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En se référant au concept de branche du droit et en utilisant des arrêts de la CIJ, le juge pénal international cherche à intégrer le droit pénal international au droit international public.

a) Utilisation de la notion de branche du droit international

Le juge pénal international afin de démontrer son appartenance au droit international public affirme respecter la répartition du droit international public en diverses « branches ». Une

branche du droit est une « (d)ivision ou une subdivision du droit objectif »343. En droit

341 MAIA (C.), « L’appel au droit impératif. Le jus cogens dans la pratique de la Cour internationale de Justice », Les arrêts de la Cour internationale de Justice, EUD, Dijon, 2005, p. 128.

342 Ibid.

international, la division en branches du droit se fait en raison de l’objet matériel de la norme. On parle en effet de droit de la mer, de droit consulaire, de droit international humanitaire, de droit international économique, etc. Confronté à la nécessité de définir la torture en droit international, le TPIY a clairement distingué le droit international humanitaire du droit international des droits de l’homme.

Dans l’affaire Kunurac, la Chambre de première instance s’est trouvée confrontée à une difficulté. En dépit de l’existence d’une prohibition absolue de la torture en droit international humanitaire, le TPIY s’est rapidement rendu compte que « rares ont été les tentatives de

définition de ce crime »344. Le TPIY, tout en rappelant que sa mission se situe sur le terrain du

droit international humanitaire, reconnaît qu’en l’absence de précédents relatifs à la définition de la torture dans cette branche du droit, il peut avoir « recours à des instruments et à des

pratiques qui ont vu le jour dans le domaine des droits de l’homme »345. Ces instruments sont

la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1975, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 et la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture du 9 décembre 1985.

Pourtant, en l’espèce et parce qu’il souhaite respecter l’intégrité des deux branches du droit international public que constituent le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, le TPIY va choisir de ne pas s’inspirer de ces instruments. En effet, la Chambre de première instance « prend donc garde de ne pas retenir trop hâtivement et avec trop de facilité des concepts et des notions élaborés dans un autre contexte juridique » car « les notions élaborées dans le domaine des droits de l’homme ne peuvent être transposées en droit international humanitaire que s’il est tenu compte des traits spécifiques de cette branche »346.

Dans sa recherche des éléments constitutifs de la torture, la Chambre de première instance choisit donc d’écarter la définition de la torture telle qu’elle ressort de l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle affirme ainsi la spécificité et l’originalité de chacune des branches du droit international.

344 Affaire Kunurac, Chambre de première instance, Jugement, 22/02/2001, § 466. 345

Ibid., § 467.

Parce que le juge entend respecter le droit international public et les différentes branches qui le composent, il refuse d’utiliser la définition fournie par la Convention de 1984. Le juge remarque en effet que les deux branches du droit que constituent le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire répondent à des objectifs différents

qu’on ne saurait interchanger impunément347

. La Chambre de première instance conclut donc que « la définition de la torture en droit international humanitaire ne comporte pas les mêmes

éléments que celle généralement appliquée dans le domaine des droits de l’homme »348.

En considérant le droit international des droits de l’homme comme une branche du droit voisine, le juge pénal international affirme son appartenance à l’ordre juridique international même si en l’espèce, cette circonstance implique de se départir des solutions élaborées dans le contexte des droits de l’homme. Affirmer respecter la distinction entre les différentes branches du droit international public constitue un moyen supplémentaire pour le juge pénal international d’affirmer son appartenance à l’ordre juridique international. C’est parce qu’il chercher à démontrer qu’il est un « bon » juge international que le juge pénal international s’attache à respecter les spécificités de chaque branche du droit international.

Nous pouvons également noter la présence, dans le Statut de la CPI, d’une disposition intéressante à l’égard de la répartition du droit international en branches. L’article 21 §3 du Statut de la CPI dispose que l’application et l'interprétation des normes issues du Statut doivent être compatibles avec les droits de l'homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination. Les dispositions du Statut devront donc être interprétées conformément au droit des droits de l’homme. Une certaine supériorité des droits de l’homme par rapport au droit pénal international se profile donc mais en dépit de cette tentative de hiérarchisation d’une branche au profit d’une autre, les deux corpus juridiques semblent relever du même ordre juridique.

347 « La définition figurant dans la Convention sur la torture était censée s’appliquer au niveau interétatique et, pour cette raison , visait les obligations des États » in ibid. § 482.

b) Emploi de la jurisprudence de la CIJ

Toujours désireux d’affirmer leur aptitude à appliquer le droit international public, les juges des TPI fondent certains de leurs raisonnements sur des décisions d’autres juridictions internationales.

Dans l’affaire Delalic, le TPIY pour expliciter le principe selon lequel l’effet du droit interne en droit international est déterminé par le droit international cite un arrêt de la CPJI relatif à

certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise et l’arrêt Nottebohm349.

