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CREATION DES TPI PAR LE CONSEIL DE SECURITE SUR LA BASE DU CHAPITRE VII

L’ANCRAGE DU DROIT PÉNAL INTERNATIONAL AU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

L’ANCRAGE INSTITUTIONNEL

A. CREATION DES TPI PAR LE CONSEIL DE SECURITE SUR LA BASE DU CHAPITRE VII

Les tribunaux ad hoc ont été créés par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie a été créé par la résolution 827 du 25 mai 1993 et le Tribunal pénal international pour le Rwanda par la résolution 955 du 8 novembre 1994. Ces résolutions ont été adoptées sur la base du Chapitre VII relatif à l’action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression sur le fondement de l’article 41. Le Chapitre VII, pièce maîtresse du système de sécurité collective vise les

« hypothèses où la paix est immédiatement menacée ou rompue »71.

Le mode de création des tribunaux pénaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda est original. En effet, force est de constater qu’ « (i)l n’est nulle part question, dans la Charte des Nations Unies, de la répression des crimes internationaux les plus graves, et encore

moins de l’institution, à cette intention, de juridictions pénales internationales »72

. Comment cette lacune a-t-elle été dépassée ? Pourquoi les juridictions pénales internationales ont-elles

été créées dans le cadre du système de sécurité collective73 établi par la Charte ?

La Charte des Nations Unies qui réglemente le recours à la force par les Etats a doté le Conseil de Sécurité d’un rôle important en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales permettant à certains auteurs d’y voir « une sorte de gendarme international »74.

Pour mettre en œuvre ces mesures, le Conseil de sécurité doit avoir au préalable, en vertu de l’article 39 de la Charte, constaté l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la

paix ou d'un acte d'agression75. La constatation de ces situations de fait permet au Conseil de

sécurité d’utiliser le pouvoir de sanction du Chapitre VII de la Charte. Le Conseil de sécurité semble jouir à cette occasion « d’une discrétion illimitée, non seulement dans le fait même de

71

Ibid. souligné dans le texte.

72 CONDORELLI (L.), VILLALPANDO (S.), « Les Nations Unies et les juridictions pénales internationales », La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, volume I, 3ème édition, Economica, 2005, p. 201.

73 « Sur la base des pratiques actuelles, la définition de la sécurité collective comprend deux composantes. La première est préventive ; elle suppose la solidarité entre tous les Etats et leur accord sur un droit égal à la sécurité pour tous, reposant sur des règles régissant leurs rapports pacifiques, communément acceptées. Le socle en est constitué par la Charte des Nations Unies. La seconde est correctrice ; elle repose l’ensemble des mécanismes internationaux de réaction collective contre la menace ou l’usage de la violence mettant en cause la sécurité et la paix internationales. Ces mécanismes sont au cœur de la Charte des Nations Unies » in SUR (S.), Relations internationales, Montchrestien, Paris, 2004, p. 432.

74 SUR (S.), Relations internationales, Montchrestien, Paris, 2004, p. 438.

75 « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

qualifier une situation ou de s’en abstenir » ainsi que dans la manière dont il qualifie la

situation76. L’hypothèse de la menace contre la paix et la sécurité internationales - retenue en

l’espèce - est la plus « ouverte » des trois possibilités s’offrant au Conseil de Sécurité.

Plusieurs cas de figure sont susceptibles de constituer une menace à la paix et à la sécurité internationale : prolifération des armes, maintien d’un régime raciste ou d’une politique d’apartheid, coup d’Etat anti-démocratique, terrorisme77

. La prolifération des armes constitue visiblement une menace à la paix et à la sécurité internationale dans la mesure où on peut facilement déduire de la décision d’un Etat d’augmenter son arsenal militaire, une attitude belliqueuse. Le terrorisme est évidemment aussi susceptible de briser la paix ; il suffit à cet égard de se référer aux conséquences des attaques terroristes survenues sur le territoire américain le 11 septembre 2001. Le maintien d’un régime raciste et la survenance d’un coup d’Etat anti-démocratique sont moins immédiatement susceptibles de rompre la paix. Pourtant, le Conseil de sécurité n’hésite pas à les répertorier parmi les menaces à la paix et à la sécurité internationales. Il en va de même pour les conflits internes, les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui sont susceptibles de déstabiliser une région

entière notamment en raison des déplacements de réfugiés qu’ils impliquent78.

