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UTILISATION D’UNE LARGE VARIÉTÉ D’INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

SECTION II : DENSITÉ DES INSTRUMENTS À DISPOSITION DU JUGE PÉNAL INTERNATIONAL

A. UTILISATION D’UNE LARGE VARIÉTÉ D’INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

Les juridictions pénales internationales recourent à des instruments très variés pour juger les individus qu’elles voient comparaître. Dans l’affaire Krstic, la Chambre de première instance

pour interpréter l’article 4 du Statut utilise de nombreux instruments internationaux428

. La Chambre affirme en premier lieu s’appuyer sur les travaux de codification effectués dans le cadre d’instances internationales. Elle cite ensuite évidemment la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 dont les dispositions sont reprises textuellement à l’article 4 du Statut. La Chambre explique ensuite avoir pris en compte la jurisprudence internationale relative au génocide et notamment celle du TPIR ainsi qu’au rapport de la Commission du droit international sur le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Les travaux d’autres comités internationaux, comme les rapports de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l’ONU sont aussi cités par la Chambre. Toujours pour interpréter l’article 4 de son Statut, la Chambre a également utilisé la version définitive du projet d’éléments des crimes rédigé par la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale en juillet 2000.

Le TPIY déclare enfin s’inspirer de la législation et de la pratique des États et notamment des interprétations et décisions judiciaires.

Pour interpréter l’article 4 de son Statut, le TPIY utilise donc de nombreux instruments qu’ils soient d’ailleurs internationaux ou même internes. À la lecture de cette énumération, la volonté des juges de fixer leur raisonnement dans le droit international public paraît évidente : en multipliant les références aux sources internationales, le juge pénal international cherche à ancrer son raisonnement au droit international public. Pourtant, à bien y réfléchir, tous les instruments cités n’ont pas de valeur obligatoire.

Au rang des sources incontestées du droit international public, nous trouvons une référence à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. On trouve également des références à des sources « imparfaites » du droit international public, c’est-à-dire des instruments qui n’ont jamais atteint le stade de traité ou d’autre source du droit international. C’est le cas notamment du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité qui n’a jamais été adopté. Le TPIY se réfère également à des normes en devenir qui constituent des actes unilatéraux d’organisation internationale : tel est le cas du projet d’éléments des crimes rédigé par la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale. En effet, si le Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale constitue indéniablement un traité international, tel n’est pas le cas du document destiné à aider la Cour

à interpréter les dispositions du Statut relatives aux crimes relevant de sa compétence429.

Nonobstant sa qualité d’organe judiciaire, la Cour pénale internationale constitue bien en effet une organisation internationale interétatique susceptible de se doter d’instruments juridiques. La Chambre de première instance affirme en outre utiliser des sources de nature interne c’est-à-dire des textes législatifs ou des décisions judiciaires. Grâce à une telle démarche, il pourra ainsi dégager des principes généraux de droit.

Dans cet extrait, le Tribunal évoque également la pertinence de certains instruments internationaux comme par exemple, les rapports de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités rattachée à la Commission des

429 Ce document, adopté en vertu de l’article 9 du Statut de Rome à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée des Etats parties, ne nécessite ni la tenue d’une nouvelle conférence diplomatique, ni la ratification de l’ensemble des Etats membres au Statut.

droits de l’homme de l’ONU.

Le TPIY se sent aussi lié par la jurisprudence internationale et notamment par celle du TPIR qui a particulièrement développé les contours de la notion de génocide.

Dans de nombreuses décisions des TPI, on note une surabondance des références aux sources internationales. Pourtant, à trop vouloir justifier une solution, ne perd-on pas l’essence de

l’obligation juridique ? En multipliant les références à un droit complexe430

, on risque d’affaiblir certains énoncés normatifs. Dans le domaine du droit pénal international, on note en effet une tendance à la profusion de base juridique comme si un comportement devait nécessairement être prohibé par diverses sources internationales. Cette surabondance n’est probablement pas étrangère à la complexité du droit pénal international et au recoupement de

certaines notions431 mais contribue indéniablement à opacifier le processus d’élaboration du

droit pénal international.

L’abondance des instruments mis à la disposition du juge pénal international, place ce dernier dans une position de choix : toutes les sources du droit international public semblent s’offrir à lui. Il ne possède pas de limite lorsqu’il interprète une disposition de son statut et peut se référer à n’importe quel instrument issu du droit international public, même si celui-ci ne revêt pas ou pas encore, un caractère obligatoire. Le juge pénal international possède donc une approche beaucoup plus flexible que le juge international classique qui ne peut appliquer dans un litige entre Etats, que des règles obligatoires pour les parties.

Dans la mesure où les TPI jugent des individus et non des Etats, l’accès aux instruments internationaux semble facilité : il n’est plus nécessaire pour appliquer une convention de se demander si les Etats y sont parties. Le droit que les Etats ont créé paraît pour la première fois s’appliquer de manière autonome. Les juridictions pénales internationales n’appliquent pas directement des conventions qui ne seraient pas universellement acceptées mais dans leurs raisonnements interprétatifs, elles n’hésitent pas à s’y référer. Cette liberté du juge pénal international vis-à-vis des instruments internationaux constitue indéniablement un facteur d’autonomisation du droit pénal international.

430

Voir cours de Mireille Delmas-Marty au Collège de France, cours du 5/02/07 (non publié). 431 Voir par exemple le cas des traitement inhumains et dégradants.

L’ensemble des instruments utilisés par les juges, non loin de constituer un gage de sécurité juridique, permet au contraire au juge de développer son pouvoir normatif comme nous le verrons plus avant. En élargissant toujours plus les références aux sources du droit international public et aux instruments internationaux Ŕ même ceux n’ayant pas de valeur obligatoire Ŕ le juge élargit d’autant le champ des normes dans lesquelles il pourra puiser la solution qui lui convient le plus. Ainsi, ce qui pourrait passer pour une volonté de se conformer au droit international public produit en réalité l’effet inverse.

A trop augmenter les sources internationales utilisables, le juge pénal international perd toute réelle contrainte lorsqu’il s’agit de choisir la norme à appliquer. Tout paraît exploitable, qu’il s’agisse d’un projet de convention, d’une résolution, d’une convention universellement ratifiée, pour mener à bien un raisonnement. Dans cette optique, la spécificité du droit international public semble avoir disparu car toutes les normes édictées sur la scène internationale - quelle que soit leur valeur et les Etats qui y sont parties Ŕ possèdent la même valeur et peuvent être utilisées par le juge pour les besoins de son raisonnement. Le droit international public se rapprocherait ainsi du droit interne car il serait affranchi de l’obstacle que constitue le consentement.

Le juge pénal international, par la diversité des instruments utilisés (principalement pour interpréter son statut) banalise l’utilisation du droit international public. Même si ce n’est que pour les besoins d’une interprétation du Statut, les juridictions pénales internationales utilisent à peu près n’importe quel type d’instrument international, faisant sortir ces derniers de l’endormissement dans lequel ils pouvaient se trouver.