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L’oralité un mode de communication marquant la domination

6.3 Discussion

6.3.2 L’oralité un mode de communication marquant la domination

révélatrices des différents rapports sociaux et du rapport social de capacité en particulier. Elles sont l’un des points d’entrée de la partie empirique, observer le quotidien permet d’observer les interactions entre les individus. Si l’analyse des

interactions se poursuit dans les chapitres suivants, ce point permet de rendre compte de la particularité des interactions avec une personne ayant une déficience intellectuelle. Durant ces observations, la séparation entre les deux groupes sociaux, entre personnes valides et celles en situation de handicap, est marquée dans les interactions. Ces dernières sont influencées par l’appartenance des individus à l’un ou l’autre des groupes sociaux, elles sont révélatrices des dynamiques des rapports sociaux (West & Fenstermaker, 2006) et dans ce cas précis de capacité. Comme explicité plus haut, les interactions sont l’un des lieux d’expression de différents processus : on stigmatise, on discrimine, on domine.

Les rapports sociaux prennent forme dans les interactions.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU (2006:

Préambule) reconnait qu’il importe que les personnes en situation de handicap aient accès « à la communication pour jouir pleinement de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ». Pour des personnes ayant une déficience intellectuelle, ce droit fondamental à la communication peut représenter un réel défi (Tessari Veyre & Gremaud, 2017). L’entourage, tant privé que professionnel, met en œuvre différents moyens, stratégies, outils afin de la favoriser. Lors de mes observations, s’exprimer, communiquer apparaissait comme un droit que l’entourage personnel et professionnel devait favoriser pour les personnes ayant une trisomie 21, et dans certains cas des difficultés de langage. Effectivement, elles pouvaient rencontrer des limites « dans la production et la compréhension du langage » et peuvent avoir « une articulation difficile due à une hypotonie générale » (Gremaud et al., 2014, p. 122).

Les interactions entre "handicapéꞏeꞏs" et les "valides" peuvent être le théâtre de situation de confusions, de malaise (Loser & Waldis, 2017). Ces situations sont d’autant plus visibles quand la ou le "valide" n’est pas habituée au handicap. Lors des observations, les participantꞏeꞏs se trouvaient le plus souvent face à des personnes connaissant le milieu du handicap, soit des membres de leur famille, qui avaient appris à connaître ce milieu, soit des professionnelꞏleꞏs qui avaient choisi ce milieu pour leur pratique professionnelle : éducateurs ou éducatrices, maîtreꞏsseꞏs socioprofessionnelꞏleꞏs, thérapeutes, etc.

Les observations ont révélé la séparation entre les groupes, notamment par le fait que les interactions puissent passer par la communication orale qui n’est pas toujours maîtrisée parfaitement par les personnes ayant une trisomie 21. Les observations ont mis en lumière des situations d’embarras, lorsque la personne avec une déficience intellectuelle n’arrive pas à s’exprimer, à se faire comprendre par une personne valide ou lorsqu’une personne valide évite le contact d’une personne ayant une déficience intellectuelle de peur de ne pas la comprendre. La parole est alors identifiée comme un enjeu essentiel (Faivre, 2015) dans les rapports sociaux. S’exprimer, être capable de communiquer devient un objectif fort de l’accompagnement des personnes ayant une trisomie 21. Dans l’analyse des rapports sociaux de capacité, la communication semble prendre une place prépondérante. Car améliorer l’expression peut être perçu comme un indicateur concret d’une réduction de l’écart par rapport à la norme des valides. Le handicap, comme le genre, se réalise dans les interactions sociales (West & Fenstermaker, 2006), la faculté ou non à s’exprimer, à communiquer est alors directement perçue dans les interactions comme un marqueur de la séparation entre les "valides" et les personnes en situation de handicap et plus particulièrement comme un

marqueur de la distinction entre les personnes en situation de handicap ayant la capacité de communiquer et celles qui ne l’ont pas. Dans l’atelier de Louise, une de ses collègues qui avait une déficience intellectuelle, mais qui s’exprimait très bien, a marqué à plusieurs reprises la différence en rappelant qu’elle, « elle parle bien » et qu’elle n’avait pas besoin par exemple du soutien gestuel. De ce fait, si le souhait dans l’accompagnement est de réduire cet écart entre elles et les

"valides", la communication semble alors un enjeu particulièrement important pour les accompagnantꞏeꞏs.