Aux termes de la résolution 827, le Conseil de sécurité a donc qualifié de menace à la paix et à la sécurité internationales « les violations flagrantes et généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l’Ex-Yougoslavie et spécialement dans la République de Bosnie-Herzégovine ». Le Conseil vise particulièrement les tueries massives, la détention et le viol massifs, organisés et systématiques des femmes et la pratique du « nettoyage ethnique ». En ce qui concerne le Rwanda, ce sont les actes de génocide et les autres violations flagrantes, généralisées et systématiques du droit international humanitaire qui constituent, selon le Conseil de sécurité, une menace à la paix et à la sécurité internationales.

Une fois la menace à la paix ou une rupture de la paix constatée, comment le Conseil de sécurité a-t-il créé les tribunaux pénaux internationaux ?

76

D’ARGENT (P.), D’APRESMONT LYNDEN (J.), DOPAGNE (F.), VAN STEENBERGHE (R.), « Article 39 », La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, volume I, 3ème édition, Economica, 2005, p. 1140.

77

Ibid., p. 1157 et suivantes.

La qualification des violations du droit international humanitaire en Ex-Yougoslavie et au Rwanda en tant que menaces à la paix et à la sécurité internationales permet au Conseil de sécurité d’imposer des sanctions impliquant ou non l’emploi de la force. La création des

tribunaux ad hoc relève du pouvoir de sanction non militaire du Conseil de sécurité. L’article

41 de la Charte est en effet rédigé comme suit : « Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques ». À première vue, il est difficile d’imaginer que ce texte confère au Conseil de sécurité la faculté de créer une juridiction pénale internationale.

L’article 41 établit une liste non exhaustive des mesures à prendre en cas de menace ou de rupture de la paix et la création d’une juridiction pénale internationale n’en fait pas partie. Peut-on tout de même déduire de l’esprit de ce texte qu’une telle création entrait dans les compétences du Conseil de sécurité ?

L’analyse des mesures énumérées révèle qu’elles visent toutes à isoler l’Etat qui menace la paix et la sécurité internationales. Cet isolement peut toucher le commerce, les communications et la diplomatie. L’objectif de cet article est donc clairement de faire pression sur un Etat afin qu’il cesse de menacer la paix. Ces mesures sont donc supposées s’adresser directement aux Etats. Or, en l’espèce, il est difficile de considérer la création des TPI comme une mesure d’isolement étatique.

Dans un premier temps, il faut reconnaître que la création d’une juridiction pénale internationale, parce qu’elle revêt un aspect répressif permet de stigmatiser un Etat. C’est un

moyen de réprimer a posteriori les dirigeants étatiques ou si l’on reprend la thèse développée

par Raphaëlle Maison79, il s’agit de mettre en œuvre d’une manière originale la responsabilité

de l’Etat à travers ses organes.

Toute la question est de savoir si l’on considère que réprimer les ressortissants d’un Etat vise à isoler cet Etat. N’est-ce pas plutôt le moyen au contraire, de réintégrer les Etats qui sont indirectement visés et stigmatisés par le travail des TPI, dans la société internationale ? En désignant les coupables et en établissant les responsabilités de chacun, un meilleur départ peut être pris par ces Etats. Juger les criminels de guerre, c’est aussi déculpabiliser le reste de la population et la réhabiliter auprès de la communauté internationale. Par conséquent, la création d’un tribunal pénal international ne semble pas à première vue conforme à l’esprit de l’article 41.

