• Aucun résultat trouvé

Les classifications : comprendre et organiser le handicap

2.1 Le handicap : une notion toujours discutée

2.1.3 Les classifications : comprendre et organiser le handicap

Durant le XIXe siècle, l’hygiénisme et la médecine connaissent leur essor (Diederich, 2010). Des théories et des concepts utilisés encore aujourd’hui sont inventés (Diederich, 2010). Effectivement, il ne s’agit plus uniquement de décrire les phénomènes, il faut les comprendre, les organiser. L’un des sujets trouvant de l’intérêt à cette période est celui de la différence entre les êtres humains, notamment dans leurs capacités physiques ou intellectuelles. Des outils intellectuels, élaborés en fonction du contexte, permettent de classifier les êtres humains selon des normes. De ce fait, la norme occidentale devient une idéologie vers laquelle chacunꞏe doit tendre, soit un phénomène imposant une forme de normalisation. De ce fait, des catégories classant les êtres humains sont créées, ces catégories sont ensuite devenues des références (Diederich, 2010). Deux classifications produites par l’OMS sont plus particulièrement traitées, notamment car elles témoignent de l’évolution de la notion de handicap et de ses représentations (Winance, 2008).

La Classification internationale des déficiences, des incapacités et des handicaps (CIDIH ou CIH)

Avant les années 1970, les organisations internationales n’avaient publié ni des textes d’orientation ni des recommandations concernant le handicap (Ravaud &

Fougeyrollas, 2005). Si des textes avaient été écrits, ils ne traitaient pratiquement que de la question de l’adaptation des invalides ou accidentéꞏeꞏs au travail, valeur dominante de l’époque (Ravaud & Fougeyrollas, 2005). En 1975, l’ONU publie sa Déclaration des Droits des personnes handicapées démontrant alors que le handicap n’est pas uniquement une notion relative à la santé, mais qu’il touche tous les secteurs de la société (Ravaud & Fougeyrollas, 2005). De son côté, l’OMS constate que la CIM, née à la fin du XIXe siècle et issue du modèle individuel, ne couvre pas l’état fonctionnel des personnes suite à un problème de santé. Le slogan de la CIM « Une cause, une maladie, un traitement » reflète le modèle curatif en vigueur à l’époque, et ne prend pas en considération les séquelles de certaines maladies ou certains accidents (Ravaud & Fougeyrollas, 2005). Dans ce modèle curatif, les deux seules options initialement envisagées étaient la guérison ou la mort, toutefois les progrès de la médecine ont permis aux personnes de vivre avec des conséquences d’une maladie ou d’un accident en ayant des limitations fonctionnelles (Fougeyrollas, 2002). L’OMS se rend alors compte de la nécessité de prendre également en compte les conséquences des maladies et accidents, notamment suite à deux urgences sociétales : la première est celle de l’évaluation des conséquences des accidents de travail et la seconde concerne la responsabilité étatique envers les mutilés des deux guerres mondiales, notamment en termes de prise en charge, de pension et de remise au travail (Fougeyrollas, 2002). C’est dans ce contexte que l’OMS mandate Philipp Wood, rhumatologue britannique, pour fournir un cadre conceptuel de ce complément à la CIM (Fougeyrollas, 2002). Le but de ce complément est de proposer un langage commun et des possibilités d’évaluation des personnes et des traitements (Fougeyrollas, 2002). La notion de maladie permet d’articuler les

deux classifications (la CIM et la CIDIH) (Winance, 2008). Ce complément prend en particulier en « compte les conséquences des maladies et blessures dans un sens large incluant toutes les maladies et de constituer la base de futurs systèmes d’information permettant de documenter le phénomène en croissance exponentielle le plus significatif du XXe siècle : celui de la chronicité. » (Fougeyrollas, 2002, p. 3). Effectivement, si lors de l’élaboration de la CIM, les maladies infectieuses étaient prépondérantes, ce sont les maladies chroniques qui prennent de l’ampleur. Ce ne sont plus les maladies en tant que telles qui mènent les gens à consulter, mais les conséquences de la maladie sur la vie quotidienne (Winance, 2008). C’est dans ce contexte que la première classification sur le handicap a été élaborée (Plaisance, 2009) : la CIDIH approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1975, publiée par l’OMS en 1980 (Rochat, 2008) et traduite en français en 1988 (Winance, 2008).