Les difficultés de communication et d’entrée en interaction sont présentes dans la plupart des sphères de la vie quotidienne des personnes observées : sphères privées, professionnelles, l’espace public, etc. La différence entre les groupes est marquée et visible. Le mode de communication du groupe dominant, les "valides", est privilégiée, la communication se fait à l’oral à travers la parole. Les personnes ayant une trisomie 21 s’appuient sur d’autres moyens pour communiquer comme des pictogrammes ou du soutien gestuel, et ce afin de faciliter leur communication (Laroche, 2004). Pourtant ces moyens sont peu utilisés par les "valides" les entourant et s’ils le sont, les différentes personnes de l’entourage ne sont pas toujours coordonnées, tout le monde ne les utilise pas de la même manière ou à la même fréquence. De plus, une fois sorties du cercle social proche de la personne, ces aides à la communication ne sont pas suffisamment connues et reconnues pour être utilisées. Les outils permettent ainsi d’améliorer la communication avec les proches et créent un environnement capacitant pour l’entourage proche, mais reste peu adapté pour la communication avec d’autres personnes, l’aisance sociale est ainsi limitée pour ces personnes.

Des situations d’incompréhension étaient alors observées, la personne ayant une déficience intellectuelle n’arrivait pas à comprendre ou à se faire comprendre amenant ainsi des situations d’embarras au sens de Goffman (1974). Les interactions sont alors un lieu de marquage de la différence, de la séparation des groupes et cette séparation s’exprime par une incompréhension, un malaise. Les personnes observées semblent habituées à ces situations, elles adoptent des stratégies pour les éviter ou les détourner : elles évitent les sujets, elles donnent des réponses erronées, elles utilisent unꞏe proche, etc. Elles essaient d’éviter d’être dominées. Les observations avec les personnes ayant une déficience intellectuelle ont mis en avant les rapports sociaux de capacité dans les interactions, ils étaient très marqués, parfois révélateurs de stigmatisation, de discrimination voire de domination. La communication orale peut ainsi être perçue comme un enjeu fort du rapport social de capacité, il met en tension les groupes sociaux et marque la différence. Cette oralité, en tant que norme dominante imposée par le groupe social des "valides" est si présente dans l’observation des interactions dans le cadre de cette recherche, qu’elle rend très visible le rapport social de capacité, peut-être au détriment de l’observation du rapport social de sexe. Dans l’observation même des interactions, l’omniprésence du handicap rend moins visible le genre.

Ce premier chapitre empirique sur les catégories sociales et leur influence sur les interactions a permis de mettre en lumière trois phénomènes sociaux opposant les groupes sociaux de sexe et/ou de capacité pouvant ainsi être élevés au rang d’enjeux. Il s’agit de la corporéité, de la santé et de la communication. Je reprends

dans la conclusion générale l’analyse de ces trois enjeux qui me permettent d’éclairer la question de l’articulation des rapports sociaux. Le prochain chapitre s’intéresse plus particulièrement à certains aspects de la vie quotidienne des personnes ayant une trisomie 21 en y questionnant l’importance de l’autonomie.

La vie quotidienne marquée par la recherche d’autonomie

Dans ce chapitre, des éléments du contexte général de la vie quotidienne des personnes ayant une trisomie 21 sont décrits et analysés. Trois thématiques principales sont abordées sous l’angle des rapports sociaux, il s’agit de : l’injonction à la vie d’adulte, les relations avec la famille et les lieux de vie des participantꞏeꞏs. La première section analyse ces injonctions à la vie adulte auprès de personnes qui sont caractérisées par leur manque de capacités et donc leur difficulté à vivre de manière autonome ainsi que la notion de citoyenneté. L’âge adulte et l’autonomie apparaissent en effet comme intimement liés tout en étant peu accessibles aux personnes ayant une déficience intellectuelle qui peuvent être perçues comme d’éternels enfants. Puis, le deuxième point propose une analyse du lien entre les personnes observées et les membres de leur famille, les mères en particulier. Je m’intéresse particulièrement à la manière dont ces relations, souvent des relations d’aides et de soutien, permettent aux personnes observées d’acquérir de l’autonomie, et leur impact sur les rapports de domination. Et finalement, le dernier point décrit les différents lieux de vie des participantꞏeꞏs et analyse la manière dont ils sont pensés en parallèle aux lieux de vie des personnes valides. Dès les premiers pas dans l’analyse des observations, la notion d’autonomie s’est révélée comme prépondérante dans la plupart des thématiques, elle est d’ailleurs la trame de fond de ce chapitre.

7.1 L’âge adulte où quand la quête d’autonomie influence