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2.1 Le handicap : une notion toujours discutée

2.1.2 Les modèles qui dessinent les contours du handicap

Différents modèles proposent une compréhension du concept de handicap : (a) le modèle individuel (aussi appelé médical) ; (b) le modèle social, et plus récemment le modèle intégratif et dynamique (c), qui tente « de dépasser le déterminisme individuel du modèle médical et le déterminisme externe du modèle social. » (Rochat, 2008, p. 3).

Cette section montre comment l’évolution de la perception et de la compréhension du handicap à travers ces trois modèles reflète un glissement de la responsabilité de l’individu aux obstacles de la société (environnementaux, politiques, culturels,

techniques, etc.) (Dejoux, 2015). Ce glissement, s’il est observable dans la définition du handicap et ses modèles, l’est aussi dans les actions politiques ou encore dans les lois adoptées (Dejoux, 2015).

Le modèle individuel (ou médical)

Le modèle individuel, parfois appelé modèle médical, date du début du XXe siècle (Barnes, Shakespeare, & Mercer, 1999). Issu de l’approche biomédicale (Rochat, 2008), ce modèle est fortement influencé par la recherche de diagnostic et de solutions médicales (Barnes et al., 1999).

Cette approche médicale porte de l’intérêt à l’anormalité physique en tant que cause de handicap ou de limitation fonctionnelle (Barnes et al., 1999). De ce fait, une relation linéaire de cause à effet entre les déficiences et les désavantages sociaux est pensée (Dejoux, 2015) : « une maladie ou un traumatisme provoque une déficience organique et fonctionnelle ; il en résulte une incapacité pour la personne ; cette incapacité se traduit en désavantage social ou handicap. » (Rochat, 2008, p. 3). L’expérience sociale négative vécue par les personnes concernées prend alors sa source dans leurs attributs personnels (Dejoux, 2015), amenant à penser que le handicap est une réalité intrinsèque à l’individu (Rochat, 2008).

Le handicap devient alors une catégorie, mais aussi une caractéristique, définissant la personne (Barnes et al., 1999). L’une des conséquences reconnues de cette catégorisation est le regard porté sur la personne concernée, elle est perçue comme une victime, une personne ayant besoin d’aide, une personne dépendante (Barnes et al., 1999).

Les solutions proposées sont de l’ordre du curatif et de la réhabilitation, demandant l’intervention des praticienꞏneꞏs de la santé, des psychologues et des pédagogues qui cherchent à réduire la déficience afin de minimiser les conséquences de cette dernière (Barnes et al., 1999). L’objectif est la guérison ou du moins la réadaptation (Rochat, 2008). En Suisse, l’Assurance-invalidité (AI) est l’une des solutions construites sur la base de cette approche (Rochat, 2008).

En se basant sur la perte de gain dû à une déficience et sur le principe des régimes de compensation, l’Assurance-invalidité propose entre autres des rentes aux personnes concernées.

De ce fait, la préoccupation médicale est de diagnostiquer l’anormalité physique ou intellectuelle et d’administrer le « bon traitement ». Autant d’un point de vue administratif et politique, l’intérêt est de traduire le handicap en besoins spécifiques (Barnes et al., 1999).

L’incapacité est pensée en termes de limitations dans les activités quotidiennes essentielles (Barnes et al., 1999). Des discussions s’instaurent alors sur différents points comme les techniques et mesures pour évaluer l’ampleur du handicap ou encore l’évaluation des changements dans le temps (Barnes et al., 1999). Ces questions s’appliquent aussi à la déficience intellectuelle.

Cette approche est critiquée sur plusieurs points. Tout d’abord, cette compréhension du handicap se base sur une définition de la normalité chargée de suppositions et de préjugés sur l’être humain valide (Barnes et al., 1999). De ce fait, les spécialistes se centrent sur la recherche de solutions médicales

permettant de devenir valide tout en excluant les interventions sociales (Barnes et al., 1999).

La position donnée aux personnes concernées par le handicap dans ce modèle est aussi critiquable. En position de dépendance, ces personnes sont peu, voire pas, entendues, ne peuvent pas s’exprimer sur leurs propres expériences, car c’est l’avis du professionnelꞏle qui est valorisé et qui compte lorsqu’il s’agit de définir les besoins de la personne en situation de handicap. Avec cette approche, on attend de ces personnes qu’elles fassent tous les efforts pour s’ajuster, se normalise. Elle est alors considérée comme anormale ou défectueuse (Barnes et al., 1999). Ce modèle incite à penser que toutes les difficultés que la personne concernée subit sont les conséquences directes de ses incapacités, sans interroger l’environnement (Masson, 2013). « Si une personne handicapée n’arrive pas à trouver du travail, à se faire comprendre, à effectuer ses déplacements ou à participer plus largement à la vie en société, c’est le déficit biologique qui sera invoqué pour expliquer sa marginalisation. La solution relèvera alors des traitements et de la technologie (prothèses et autres), des efforts de l’individu pour « surmonter son handicap » et, le cas échéant, de la charité ou de l’assistance publique. » (Masson, 2013, p. 112).

