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Ce travail s’intéresse plus particulièrement au handicap consécutif à une déficience intellectuelle. Les personnes concernées « […] ont des limitations du fonctionnement cognitif et du comportement adaptatif qui affectent leurs habiletés conceptuelles, sociales et pratiques […] » (H. Dionne & Dupras, 2014, p. 155).

Concernant la distribution des capacités intellectuelles, si auparavant on postulait que les différences étaient innées selon les races et les groupes sociaux, il a été jugé nécessaire de les aborder de manière objective, et ce en élaborant des outils intellectuels permettant « de rendre compte de ce qui n’est pas directement observable » (Diederich, 2010, p. 108).

Le domaine de la déficience intellectuelle a connu, et connaît encore, de nombreuses métamorphoses conceptuelles, notamment dues à son « caractère indéfinissable » ou à une évolution du regard sur l’autre. Ces transformations démontrent alors le changement de place des personnes ayant une déficience intellectuelle dans nos sociétés. Ce concept ne se stabilisant pas demeure complexe et doit vivre avec l’hétérogénéité de sa population et ses frontières peu claires. Comme tout construit social, il est en constante mutation et questionnement (Diederich, 2010).

Des « imbéciles, débiles et retardés », termes venant du monde asilaire (Diederich, 2010) aux personnes déficientes intellectuelles, le concept a connu une importante évolution terminologique, elle est discutée dans le prochain point.

2.2.1 La terminologie

Plusieurs expressions sont utilisées dans la littérature pour désigner la déficience intellectuelle (intellectual disability) : retard mental (mental retardation), handicap mental, déficience mentale, ou encore comme en Angleterre, difficultés d’apprentissage (learning difficulties). Si des nuances sont amenées dans la définition, ce sont avant tout les effets sur la représentation des personnes concernées qui animent les débats. Selon Hamonet (2007, p. 227), certains termes « sont chargés d’un poids culturel très négatif qui, de la stigmatisation, conduisent à l’exclusion ». Ces termes viennent de désignations antérieures, issues des premières classifications scientifiques, conduisant à « légitimer la hiérarchie entre les êtres humains » (Diederich, 2010, p. 106). La terminologie utilisée dans ce manuscrit est celle venant de la littérature scientifique et professionnelle récente dans les contextes francophone et anglophone.

Si le terme déficience intellectuelle s’est répandu aujourd'hui dans la littérature et sur les terrains professionnels, l’utilisation d’un terme plutôt que l’autre est variable, elle dépend des traditions du lieu (American Association on Mental Retardation, 1994). Le terme intellectual disability est parfois traduit en français par déficience intellectuelle, par exemple sur le site de l’OMS ou par handicap intellectuel, par exemple dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM5). Le changement de terminologie s’illustre aussi dans le changement de noms de certaines associations, par exemple, l’American Association on Mental Retardation (AAMR) est devenue en 2007 l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD) (Schalock et al., 2007). Toutefois, bien que la dénomination diffère, les personnes considérées comme ayant une déficience intellectuelle et celles ayant un retard mental sont les mêmes et elles ont les mêmes besoins en termes de services et soutiens (Schalock et al., 2007). En Suisse, le terme déficience intellectuelle prédomine (Buntinx et al., 2016).

Schalock et al. (2007) distingue trois niveaux dans ce débat sur la terminologie : (a) le construit qui décrit le phénomène (b) le terme qui met un nom sur le phénomène (c) la définition qui décrit précisément le phénomène et établit les frontières. Pour la déficience intellectuelle, son construit intègre celui, plus large, du handicap. Tout comme pour ce dernier, le construit de la déficience intellectuelle se focalise sur l’interaction entre l’individu et l’environnement, considérant alors que des soutiens individuels et systématiques améliorent le fonctionnement de l’individu.

2.2.2 Des définitions qui dessinent les contours

La définition quant à elle permet d’expliquer précisément le terme et de lui donner un sens et des frontières (Schalock et al., 2007). Le prochain point permet ainsi de s’attarder sur les définitions dites constitutives au sens de Buntinx et al. (2016, p. 110) : « La définition constitutive repose sur une explication descriptive du concept par rapport à d’autres concepts ; elle sert à expliquer et comprendre la notion de DI [déficience intellectuelle]. ».

American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD)2

Fondée en 1876 sous le nom de « Association of Medical Officers of American Institutions for Idiotic and Feebleminded Persons », l’Association américaine pour le retard mental diffuse des documents, dont des manuels, sur la terminologie et la classification du phénomène comme « Mental retardation : definition, classification, and systems of supports » (American Association on Mental Retardation, 1994). En 2007 cette dernière association changea de nom et devint Association on Intellectual and Developmental Disabilities.

L’AAIDD définit la déficience intellectuelle comme : « une incapacité caractérisée par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif, qui se manifeste dans les habiletés conceptuelles,

2 Anciennement L’American Association on Mental Retardation (AAMR)

sociales et pratiques. Cette incapacité survient avant l’âge de 18 ans. » (Buntinx et al., 2016, p. 112).

