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Pourquoi viennent-ils ?

1.3 Vers une sociologie des migrations

1.3.1 Le développement des théories sur les migrations internationales

1.3.1.1 Pourquoi viennent-ils ?

Comme nous l’avons déjà mentionné, divers auteurs identifient l’origine des explications à propos des migrations dans les travaux de Ernest Georg Ravenstein sur les « lois des migrations » (1885, 1889). D’après Joaquin Arango (1985), celles-ci « inaugurent une ligne de réflexion et d’enquête qui se poursuit à ce jour : la recherche de régularités empiriques en matière de migration » (Ibid. p. 8). Toutefois, selon le même auteur, l’intérêt des travaux avant les années soixante est essentiellement historique, parce que les ‘théories’ à propos des migrations apparaissent à partir de la deuxième partie du XXe (Arango, 2003). Du point de vue

d’Amparo Micolta (2005), l’œuvre de Ravenstein est un reflet du moment historique où « l’homme a été conçu comme un être libre et rationnel qui choisit parmi plusieurs alternatives pour obtenir les meilleurs résultats au moindre coût possible. C’est-à-dire,

à partir des paramètres basiques de l’économie politique de l’époque : le rationalisme, l’individualisme et le libéralisme » (Ibid. p. 67). De façon cohérente, elle aurait contribué au développement d’une ligne d’étude des migrations dont les premiers efforts ont été tournés vers la recherche des dimensions matérielles liées aux déplacements, pour comprendre leurs causes. Ainsi, il a été conclu que les migrations avaient une correspondance avec les inégalités économiques entre les pays d’origine et les pays d’accueil : disparité des revenus, du volume de travail et de sa distribution territoriale. À partir de là, selon la chercheuse, sont nées, d’une part des théories proches du paradigme fonctionnaliste, comme celles de l’Economie Néoclassique, du

Push-Pull et de la Nouvelle économie des migrations de main d’œuvre ; et d’autre

part, des théories proches du paradigme structuraliste, comme celles du Système mondial et des Marchés fragmentés.

Selon Joaquin Arango (2003), tout effort pour rendre compte du développement de la pensée universitaire à propos des migrations internationales, commencera par la théorie Économique néoclassique étant donné son ancienneté et son niveau d’influence sur les exercices explicatifs ultérieurs. Evidemment, nous parlons d’une application de la théorie économique à l’étude du phénomène migratoire, et non d’une théorie conçue spécialement pour son analyse. Ainsi, la perspective de l’Économie néoclassique dans l’étude des migrations englobe deux approches : macroéconomique et microéconomique. D’après Durand et Massey (2003), l’approche macroéconomique, dans laquelle la plupart des auteurs soulignent les contributions des économistes Arthur Lewis, Gustav Ranis, John Fei, John Harris et Michael Todaro entre les années 1954 et 1976, s’inscrit dans l’étude de la migration de travail dans le développement économique. De ce point de vue, les migrations internationales seraient dues aux différences régionales dans la demande et l’offre de main d’œuvre, à partir de la relation entre la réserve de capital et la réserve du travail. Ainsi, les pays où la réserve de capital est supérieure à la réserve de travail, se caractériseront par leurs salaires élevés et pour être des pôles attirants, et les pays où la relation entre les réserves est inverse, se caractériseront par leurs bas revenus et par les mouvements de leurs travailleurs vers les premiers. Ces déplacements provoqueraient un ‘rééquilibrage’ entre les salaires et l’offre de travail dans les différents pays impliqués. Selon Rea et Tripier (2008), cette approche, a influencé fortement les politiques publiques, promouvant l’action gouvernementale sur les

marchés du travail pour contrôler les flux migratoires. Par ailleurs, bien que jusqu’ici nous ayons exposé les prémisses caractéristiques d’approche macroéconomique de la théorie néoclassique, selon Durand et Massey (2003), en parallèle aux flux déjà signalés, il existe aussi les flux de capitaux des pays riches vers le pays pauvres, en raison du taux élevé de retour qu’ils offrent à l’investissement. Ces flux incluent le déplacement des travailleurs hautement qualifiés qui seraient bien rémunérés en fonction d’une insuffisance de capital humain compétent dans ces pays.

