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UNIFICATION DES RÈGLES APPLICABLES AUX CONFLITS ARMÉS

SECTION II : CREATION DE NORMES NE RELEVANT PAS DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

A. UNIFICATION DES RÈGLES APPLICABLES AUX CONFLITS ARMÉS

En dépit d’une nette distinction entre les règles applicables aux conflits armés internationaux et aux conflits armés internes, le juge pénal international a fait usage de son pouvoir normatif dans le but d’unifier les règles applicables aux conflits armés.

a) Séparation nette entre le droit régissant les conflits armés internationaux et le droit

régissant les conflits armés internes

Pour des raisons historiques et politiques et parce qu’ils opposent deux ou plusieurs Etats, les conflits armés internationaux font l’objet d’une réglementation nettement plus importante que

les conflits armés internes531. Le conflit armé non international est un « conflit qui se déroule

sur le territoire d’un Etat, entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la contrainte d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permet de mener des opérations

militaires continues et concertées »532.

Jusqu’à une période récente, les évènements qui se déroulaient à l’intérieur des frontières d’un seul Etat n’étaient tout simplement pas visés par le droit international, au nom du respect de la

souveraineté étatique533 et ce, en dépit de la violence de ces conflits. Les Conventions de

Genève de 1949 contiennent toutefois un article commun, l’article 3 applicable dans les conflits ne présentant pas un caractère international. Cet article unique, présent dans chacune des Conventions de Genève instaure quelques règles de traitement minimum à l’égard des personnes ne participant pas aux hostilités et à l’égard des blessés et des malades. Le caractère minimal de la réglementation des conflits armés non internationaux s’explique par le fait qu’aucun Etat « ne veut concéder un droit de regard international trop important quand il

s’agit d’affaires intérieures et à plus forte raison d’une insurrection »534

.

531 KOLB (R.), Ius in bello : Le droit international des conflits armés, Helbing & Lichtenhahn, Bruylant, 2003, p. 213.

532

BOUCHET-SAULNIER (F.), Dictionnaire pratique du droit humanitaire, La Découverte, Paris, 2006, p. 104.

533 « The distinction was based on the premise that internal armed violence raises questions of sovereign governance and not international regulation » in STEWART (J. G.), « Towards a single definition of armed conflict in international humanitarian law: A critique of internationalized armed conflict », RICR 2003, vol. 85 n° 850, p. 316.

534

KOLB (R.), Ius in bello : Le droit international des conflits armés, Helbing & Lichtenhahn, Bruylant, 2003, p. 213.

Il a fallu attendre 1977 pour que soit adopté le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève entièrement consacré à la protection des victimes des conflits armés non internationaux. Contrairement aux Conventions de 1949, cet instrument n’a cependant pas fait l’objet d’une ratification universelle. De plus, l’article 3 commun ne couvre que le droit de Genève et pas le droit de La Haye, c’est-à-dire qu’il ne limite pas les moyens de faire la guerre. Autre grosse différence avec le droit des conflits armés internationaux, le droit des conflits armés internes ne contient aucune disposition relative aux prisonniers de guerre, les privant ainsi de tout statut spécifique.

En outre, si la violation par un individu des règles applicables aux conflits armés internationaux entrainait sa responsabilité pénale individuelle, telle n’était pas le cas

concernant la violation des règles minimales applicables aux conflits armés internes535.

Comme le constate Luigi Condorelli, « (l)’idée qu’il n’y a malheureusement pas Ŕ d’après le droit international en vigueur Ŕ de crimes de guerre dans les conflits internes a représenté une

conviction générale jusqu'au milieu des années 90 »536. Il admet même qu’en tant que

professeur de droit international, il aurait « impitoyablement recalé à l’examen un étudiant

s’il avait affirmé le contraire »537

. La catégorie des crimes contre l’humanité avait d’ailleurs été introduite dans le Statut de Nuremberg pour pallier l’impossibilité de réprimer les actes

commis par un belligérant contre ses propres nationaux ou contre des apatrides538.

