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SECTION I : SUREXPOSITION ARTIFICIELLE DE LA SOURCE COUTUMIÈRE

B. BENEFICES TIRÉS PAR LE JUGE

Le juge pénal international, en surexposant la source coutumière se dote indirectement de prérogatives importantes. Il tire en effet d’importants bénéfices de cette double expansion du champ d’application de la coutume. En étendant au maximum le champ d’application du droit coutumier, le juge pénal international augmente de manière considérable les pouvoirs qu’il détient.

Comme le constate Serge Sur, « l’interprétation ne peut se cantonner à l’application : interpréter une règle coutumière se rapproche davantage de la formation de cette règle que de

son application »523. Affirmer interpréter une norme coutumière, c’est donc davantage créer

une règle qu’en faire application. Le rôle de l’interprète croît lorsque la réglementation est

faible524, ce qui était jusque récemment le cas du droit pénal international. L’interprétation

conditionne l’apparition du droit coutumier « dans la mesure où elle résulte d’un ensemble d’actes unilatéraux tirant leur validité d’une hypothétique règle coutumière que leur comparaison permet de dégager et de délimiter ». L’interprétation « permet l’existence de la

523 SUR (S.), L’interprétation en droit international public, Bibliothèque de droit international, Paris, 1974, p. 78-79.

règle, constatant la réunion des éléments constitutifs »525. Lorsqu’il constate les éléments constitutifs de la coutume « l’interprète dispose d’un large pouvoir discrétionnaire, d’une grande liberté d’interprétation qui lui permet de retenir d’une pratique souvent équivoque les

éléments décisifs »526.

La mise en évidence de la règle de droit est différente selon qu’il s’agisse d’une norme conventionnelle ou au contraire d’une norme coutumière. Cette dernière est par définition non

écrite, ce qui lui retire toute visibilité ; elle doit donc être « découverte » par le juge527. Dans

le cas des normes coutumières, interprétation et formation de la règle sont par conséquent intimement liées.

Confronté à une norme coutumière, le juge pénal international n’exerce pas nécessairement une activité plus normative que le juge international classique. Il est inhérent à la fonction judiciaire de créer du droit. En revanche, en décrétant que l’ensemble des normes qu’il applique fait partie du droit coutumier, il décuple les occasions qui lui sont données d’exercer

une activité normative528. Il étend ainsi de manière indéniable les pouvoirs qui sont les siens.

Le juge pénal international ne raisonne pas réellement différemment du juge international classique car ce dernier peut aussi faire œuvre créatrice. En revanche, ce que le juge international faisait de manière tout à fait exceptionnelle, est aujourd’hui effectué de manière quotidienne par le juge pénal international. En décrétant, sur invitation du Secrétaire Général des Nations Unies, que le droit pénal international était majoritairement d’origine coutumière, le juge pénal international a décuplé les occasions qui lui étaient offertes de créer du droit.

En faisant empiéter la coutume sur les autres sources internationales et en lui faisant régir des comportements humains de manière très précise, le juge pénal international devient un point de passage obligé de très nombreuses règles. Il façonne ainsi l’ensemble des règles qui transitent par lui. Le juge agit comme un aimant sur les différentes règles applicables au procès pénal international. Tous les comportements font l’objet d’interdictions établies par une coutume et toutes les sources internationales dont il a besoin sont également coutumières.

525Ibid. p. 189.

526Ibid.

527

BARTHE (C.), La mise en évidence de la règle de droit par le juge international, Essai sur la fonction heuristique, Thèse de doctorat, Toulouse, 2001, p. 13.

528 En effet, la CIJ « est assez rarement amenée à rappeler l’existence d’une norme coutumière » (in DECAUX (E.), « La coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit », Droit international humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporains, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 224).

Comme c’est le juge qui « révèle » la coutume, il maîtrise totalement le processus de création de ces normes.

Ce processus dont le juge retire un avantage évident est pourtant contestable et ce, à plusieurs niveaux. D’une part, le pouvoir normatif exercé par le juge l’est au détriment total du respect de la théorie des sources et d’autre part, l’hégémonie de la source coutumière conduit à des solutions peu satisfaisantes.

Le juge pénal international en distendant la théorie des sources exerce en réalité un pouvoir normatif. En effet, le juge qui ne respecte pas cette théorie protectrice du consentement de l’Etat nie les modalités de l’engagement étatique en droit international et exerce donc nécessairement un pouvoir normatif. Les sources internationales sont utilisées par le juge pénal international pour mieux masquer son propre pouvoir normatif. Le juge pénal international en affirmant utiliser les sources du droit international public dissimule en réalité son propre pouvoir normatif.

De plus la source coutumière semble parfois envahir des domaines dans lesquels le droit n’a pas lieu d’être. Dans un ouvrage relatif au CICR, François Bugnion se pose la question suivante : « Le Comité international est-il titulaire de compétences ou d’obligations qui ont leur fondement dans le droit coutumier et qui, par conséquent, s’imposent aux sujets de

l’ordre juridique international indépendamment de tout engagement conventionnel ? »529

. Face à l’ampleur des tâches opérationnelles assumées par l’institution suisse, l’auteur conclut qu’elle est investie de droits et d’obligations de nature coutumière. La démarche qui consiste à considérer l’attribution de compétences opérationnelles à une organisation non gouvernementale comme une norme coutumière paraît excessive et dénuée d’intérêt. La coutume, le droit international et le droit en général ne sont pas aptes à régir l’ensemble des aspects de la vie internationale.

On relève chez d’autres grands juristes une certaine confusion. Mario Bettati constate en effet que : « (l)a coutume consistant à lutter contre l’impunité est le fruit lent et progressif d’une

529 BUGNION (F.), Le Comité international de la Croix-Rouge et la protection des victimes de la guerre, Comité international de la Croix-Rouge, Genève, 1994, p. 392.

double mobilisation »530. Dans ce contexte, plutôt que de parler de « coutume », il serait plus juste de parler d’une tendance à la lutte contre l’impunité. La généralisation de l’emploi du terme de coutume relève donc souvent d’un abus de langage. En ayant cherché à voir des manifestations coutumières partout, le juge pénal international a totalement dévoyé la notion de coutume internationale et lui a fait perdre sa valeur juridique.

La coutume internationale plus que n’importe quelle autre source, est donc soumise à des tensions et à des convoitises incessantes. La doctrine, les Etats mais surtout les juges instrumentalisent cette source du droit. La coutume n’apparaît plus comme une source parmi d’autres du droit international. La source coutumière est perçue comme providentielle par le juge pénal international pour imposer des obligations à la fois aux Etats et aux individus.

La surexposition de la source coutumière permet au juge pénal international de se doter d’une place centrale dans l’interprétation et donc dans la création de la norme pénale internationale. A travers quelques exemples, nous verrons que le juge pénal international élabore des solutions qui diffèrent des prescriptions du droit international public et que les Etats ont tenté de remédier à ce phénomène.

SECTION II : CREATION DE NORMES NE RELEVANT PAS DU DROIT