en effet des critères permettant de déterminer si l’autorité de la

276 Affaire Tadic, Chambre d’appel, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2/10/1995, § 67.

277Ibid. § 68.

278 Ibid. § 70. 279

Ibid. § 77.

puissance occupante est établie dans les faits281 : la puissance occupante est-elle en mesure de substituer sa propre autorité à celle de la puissance occupée qui est désormais incapable de fonctionner publiquement ? Les forces ennemies se sont-elles rendues, ont-elles été vaincues ou se sont-elles retirées ? La puissance occupante dispose-t-elle sur place de suffisamment de forces pour imposer son autorité ? Une administration provisoire a-t-elle été établie sur le territoire ? La puissance occupante t-elle donné des ordres à la population civile et si oui, a-t-elle pu les faire exécuter ? Ces critères ont pour but de constater l’existence d’un état d’occupation qui constitue une question de droit international public pur.

Le soin avec lequel le juge pénal international détermine le champ d’application du droit international humanitaire prouve bien le caractère limité de ce corps de droit qui ne peut pas s’appliquer à tous et en tous lieux. L’appellation droit international humanitaire ne devrait donc pas inclure la prohibition du génocide et du crime contre l’humanité.

Après avoir déterminé le champ d’application du droit international humanitaire, le TPIY vérifie le respect, par les accusés, des lois et coutumes de la guerre.

b) Mise en œuvre de la responsabilité pour violation du droit international humanitaire

Les Tribunaux pénaux internationaux mettent fréquemment en œuvre la responsabilité d’individus qui se sont rendus responsables de violations du droit international humanitaire. Comme nous l’avons constaté précédemment, le droit international humanitaire se compose de deux grandes séries de textes qui visent d’une part, à limiter les moyens de recourir à la force armée et d’autre part, à protéger les victimes de la guerre.

C’est encore une fois le TPIY qui s’est le plus attaché à réprimer les violations des lois et coutumes de la guerre. L’article 3 du Statut relatif aux violations des lois et coutumes de la guerre a d’ailleurs été interprété par le Tribunal comme une clause supplétive, permettant ainsi de sanctionner les violations du droit international humanitaire qui n’étaient pas mentionnées dans le Statut.

Des circonstances de fait expliquent également que le TPIR aient moins sanctionné les violations du droit international humanitaire. Si l’existence d’un conflit armé qu’il soit international ou interne n’a jamais fait de doute au sujet de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991, tel n’est pas le cas au Rwanda. Il semble que ce soit bien davantage la politique génocidaire menée par les hutus à l’encontre de la communauté tutsie qui a justifié la création du TPIR, et non le conflit armé larvé qui existait et continue à exister. En revanche, comme le constatait William Bourdon dans la presse, c’est la vision des camps de prisonniers et l’indignation qu’elle a soulevé qui a justifié la création du TPIY. Comme la communauté internationale a crée le TPIY en réaction aux excès commis dans les conflits liés à la dislocation de l’ex-Yougoslavie, il est tout à fait logique que ce Tribunal se concentre en premier lieu sur les comportements criminels associés à ce phénomène international.

Le TPIY qui ne s’interroge pas sur la légalité du recours à la force contrôle en revanche la manière dont les parties au conflit font usage de la force. En effet, le droit international humanitaire limite les moyens de recourir à la force armée. Dans l’affaire Kupreskic, lorsque la Défense laisse entendre que les attaques dirigées contre la population musulmane de la vallée de la Lašva étaient en quelque sorte justifiables car les Musulmans se seraient livrés à des attaques similaires contre la population croate, la Chambre de première instance n’hésite pas à prendre position sur une question relevant du droit des conflits armés : « La Chambre de première instance tient à souligner à cet égard que la réciprocité n’est pas une excuse pertinente, s’agissant surtout d’obligations de droit international humanitaire, qui sont par

nature absolues et auxquelles on ne saurait déroger. Il s’ensuit que le moyen de défense du tu

quoque n’a pas sa place en droit international humanitaire contemporain, puisque celui-ci se caractérise au contraire par l’obligation de respecter ses grands principes, quelle que soit la

conduite des combattants ennemis »282.

Dans l’affaire Galic, le TPIY a été appelé à se prononcer sur la manière dont Sarajevo a été bombardée. Le TPIY reconnaît alors l’accusé coupable de violations des lois ou coutumes de la guerre et plus particulièrement d’actes de violence dont le but principal était de répandre la terreur parmi la population civile, prohibition inscrite à l’article 51 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 et sanctionnée par l’article 3 du Statut du TPIY. Des responsables militaires sont donc condamnés en raison de la manière dont ils ont mené

certaines attaques. Dans cette affaire, le TPIY reconnaît explicitement que « la population civile de Sarajevo a été en butte à des attaques tombant sous le coup de l’article 3 du Statut »283.

