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Les motivations pour migrer

2.2 Cartographie globale et cartographie locale

2.2.2 Les motivations pour migrer

Les motivations des migrants restent une question centrale pour l’étude des migrations, et simultanément une question très difficile à répondre. Ainsi dans le chapitre précédent nous avons présenté des tentatives classiques pour traiter le sujet, et en même temps nous avons essayé d’exposer leur insuffisance. À cet égard, comme nous l’avons déjà énoncé, des études contemporaines ont montré les limitations du lien entre les déplacements et les facteurs économiques. Parmi les exemples !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

42 C’est-à-dire des participants qui ont fait des études de Licence au Chili (4 ou 5 ans de formation

universitaire) ou des études de Licence en France (3 ans de formation universitaire).

43 C’est-à-dire des participants qui, au moment de l’entretien, faisaient des études de Licence ou qui les

intéressants sur ces limitations, nous pouvons faire référence au rapport de l’IOM de l’année 2012, qui indique que contrairement à l’idée derrière les tentatives classiques pour dévoiler les motivations des migrants, le chômage ne serait pas déterminant dans le déclenchement de la migration. À cet égard, l’étude montre que le désir de migrer est présent parmi les personnes les plus qualifiées dans leurs sociétés d’origine – lesquelles dans des conditions idéales, devraient être les plus intégrées au marché du travail – comme parmi les personnes qui sont au chômage. La dissemblance entre les deux groupes serait, bien sûr, la capacité de concréter ce désir. Ainsi, il semblerait évident que les personnes dans une situation de vulnérabilité comme l’inactivité économique ne pourraient pas satisfaire un désir de migration si celui se manifeste, à cause de l’insuffisance des ressources économiques associée à leurs conditions. Cependant, l’intérêt de l’étude est, à notre avis, son argumentation en faveur de l’importance que d’autres variables – la satisfaction de l’emploi et la préexistence de liens sociaux dans les pays de destination – pourraient avoir dans la configuration des motivations pour la migration (IOM, 2012a).

Une autre étude intéressante quant à son effort de nuancer le rôle majeur des facteurs économiques pour expliquer les migrations, est celle de Cai et al (2014). Cette enquête vient s’ajouter à d’autres recherches préoccupées par le lien entre la satisfaction générale face à la vie et la migration au niveau régional (Chindarkar, 2014 ; Otrachshenko et Popova, 2014), mais cette fois la tentative est globale. Ainsi, le travail de Cai et al – à partir des données de l’enquête Gallup World Poll pour la période 2007-2012 – est concentré sur la recherche non de causalités mais d’un indicateur intégral pour les migrations. Ainsi, cette étude quantitative signale l’importance de la variable ‘revenus’ tant pour le bien-être subjectif que pour la migration, et de ce fait, plutôt que rejeter le rôle des revenus dans la migration, elle essaie de le relativiser en montrant que la performance compréhensive du bien-être subjectif face aux migrations est supérieure. Ensuite, au niveau des résultats obtenus, ceux-ci indiqueraient que le désir de migrer est associé négativement avec le bien-être subjectif. Toutefois, les auteurs avertissent que les résultats ne contredisent pas la pertinence de la variable revenus dans la migration car, d’une part l’indicateur de bien-être l’intègre ainsi que d’autres éléments liés à la qualité de vie, et d’autre part, parce que dans l’analyse par pays, l’indicateur de bien-être offre plus de rendement dans les pays riches, tandis que le montant est plus parlant dans les pays pauvres. Par

conséquent, leur préconisation n’est pas d’exclure ce facteur économique de l’analyse des déterminants migratoires, mais d’intégrer dans celle-ci le bien-être subjectif, en évaluant sa pertinence cas par cas.

Donc, ils sont nombreux les ‘rappels à l’ordre’ à propos de la façon dont sont entendues et traitées les motivations de la migration, même si des réductions d’ordre économique et autre restent en vigueur. Par exemple, une autre manière dont s’expriment ces réductions est les explications qui assimilent les motifs officiels d’entrée dans un pays aux motivations des personnes pour migrer. Ainsi, même si les statistiques de délivrance de titres de séjour pourraient être une information importante pour la formulation des politiques à propos des migrations, les problèmes commencent quand ces données sont interprétées d’une façon mécanique ce qui entraîne la considération qu’un immigrant avec un titre de séjour de travail est une personne qui s’est déplacée exclusivement pour des motifs économiques, un immigrant avec un titre de séjour d’étudiant est une personne qui s’est déplacée uniquement pour des motifs de formation professionnelle et un immigrant avec un titre obtenu dans le cadre d’une réunification est une personne qui s’est déplacée purement pour des motifs familiaux. Laisser de côté ce type d’analyse simplificatrice permettrait de comprendre, par exemple, des informations comme celle qui suit : « Selon une étude du ministère de l’Intérieur, portant sur les étrangers entrés comme étudiants en 2004, environ un tiers semble s’être installé durablement en France fin 2012. Ils sont mariés, ont trouvé un emploi ou détiennent encore un titre de séjour ‘étudiant’ (doctorants, étudiants en médecine, etc.) » (IAU, 2015 : paragraphe 14). Alors, plutôt que renforcer l’idée selon laquelle derrière chaque motif officiel d’entrée il existe des motifs cachés, nous voudrions relever que les motivations pour migrer sont multiples à la base, et aussi, qu’elles sont resignifiées au cours des processus migratoires.

