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Migrations au présent

Comme nous l’avons mentionné dans les dernières lignes du chapitre précédent, les migrations sont imbriquées et caractérisées par les changements du monde actuel. En conséquence, il n’est pas surprenant qu’émerge au milieu des études des migrations l’interrogation sur la spécificité des déplacements humains au présent. À cet égard, il reste à savoir si un contexte de globalisation – défini souvent à travers l’interconnexion économique entre les pays du monde, la circulation grandissante de l’information, le progrès des transports et des technologies – affecte les migrations, comment il le fait et dans quelle mesure.

En principe, et formellement, les nouveaux moyens et manières de circulation de l’information auraient une incidence dans le déclenchement des élans migratoires, à chaque fois plus soutenus par une connaissance des différentes étapes du processus migratoire et ses possibles conditions, y compris la situation des étrangers dans les lieux de destination éventuelles. Ensuite, une fois les déplacements réalisés, le nouveau scenario aurait réduit les frais du voyage et de la communication à distance, en ouvrant la voie, par exemple, aux migrations circulaires et aux pratiques transnationales. Donc, bien que le bon sens nous conduise à penser que ces processus spécifiques ont facilité les migrations, la question est alors quels sont les projections et les limites de ce diagnostic. Chacun de ces processus susceptibles d’être considérés comme ‘facilitateurs’, est inséré dans un cadre global de changements politiques et culturels liés au développement du capitalisme avancé et à sa production d’inégalités, circonstances qui exigent que nous considérions les nuances de l’impact de la globalisation sur les migrations.

Nous insistons sur les nuances car, même s’il ne serait pas trompeur de parler, dans un sens contraire à ce qui a déjà été dit, des entraves que la globalisation pose aux migrations, il nous semble plus pertinent de nous référer à une coexistence des dynamiques d’inclusion et d’exclusion quant à celles-ci. Ainsi, même s’il est inexact de concevoir la globalisation du point de vue exclusif de l’assemblage des marchés, des analyses s’orientent vers la perspective d’un moment où les dynamiques de ‘traduction’ et ‘conversion’ économiques des subjectivités ont une force

particulièrement remarquable (Mezzadra, 2012; Braidotti, 2011a) et, de ce fait, où tous les éléments qui paraitraient être hors des codes et des critères d’intégration – autrement dit hors de la rentabilité programmée – ne sont pas des ‘anomalies’, mais des composantes structurelles (Sassen, 2003). En conséquence, une lecture du rapport entre la globalisation et les migrations qui aurait comme fondement la dichotomie entre la promotion de la mobilité des biens et la restriction à la mobilité des personnes, ne nous paraît pas tout à fait adéquat.

Par exemple, le déploiement de la part des États – individuellement ou conjointement – de mesures de contrôle, dissuasion et répression des flux migratoires, coexiste avec la présence constante de la migration irrégulière dans leurs territoires. Même si nous ferons référence plus loin au rôle créatif de ces mesures dans l’irrégularité et la précarisation des migrations, nous tenons d’abord à souligner le fait que celles-ci, pouvant être considérées non efficaces – dans la mesure où on prend en compte que leur fonction officielle est d’empêcher l’entrée de migrants en situation irrégulière sur les territoires ou, à défaut, de gérer leur expulsion – doivent être estimées à la lumière des données comme celles présentées par Cristina Ayuso en 2009, selon laquelle, « l’irrégularité est étroitement liée à l’économie souterraine (…) principalement dans les secteurs liés à la construction, à l’agriculture et au travail domestique » (Ibid. p. 14) et par Colin C Williams en 2014, qui signale que au cours de la période 2003-2013, le poids moyen de l’économie souterraine dans le PIB communautaire a été 18,4%.

Ainsi, les politiques établies par rapport aux flux migratoires, plus que situées du côté de la restriction absolue, seraient situées du côté de la flexibilisation (Cuttita, 2007) qui renforcerait la capacité des États à ‘choisir’ leurs immigrants. Un exemple illustratif de ce dernier point, mais cette fois en considérant les migrations régulières, est la sélection qui se fait d’une part selon des quotas d’entrée établies dans le cadre des accords bilatéraux et, d’autre part, en raison des critères comme la formation, l’activité et le soutien financier dans le cas des migrations ‘autonomes’. Néanmoins, par rapport à ce dernier cas, les pays de destination non seulement sélectionnent dans les pays d’origine à partir de la demande des migrants potentiels, mais aussi établissent des politiques d’attraction, en offrant des privilèges d’entrée et d’installation sur le territoire, à travers visas et titres de séjour spéciaux pour les immigrants ‘souhaités’.

Il semble alors que les perspectives centrées sur les avantages que la globalisation offre aux migrations aient comme axe d’observation les migrations dites ‘spontanées’, tandis que les perspectives plus critiques se concentrent sur les migrations considérées comme ‘dirigées’, et relèvent leur fonctionnalité pour l’économie capitaliste, ou reflétant comme des ‘résultats’, notant les inégalités et les polarités que la globalisation aurait mises en interaction intéressée, plutôt que corriger. Cependant, même si nous pourrions orienter et à la fois restreindre notre proposition de souligner la coexistence de ces ‘deux types’ de migration – un fait qui ne semble pas évident pour l’étude des migrations – il n’est pas moins vrai que cela serait reproduire un exercice analytique des ‘formes pures’ loin de la réalité.

Il est sûr que, en faisant écho de la flexibilisation des frontières par rapport à l’immigration, nous nous plaçons proche de l’argumentation des mobilités inégales causées par une inégalité de base (Bauman, 2011). Le problème qui résulte de l’appropriation pleine de cette argumentation est, à notre avis, les limitations qu’elle nous impose pour rendre compte des migrations, et plus spécifiquement, de qui sont les migrants. Expliquer les migrations à partir des disparités signifierait, d’une part poursuivre dans la voie de la décision individuelle ou familiale basée sur le calcul des bénéfices ou du déterminisme suprême de l’économie ; et d’autre part, nous obliger à conclure que, si les inégalités étaient corrigées, les migrations disparaîtraient. Nous considérons qu’en poursuivant cette voie, nous participerions à la réduction des processus migratoires aux dites ‘migrations économique’, et des élans migrateurs à la recherche du bien-être matériel. Par conséquent, nous participerions à limiter l’observation des migrations à leur lien avec les développements des marchés de travail et leurs conditions d’entrée et de sortie et, de ce fait, à renforcer l’ensemble fini de répertoires de ce que les migrants sont et pourraient être. Tandis que, par contre, nous voudrions insister sur l’idée que les migrations sont et seront liées à la mise en mouvement d’inquiétudes diverses avec des conséquences inattendues pour la subjectivité.

Donc, de notre point de vue, l’alternative serait d’avancer vers une réflexion sur la multiplicité interne des processus migratoires et leurs tensions sous-jacentes. Réflexion qui réclame que nous soyons attentive à ce que sont les transformations des migrations dans un contexte de globalisation – transformations que certains auteurs ont caractérisées comme leur accélération, leur différenciation, leur féminisation et

leur politisation (Castles et Miller, 2013) – et en même temps à ce que sont les entendements que des tels changements nous demandent. Par conséquent, nous présentons ci-dessous, une cartographie des migrations actuelles, dans laquelle nous soulignons cinq dimensions : le profil des migrants, leurs motivations, leurs destinations, les flux liés à celles-ci et leurs pratiques, pour ultérieurement commencer à discuter ce que signifie parler de ‘nouveauté’ par rapport aux migrations et quels sont les défis compréhensifs que les dites ‘nouvelles migrations’ nous posent.