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Section I. La famille établie par le mariage

Paragraphe 1. Les conditions de fond

A. Le consentement

2. La violence

49. En France comme en Chine, la violence constitue un vice du consentement. Les

deux pays sont en harmonie sur ce point. Au regard de l’article11 du droit du mariage chinois, « en cas de menace sur l’un des conjoints, la victime peut solliciter le bureau des affaires civiles ou la Cour populaire pour révoquer ce mariage. La demande doit être avancée d'un an à partir du jour d'enregistrement de mariage ». En droit français, l’article 180 du Code civil dispose que « l'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage ».

50. En comparant les articles des deux pays sur ce sujet, nous observons certaines

divergences.

Tout d’abord, en Chine, seul l’époux, dont le consentement n’a pas été libre, peut réagir, En France, la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein

42 Gérard CORNU, op.cit., p. 293, n°174.

43 TGI Lille, 1re ch., 01 avril 2008, n°07-08458.

-43- du couple a été adoptée le 4 avril 200645 et admet que le ministère public est habilité à

attaquer un mariage donné sans consentement libre46.

Le droit chinois n’autorise qu’un des conjoints à demander la nullité du mariage fondée sur la violence, puisque le législateur considère qu’après une période de vie matrimoniale, il est probable que les époux établissent une connexion affective et qu’un enfant soit issu de ce mariage. Ainsi, si la loi prévoit la possibilité, pour un tiers, d’intervenir dans l’action en nullité, peut apparaître une conséquence qui ne correspond pas à l’article 2, alinéa 2 du droit du mariage: les intérêts légitimes des femmes, des enfants et des personnes âgées doivent être protégés.

Or, à notre avis, cette crainte peut être atténuée, à condition que l’autorité publique à l’instar du ministère public français, reste prudente dans l’exercice de son pouvoir. Nous devons admettre que l’intervention d’un tiers est primordiale en cas de mariage forcé, car la contrainte demeure après le mariage, de sorte que l’époux susceptible d’agir en est empêché.

51. Par ailleurs, les délais de prescription ne sont pas les mêmes. En France, la

prescription est de cinq ans à compter du mariage47 , alors qu’elle est d’un an en Chine.

Nous remarquons deux manières différentes d’appréhender ce délai. Selon le droit chinois, il prend effet soit à partir de l’enregistrement du mariage, soit à compter du jour où la victime, dont la liberté personnelle a été illégalement soumise à des restrictions, retrouve sa liberté en tenant compte des nombreux trafics de femmes dans les provinces pauvres comme Yunnan, Guizhou ou Sichuan.

Effectivement, le délai de prescription concernant la violence dans les deux pays est spécifique par rapport au droit commun. Néanmoins, les réactions des doctrines sont différentes au regard du caractère atypique de ce délai. En France, la préoccupation soulevée porte sur le fait qu’un délai court risque de « barrer la route aux mariages forcés issus de l’immigration »48. Au contraire, l’auteur chinois considère que la

45 L. n°2006-399 : JO 5 avril 2006

46C.civ., art. 180, al. 1er.

47 C.civ., art. 181.

48Virginie LARRIBAU-TERNEYRE, Le mariage, un peu, beaucoup... de plus en plus d’institutions d'ordre public ?

-44- brièveté du délai « incite les intéressés à agir vite, et il permet d’éviter l’instabilité du mariage »49. Huang Songyou soutient cette condition en expliquant qu’« il s’avère

difficile de porter un jugement lorsqu’il s’agit d’une affaire très ancienne »50.

À notre avis, les opinions des juristes chinois semblent quelque peu exagérées. Le délai, dépassant légèrement une année, ne porte pas atteinte à la stabilité du mariage. Cependant, si la victime se trouve sans possibilité d’agir en justice pour annuler le mariage, du fait de l’expiration du délai de prescription, l’incidence semble plus grave. En outre, un délai de deux ans, voire de cinq ans, n’a, en effet, pas d’influence négative sur la faculté du juge. Sinon, comment justifier un délai maximal de prescription de 20 ans prévu par le Code civil de la RPC. Ainsi, il serait préférable d’allonger ce délai d’une manière plus raisonnable. Tout au moins, il importerait de l’aligner sur celui du droit commun qui est de deux ans.

