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LIBERTE DU JUGE DANS LE CHOIX DES INSTRUMENTS PERTINENTS

SECTION II : DENSITÉ DES INSTRUMENTS À DISPOSITION DU JUGE PÉNAL INTERNATIONAL

B. LIBERTE DU JUGE DANS LE CHOIX DES INSTRUMENTS PERTINENTS

Plus le juge multiplie les références, plus il est libre de « construire » la solution qu’il adoptera finalement. Comme le remarque Mireille Delmas-Marty, « (l)e juge devient de plus en plus souvent créateur de normes, (…) en raison de son pouvoir d’interprétation, accru en

présence de ces normes surabondantes »432. La diversité des références utilisées par le juge

pénal international peut apparaître, dans un premier temps, comme un gage de sécurité juridique. Pourtant, face à une inflation normative Ŕ notamment due à la prise en compte

grandissante des droits nationaux Ŕ le juge pénal international se trouve dans une position de choix. La profusion normative n’agit pas sur lui comme une contrainte mais, au contraire, comme une source de liberté. Plus le juge pénal international se réfère à des instruments normatifs variés, plus il augmente son pouvoir normatif. Le champ des instruments utilisés est si large qu’il permet au juge de façonner la solution qu’il juge opportune.

Le Statut de la CPI institutionnalise cette curiosité du juge pénal international. En effet, en vertu de l’article 21 §3, « (l)’application et l'interprétation du droit prévues au présent article doivent être compatibles avec les droits de l'homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination fondée sur des considérations telles que l'appartenance à l'un ou l'autre sexe tel que défini à l'article 7, paragraphe 3, l'âge, la race, la couleur, la langue, la religion ou la conviction, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre qualité ». Cette disposition incite les juges de la CPI à se fonder sur les valeurs véhiculées par les droits de l’homme pour interpréter les normes applicables. Cette disposition en officialisant l’élargissement des normes de référence dont le juge pénal international doit tenir compte, renforce le pouvoir normatif dont il dispose car les concepts flottants favorisent également l’émergence d’un pouvoir prétorien.

Plus le juge se sentira libre de se référer à des concepts humanistes, plus il développera des interprétations audacieuses. Cette liberté se trouvera renforcée par l’insuffisance des instruments pénaux internationaux.

La seule limite au pouvoir normatif du juge semble résider dans l’existence du principe de légalité des délits et des peines. Du fait du caractère pénal des TPI, les standards d’interprétation issus du droit international public doivent être conjugués avec le principe de légalité et avec celui de l’interprétation stricte de la loi pénale.

Le problème du respect du principe de légalité se pose donc devant les juridictions pénales internationales. Le principe de légalité des délits et des peines exige en droit interne que le système répressif soit organisé et fonctionne selon des règles édictées par le pouvoir

législatif433. Ce principe protège les individus qui ne peuvent être jugés que pour un crime

dont ils connaissaient la teneur. Il serait en effet injuste de condamner une personne qui ne pouvait pas savoir que son comportement était illégal. La transposition de ce principe en droit international n’est pas aisée en raison de l’existence de nombreuses règles coutumières par définition non écrites.

Dans l’affaire Vasiljevic, la Chambre de première instance du TPIY délimite ce que le principe de légalité l’autorise à faire et à ne pas faire. Dans un premier temps, la Chambre constate que le principe ne l’empêche pas « d’interpréter et de tirer au clair les éléments constitutifs d’un crime particulier ». De même, il ne l’empêche pas « d’élaborer progressivement le droit applicable ». En revanche, « un tribunal ne peut en aucune circonstance créer, postérieurement aux faits, une nouvelle infraction pénale soit en lui donnant une définition qui lui faisait défaut jusqu’alors, ce qui ouvrirait la voie à des poursuites et à des sanctions, soit en incriminant un acte qui n’était pas jusqu’alors considéré

comme criminel »434.

Dans l’affaire Barayagwiza, la Chambre d’appel du TPIR a indiqué que « le principe de légalité n’empêche pas un tribunal de trancher une question à travers un processus d’interprétation et de clarification du droit applicable et réaffirme que lorsqu’elle interprète certains articles du Statut ou du Règlement, elle se borne à préciser l’interprétation correcte à associer à ces dispositions, même si elle n’avait pas été exprimée auparavant dans ces termes »435.

Pour que la torture soit avérée, il faut prouver que l’accusé a agi dans le but d’obtenir des renseignements ou des aveux, de punir, d’intimider ou de contraindre la victime ou un tiers ou d’opérer une discrimination pour quelque motif que ce soit. Le fait d’humilier la victime peut-il entrer dans la catégorie des buts défendus ? Pour répondre à cette question, le TPIY va avoir recours au principe de légalité : « Compte tenu du principe de légalité, l’idée que « l'objectif principal [du droit humanitaire] est de préserver la dignité de l’homme » ne suffit pas pour permettre au tribunal d’ajouter, dans le cadre de l’élément moral, un nouveau but défendu ». En effet, une telle attitude « élargirait la portée de l’interdiction pénale de la torture au-delà de

ce qu’elle était au moment des faits »436

.

434 Affaire Vasiljevic, Chambre de première instance II, jugement, 29/11/2002, § 196. 435 Affaire Barayagwiza, Chambre d’appel, 27/11/2007, § 101.

Le principe de légalité doit donc empêcher les juridictions pénales internationales de créer des infractions nouvelles ou d’élargir des interdictions pénales.

De plus, comme ces juridictions ont un caractère pénal, certains principes d’interprétation inhérents à cette branche du droit s’y appliquent automatiquement. Le droit pénal est en effet

d’interprétation stricte437

. De plus, les juridictions pénales internationales doivent faire

application du principe selon lequel le doute profite à l’accusé. Dans l’affaire Krstic, la

Chambre de première instance a fait application du principe selon lequel, en cas d’interprétations ou d’applications divergentes, il fallait retenir la solution la plus favorable à

l’accusé pour définir l’extermination438

.

Ces principes ont indéniablement pour effet de limiter le pouvoir interprétatif du juge pénal international. Ce faisant, ils limitent également son pouvoir normatif. Le principe de légalité constitue donc une des limites les plus importantes au pouvoir normatif du juge pénal international.

437 Pour une confirmation de ce principe dans la jurisprudence du TPIR, voir affaire Barayagwiza, Chambre d’appel, 28/11/2007, § 313.

CHAPITRE II