Dans le cas de l’approche microéconomique, qui place au centre le choix des individus, la migration est conçue comme l’addition de projets individuels et « une façon d’investissement en capital humain » (Durand et Massey, 2003 : 15). Ainsi, les personnes migreraient dans le cadre d’une analyse rationnelle des coûts et des avantages. Par rapport à ces derniers, l’approche souligne l’attente de salaires plus hauts, en comparaison au contexte de départ. Du point de vue des coûts, Durand et Massey font référence au travail de Todaro et Marusko en 1987, qui inclurait une vision sur les coûts au-delà de l’économie. À cet égard : voyage et subsistance, mais aussi adaptation et impact psychologique. Toutefois, malgré les potentialités qu’offrent ces nuances, même Durand et Massey (2003) indiquent que à partir de cette perspective : « un migrant potentiel se déplace vers n’importe quelle zone où il attend que les rendements nets de la migration soient plus élevés » (Loc.cit.). Ainsi, nous pouvons synthétiser la perspective néoclassique des migrations en disant qu’elle part de l’idée d’un homo economicus qui migre dans le cadre d’un exercice de sa rationalité, en cherchant à maximiser les bénéfices sur la base des attentes salariales. D’après Amparo Micolta (2005), dans cette perspective est assignée une direction principale aux mouvements migratoires - des pays aux salaires bas vers les pays aux salaires élevés - et on s’attend, sous l’influence du paradigme fonctionnaliste, à ce que les déplacements exercent une pression bilatérale sur les rémunérations, en permettant d’arriver à l’équilibre.

En ce qui concerne la Théorie Push-Pull ou Théorie des facteurs d’attraction et d’expulsion, associée au travail du sociologue Everett Lee en 1966, Alejandro Portes et Josef Bôrocz signalent qu’elle présente « des listes de facteurs d’expulsion – mauvaises conditions économiques, sociales et politiques dans les régions pauvres du monde – et de facteurs d’attraction – avantages comparatifs avec les États-nations plus développés –, comme des variables causales qui déterminent la magnitude et la

direction des flux migratoires » (Lacomba, 2001 : paragraphe 8). D’après Joaquin Arango (2003), cette approche ne correspond pas à une théorie proprement dite, mais plutôt à un cadre conceptuel. Cela étant dit, à partir de cette perspective, les personnes se déplacent vers les lieux où les facteurs d’attraction sont multiples et puissants, une estimation qui serait liée à l’existence de facteurs d’expulsion dans les lieux de départ. Dans une vision similaire à celle évoquée précédemment, l’approche d’attraction et d’expulsion remarque les motivations personnelles, les choix individuels et la rationalité instrumentale des migrants potentiels (Micolta, 2005). Par ailleurs, au niveau des mouvements migratoires, elle estime que ceux-ci sont une réponse spontanée aux inégalités globales et qu’ils sont formés par les individus les plus vulnérables des pays pauvres (Lacomba, 2001).

Pour sa part, la Nouvelle économie des migrations de main d’œuvre, théorie liée aux travaux de l’économiste Oded Stark dans les années 1990, est considérée comme une partie ou un développement de la « tradition néoclassique » (Arango, 2003). Elle propose un déplacement de la conduite rationnelle des individus vers l’unité familiale, les groupes familiaux ou les communautés, lesquelles définissent ensemble celui ou ceux de leurs membres qui migrera, avec l’objectif de diversifier leurs revenus dans un contexte où le marché menace leur bien-être matériel (Durand et Massey, 2003). Ainsi, l’attente derrière ces déplacements serait de se protéger des risques économiques quant aux rémunérations, à la production ou à la propriété et/ou d’accéder au capital de consommation ou d’invertissement à petite échelle. Face à l’Economie néoclassique, la Nouvelle économie des migrations ne considère pas les différences salariales comme le déterminant décisif dans les mouvements migratoires. De ce fait, non seulement elle examine d’autres causes, mais l’importance des rémunérations est évaluée en relation aux contextes particuliers où les familles sont insérées. C’est-à-dire, cette perspective est sensible à la distribution locale des revenus et à ses inégalités. Par ailleurs, elle apprécie le rôle des transferts de fonds pour les familles et les foyers (Massey et al, 1998). En accordant de l’importance aux contextes locaux, la Nouvelle économie des migrations estime que la migration est liée aux attentes économiques par rapport aux revenus et à la diminution de risque, mais aussi à l’amélioration du statut dans les localités de départ (Durand et Massey, 2003). De ce point de vue, « l’envoi d’un membre de la famille à l’étranger donne l’espoir d’obtenir un certain avantage relatif par rapport à la communauté. En outre,