La création des TPI au début des années 90 va commencer à modifier ce schéma profondément lacunaire. En effet, pour la première fois, le Statut du TPIR criminalise les violations de l’article 3 commun et du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève. Mais c’est surtout les juges du TPIY qui vont profondément enrichir le contenu du droit des conflits armés non internationaux. Les disparités entre les deux types de réglementations sont donc flagrantes mais le juge pénal international va peu à peu commencer par brouiller les fondements d’une telle distinction.

535

« Les crimes de guerre sont traditionnellement présentés comme des violations des règles du jus in bello applicables dans les conflits armés internationaux » in BUIRETTE (P.), LAGRANGE (P.), Le droit international humanitaire, La Découverte, Paris, 2008, p. 111.

536CONDORELLI (L.) « La place de la coutume dans la justice pénale internationale au regard, en particulier, du TPIY et du TPIR », Droit international humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporains, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 198.

537 Ibid. 538

ABI-SAAB (G.), ABI-SAAB (R.), « Crimes de guerre », Droit international pénal, Pedone, Paris, 2000, p. 282.

En effet, le TPIY déclare que « quand le Statut a été rédigé en 1993, les conflits dans l'ex-Yougoslavie auraient pu être qualifiés à la fois d'internes et d'internationaux ou d'un conflit interne parallèle à un conflit international, ou d'un conflit interne qui s'est internationalisé du fait d'un soutien extérieur, ou d'un conflit international remplacé ultérieurement par un ou

plusieurs conflits internes ou quelque combinaison de ces situations »539. Le TPIY explique en

effet que le conflit dans l'ex-Yougoslavie a été internationalisé par la participation de l'armée croate en Bosnie-Herzégovine et par la participation de l'Armée nationale yougoslave ("JNA") dans les hostilités en Croatie ainsi qu'en Bosnie-Herzégovine, au moins jusqu'à son retrait officiel le 19 mai 1992. De plus, dans la mesure où les conflits étaient limités à des incidents entre les forces du gouvernement bosniaque et les forces rebelles des Serbes de Bosnie en Bosnie-Herzégovine, ainsi qu'entre le gouvernement croate et les forces rebelles des Serbes de Croatie en Krajina, ils étaient de caractère interne. Le TPIY remarque d’ailleurs que les Parties au procès, c’est-à-dire l’accusé Tadic et le Procureur conviennent toutes deux du fait que les conflits dans l'ex-Yougoslavie étaient à la fois internes et internationaux.

Analyser le conflit yougoslave comme une mosaïque de conflits à la fois internes et internationaux est une manière de relativiser la distinction entre conflit armé interne et conflit armé international. En affaiblissant la frontière entre ces deux situations, le TPIY a procédé au rapprochement notable de deux corps de règles clairement distincts aux contenus largement disparates.

De plus, en admettant la possibilité qu’un conflit armé interne s’internationalise, le TPIY brouille les frontières entre les deux types de conflit. En 1999, le TPIY constate en effet après avoir rappelé qu'un conflit armé est de caractère international s'il oppose deux ou plusieurs États, qu’un conflit armé interne « peut devenir international (ou, selon les circonstances, présenter parallèlement un caractère international) si i) les troupes d’un autre État interviennent dans le conflit ou encore, si ii) certains participants au conflit armé interne

agissent au nom de cet autre État »540. Certaines circonstances sont donc susceptibles de faire

basculer un conflit armé interne en conflit armé international. En prenant acte de la possibilité de passer de l’application d’un corps de règles à l’autre, le juge pénal international commence en réalité à minimiser les différences existant entre les deux corps de droit et à imposer une

539 Voir affaire Tadic, Chambre, d’appel, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2/10/1995, § 72.

vision uniformisante des règles applicables aux conflits armés. Sur le terrain, les situations n’apparaissent pas totalement figées dans la mesure où elles peuvent faire l’objet de qualifications alternatives.