Association américaine de psychiatrie (APA)

Dans le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (DSM5), l’APA utilise tant le terme de handicap intellectuel que celui de trouble du développement intellectuel afin d’être au plus proche des autres classifications ou définitions. Le handicap intellectuel ou trouble du développement intellectuel est défini comme « un trouble débutant, pendant la période du développement, fait de déficits tant intellectuels qu'adaptatifs dans les domaines conceptuels, sociaux et pratiques. ». (American Psychiatric Association, Crocq, & Guelfi, 2015, pp. 35-36).

Ce fonctionnement adaptatif, qui détermine le niveau d’assistance est « estimé à la fois par l’évaluation clinique et par des mesures psychométriques individualisées, culturellement adaptées et fiables. Les mesures standardisées sont utilisées avec des informants crédibles (p. ex. un parent ou un autre membre de la famille, un enseignant, un conseiller, un soignant) et le Sujet lui-même dans la mesure du possible » (American Psychiatric Association et al., 2015, p. 40).

Quatre niveaux de sévérité sont explicités rappelant ceux de la CIM-10 : léger, moyen, grave et profond.

La notion de déficit du fonctionnement adaptatif correspond à « comment une personne satisfait aux normes collectives en matière d'autonomie et de responsabilité par rapport à des sujets du même âge et de milieu socioculturel comparable » (American Psychiatric Association et al., 2015, p. 40). Et ce critère est atteint dès que l’un des domaines conceptuel, social ou pratique « est suffisamment altéré pour qu'une aide constante soit nécessaire pour que le sujet obtienne des résultats satisfaisants dans un ou plusieurs cadres de vie, à l'école, au travail, à la maison ou dans la collectivité. » (American Psychiatric Association et al., 2015, p. 41).

Ces deux définitions introduisent, toutes deux, des caractéristiques essentielles comme : l’intelligence, le comportement adaptatif et la notion de problème de développement (Buntinx et al., 2016). Ces définitions plutôt issues des domaines de la psychologie et de la psychométrie font d’ailleurs l’objet de certaines critiques : la distinction peu claire entre les notions d’intelligence et de comportements intelligents, la définition même d’intelligence, etc. (Buntinx et al., 2016).

2.2.3 Les représentations des personnes déficientes intellectuelles

« Dans nos sociétés organisées et hiérarchisées où l’intégrité physique et mentale détermine le plus souvent la place et la considération sociale » (Diederich, 2010, p. 107) le handicap mental, ou déficience intellectuelle, est une désignation invalidante. Au-delà du ressenti de la personne concernée, le regard porté sur ces personnes atteintes dans l’intégrité de leurs capacités intellectuelles peut être lourd (Moyse, 2002). Soulevant peu d’intérêt, si ce n’est comme le souligne Diederich (2004) de la curiosité ou de la crainte, ces personnes sont victimes de discriminations contre lesquelles elles peuvent difficilement, voire pas, se défendre (Diederich, 2004).

Le groupe des personnes ayant une déficience intellectuelle, s’il est, nous l’avons vu plus haut, hétérogène et concerne des personnes avec des capacités variables, demeure, dans l’esprit des gens, représenté principalement par des personnes avec une déficience profonde.

Pour les personnes concernées, le fait d’être assimilé « avec une déficience intellectuelle » est déjà en soi une discrimination. Elles subissent alors les représentations négatives associées à cette population, notamment par des attitudes hostiles, ironiques ou de surprotection (Diederich, 2004)

L’une des difficultés relevées dans le domaine de la déficience intellectuelle est celle du diagnostic. Bien que pour les personnes ayant une trisomie 21, le diagnostic peut se faire très rapidement, dans d’autres cas, la personne concernée peut être perçue comme de mauvaise volonté, paresseuse ou excentrique avant que le trouble n’acquière une « existence sociale » en étant répertorié et classifié, (Diederich, 2004, p. 44). En plus de l’apparence physique qui peut déjà donner quelques informations, l’expression verbale permet en quelques instants de renseigner « sur la « qualité » de la personne parlante » (Diederich, 2004, p. 68). C’est entre autres pour cette raison que la prise de parole peut être perçue comme dangereuse pour les personnes concernées.

Il y a quelques décennies, les enfants « handicapés mentaux », arrivés à l’âge adulte, entraient dans le monde du travail et n’étaient plus considérés comme

« handicapés mentaux » (Diederich, 2004). Diederich (2004, p. 109) soulève à ce propos une question actuelle : aujourd’hui comment « peut-on songer sérieusement à intégrer dans le monde du travail, c'est-à-dire exiger compétence, rentabilité, dynamisme et responsabilité (les quatre mots-clefs de la réussite), de jeunes adultes qui, la plupart du temps, ne savent ni lire ni écrire, présentent des troubles du langage et parfois du comportement, et qui ne possèdent aucune qualification ? ». Ce milieu professionnel « normal » sera accessible uniquement pour une tranche d’adultes « plus compétents » ou peut-être « plus accompagnés ». Le monde professionnel s’il a une fonction économique certaine, permet aussi aux individus de prétendre à un statut social de travailleur ou travailleuse. Dans une société où le travail prend une place si importante, être un travailleur ou une travailleuse permet de se rapprocher de la norme.

Dans cette recherche, le handicap dû à une déficience intellectuelle est pensé comme une condition sociale et stigmatisée (Gerschick, 2000). Pour poursuivre dans la clarification des notions importantes de ce travail, la prochaine section présente l’anomalie chromosomique qu’est la trisomie 21.

2.3 La trisomie 21 : la figure emblématique de la