• Aucun résultat trouvé

7.3 Un choix de lieu de vie orienté

7.3.2 Vivre dans un appartement

Manuel et Lucie vivaient tous les deux dans des appartements en dehors du foyer familial. Manuel habitait dans un appartement avec un suivi éducatif, il s’y était installé dans le cadre d’un placement en interne dans une institution. Au début du terrain de recherche, il vivait avec un jeune homme qui travaillait sur le même lieu que lui, puis à la fin de la recherche, il avait changé de colocataire et habitait avec

une jeune femme, elle aussi ayant une trisomie 21 et travaillant sur le même lieu que lui. Il semblait satisfait du changement de colocataire, il m’a dit que « c’est mieux » avec elle qu’avec son précédent colocataire. Le fait de vivre avec une femme ne le questionnait pas plus que cela, il relevait surtout qu’elle était

« trisomique comme moi ». Il était accompagné aux quotidiens par des éducatrices qui passaient régulièrement à l’appartement pour l’aider dans les tâches quotidiennes et dans l’apprentissage de son autonomie.

Quant à Lucie, elle vivait seule dans un appartement qui n’était pas rattaché à une institution. Durant le terrain de recherche, elle a déménagé d’un appartement en ville proche de son lieu de travail à un appartement en campagne, proche de ses grands-parents. Lors de la première rencontre, les parents expliquaient avoir fait un choix pour leur fille et qu’elle et il l’avaient poussé vers le plus d’autonomie possible au niveau personnel, elle avait même suivi une école durant plusieurs années pour apprendre à vivre de manière autonome. D’un autre côté, bien qu’elle ait les compétences pour travailler dans un secteur où elle serait plus autonome, moins accompagnée, elle travaillait dans un atelier adapté, cela lui permettait de « se reposer au travail », elle concentrait alors son énergie sur son autonomie dans sa vie personnelle. La vie dans un appartement autonome semblait l’aboutissement de ce long travail sur son autonomie personnelle ou comme le disaient ses parents « sa vie libre ».

Dans la situation de Manuel et plus largement des appartements avec un suivi éducatif, l’institution propose des lieux de vie aux personnes en situation de handicap, ces lieux de vie sont partagés avec une ou plusieurs autres personnes en situation de handicap. Lucie, quant à elle, vivait seule. Le choix de la personne avec qui on habite est alors différent selon le type d’appartement, avec un suivi ou autonome. Pour les appartements avec un accompagnement éducatif, l’institution se charge de ce choix alors que pour les appartements autonomes, la personne peut émettre un souhait de partager l’appartement. Dans les discussions avec les participantꞏeꞏs, il a souvent été question de savoir avec qui elles souhaitaient habiter. Marc, qui était en couple depuis plusieurs années, expliquait ses envies.

Je lui demande s’il veut vivre seul ou avec son chouchou, il me dit d’abord tout seul après avec chouchou. (Extrait du journal de terrain avec Marc)

Dans les discussions, il n’a jamais été question d’une colocation entre amiꞏeꞏs, mais plutôt de vie seulꞏe, comme Lucie. Vivre en couple s’apparente au mode de vie adulte le plus désirable, partager son lieu de vie avec l’être aimé, mais aussi partager son quotidien. Manuel souhaitait partager un appartement avec sa compagne dans les années à venir, ce qu’il qualifiait d’étape pour devenir adulte.

Il est toujours amoureux de A(F), il me dit que dans trois ans ils vont se marier, que bientôt ils vivront dans le même appartement « bientôt, le même appartement, A(F) m’a dit pour devenir adulte ». (Extrait du journal de terrain avec Manuel)

Avoir son appartement semble être un indicateur du niveau d’autonomie des personnes ayant une trisomie 21 et plus largement c’est un marqueur de la vie d’adulte, notamment par la séparation d’avec la famille. Lors d’une discussion, Sofia s’exprimait clairement sur cet idéal à atteindre.

Elle me dit qu’elle a envie de quitter sa famille, je lui demande pour aller où ? elle me dit « à Lausanne, vivre toute seule, parce que je suis autonome », elle aimerait un studio pour ne plus être embêtée par sa soeur. […] Elle dit aussi que ses parents « ont un peu marre de moi » en rigolant, elle me dit qu’elle est tous les jours sur le natel. (Extrait du journal de terrain avec Sofia)

Et pourtant ce mode de vie en appartement exige une organisation, une logistique certaine. Dans les situations observées, la vie autonome en appartement demandait un accompagnement régulier, si ce n’était pas quotidien, des personnes. Pour la vie en appartement, cet accompagnement était professionnalisé et dispensé par des professionnelꞏleꞏs de l’éducation sociale.

