• Aucun résultat trouvé

Garland-Thomson (2005) analyse le handicap comme un système de représentation produisant des discriminations. Partant de ce constat, le handicap en tant qu’objet d’analyse peut être appréhendé au même niveau que le genre.

Masson (2013, p. 113) distingue la notion d’incapacité « vue comme limitation fonctionnelle relevant de la biologie » de celle du handicap, plutôt social,

« comprise comme l’ensemble des situations de désavantage, de discrimination et d’oppression subis par les personnes vivant avec des incapacités ». Brasseur (2016) pour reprendre l’opposition sexe (biologique) et genre (social), distingue la déficience (biologique ou naturelle) du handicap (social). Afin d’uniformiser les niveaux de compréhension de ces concepts, pour ce travail, le terme de handicap est étudié au même niveau que celui de genre (social), et celui de capacité au même niveau que le sexe (biologique/nature). Ce sont les Disability Studies, dans les années 1960-1970 qui ont théorisé le handicap comme un objet social et ce

« en réaction aux sciences de la réadaptation » (Probst et al., 2016, p. 92), dont l’objectif était de mener des actions permettant d’acquérir à nouveau un fonctionnement proche des personnes « normales » (Probst et al., 2016). Le modèle social du handicap, en critique du modèle biomédical, a introduit cette distinction entre le biologique/naturel et le social (Masson, 2013). Ce modèle prend en compte les stéréotypes vécus par les personnes ayant des incapacités, mais aussi les « barrières sociales, économiques et environnementales qui fonctionnent comme autant de formes d’oppression et alimentent leur exclusion » (Masson, 2013, p. 113). Le handicap, comme le genre, est une construction sociale issue d’une réalité biologique (Masson, 2013; Ville, 2014; Wendell, 1989).

Les Critical Disability Studies, développées au travers des critiques faites aux Disability Studies et inspirées de la théorie de Butler (1990) sur la performativité du genre, rejettent « la distinction entre social et biologique, en relevant que ces deux dimensions sont investies de significations sociales. » (Probst et al., 2016, p. 93). Cette approche remet en question la binarité « normal »/"handicapéꞏe"

(Probst et al., 2016).

Pour sa part, le capacitisme est entendu, dans ce travail, au sens donné par Masson (2015, p. 176) « Les études féministes du handicap voient ce dernier comme une structure distincte de différenciation et de hiérarchisation sociale, fondée sur une normalisation de certaines formes et fonctionnalités corporelles produisant des corps able-bodied — c’est-à-dire valides, capables — et l’exclusion des corps non conformes et des personnes qui les habitent. ». Les capacités de certaines personnes ne correspondent pas aux standards, de ce fait, elles n’ont pas accès à certains privilèges (Human Rights Commission, 2016;

Masson, 2013; Parsons, Reichl, & Pedersen, 2016; Probst et al., 2016). Le handicap est ainsi perçu comme une position sociale qui est dominée (Probst et al., 2016). Le capacitisme est la traduction, faite par Masson (2013) du concept d’ableism théorisé par les Critical Disability Studies (Piecek-Riondel, Tabin, Perrin, & Probst, 2017; Probst et al., 2016, p. 94). Masson (2013, p. 115) relève que le capacitisme « « fait système » au sens où il infuse et structure tous les aspects de la vie en société (subjectivités et identités, relations sociales et arrangements sociaux, institutions, représentations et environnements), et ce, dans toutes les sphères de la vie sociale. ». Masson (2013) s’intéresse particulièrement au capacitisme dans l’analyse de l’oppression par le handicap dans les théories, les recherches et les luttes féministes.

4.2.1 Des groupes sociaux en tension

Kergoat (2005), à propos des rapports sociaux de sexe, évoque les groupes sociaux se construisant en tension autour d’enjeux. Pour les rapports sociaux de capacités, deux groupes sont identifiés les "handicapéꞏeꞏs et les "valides" (able-bodied) (Masson, 2015), pour ne pas dire les « normaux » (Omansky Gordon &

Rosenblum, 2001; Probst et al., 2016). La société capacitiste, valorisant

« l’autonomie physique et psychique/mentale, la pensée rationnelle et impartiale ainsi que la séparation et la distinction interpersonnelles » (Masson, 2015; Probst et al., 2016, p. 93), construit ces deux groupes sociaux comme étant antagoniques. Il s’agit là, comme pour le genre, d’une bicatégorisation (Probst et al., 2016), dans laquelle, l’un des deux groupes s’érige en « modèle hégémonique

de citoyen valide » (Probst et al., 2016, p. 102) et l’autre est connoté négativement (Omansky Gordon & Rosenblum, 2001; Probst et al., 2016).