des problèmes dans le marché du travail local, qui limitent les possibilités pour les familles pauvres, peuvent également augmenter l’attractivité de la migration, parce qu’elle constitue une possibilité d’obtenir un certain gain en termes relatifs » (Ibid. p. 17).

Jusqu’ici nous avons rendu compte des ‘réponses’ par rapport aux causes des migrations, susceptibles d’être encadrées dans le paradigme fonctionnaliste à partir duquel les pays se développeront évolutivement vers l’industrialisation et la modernisation. Spécifiquement, par rapport à notre sujet d’intérêt, grosso modo l’ensemble des théories ici présentées partage un regard sur les migrations selon lequel la disparité économique est leur élan, l’avancement vers l’équilibre est résultat de leur concrétisation et l’absence des inégalités, est le signe de leur disparition. Cependant, maintenant, nous voudrions présenter les théories caractérisées par une perspective historique structurelle, selon laquelle « en raison de la répartition inégale du pouvoir politique dans les nations, l’expansion du capitalisme mondial conduit à la perpétuation des inégalités et au renforcement d’un ordre économique stratifié. Au lieu de vivre un progrès inexorable vers le développement et la modernisation, les pays pauvres sont piégés dans une situation désavantageuse à l’intérieure d’une structure géopolitique inégal qui perpétue la pauvreté » (Durand et Massey, 2003 : 24). D’après Amparo Micolta (2005), les théories émanant de cette perspective ont en commun une conception de la migration selon laquelle les mouvements de population sont insérés dans un contexte de capitalisme mondial, caractérisé par l’échange inégal entre les économies et la division internationale du travail. De ce point de vue, les migrations ne sont pas conçues comme des faits isolés ou conjoncturels, mais comme structurelles et sous-jacentes au système économique. En conséquence, d’une part le regard sur l’équilibre est déplacé par l’examen des inégalités, des exploitations et des conflits, et d’autre part, l’axe des décisions individuelles ou familiales est dépassé par les conséquences de l’expansion capitaliste.

À ce sujet, la Théorie du système mondial, étroitement liée aux théories de la dépendance26 des années 1960-1970, basée conceptuellement sur le travail du

sociologue Immanuel Wallestein (1974), mais comptant aussi parmi ses développeurs Alejandro Portes et Saskia Sassen, conçoit les migrations comme « un autre produit de la domination par les pays du centre sur les régions périphériques » (Arango, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

2003 :17). D’après Amparo Micolta (2005) : « les migrations, loin d’établir un équilibre, contribuent à l’accroissement des inégalités, laissant le tiers monde encore plus impuissant pour aborder son propre développement et encourageant les plus puissants en augmentant leur main-d’œuvre bon marché » (Ibid. p. 71). La Théorie du système mondial expose que dans un contexte de globalisation de l’économie de marché, l’expansion du modèle de production capitaliste est remarquable. Cette expansion, autrefois soutenue par les régimes coloniaux et aujourd’hui par les gouvernements néocoloniaux et les entreprises transnationales, a provoqué la transformation des schémas non capitalistes d’organisation sociale et économique – particulièrement dans l’agriculture et la petite manufacture. À partir de ces processus sont apparus dans la périphérie un changement des modes de vie traditionnels, un excédent de main d’œuvre et une population ouverte à la migration après la ‘spoliation’.