Suite aux nombreuses critiques, notamment des personnes en situation de handicap, une nouvelle classification, perçue comme biopsychosociale, a remplacé la CIDIH, la CIF qui tente de faire cohabiter le modèle médical et le modèle social.

Le modèle social

Le modèle social puise son origine dans la critique du modèle individuel. Durant les années 1980 et 1990, des groupes d’activistes en situation de handicap ont, à leur tour, tenté de modéliser le handicap, en mettant en évidence sa dimension extrinsèque (Rochat, 2008). Avec le modèle social, l’argument mis en avant est que ce n’est pas à l’individu en situation de handicap de s’ajuster, mais à la société de s’adapter.

À l’avant-garde de ce modèle conceptuel, The Union of the Physically Impaired Against Segegation (UPIAS) du Royaume-Uni, dans son manifeste Fundamental Principles datant de 1976, considère la société responsable du handicap et désigne les personnes en situation de handicap comme un groupe subissant l’oppression de la société (Barnes et al., 1999).

De plus, il semblait alors nécessaire de distinguer « la notion d’incapacité, vue comme limitation fonctionnelle relevant de la biologie, et la notion de handicap, comprise comme l’ensemble des situations de désavantage, de discrimination et d’oppression subies par les personnes vivant avec des incapacités » (Masson, 2013, p. 113).

Si l’incapacité est considérée comme un attribut individuel, le handicap lui est le résultat de la relation, pouvant être perçu comme oppressif, entre les personnes en situation de handicap et le reste de la société (Barnes et al., 1999; Rochat, 2008). Le handicap est une condition stigmatisante, une fois définie comme telle, la personne concernée subit des atteintes sociales en lien direct avec son handicap (Barnes et al., 1999).

Le modèle social se centre alors sur les causes externes, physiques ou sociales, appelées des obstacles (construction des bâtiments, moyens financiers, éducation, etc.) et limitant l’occasion des personnes concernées de participer à la société (Barnes et al., 1999) ou comme l’explique Dejoux (2015, p. 69) « qui font obstacle à la participation sociale et à la pleine citoyenneté. ». Plutôt que travailler sur l’individu pour diminuer ou supprimer le handicap, le modèle social propose de travailler sur ces obstacles (Barnes et al., 1999). Le handicap n’est donc pas une situation fixe dans le temps et l’espace, l’expérience du handicap peut varier en fonction des réponses qui y sont apportées. Le modèle social, en évoquant des obstacles, propose une réflexion sur les processus de l’oppression sociale et de la discrimination (Barnes et al., 1999). Se questionnant alors sur la culture et les politiques, le modèle social perçoit la vie en société non seulement comme des places en matière de positions de domination, mais comme des « arènes de résistance et de défis pour les personnes en situation de handicap »1 (Barnes et al., 1999, p. 31).

Abandonnant l’idée de guérison via une action curative, les types d’interventions proposées par le modèle social visent à rendre la personne autonome dans sa vie quotidienne en développant ses capacités propres et en supprimant les barrières physiques et sociales (Rochat, 2008).

Le modèle social en dénaturalisant le handicap met l’accent sur la construction sociale plutôt que sur les incapacités. Ce modèle est utilisé pour les mobilisations des personnes en situation de handicap dénonçant les oppressions vécues et revendiquant la reconnaissance de leurs droits. Toutefois, certaines critiques relèvent l’impasse faite sur les incapacités, sur le corps et ses fonctionnalités (Masson, 2013).

Les modèles dans le contexte légal ou juridique suisse

Rochat (2008) analyse la présence du modèle individuel et du modèle social dans le contexte légal et juridique suisse. Effectivement, l’arrivée du modèle social n’a en aucun cas fait disparaître le modèle individuel. En Suisse, la Loi sur l’Assurance-invalidité (LAI), entrée en vigueur en 1960, est empreinte du modèle individuel. Dans son fondement, la LAI se préoccupe de la perte de gain (partielle ou totale) due à une invalidité. Elle propose alors des mesures de réadaptation adaptée et des rentes de compensation. Le modèle social, quant à lui, se retrouve dans l’interdiction constitutionnelle de discrimination et la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (LHand), adoptée en 2004. Cette dernière en améliorant les conditions-cadres globales de la société cible les personnes avec un handicap. Dans ce contexte, si la LAI parle d’invalidité, la LHand évoque le handicap, deux notions différentes ne touchant pas les mêmes individus et reflétant des réalités différentes. La notion de handicap touche un public plus large que celle d’invalidité, effectivement sont comptés parmi les personnes en situation de handicap des retraités ou des personnes ne subissant pas de perte de gain, notion primordiale dans le cas de l’invalidité. Le fait de s’inspirer tant du modèle médical que du modèle social permet au système suisse d’avoir des mesures complémentaires (Rochat, 2008). Effectivement comme vu plus haut, la LAI offre des mesures de réadaptation ainsi qu’une compensation en ce qui concerne la

1 En anglais dans le texte, traduction personnelle

perte de gain, alors que la LHand améliore les conditions-cadres globales offertes par la société (Rochat, 2008).