Pendant que Manuel rédige sa liste de courses, l’éducatrice m’explique qu’ils ont dédoublé les effectifs, car ils se rendent compte que le coaching peut prendre du temps. Maintenant il y a une soirée où elles sont deux à tourner sur trois (ou parfois cinq) appartements. (Extrait du journal de terrain avec Manuel)

Les éducatrices étaient alors en charge de plusieurs appartements pour les soirées et elles passaient « coacher » les personnes vivant dans ces appartements. Elles pouvaient parfois venir cinq minutes ou même seulement appeler la personne pour savoir si tout se passait bien, ou parfois elles pouvaient prendre plus de temps pour accompagner la personne dans un besoin spécifique.

Au-delà de l’accompagnement au quotidien, un travail de réflexion était fait dans chaque appartement pour définir le partage et le planning des tâches domestiques, l’organisation de la vie en colocation et l’apprentissage de compétences leur permettant d’être le plus autonomes possible. Cet accompagnement professionnel permettait à Manuel de jouir de la vie en appartement.

Quand cet accompagnement ne pouvait pas être dispensé par des professionnelꞏleꞏs, comme dans le cas de Lucie qui vivait dans un appartement qui n’était pas rattaché à une institution, les parents qui prenaient ce rôle. Lors de notre première rencontre, la mère de Lucie expliquait que son autre fille a été surprise du déménagement de Lucie, elle trouvait que déménager à proximité du cercle familial était comme un retour en arrière.

On parle du projet d’autonomie de Lucie. Sa sœur pensait qu’elle était totalement autonome et que si personne ne s’en occupait, elle gérerait bien sa vie. La mère a dû expliquer que Lucie est autonome, mais avec l’aide des gens et elle en tant que mère doit toujours penser à la place de sa fille. (Extrait du journal de terrain avec Lucie) Dans son appartement en ville, Lucie était isolée, elle ne rencontrait que peu de personnes, elle avait ses routines. La vie en appartement, éloigné de sa famille, comporte ce risque d’isolement. Enfermée dans ses routines et dans sa vie quotidienne, Lucie était très seule. C’est entre autres pour cette raison qu’elle et ses parents ont décidé du déménagement. Quand elle parlait de son quotidien, Lucie expliquait que sa mère passait une fois par semaine chez elle pour discuter, pour voir comment elle allait. Mais l’accompagnement de la mère se faisait aussi dans le quotidien par exemple lorsqu’elle faisait des achats pour son appartement.

On prend la direction du magasin et on discute. Elle m’explique qu’elle va faire les courses, je lui demande ce qu’elle va acheter, elle me dit qu’elle ne se souvient plus, mais que sa mère lui a fait un Whatsapp, elle le cherche et me le montre. Elle doit

acheter du pain toast, du beurre, une salade et un parfum. (Extrait du journal de terrain avec Lucie)

Bien que vivant seule dans un appartement, Lucie disposait de l’accompagnement de sa mère, même si cet accompagnement se faisait à distance, à travers la technologie. Ce souci de l’accompagnement était présent chez les parents, il était aussi présent chez la mère de Marc qui lui cherchait un appartement proche de la maison pour faciliter ce soutien.

De plus, la gestion administrative comme le loyer était prise en charge par l’institution dans le cas des appartements avec un accompagnement éducatif ou par les parents dans le cas d’un appartement autonome. Les questions administratives comme le paiement du loyer, des charges, des factures pour la télévision, la connexion internet semblaient relativement obscures pour les participantꞏeꞏs. Marc, par exemple, pensait devoir payer un loyer d’un peu plus de 300 CHF en ville.

Je lui demande combien est-ce qu’ils gagnent à l’atelier, il me dit Fr. 164 par mois, quand je lui demande son salaire pour l’activité en crèche, il me dit la même chose.

Il me dit que cet argent va servir à trouver un appartement. (Extrait du journal de terrain avec Marc)

L’accompagnement est alors important dans ce qui est gestion de la vie de tous les jours, de la logistique de la vie en appartement, mais aussi pour la gestion administrative qu’implique la vie en appartement.