Evelyne Lagrange et Pierre-Michel Eisemann remarquent pourtant que le Conseil de sécurité ne se contente plus, lorsqu’il agit en vertu de cet article, de « l’édiction de décisions auxquelles le destinataire doit se conformer puis de mesures constrictives que les Etats

membres sont contraints d’appliquer »80

. Les résolutions 827 et 955 inaugurent donc une nouvelle gamme de possibilités car les mesures ainsi décidées « sont essentiellement opératoires ou sont exécutées par les Nations Unies elles-mêmes, à la place du débiteur de l’obligation le cas échéant ; ces décisions sont opposées davantage qu’imposées aux Etats

membres »81. Plus question seulement donc de peser directement sur l’Etat car, comme nous

l’avons vu précédemment, ce n’est pas nécessairement lui qui menace de manière directe la paix et la sécurité internationales. Lorsqu’un Etat augmente son arsenal militaire ou travaille à la production d’armes de destruction massive, il est nécessaire de le sanctionner directement. Dans la mesure où les violations du droit international humanitaire ou des droits de l’homme ne menacent que de manière indirecte la paix et à la sécurité internationales, il est normal que les réponses apportées par le Conseil de sécurité présentent également un caractère indirect.

Les Tribunaux ad hoc ont eu l’occasion de se prononcer sur les modalités de leur création.

Devant le TPIY, l’accusé Tadic a soulevé le 23 juin 1995 une exception préjudicielle d’incompétence. Le TPIY aurait été créé de manière illégale et ne pourrait donc pas procéder à son jugement. Plusieurs arguments ont été avancés à cet égard : le Tribunal aurait dû être établi par un traité international ou tout au moins, l’Assemblée générale des Nations Unies aurait dû être associée à cette création. Selon la Défense, l’étude de la Charte des Nations Unies et plus précisément du Chapitre VII, ne laisse pas penser que la création d’une

80 LAGRANGE (E.), EISEMANN (P. M. ), « Article 41 », La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, volume I, 3ème édition, Economica, 2005, p. 1218.

juridiction pénale fasse partie des attributions du Conseil de sécurité. De plus, l’accusé relève une certaine incohérence dans la politique du Conseil de sécurité : alors que des violations comparables du droit international humanitaire se sont déjà produites, il n’a jamais décidé de créer un Tribunal pénal international. De plus, compte tenu de la poursuite du conflit yougoslave, la justification tirée de la nécessité de maintenir la paix et la sécurité internationale perd toute sa pertinence.

La Chambre de première instance va pourtant affirmer la légitimité du processus de création du TPIY. En revanche, elle ne s’estime pas compétente pour apprécier la légalité des

décisions du Conseil de sécurité82 et l’analyse de la résolution 827 se révèle donc très limitée.

La Chambre d’appel appelée à se prononcer de nouveau sur l’exception d’incompétence

fondée sur l’illégalité de la création du Tribunal décide quant à elle de la déclarer recevable83

. Elle peut ainsi procéder à une étude approfondie des pouvoirs du Conseil de sécurité. Selon elle, « (i)l ressort clairement de ce texte (l’article 39 de la Charte) que le Conseil de sécurité

joue un rôle pivot et exerce un très large pouvoir discrétionnaire aux termes de cet article »84.

De plus, « le Conseil de sécurité est doté d'un très large pouvoir discrétionnaire pour choisir le type d'action appropriée et pour évaluer le caractère pertinent des mesures choisies ainsi que

leur contribution potentielle au rétablissement ou au maintien de la paix »85. La Chambre

d’appel rejette donc ainsi l’exception d’incompétence soulevée par Tadic.