Ces déplacements, d’abord internes et puis internationaux, doivent être compris dans un cadre où l’influence économique va de pair avec des influences au niveau de la culture, du transport et des communications. À cet égard, Durand et Massey (2003) exposent : « Afin d’expédier des marchandises, de livrer des machines, d’extraire et d’exporter des matières premières, coordonner des opérations commerciales et de gérer les usines d’assemblage et les maquiladoras27, les

investisseurs construisent et développent les transports et la communication avec les pays périphériques dans lesquels ils ont investi. Ces moyens non seulement facilitent le transit des marchandises, des produits, des informations, et des capitaux, mais aussi promeuvent le mouvement des populations, dans un véritable circuit migrateur » (Ibid. p. 28). En même temps, au-delà des transports et des communications, ces circuits sont liés à une mondialisation qui « crée des liens matériels, militaires et idéologiques avec les lieux d’où provient le capital » (Ibid. p. 27)

Par ailleurs, Jorge Durand et Douglas Massey (2003) signalent que selon la

Théorie des marchés fragmentés, dont l’origine remonte au travail de l’économiste

Michael Piore en 1979, la migration internationale est déclenchée par le besoin structurel des sociétés industrielles modernes en travailleurs. Ainsi, l’élan des !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Usines souvent placées dans les zones frontalières qui profitent des avantages fiscaux et produisent des marchandises avec des matières premières importées pour une exportation ultérieure. Les maquiladoras se caractérisent par les faibles conditions de travail et les bas salaires qu’elles offrent à leurs travailleurs. À ce sujet le cas le plus célèbre est celui des maquiladoras au Mexique, mais elles sont aussi présentes en Amérique Latine et en Asie.

mouvements de population, dans ce cas de main d’œuvre, rendrait des facteurs d’attraction des pays de destination et non des facteurs d’expulsion des contextes de départ. Le diagnostic placé par cette théorie indique que dans les marchés du travail des économies industrielles existait une division entre un secteur primaire et un secteur secondaire. Le premier d’entre eux offrirait de la stabilité, de hautes rémunérations, de bonnes conditions de travail et de bénéfices, tandis que le deuxième se caractériserait par des emplois instables et de mauvaise qualité (Micolta, 2005). D’après Joaquin Arango (2003), la demande structurelle de travailleurs pour le secteur secondaire qui s’explique parce que « les travailleurs locaux rejettent ces emplois, car ils confèrent un statut faible et peu de prestige, offrent peu de possibilités de mobilité sociale et ne sont pas stimulants » (Ibid. p. 15), ne peut pas être résolue à travers l’augmentation des salaires à cause des effets inflationnistes que cela occasionnerait. Elle ne peut pas non plus être résolue par l’employabilité des femmes à cause de la professionnalisation progressive de celles-ci, ni car de l’employabilité des jeunes, en raison de la faible natalité et de l’augmentation de la scolarisation. Par conséquent, même en périodes de chômage, les marchés des économies industrialisées auraient besoin de main d’œuvre pour le secteur secondaire (Rea et Tripier, 2008), besoin rempli par les travailleurs étrangers qui se déplacent en fonction de l’estimation des salaires et des positions sociales que ces marchés leur offrent par rapport à leurs contextes d’origine.

Nous avons parlé jusqu’ici des différentes perspectives et théories qui ont essayé de répondre à la question sur l’origine des mouvements migratoires. Nous voudrions nous concentrer maintenant sur les tentatives pour aborder les questions sur leur ‘perpétuation’ des mouvements migratoires et sur l’installation des migrants dans les sociétés d’accueil – transition de l’émigration à l’immigration. Quant à ces interrogations, nous considérons très intéressant le lien qui existe entre les efforts explicatifs et les propositions méthodologiques. À cet égard, nous avons déjà fait référence à la distinction entre des lignes qui ont guidé les études sur les migrations : celle qui a rendu compte des migrations à partir de la recherche des causes matérielles, et celle qui l’a fait à partir de la collecte des témoignages des migrants eux-mêmes et leur interprétation (Micolta, 2005). Quant à cette dernière, elle se situe à l’origine des propositions qui envisagent la continuité des flux migratoires et les processus d’installation, dont nous donnerons un aperçu global ensuite.