Dans l’affaire Krstic, le TPIY a pu se prononcer sur la possibilité offerte à une partie au conflit, par la quatrième Convention de Genève et par l’article 17 du Protocole additionnel II, d’évacuer les populations civiles. La Défense invoquait ces dispositions pour justifier le déplacement de la population musulmane de l’enclave. Selon les dispositions du droit de Genève, il est possible d’évacuer totalement ou partiellement une population pour des raisons de sécurité ou encore si d’impérieuses raisons militaires l’exigent. A la cessation des hostilités, la population doit être ramenée dans ses foyers. Le TPIY constate que dans cette affaire ces conditions n’étaient pas satisfaites. En effet, lorsque la population de Srebrenica a été évacuée de la ville en autocar, les combats qui auraient éventuellement permis de justifier l’évacuation avaient déjà cessé. La population musulmane de l’enclave n’a pas été évacuée pour assurer sa sécurité mais bien au contraire pour permettre aux unités en place de perpétrer un massacre. Comme le constate le TPIY, « (l)’évacuation était le but même de l’opération,

qui ne se justifiait ni par la protection des civils ni par des impératifs militaires »284.

Dans l’affaire Tadic, le TPIY a considérablement élargi les règles applicables aux conflits armés internes en les calquant sur les règles applicables aux conflits armés internationaux. Hervé Ascensio et Alain Pellet soulignent les développements du TPIY dans l’affaire Tadic car ils « constituent un apport remarquable à l’étude et à l’élaboration du droit international humanitaire des conflits armés internes (…) (c)eci concerne également les règles régissant la conduite des hostilités : les principales règles applicables aux conflits armés internationaux

sont étendues aux conflits internes »285.

Le TPIY s’est également attaché à sanctionner le non respect des règles applicables au

traitement des prisonniers de guerre. Dans l’affaire Sikira286

, le TPIY étudie de manière approfondie les conditions de détention des prisonniers dans le camp de Keraterm situé dans le nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine durant l’été 1992. La Chambre de première instance

283

Affaire Galic, jugement et opinion, Chambre de première instance I, 5/12/2003, § 596. 284 Affaire Krstic, Chambre de première instance, 2/08/2001, §

285 ASCENSIO (H.), PELLET (A.), « L’activité du Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie (1993-1995) », AFDI 1995, p. 131- 132.

constate que le camp était surpeuplé et que les prisonniers étaient souvent maltraités. La pièce 1 du camp qui mesurait 6 à 10 mètres de large sur 15 à 20 mètres de long accueillait entre 200 et 350 prisonniers. Les autres pièces du camp de détention présentaient le même niveau de surpeuplement. Les prisonniers ne disposaient d’aucun matériel de couchage et l’accès aux toilettes n’était pas assuré, contraignant les prisonniers à recourir à des tonneaux placés dans leur pièce de détention. Ils n’étaient pas autorisés à se laver ni à laver leurs vêtements. Les prisonniers ne disposaient pas de nourriture en quantité suffisante ; ils recevaient au maximum un repas par jour composé d’une soupe peu nutritive et éventuellement d’une petite quantité de pain. Les prisonniers ont en moyenne perdu une vingtaine de kilos et l’absence d’accès satisfaisant à l’eau potable a provoqué de nombreuses maladies. Les prisonniers se voyaient également refuser l’accès aux soins médicaux. A ces conditions de vie déplorables, il faut également ajouter que les prisonniers étaient par ailleurs victimes de sévices et de mauvais traitements.

Dans cette affaire, les coaccusés ont conclu un accord sur le plaidoyer avec l’Accusation empêchant ainsi le TPIY de qualifier les conditions de vie des prisonniers au regard de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre. Pourtant, l’analyse des conditions de détention au camp de Keraterm s’effectue incontestablement au regard de cet instrument juridique. En s’attachant à décrire précisément les conditions de détention dans le camp de Keraterm, le TPIY affiche sa volonté de sanctionner les violations du droit international humanitaire.

En appliquant les règles du droit international public qu’elles soient générales ou plus

particulières, les tribunaux ad hoc affirment clairement leur volonté d’inscrire leur mission

dans l’ordre juridique international. Ils y parviennent également de manière plus subtile, en utilisant des techniques et des concepts propres au droit international public.

SECTION II : LE JUGE APPLIQUE LES MÉTHODES ET LES CONCEPTS DU DROIT