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DIVERSITE DES SOURCES INTERNATIONALES DANS LE STATUT DE ROME

SECTION II : SIMILITUDE DES SOURCES

B. DIVERSITE DES SOURCES INTERNATIONALES DANS LE STATUT DE ROME

Contrairement aux Statuts des Tribunaux ad hoc, le traité de Rome contient une disposition

relative au droit applicable et qui mentionne diverses sources internationales ; il s’agit de l’article 21.

Joe Verhoeven conteste l’utilité de l’insertion d’une telle clause dans le traité instituant la Cour dans la mesure où elle est censée connaître les règles de droit applicables aux affaires qui lui seront soumises. Il remarque à cet égard que les Statuts de la CJCE, de la CEDH et des

TPI ne renferment pas de disposition comparable225. De plus, les sources du droit international

public sont suffisamment connues à l’heure actuelle pour ne pas avoir à s’y référer de

nouveau, à moins que l’on souhaite sciemment en écarter certaines226

.

Selon le a) du premier paragraphe de cet article, la Cour doit appliquer en premier lieu son Statut, les éléments des crimes et le Règlement de procédure et de preuve. Ce sont donc le Statut et les autres instruments élaborés à destination des juges qui constituent le socle du droit applicable par la juridiction. Si ces instruments ne permettaient pas aux juges de remplir leur mission, viennent ensuite en b) les « traités applicables et les principes et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés » et à défaut en c) « les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde, y compris, selon qu'il convient, les lois nationales des États sous la juridiction desquels tomberait normalement le crime, si ces principes ne sont pas incompatibles avec le présent Statut ni avec le droit international et les

225 VERHOEVEN (J.), « Article 21 of the Rome Statute and the ambiguities of applicable law », Netherlands Yearbook of International Law, 2002, p. 15.

règles et normes internationales reconnues ».

Ce sont ces deux derniers passages de l’article 21 qui s’apparentent le plus à l’article 38 du Statut de la CIJ car ils renvoient à plusieurs sources internationales au premier rang desquels figurent les traités « applicables ». Cette référence à la source conventionnelle semble logique dès lors qu’elle a longtemps était considérée comme « la source par excellence du droit

international »227. Rappelons aussi que le Statut de la Cour pénale internationale repose sur un

traité international à l’opposé de ceux des TPI. Il est par conséquent logique de rencontrer des références au droit conventionnel plus soutenues dans le Statut de la CPI que dans ceux des TPI. Les différences dans le processus de création des TPI et de la CPI expliquent en partie ce retour en force du modèle conventionnel.

Le Statut se réfère ensuite « aux principes et règles du droit internationaly compris les principes établis du droit international des conflits armés ». Quelle est donc la deuxième source évoquée à l’article 21 ?

La lecture du reste de l’article semble indiquer que les principes visés au b) ne sont pas les principes généraux de droit qui sont quant à eux expressément visés au c). Si ces principes et règles du droit international ne sont pas des principes généraux de droit, peut-il s’agir de la source coutumière ? Pourquoi dans un tel cas ne pas avoir expressément fait référence au droit coutumier ?

Selon Joe Verhoeven, cette rédaction pourrait s’expliquer par une mauvaise habitude de langage dès lors qu’il n’y a pas de doute que les « principes établis du droit international des

conflits armés » visent bien des normes coutumières228. Cette absence de référence directe à la

coutume peut être perçue comme une volonté des rédacteurs du Statut de rééquilibrer l’importance à accorder à chaque source du droit international. En ne nommant pas expressément la coutume et en donnant une place d’honneur au droit conventionnel, l’article 21 bouleverse l’ordre de priorité à la source coutumière que les TPI avaient établi.

À défaut d’avoir pu appliquer son Statut, les éléments de crimes, le RPP, les traités

227 WEIL (P.), « Le droit international en quête de son identité », RCADI 1992 VI, tome 237, p. 160.

228 VERHOEVEN (J.), « Article 21 of the Rome Statute and the ambiguities of applicable law », Netherlands Yearbook of International Law, 2002, p. 8.

applicables ou les principes et règles du droit international, l’article 21 §1, c) prévoit que le juge applique les « principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde, y compris, selon qu’il convient, les lois nationales des Etats sous la juridiction desquels tomberaient normalement le crime ». Le Statut introduit donc la possibilité pour les juges de se fonder sur la loi nationale qui aurait été applicable si la CPI n’avait pas exercé sa compétence, pour connaître du crime afin de dégager les principes généraux du droit qu’il pourra appliquer par la suite. Cette disposition permet d’apporter de la flexibilité au contenu des principes généraux du droit et de les ajuster au cas d’espèce. Il semble en effet tout à fait essentiel qu’une juridiction à vocation mondiale puisse, dans une certaine mesure, prendre en compte les particularismes nationaux.

L’article 8 du Statut de la CPI fait comme les Statuts des Tribunaux ad hoc expressément

référence aux Conventions de Genève. Cet article relatif aux crimes de guerre qui donne compétence à la Cour propose, après avoir formellement fait mention des infractions graves

aux conventions de Genève et aux violations graves de l’article 3 commun229

, une définition « par liste » du crime de guerre. Cette manière de procéder a fait l’objet de vives critiques : l’énumération des crimes affaiblirait la notion de crime de guerre et serait susceptible de réduire la compétence de la Cour. La prétention de l’article 8 à l’exhaustivité pourrait empêcher la juridiction de juger un crime s’il n’est pas prévu au sein de cette liste.