Malgré cette confirmation juridictionnelle de la légalité des résolutions du Conseil de sécurité, « tous les membres du Conseil de sécurité n’ont pas adhéré pour autant à l’utilisation de la

procédure autoritaire des décisions de maintien de la paix »86 considérant qu’il s’agissait d’un

« détournement de procédure »87. De surcroît, comme le remarque Paolo Palchetti,

l’intervention du Conseil de sécurité est généralement conçue comme propre à faire cesser la situation qu’il avait déterminé comme une menace à la paix et à la sécurité internationale. La solution de différends internationaux ou la détermination des conséquences juridiques dérivant d’un fait illicite international n’entrent pas dans les compétences attribuées au

82 Tadic, Chambre de 1ère instance, 10 août 1995, IT-94-1-T. Voir § 23 et 40.

83 Tadic, Chambre d’appel, 2 octobre 1995, IT-94-1-T. Voir § 22.

84

§ 28.

85 § 32.

86 WECKEL (P.), « L’institution d’un tribunal international pour la répression des crimes de droit humanitaire en Yougoslavie », AFDI 1993, p. 234.

Conseil par le Chapitre VII de la Charte. Dans cette hypothèse, le Conseil aurait donc dû s’en tenir au Chapitre VI et recommander des procédures ou des méthodes d’ajustement appropriées88.

Même si on considère qu’on ait eu recours à un subterfuge, à un habillage juridique pour créer les TPI, le Conseil de sécurité conserve « une capacité d’adaptation indéfinie, dans la mesure même où il maîtrise la qualification des menaces ou atteintes à la paix et à la sécurité

internationales, comme les réponses qu’elles appellent »89. D’ailleurs, il « ne s’est jamais

considéré enfermé dans le libellé étroit d’un article voire d’un chapitre de la Charte, et l’a

plutôt prise à son égard comme un bloc »90.

La création des tribunaux pénaux internationaux par le biais du Chapitre VII de la Charte même si elle a pu soulever certaines questions ne fait plus aujourd’hui l’objet de controverses. En effet, comme le remarque Paolo Palchetti, l’institution de ces juridictions se justifie par l’acquiescement des Etats membres de l’ONU ; il s’agit d’une forme de reconnaissance tacite de la légitimité des résolutions portant création des juridictions. En l’absence d’un mécanisme de contrôle de la légalité des actes du Conseil de sécurité, ce sont les Etats qui évaluent la

conformité des résolutions à la Charte91.

Enfin, il faut remarquer que le Statut de la Cour pénale internationale a officiellement pris note de l’implication du Conseil de sécurité dans le domaine de la justice pénale internationale. L’article 13 b) du Statut prévoit en effet que la Cour est compétente si le Conseil de sécurité défère une situation au Procureur en vertu du Chapitre VII. Le Conseil de sécurité apparaît dès lors aujourd’hui comme un déclencheur privilégié des poursuites en droit pénal international. Par les résolutions 808 et 955, le Conseil de sécurité a acquis un véritable droit de regard sur les crimes internationaux et une capacité inégalée à stigmatiser certaines situations.

88 « L’intervento del Consiglio è generalmente ricostruito come diretto ad assicurare solamente la cessazione della situazione che aveva determinato l’esistenza di una minaccia alla pace, violazione della pace o aggressione. La soluzione di controversie internazionali o la determinazione delle conseguenze giuridiche derivanti da un fatto illecito internazionale non rientrerebbero invece tra le competenze attribuite al Consiglio nell’ambito del capitolo VII, in base agli articoli 37, par. 2, e 36, par. 1, il Consiglio potrebbe soltanto raccomandare termini di regolamento o procedure per la soluzione delle controversie » in PALCHETTI (P.), « Il potere del Consiglio di sicurezza di istituire tribunali penali internazionali », RDI 1996, vol. 2, p. 420.

89 SUR (S.), « Eloge du Conseil de sécurité », AFRI 2005, p. 87.

90 SUR (S.), Relations internationales, Montchrestien, Paris, 2004, p. 438-439.

91

PALCHETTI (P.), « Il potere del Consiglio di sicurezza di istituire tribunali penali internazionali », RDI 1996, vol. 2, p. 428-429.