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ABSENCE D’ETATS À L’INSTANCE PÉNALE INTERNATIONALE

LE DEPASSEMENT DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

FACTEURS D’INDEPENDANCE DU JUGE PENAL INTERNATIONAL

A. ABSENCE D’ETATS À L’INSTANCE PÉNALE INTERNATIONALE

Contrairement aux juridictions internationales « classiques », les juridictions pénales internationales n’accueillent pas d’Etat à l’instance.

a) Présence étatique constante auprès des juridictions internationales

La nature profonde du droit international public explique que l’application du droit international public par une juridiction soit toujours soumise à discussion parmi au moins un acteur étatique. Le droit international public qui a pour objet principal la régulation des

relations entre Etats354 est le fruit des volontés étatiques. Les Etats sont les sujets originaires et

principaux de l’ordre juridique international et produisent le droit auquel ils sont soumis. En cas de différend international, un Etat ne peut être attrait devant une juridiction internationale que s’il y a consenti. Il paraît dès lors difficile d’imaginer la tenue d’un procès à caractère international dans lequel les Etats n’auraient pas de prise directe sur le contenu du droit international.

Pourtant, une fois qu’une juridiction internationale est saisie d’un différend international, les Etats présents à l’instance peuvent ainsi défendre leurs intérêts et tenter d’inciter le juge à

354 « Les relations internationales sont le domaine classique de la juridiction internationale (…) Les juridictions internationales connaissent des relations entre Etats » in SANTULLI (C.), Droit du contentieux international, Montchrestien, Paris, 2005, p. 30.

adopter une solution qui leur soit favorable. Dans le cadre de sa fonction contentieuse, la Cour internationale de Justice règle exclusivement des différends opposant des Etats. Ceux-ci peuvent donc, par l’intermédiaire de leurs conseils qui sont bien souvent des professeurs de droit international reconnus, proposer une interprétation du droit qui leur convienne et qui préserve leurs intérêts.

Si la CIJ est bien la seule juridiction internationale à régler des différends interétatiques, d’autres juridictions considérées comme internationales règlent des différends

internationaux355. Par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme en dépit de son

caractère régional est appelée à appliquer le droit international des droits de l’homme. Contrairement à la CIJ, le procès devant la Cour européenne des droits de l’homme oppose une personne privée à un Etat, accusé d’avoir violé les dispositions de la Convention EDH. Lorsque le différend oppose deux Etats ou un Etat à un particulier comme c’est le cas notamment devant la Cour européenne des droits de l’homme, les prétentions étatiques sont toujours relayées. L’Etat, en vertu de sa qualité de partie, expose clairement ses revendications et fait valoir ses arguments. Ces derniers sont bien évidemment examinés par la juridiction en question et permettront d’aboutir à la résolution du litige. L’Etat continue ainsi à participer à l’interprétation, au combien fondamentale, de la règle de droit qu’il avait élaboré à l’aide de ses homologues.

Le juge lorsqu’il applique le droit international le fait nécessairement évoluer mais cette évolution est encadrée et en quelque sorte, mise sous contrôle par la présence d’un ou de plusieurs Etats à l’instance. Application et création du droit international sont tellement liées qu’il semble logique que ses créateurs surveillent également dans une certaine mesure, sa mise en œuvre par le juge. En étant présents à l’instance internationale, les Etats peuvent influencer le processus de découverte du droit international et continuer à peser sur l’interprétation des normes adoptées. Dans la mesure où le droit international public régit principalement et avant tout le droit des relations entre Etats, il est tout à fait logique que les Etats participent à son interprétation. Les Etats même lorsqu’ils sont attraits devant une juridiction internationale ne se trouvent pas dans la même situation qu’un individu attrait

355 « Le contentieux international ne coïncide pas avec le contentieux interétatique. D’une part, en effet, la grande majorité des différends qui relèvent du contentieux international n’oppose pas des Etats entre eux » in SANTULLI (C.), Droit du contentieux international, Montchrestien, Paris, 2005, p. 6.

devant une juridiction interne car ils ont créé le droit auquel ils sont soumis. Ils disposent donc nécessairement d’un droit de regard à son égard.

Dans le contexte d’un droit international encore largement volontariste, la faculté pour un juge d’appliquer des règles de droit international sans surveillance étatique fait figure d’exception. L’absence totale d’Etat à l’instance devant les tribunaux pénaux internationaux est tout à fait inhabituelle même si certains ne considèrent pas comme déterminante la

présence d’un Etat aux fins de déterminer s’il existe bien une juridiction internationale356

. Comme nous allons le constater, les juges pénaux internationaux font application de règles issues du droit international public sans qu’aucun Etat n’intervienne à l’instance.

b) Exclusion des Etats devant les juridictions pénales internationales

Le procès pénal international, dans la mesure où il a pour objet l’identification et la répression des auteurs de violations graves du droit international humanitaire, met en scène deux parties : le Procureur et l’accusé. Les Etats sont donc automatiquement exclus de cette procédure ; ils ne disposent pas de la qualité de partie au procès pénal international.

Compte tenu du caractère spécifique de la mission attribuée aux juridictions pénales internationales, il n’est pas ici question de regretter l’absence d’Etats à l’instance pénale internationale. En effet, si un ou plusieurs Etats remplissaient le rôle dévolu au Procureur, le procès ne serait pas international. C’est l’effacement des Etats au profit d’un Procureur qui contribue à conférer à ce type de juridictions leur légitimité internationale. Même si les juges ne représentent pas leurs Etats mais bel et bien la Communauté internationale, la présence d’un Etat exerçant le rôle du procureur serait mal perçue. L’accusateur se doit d’être détaché des influences étatiques pour accomplir correctement sa mission répressive. L’absence d’Etat à l’instance n’est donc pas à déplorer car une quelconque présence étatique est, comme nous venons de le constater, inconcevable. L’indépendance de la justice serait gravement atteinte dans l’hypothèse contraire.

356 « Plus généralement, la présence d’un Etat n’est pas déterminante : le contentieux international englobe plusieurs catégories de litiges auxquels aucun Etat n’est partie. On songerait immédiatement aux différends entre organisations internationales. Mais, plus diffus, les contentieux de la fonction publique et de la répression internationales, mettent tous deux aux prises des personnes physiques et des organisations, dans des positions généralement opposées » in SANTULLI (C.), Droit du contentieux international, Montchrestien, Paris, 2005, p. 7.

Pourtant, comment expliquer qu’une juridiction qui se présente comme internationale, ne permette pas aux acteurs classiques du droit international de s’exprimer ?

Les juridictions pénales internationales jouissent, par voie de conséquence, d’une importante marge de liberté dans l’application du droit international public. Elles ne sont pas soumises de manière directe à la vigilance des Etats qui comparaissent habituellement devant les juridictions internationales. Même si les Etats ne sont pas parties directement à l’instance devant les TPI, il convient d’envisager l’ensemble des mécanismes qui pourraient leur permettre de faire valoir leurs positions même de manière détournée.