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Des normes validistes contraignant les relations de couple

9.1 Quand les rapports sociaux s’immiscent dans l’intimité de l’amour et

9.1.3 Des normes validistes contraignant les relations de couple

La gestion des relations amoureuses pour les personnes ayant une trisomie 21 peut leur sembler compliquée, car elle implique d’une part les émotions, les sentiments ressentis et d’autre part un grand nombre de normes et de prescriptions, régies par les "valides". Avec des difficultés cognitives, ces normes peuvent paraitre difficiles à comprendre et dans certains cas à suivre. Par conséquent, savoir à quel moment, le couple se construit, s’officialise, se sépare demande une certaine compréhension et dans le cas des personnes ayant une déficience intellectuelle cela peut être difficile d’accès. Banens et Marcellini (2012, p. 37) constatent d’ailleurs « une réduction à la vie de couple quand les incapacités augmentent ».

La nature ou le statut de la relation peut être sujet d’incompréhension : que signifie être amoureux, être en couple, être séparé ? L’amie de Telma, dans l’extrait plus haut, évoquait une séparation avec un jeune homme qui l’avait trompée, toutefois le jeune homme en question la qualifiait toujours comme son amoureuse. Ce manque de compréhension peut être plus problématique encore lorsque la personne qui n’a pas compris la rupture insiste, c’était le cas de Louise qui avait toujours des activités en commun avec son ex. Durant toute l’activité, il cherchait le contact avec Louise, il se collait à elle et elle de son côté tentait tant bien que mal de le pousser, de s’écarter de lui. Cette situation pouvant être vécue comme une agression, n’était que peu verbalisée, les professionnelles demandaient au jeune homme de laisser Louise tranquille, la situation était excusée et banalisée, car il n’avait pas compris la rupture.

Le statut des relations peut être insaisissable. De son côté, Lucie était très proche physiquement d’un collègue, ils se tenaient par la main, s’embrassaient, se réservaient leur place côte à côte pour le repas, ces différentes observations pouvaient amener à penser que Lucie était en couple avec lui, cependant elle confiait que ce n’était pas le cas. Dans une autre situation, celle de Daniel, la situation semblait tout aussi confuse.

Je lui demande s’il a un amoureux ou une amoureuse ? " Non, personne" plutôt une fille ou un garçon ? "Une fille". […] [Plus tard] Je lui demande si l’une de ses

collègues est son amoureuse ? "Un peu" (l’autre fois il avait une photo d’elle en fond d’écran). (Extrait du journal de terrain avec Daniel)

Vivre une relation de couple demande alors de gérer ses sentiments, savoir faire la différence entre l’amour amical et l’amour d’un couple comme le témoigne cette observation.

L’un des jeunes hommes présents demande « tu m’aimes Lina ? » Lina lui répond « en ami ». Puis, il se tourne vers Telma et lui demande « tu m’aimes ? » elle répond « en ami aussi » (Extrait du journal de terrain avec Lina)

La décision est mutuelle et est souvent validée par l’entourage comme les parents ou les professionnelꞏleꞏs. S’il peut y avoir un sentiment amoureux non réciproque, pour se dire en couple, ce sentiment doit être réciproque, partagé et reconnu.

Charly se confiait sur les sentiments qu’il avait pour une femme avec qui il avait travaillé, toutefois, il poursuivait :

Il me dit qu’elle habite proche de chez lui. Je lui demande si elle est amoureuse de lui, « elle est amoureuse de M(H) », « pas de toi ? » « non ». (Extrait du journal de terrain avec Charly)

De son côté, Marc vivait une relation de couple depuis 8 ans, ses sentiments étaient réciproques, ils étaient partagés et étaient reconnus par son entourage.

Je lui demande pourquoi c’est elle son chouchou, il me répond « parce que je l’aime

». Je lui demande pourquoi il l’aime, il me dit « parce qu’elle m’aime aussi, on va au ciné, on joue ensemble. ». (Extrait du journal de terrain avec Marc)

La réciprocité apparait donc comme un gage de l’existence de l’amour et du couple, elle est sans nul doute également une garantie de légitimité. Les relations en plus d’être réciproques doivent être monogames et exclusives. Si pour la plupart, ces normes étaient intégrées, dans certains cas, elles pouvaient amener une certaine confusion, comme pour Manuel.

[...] il me dit qu’il a caressé M(F), mais elle ne voulait pas. Je lui ai demandé « mais tu l’as caressé où ? » (je m’attendais à où sur le corps) « dans la cuisine », quand je reprécise ma question « derrière le dos, mais la msp [maîtresse socioprofessionnelle]

m’a vu ». Il me dit qu’elle lui a dit « il faut pas trop toucher M(F), ton amoureuse va être jalouse ». (Extrait du journal de terrain avec Manuel)

Dans cette situation, Manuel transgressait la norme de monogamie et d’exclusivité aux yeux de cette professionnelle qui l’a rappelé à la norme. Dans une autre situation, Lina a aussi rappelé à Telma qu’elle avait un copain et qu’elle ne pouvait pas être si proche d’un autre garçon « arrête les câlins, t’as quelqu’un ! » (Extrait du journal de terrain avec Lina).

Pour Sofia, la norme de la monogamie était difficile à comprendre et elle semblait la transgresser. Lors de plusieurs de nos rencontres, elle expliquait avoir plusieurs amoureux, parfois quatre ou cinq amoureux en même temps. Cependant, il semblait difficile de distinguer si tous étaient amoureux en retour et s’ils étaient dans une relation de couple. Lors de la dernière observation faite en camp de loisirs, Sofia était en couple avec un jeune homme rencontré lors d’une soirée.

Elle lui écrivait durant la journée des messages. Toutefois, lors de cette journée, elle était très proche d’un autre jeune homme qui était en camps avec elle, tous