Une fois la distinction entre les conflits armés internationaux et les conflits armés internes relativisée, le juge pénal international peut tenter un rapprochement du régime juridique qui leur est applicable.

b) Rapprochement des régimes

Dès 1995, le TPIY constate que « des considérations élémentaires d'humanité et de bon sens rendent absurde le fait que les Etats puissent employer des armes prohibées dans des conflits armés internationaux quand ils essayent de réprimer une rébellion de leurs propres citoyens sur leur propre territoire ». Il poursuit en ajoutant : « (c)e qui est inhumain et, par conséquent, interdit dans les conflits internationaux, ne peut pas être considéré comme humain et

admissible dans les conflits civils »541. Ces considérations ont ouvert la voie à un

rapprochement des régimes applicables aux conflits armés, qu’ils soient internationaux ou internes. En effet, « (q)uand on sait que la majorité des conflits dans le monde contemporain est interne, se fonder sur la nature différente des conflits pour maintenir une distinction entre les deux régimes juridiques et leurs conséquences sur le plan pénal pour des actes d’un même degré d’atrocité reviendrait à ignorer l’objet même des Conventions de Genève, qui est de

protéger la dignité de la personne humaine »542.

Pour des raisons qui tiennent compte à la fois des évolutions des conflits armés mais également de l’objectif poursuivi par les rédacteurs des Conventions de Genève, il est apparu tout à fait logique au juge pénal international de calquer le régime des conflits armés internes sur celui des conflits armés internationaux.

Tout d’abord , le TPIY constate que le droit international coutumier impose une responsabilité pénale pour les violations graves de l'article 3 commun, complété par d'autres principes et règles générales sur la protection des victimes des conflits armés internes, et pour les atteintes

541Affaire Tadic, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2/10/ 1995, § 119.

à certains principes et règles fondamentales relatives aux moyens et méthodes de combat dans les conflits civils : « le droit international coutumier impose une responsabilité pénale pour les violations graves de l'article 3 commun, complété par d'autres principes et règles générales sur la protection des victimes des conflits armés internes, et pour les atteintes à certains principes et règles fondamentales relatives aux moyens et méthodes de combat dans les conflits

civils »543. Le Tribunal ajoute que « dans la mesure où elle s'applique aux crimes commis

dans l'ex-Yougoslavie, l'idée que les violations graves du droit international humanitaire régissant les conflits armés internes emportent la responsabilité pénale individuelle est aussi

pleinement justifiée du point de vue de la justice au fond et de l'équité »544. Les justifications

de nature morale sont omniprésentes dans le raisonnement du juge pénal international.

En outre, pour le TPIY, l’existence de règles coutumières par définition non écrites régissant les conflits armés internes est indéniable. Ces règles couvrent « la protection des civils contre des hostilités, en particulier à l'encontre d'attaques commises sans motifs, la protection des biens civils, en particulier les biens culturels, la protection de tous ceux qui ne participent pas (ou ne participent plus) directement aux hostilités ainsi que l'interdiction d'armements prohibés dans les conflits armés internationaux et de certaines méthodes de conduite des hostilités »545.

L’arrêt Tadic consacre « un rapprochement notable des deux régimes relatifs aux conflits armés non-internationaux et internationaux ». Il mène en effet « à une extension des règles applicables aux conflits armés non-internationaux par transfusions successives du droit des conflits armés internationaux et confirme par ailleurs le caractère coutumier de règles

unitaires, applicables à tout type de conflit armé »546. Pour Françoise Bouchet-Saulnier, les

juridictions pénales internationales « harmonisent les règles applicables aux deux types de conflits »547.