Dans l’affaire Aleksovski, la Chambre de première instance du TPIY s’est référée à l’arrêt Nicaragua par lequel la CIJ a reconnu que l’article 3 commun aux Conventions de Genève faisait partie du droit coutumier, exposait les règles minimum applicables à tous les conflits armés et constituait ce qu’il est convenu d’appeler des considérations élémentaires

d’humanité350

.

La Chambre d’appel du TPIY pour considérer qu’il ne peut être dérogé à l’interdiction des attaques contre des civils et des biens de caractère civil en raison de nécessités militaires, se fonde notamment sur l’avis consultatif de la CIJ relatif à la licéité des armes nucléaires. Dans cet avis, la CIJ a en effet eu l’occasion de qualifier les principes de distinction et de protection de la population civile, comme des principes cardinaux du droit humanitaire. La Chambre

d’appel cite à cette occasion certains passages de l’avis351

.

En citant ces arrêts, les juridictions pénales internationales légitiment leur position sur la scène internationale. En reprenant certaines solutions élaborées par des juridictions « généralistes », les TPI affirment indirectement appliquer le même droit.

Le TPIY peut également se référer dans ses jugements aux opinions individuelles formulées par les juges de la CIJ. Dans l’affaire Krstic, le TPIY n’hésite en effet pas à exposer la position du Juge Lauterpacht dans l’affaire concernant l’application de la Convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide352.

349 Affaire Delalic, Chambre d’appel, 20/02/2001, § 76 et 77.

350 Affaire Aleksovski, Chambre de première instance, 25/06/1999, § 50.

351 Affaire Kordic et Cerkez, Chambre d’appel, 17/12/2004, § 54. 352Affaire Krstic, Chambre de première instance I, 2/08/2001, § 588.

La Cour internationale de Justice se prête elle aussi au jeu de renvoi initié par le TPIY, validant ainsi la thèse du rattachement du droit pénal international au droit international public. Dans son arrêt du 26 février 2007 relatif à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et opposant la Bosnie-Herzégovine à la Serbie Monténégro, la CIJ se montre particulièrement réceptive aux travaux du TPIY. La CIJ devait trancher la question de savoir si les diverses violations du droit international humanitaire commises en Bosnie-Herzégovine constituaient un génocide imputable à la Serbie Monténégro. Pour répondre à cette question qui avait été largement abordée par le TPIY du point de vue de la responsabilité pénale individuelle, la CIJ a fondé de nombreuses

conclusions factuelles et juridiques sur des jugements ou des arrêts rendus par le Tribunal ad

hoc353. En procédant à ces renvois divers et inédits, la CIJ semble donc, à première vue,

considérer cette juridiction comme son égale.

Ce jeu de renvoi auquel se livrent la CIJ et le TPIY semble accréditer la thèse selon laquelle le droit pénal international constitue une branche du droit international public.

* * *

Les juridictions pénales internationales relèvent par leur mode de création du droit international public et elles entretiennent des relations privilégiées avec l’ONU. De plus, grâce à différentes techniques, le juge pénal international affirme son appartenance à l’ordre juridique international. Il utilise en effet largement les instruments et les concepts du droit international public, à qui il doit son existence. Il a ainsi développé et enrichi les règles du droit des conflits armés.

Toutefois, ce n’est pas parce que les juridictions pénales internationales appliquent des normes issues du droit international public que toute leur activité s’y intègre. En effet, leur activité créatrice ne s’inscrit pas dans le cadre de cette matière. Même si les juridictions

353 TEANI (A.L.), « L’arrêt de la Cour internationale de Justice du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, vecteur d’unité ou de fragmentation du droit international ? », RSC 2007, n°4, p. 767 et s.

pénales internationales appliquent un certain nombre de règles internationales, elles font également application de règles qui ne s’y rapportent pas, et ce, en proportion sensiblement plus importante. Ce n’est pas en appliquant le droit international public que les juridictions pénales internationales peuvent remplir à bien leur mission répressive. Pour ce faire, elles doivent avant tout appliquer des règles pénales et procédurales.

Ainsi, c’est bien souvent lors de la phase de jugement que les juridictions pénales internationales appliquent des règles de droit international public. Dans la masse documentaire des décisions et ordonnances rendues par les TPI, les règles de droit international public occupent donc une place marginale. De plus, si le TPIY cherche à appliquer le droit international public, nous avons vu que son homologue africain ne poursuit pas la même démarche. Est-ce la spécificité des atrocités commises au Rwanda qui justifie que le droit international public « pur » soit ignoré ? Le fait que l’on juge bien plus que les excès de la guerre, la commission d’un génocide ?

L’ancrage que le TPIY cherche à réaliser se révèle bien souvent artificiel. En effet, derrière une attitude volontairement révérencieuse vis-à-vis du droit international public, le juge pénal international tend en réalité à dépasser le cadre fourni par le droit international public en exerçant un véritable pouvoir prétorien.

TITRE II