Le groupe social des personnes en situation de handicap peut être perçu comme

« les autres », celles et ceux qui ne sont pas valides, et cette appartenance à la catégorie « autres » peut avoir comme conséquence de vivre une oppression notamment sociale (Wendell, 1989). Le nom donné aux groupes sociaux, dans le cadre des rapports sociaux de capacité, est aussi un enjeu de pouvoir. Les personnes valides, celles qui ne sont pas stigmatisées, sont les « définisseurs non-définis des autres »6 (Omansky Gordon & Rosenblum, 2001, p. 13). Les personnes valides sont ainsi perçues comme les personnes « normales » et une distinction doit être faite pour les personnes en situation de handicap qui n’appartiennent pas à cette catégorie.

Le handicap est une catégorie sociale hétérogène (Rohrer, 2005), preuve en est la diversité des handicaps. Les personnes ayant une déficience intellectuelle sont elles aussi prises dans ces rapports de pouvoir les opposant au groupe social des personnes valides (Masson, 2015).

4.2.2 Les rapports sociaux de capacité : des rapports de pouvoir

Le groupe social des "handicapéꞏeꞏs" est construit socialement en opposition au groupe social des "valides", les deux groupes sociaux sont dichotomiques (Omansky Gordon & Rosenblum, 2001) et hiérarchisés (Probst et al., 2016). Les personnes valides semblent être les personnes de références, les personnes normales et les personnes en situation de handicap doivent se conformer à leurs normes, les normes capacitistes (Probst et al., 2016). Comme le souligne Masson (2013), le corps est toujours pensé valide, et ce, jusqu’à preuve du contraire.

L’organisation sociale part ainsi de ce principe opprimant les personnes en situation de handicap (Masson, 2013).

L’ability/disability system théorisé par Garland-Thomson (2002) et repris par Masson (2013, p. 115) « dévalue les formes et les fonctionnalités non conformes aux standards qui sont définies dès lors en termes de déficit, d’incapacité et de handicap ». Les groupes sociaux se trouvent ainsi dans des positions sociales différentes, hiérarchisées impliquant des rapports de pouvoir entre eux (Masson, 2013). La dévaluation du groupe des "valides" sur le groupe des "handicapéꞏeꞏs"

fait un fort écho à la théorie de « Stigmate » de Goffman (1975), le handicap est lui aussi un écart négatif à la norme des "valides", il est toujours perçu comme un moins ou comme l’explicite (Goffman, 1975) « une différence fâcheuse » le distinguant des personnes appartenant à la catégorie des « normaux », de ce qui est attendu (Ville, 2014; Winance, 2004). Le stigmate « perturbe l'interaction, car il introduit pour les acteurs, une incertitude sur l'identité de la personne et un malaise quant à la manière d'agir. » (Winance, 2004, p. 208). Le groupe social des personnes en situation de handicap peut ainsi vivre de la stigmatisation, mais aussi l’oppression, notamment à travers une exclusion sociale (Omansky Gordon

& Rosenblum, 2001). Des normes, des lois et des Conventions condamnent d’ailleurs les nombreuses discriminations et inégalités que peuvent subir les personnes en situation de handicap dans différentes sphères : professionnelle,

6 En anglais dans le texte, traduction personnelle

éducationnelle, vie sexuelle, etc. (Avard & Levesque, 2005; LHand, 2004; ONU, 2006). Le handicap est un système de différenciation et de hiérarchisation au même titre que le sexe ou encore la race (Garland-Thomson, 2002; Omansky Gordon & Rosenblum, 2001), Garland-Thomson (2002) évoque ainsi l’ability/disability system qui différencie les individus selon leurs « capacités sensorielles, motrices et cognitives » (Masson, 2013, p. 114). Cette auteure ancre ainsi le fait qu’il existe un continuum des variations humaines (Garland-Thomson, 2002).

Cette deuxième section permet de mettre en parallèle le handicap et le genre en les abordant tous les deux sous l’angle des rapports sociaux. Ces deux sections invitent à faire le lien entre ces deux systèmes de représentation et de hiérarchisation. Le prochain point propose une réflexion sur l’articulation de ces deux types de rapports sociaux.

4.3 Penser ensemble les rapports sociaux de sexe et de