La CIDIH marque le passage d’un modèle curatif à un modèle réadaptatif et introduit la notion de désavantage social mettant alors en avant la partie non médicale du handicap (Ravaud & Fougeyrollas, 2005). La classification, qui était centrée sur les causes dans la CIM, porte son attention sur les conséquences des maladies dans la CIDIH et permet d’avoir un outil et des codes « structurant le recueil des informations nécessaires pour évaluer l’état de santé des populations et l’efficacité des services de santé » (Winance, 2008, p. 382).

L’OMS différencie trois concepts pour les effets de la maladie : la déficience, l’incapacité et le désavantage. La déficience est l’aspect lésionnel, qu’elle soit temporaire ou permanente, elle peut concerner une structure psychologique, physiologique ou anatomique (Plaisance, 2009). L’incapacité est l’aspect fonctionnel du handicap, c’est une réduction partielle ou totale d’une capacité dans une activité. Puis l’aspect situationnel est le désavantage, il touche la personne dans son rôle social, un rôle qui correspond à celui d’une personne de son âge, son sexe et des facteurs sociaux culturels. La personne en situation de handicap ne peut pas répondre aux normes de fonctionnement de la société (vie quotidienne, travail, école, transport, etc.) (Plaisance, 2009; Rochat, 2008).

Déficiences (niveau lésionnel)

Incapacités (niveau fonctionnel)

Désavantages (niveau situationnel) Pertes, malformations,

anomalies ou dysfonctionnements résultant de la maladie

Réduction partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité

Difficultés ou impossibilités à accomplir un rôle social Figure 1 La CIDIH

Dans la CIDIH, le handicap est aussi envisagé comme dans un processus à quatre niveaux successifs qui part d’une situation intrinsèque (la maladie), se transforme en phénomène extériorisé (la déficience), puis en phénomène objectif (l’incapacité) et finalement en problème social (le désavantage) (Winance, 2008).

La situation de handicap n’est pas déterminée par le seul problème de santé comme cause, il s’agit d’une conséquence, d’un dysfonctionnement en lien avec plusieurs facteurs : environnementaux et contextuels (par exemple une situation de chômage, car la personne ne trouve pas de travail). « En résumé, dans la CIH, le handicap est défini comme l’écart à une norme sociale, définie en termes de performances moyennes, écart résultant d’une maladie et entraînant un jugement négatif, un discrédit, un désavantage pour la personne. » (Winance, 2008, p. 390).

Distinguer plusieurs niveaux permet de mieux appréhender les expériences des personnes en situation de handicap, tout comme cela de différencier les institutions et les spécialistes concernés par le handicap (centres médicaux pour les déficiences, centres de rééducation pour les incapacités et centres d’aide sociale pour le désavantage) (Plaisance, 2009). Cette classification introduit la dimension sociale du handicap, par le désavantage. Effectivement, les normes sociales créent elles aussi le handicap. Toutefois, ce schéma amène aussi son lot de critiques négatives. L’un des éléments très souvent soulevés est son caractère linéaire de cause à effet et à sens unique. Une déficience ne conduit pas inévitablement à une incapacité ni à un désavantage (Plaisance, 2009;

Rochat, 2008). Avec cette approche, la personne est handicapée, car elle est malade, le handicap est donc une tragédie personnelle (Winance, 2008). Cette classification, souvent jugée comme négative dans sa terminologie, oublie les facteurs environnementaux. Toujours dans une conception individuelle et médicale du handicap, le handicap est seulement expliqué par les facteurs-personne (déficiences), l’intervention ne peut alors qu’être centrée sur l’individu (Rochat, 2008).

Cette première classification a permis d’ouvrir le débat sur la question du handicap (Stiker, 2007). Pierre Minaire, médecin de réadaptation, a introduit ensuite la notion de « situation de handicap » et au Québec une équipe de chercheurꞏeꞏs a travaillé sur un modèle intégratif le PPH (Rochat, 2008). Dans le cadre des Disability Studies, le modèle social est ébauché et stipule que la personne n’est pas handicapée à cause de sa déficience, mais à cause de la société et de ses obstacles. Ce modèle social en opposition au modèle individuel de la CIDIH aura une importance certaine dans la révision de la CIDIH (Winance, 2008). Ces modèles alternatifs (intégratif et social) donnent plus d’importances à la norme sociale qu’aux attentes médicales (Winance, 2008).

La Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF)

La CIDIH ne devait à l’origine pas être considérée comme une classification définitive. En 1993, elle a toutefois été publiée comme classification de l’OMS (Winance, 2008). La CIDIH, comme vue plus haut, a été critiquée par les mouvements revendicatifs des personnes en situation de handicap, tout comme par des chercheurꞏeꞏs, notamment pour sa non-prise en compte de l’aspect social du handicap (barrières physiques, restrictions des droits humains, discriminations) (Plaisance, 2009). Rappelons que dans les années 1970-1980, outre la Déclaration de l’ONU, de nombreux mouvements de personnes en situation de handicap se sont mis en place, comme l’association internationale des personnes handicapées (Disabled People International) qui a rejeté les définitions de l’OMS (Winance, 2008). À partir de la publication de la CIDIH, de

nombreux groupes de travail se sont activés pour réfléchir à la notion de handicap et à ses dimensions. L’objectif était de standardiser la terminologie et d’intégrer les facteurs environnementaux (Rochat, 2008). Pour répondre aux controverses et pour entrer dans l’objectif d’égalisation des chances des personnes handicapées de l’ONU, l’OMS décide de réviser sa CIDIH (Plaisance, 2009).

Suite aux révisions successives (6 en 4 ans) (Winance, 2008) alimentées par des confrontations de points de vue, l’apparition des différentes théories scientifiques ou encore les revendications politiques déclenchées par ces discussions, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté en 2001 la « Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé » (CIF). Le nouveau schéma de compréhension du handicap se veut plus complexe et ambitieux, il n’est plus centré sur le handicap, mais sur la notion de santé. De plus, il est applicable à tout à chacun, le handicap est considéré comme une expérience humaine universelle et affectant tous les domaines de la vie (assurances, emploi, éducation, économie, développement législatif, etc.) (Plaisance, 2009; Rochat, 2008).

Une classification biopsychosociale

Le schéma de la CIF, présenté ci-dessous, intègre autant les dimensions du modèle individuel que celles du modèle médical (cadre de l’OMS). Effectivement, le problème de santé ainsi que facteurs contextuels (environnementaux et personnels) sont mis en interaction. De ce fait, la CIF est considérée comme une classification biopsychosociale (Plaisance, 2009). Afin de dépasser le schéma linéaire de la CIDIH, la CIF propose un schéma avec des interactions qui met en valeur trois niveaux : (a) les fonctions organiques et structures anatomiques (b) les activités et (c) la participation sociale.

Figure 2 Interactions entre les composantes de la CIF (OMS, 2001, p. 19)

La CIF intègre alors les états de la santé, ainsi que les états connexes de la santé comme l’éducation et le travail. Deux termes génériques apparaissent : (a) le fonctionnement qui se rapporte aux fonctions organiques, aux activités et à la participation sociale et (b) le handicap qui désigne les déficiences, les limitations d'activités ou les restrictions de participation (Rochat, 2008). Notons aussi que la CIF propose une liste des facteurs environnementaux perçus comme facilitateurs ou obstacles et reprend les facteurs personnels de la CIDIH (âge, sexe, condition sociale, expériences de vie, etc.) (Winance, 2008).

Dans son introduction, la CIF de l’OMS (2001, p. 5) expose ses objectifs :

 « fournir une base scientifique pour comprendre et étudier les états de la santé, les conséquences qui en découlent et leurs déterminants ;

 établir un langage commun pour décrire les états de la santé et les états connexes de la santé afin d'améliorer la communication entre différents utilisateurs, notamment les travailleurs de santé, les chercheurs, les décideurs et le public en général, y compris les personnes handicapées ;

 permettre une comparaison des données entre pays, entre disciplines de santé, entre services de santé et à différents moments ;

 fournir un mécanisme de codage systématique pour les systèmes d'information sanitaire. »

Le Réseau international sur le processus de production du handicap (RIPPH), ayant participé à la révision de la CIDIH notamment sur les aspects de facteurs environnementaux, relève que l’intégration de la notion de santé à cette classification amène une certaine confusion dans la compréhension du handicap comme question sociétale multidimensionnelle (Rochat, 2008).

2.1.4 Un modèle intégratif ou interactif : le Processus de production du