L’unification indéniable des règles applicables aux conflits armés révèle bien l’existence d’un pouvoir prétorien car en dépit des explications fournies par les juges, le droit positif continuait

543 Affaire Tadic, Chambre, d’appel, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2/10/ 1995, § 134.

544 Ibid., § 135. 545Ibid., § 127.

546KOLB (R.), Ius in bello : Le droit international des conflits armés, Helbing & Lichtenhahn, Bruylant, 2003, p. 214.

547

BOUCHET-SAULNIER (F.), Dictionnaire pratique du droit humanitaire, La Découverte, Paris, 2006, p. 105.

à maintenir une nette séparation entre le régime applicable aux conflits armés internationaux et celui applicable aux conflits armés non internationaux. Le juge pénal international n’a pas inventé des règles totalement nouvelles puisqu’il s’est contenté de calquer leur régime sur celui applicable aux conflits armés internationaux. Cette démarche analogique est à la fois plus discrète et plus facile à faire accepter. C’est la nécessité de protéger certaines valeurs qui semble commander un tel rapprochement des régimes entre les deux types de conflits. Le juge pénal international, une fois de plus, n’affiche donc pas clairement le pouvoir qui est en réalité le sien. Il ne crée pas du droit, il ne fait que constater qu’aujourd’hui le régime du droit des conflits armés internes se rapproche du droit des conflits armés internationaux.

Il faut rester objectif face au discours élaboré par le juge pénal international. Même si le juge prétend seulement enregistrer les évolutions récentes des conflits armés et constater un changement dans la pratique des Etats, il n’en est rien. En 1995, les lignes de partage entre les deux types de conflit étaient encore très claires et sans user de son pouvoir normatif, le juge pénal international n’aurait pas pu aboutir à de telles solutions. Les choses sont, il est vrai, aujourd’hui différentes car le travail des TPI a été relayé par la doctrine et finalement, en partie, acté par les Etats dans la pratique.

Le CICR qui a décidé de mener une étude approfondie sur l’état du droit international humanitaire coutumier a, en grande partie, validé l’unification du droit des conflits armés opérée par le juge pénal international. En effet, sur les 161 règles coutumières dégagées, 146

étaient communes aux conflits armés internationaux et aux conflits armés internes548.

L’impact de la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux sur l’étude réalisée par le CICR est palpable. Par exemple, dans la règle numéro 156 relative notamment à l’interdiction d’attaquer des biens de caractère civil, nous pouvons trouver diverses références à la jurisprudence du TPIY.

Toutefois, sur la question de la valeur à accorder à cette étude, les avis divergent. Comme le constate Jean-Luc Florent, directeur adjoint des Affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, la France a tenu à rappeler que cette étude ne présentait qu’un caractère doctrinal

548

HENCKAERTS (J.-M.), DOSWALD-BECK (L.), Droit international humanitaire coutumier : Volume I : Règles, Bruylant 2006, (878 p.).

et ne saurait être opposable aux Etats en l’absence de leur consentement549

. Il considère également que « l’Etude tire des conclusions parfois disproportionnées du comportement suivi, dans un cas donné, par un nombre limité d’Etats qui ne sauraient, au demeurant, être

considérés comme les plus intéressés »550. Cette étude, constitue tout au plus une œuvre de

codification privée, dont le contenu ne saurait être opposable aux Etats.

En revanche, le Statut de la CPI prend acte d’une certaine unification des règles applicables aux conflits armés. On peut en effet remarquer que dans l’article 8 relatif aux crimes de guerre « (m)ost of the provisions of the part dealing with internal armed conflict exactly mirror provisions already contained in article 8 para. 2 (b) dealing with international armed

conflict »551. Les Etats ont donc, en partie, validé certaines des audaces du juge pénal

international.

L’unification des règles applicables aux conflits armés produit des conséquences à l’égard des Etats mais également indirectement à l’égard des individus qui doivent respecter davantage de règles dans l’hypothèse où ils seraient impliqués dans un conflit armé interne. A présent, nous allons voir que le juge pénal international, en renforçant certaines prescriptions pénales, exerce un pouvoir normatif direct envers les individus.