52. D’autre part, si la violence physique reste rare en pratique, la crainte

révérencielle est plus fréquente. Dans un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 28 avril 200551, le vice du consentement a été prononcé par le juge, car l’épouse avait donné son

consentement au mariage sous la pression de sa famille. Le vice du consentement au motif de la crainte révérencielle a également été reconnu dans un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux, le 21 février 200652 : une jeune fille mineure a subi une contrainte

morale par sa famille dans le but de lui procurer la nationalité française par le mariage. Au regard de ces jurisprudences, il nous semble que « le mariage forcé est souvent le fruit de traditions ancestrales perpétuées par certaines communautés issues de l’immigration » en France53.

En effet, la seule crainte révérencielle n’est pas, traditionnellement, considérée comme un vice. Toutefois, la pratique a conduit le législateur français à déroger à

49 HU Kangsheng, Explication du droit du mariage de la RPC, édition du FaZhi, 2001, p. 18.

50 Huang Songyou, La compréhension et l’application de la 1ère « Interprétation judiciaire » sur le droit du

mariage, édition de la législation chinoise, 2002, p. 49.

51 CA Colmar, 28 avril 2005, n°2A03/04615.

52 CA Bordeaux, 6e ch.civ, 21 févr. 2006. Saaoud B. c/ Noura N. : JurisData n°2006-32987 ; Dr. famille, 2007,

comm.121, note. Virginie LARRIBAU-TERNEYRE.

53Virginie LARRIBAU-TERNEYRE, La pratique des mariages forcés révélée par la jurisprudence, Dr. famille

-45- l’article 1114 du Code civil54. Par conséquent, une phase a été ajoutée dans l’article 180

issu de la loi du 4 avril 2006 en vue d’assurer la protection de l’individu vis-à-vis de la famille. Désormais, l'exercice d'une contrainte sur les deux époux ou sur l'un d'entre eux, y compris l’exercice d’une crainte révérencielle envers un ascendant, constitue la nullité du mariage. D’un autre côté, cette violation affirme la nature complexe du mariage car, si le mariage marque exclusivement la nature contractuelle, « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autres ascendants, sans qu'il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat » 55.

53. En Chine, la violence n’inclut pas la crainte révérencielle. Même dans les

« Interprétations judiciaires », la Cour Populaire Suprême précise uniquement que « la menace est le fait de porter atteinte à la vie, à la santé, à la réputation ou au patrimoine de l’autre partie ou de ses proches pour imposer à la victime d’accepter le mariage »56.

Néanmoins, la prohibition de la crainte révérencielle peut être déduite de l’article 3 du droit du mariage qui prévoit que tout mariage arrangé, d’affaires, ou le fait de nuire à la liberté du mariage est interdit. Or comme l’article 3 exclut la violence figurant à l’article 11 du même droit, la victime ne peut pas l’invoquer pour demander la nullité du mariage. En revanche, d’après l’« Interprétation » sur la rupture du lien affectif, la victime peut demander le divorce dans l’une des situations indiquées par l’article 3 du droit du mariage. C’est ainsi que la crainte révérencielle est classée dans le motif du divorce au lieu du vice du mariage pour nullité. Ce classement ne semble pas logique, car un tel mariage est, en fait, sans consentement libre, et ce, dès le début. Nous nous demandons alors comment un mariage mal fondé peut être dissout.

De surcroît, lorsque le juge prononce un divorce sur un tel motif, il admet indirectement la validité du mariage sans la liberté du consentement. Le but du juge de la Cour Suprême populaire est de procurer une issue à l’un des époux qui se voit coincé dans un mariage forcé. En effet, avant la promulgation de cette « Interprétation », la victime qui subissait une crainte révérencielle au moment du mariage ne pouvait pas

54 La seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu'il y ait eu de violence exercée,

ne suffit point pour annuler le contrat.

55 C.civ., art.1114.

-46- demander le divorce, aucun texte au droit du mariage n’étant prévu. Cependant, le juge n’a pas trouvé de bon fondement. Cette solution risque en revanche, de justifier un mariage illégal. Ainsi, il serait convenable de prononcer la nullité du mariage à la place du divorce, un tel mariage étant sans effet dès le début.