Toutefois, compte tenu de tout ce qui précède, il n’est pas surprenant que pour le cas qui nous intéresse – l’émigration chilienne – les motivations continuent à être simplifiées d’une façon qui laisse clairement entendre que, au milieu d’un contexte historique régional, les années 70 ont été une période de migration politique et les années 80, une période de migration économique (IOM, 2012b). Or, des raisons pour l’espoir arrivent cette fois du même organisme qui a été la source de l’étude qui vient d’être citée. Ainsi, dans un rapport ultérieur, l’IOM indique que pour comprendre les

migrations, il faut intégrer la notion que les personnes qui se déplacent, volontairement o non, le font en cherchant à améliorer leur vie de toutes les façons et que la question la plus importante est finalement s’ils réussissent à le faire et s’ils sont heureux grâce à leur migration. Plus encore, que pour s’approcher de la réponse à ses questions, « au lieu d’être les sujets passifs de la recherche, les migrants doivent avoir l’occasion de raconter leurs propres histoires » (IOM, 2013 :184). De notre part, nous voudrions exprimer que – comme nous l’exposerons plus loin - les migrations ‘à la première personne’ ne nous semblent pas une garantie pour d’autres entendements possibles, mais nous considérons que, à partir cette indication, la question qui reste ouverte est si, par exemple, avec ce changement de sensibilité, nous arriverons à une complexification de la compréhension de la migration chilienne pour les périodes ultérieures.

En principe, même si nous avons réservé une autre partie de ce travail pour traiter cette question de façon plus approfondie, nous pouvons indiquer déjà que, à partir des récits des participants, nous nous approchons des motivations pour la migration comme celle qui suit :

Je crois qu’il y a des choses qui on ne voit très clairement au début quant au pourquoi on est venu. Alors je crois que la première raison est car je m’ennuyais à Santiago. J’habitais à Santiago et je travaillais dans un centre municipal de santé (…). Depuis longtemps j’étais en colocation avec une amie et j’avais déjà fait des rites de passage classique. Alors, à la fin c’était en raison de l’ennui, mais surtout pour passer à une autre étape. Il n’y avait pas beaucoup de choses qui me feraient sentir attachée au Chili. Je sentais que je pourrais… j’avais déjà accompli une étape dans le travail, une étape quant à ma famille, comme d’être loin mais avoir une bonne relation aussi. Il y avait certaines choses qui me faisaient sentir très indépendante et cela m’a permis de penser pourquoi pas partir ? Après il y avait l’intérêt d’apprendre une deuxième langue (…) [Aussi] dans ma famille, la sœur aînée de ma mère, qui est une tante très proche, elle a été exilée ici en France (…). Au fond je sens que le voyage de ma tante a eu une influence dans ma famille et dans ce qui nous a été transmis quant à certaines valeurs familiales qui en réalité coïncident avec les choses qu’on vit hypothétiquement ici. Surtout quant à la place de la connaissance, que celle-ci soit une société laïque et ma famille l’est aussi. Je crois qu’il y a toute une

histoire, il y a quelque chose par rapport à cela. Ma mère, avant de nous avoir, elle a voulu venir. Elle allait venir voir sa sœur et peut-être rester ici. Ainsi je crois qu’il y a une histoire familiale qui s’est unie au moment où j’ai dit ‘ Bon, je peux partir maintenant’ (…) Aussi une troisième chose a été qu’en Psychanalyse, qui était ce qui m’intéressait, c’était un lieu excellent pour venir. C’était lié aux superviseurs que j’ai eus en clinique qui étaient d’orientation lacanienne. Alors, à la fin, elle réunissait… la France, et aussi Paris, cette idée de ‘Pourquoi pas ? Ça va être utile au niveau professionnel et aussi au niveau personnel’. Donc, il avait ces trois choses : l’ennui, le sujet de la France et l’histoire, et aussi le sujet professionnel. C’était un mélange très bon à la fin (Catalina)