Pourtant, force est de constater que le crime de guerre n’est pas une notion uniforme et peut difficilement être défini. C’est par l’exemple que l’on définit le crime de guerre. Pourquoi critiquer l’utilisation d’un système de liste alors même que les conventions de Genève et leurs protocoles additionnels procèdent de la sorte ? Le crime de guerre n’est pas une notion abstraite à vocation générale comme pourrait l’être le crime de génocide. On ne peut pas aborder la question du crime de guerre sans se référer aux conventions de Genève et à leurs protocoles additionnels. Ils établissent une sorte de code pénal, l’aspect répressif en moins. Ils

listent des comportements à suivre (environ 600) qui, a contrario, fournissent une base de

compétence pour juger les personnes qui les enfreignent. L’article 8 incrimine également en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international les violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de Genève. En revanche, les violations du second

Protocole additionnel qui étaient visées dans le Statut du TPIR ne sont pas sanctionnées à l’article 8.

Le Statut de la CPI comprend aussi certaines références aux actes unilatéraux de l’ONU et plus particulièrement aux décisions du Conseil de sécurité prises en vertu du Chapitre VII. L’article 13 b) prévoit en effet que la Cour peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis a été déférée au Procureur par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. L’article 16 du Statut fait également référence à une décision de ce genre concernant le sursis à enquêter ou à poursuivre.

En comparaison au pouvoir normatif dont les juges des TPI disposaient à l’égard de leur Règlement de procédure et de preuve, celui des juges de la CPI se trouve largement amoindri. En effet, aux termes de l’article 51 du Statut de Rome, ce ne sont plus les juges eux-mêmes qui adoptent le RPP mais bien l’Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome. Certes, les juges conservent la possibilité de proposer des amendements au RPP mais d’une part, ces amendements doivent ensuite être adoptés à la majorité des deux tiers de l’Assemblée des Etats parties et d’autre part, les juges sont désormais concurrencés dans cette prérogative d’amendement par tout Etat partie et surtout par le Procureur. L’article 14 préserve néanmoins la possibilité pour les juges d’établir des règles provisoires « dans les cas urgents où la situation particulière portée devant la Cour n’est pas prévue par le Règlement ». Ces règles s’appliqueront jusqu’à ce que l’Assemblée des Etats Parties les adopte, les modifie ou les rejette.

En revanche, en vertu de l’article 52 du Statut de Rome, les juges adoptent à la majorité

absolue le Règlement de la CPI, document dont les Tribunaux ad hoc n’étaient pas dotés. Le

Règlement de la Cour comprend un certain nombre de normes relatives à la composition et à l’administration de la Cour, à la procédure devant la Cour, à la détention, à la participation des victimes ainsi qu’à leur réparation, à la coopération, etc. Par ce biais, les juges de la CPI exercent un certain pouvoir normatif, même s’il est incomparable avec celui dont les TPI jouissent.

Il est également intéressant de constater que le Statut de la CPI ne fait pas seulement référence aux sources du droit international public. En effet, le Statut comprend un chapitre III intitulé :

« Principes généraux du droit pénal » comprenant 12 articles respectivement relatifs au

principe nullum crimen sine lege, à nulla poena sine lege, au principe de non rétroactivité, à la

responsabilité pénale individuelle, à l’incompétence de la Cour vis-à-vis des mineurs de 18 ans, au défaut de pertinence de la qualité officielle, à la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques, à l’imprescriptibilité, à l’état psychologique de l’accusé, aux motifs d’exonération de la responsabilité pénale, à l’erreur de fait ou de droit et enfin à l’ordre

hiérarchique. Le principe ne bis in idem est quant à lui étrangement exclu du chapitre III pour

intégrer le Chapitre II intitulé : « Compétence, recevabilité et droit applicable ».

Quelle est la portée de cette référence inédite aux principes généraux de droit pénal ? Cette référence n’est-elle pas susceptible d’écarter le juge de la CPI du champ droit international public ? Ce dernier n’est plus amené à utiliser uniquement les sources du droit international mais également les sources du droit pénal. La Cour pénale internationale s’affirme davantage que les TPI comme une juridiction pénale. Toutefois, il ne faut pas surestimer cette référence aux principes généraux du droit pénal car par l’intermédiaire des principes généraux de droit, les TPI avaient également introduit dans leurs standards de référence des principes pénaux issus des divers droits internes.

Il ressort donc clairement de l’étude des Statuts des juridictions pénales internationales que le droit pénal international et le droit international public partagent les mêmes sources. D’ailleurs, dans l’affaire Kupreskic, la Chambre de première instance du TPIY déclare :

« International par nature et appliquant le droit international principaliter, le Tribunal ne peut

que se fonder sur les sources bien établies de droit international »230. De même, dans l’affaire

Aleksovski, la Chambre d’appel se réfère aux « sources usuelles » du droit international231

. Le TPIY a donc clairement pris note de la volonté des rédacteurs du Statut de fonder le droit pénal international à partir des sources du droit international public.

Si d’un point de vue structurel les juridictions pénales internationales semblent faire partie intégrante de l’ordre juridique international, il convient à présent d’étudier les rapports directs qu’elles entretiennent avec le droit international public. Ces juridictions cherchent-elles à ancrer leur raisonnement dans le droit international public ?

230 Affaire Kupreskic, Chambre de première instance, 14/01/2000, § 540.

231 Affaire Aleksovski, Chambre d’appel, 30/05/2001, Arrêt relatif à l’appel de la décision portant condamnation pour outrage au tribunal interjeté par Anto Nobilo, §30.

CHAPITRE II