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L’insuffisance de l’« expérience subjective » des migrations

Comme nous l’avons exposé dans l’introduction de ce document, notre intérêt est de développer un itinéraire alternatif pour essayer de comprendre les processus migratoires. Itinéraire qui est guidé par la question autour des potentialités de la mobilité à accueillir des processus de changements à l’intérieur de chaque migrant, à partir de la mise en considération des récits sur la rencontre avec une altérité extérieure et une altérité intérieure pendant l’expérience migratoire. Autrement dit, notre objectif est de réfléchir d’une manière sensible à la transition possible des sujets migrants en sujets en mouvement ou nomades. Toutefois, même ce point de départ, le sujet migrant, n’est pas assuré dans l’étude des migrations. Si d’une part, certainement il faut souligner certainement la valeur d’études qui ont donné un rôle de plus en plus important aux perspectives et aux voix des migrants eux-mêmes, pour rendre compte des processus migratoires et répondre à des interrogations traditionnelles de la sociologie concernant les migrations, d’autre part, nous voyons avec préoccupation le manque de diversité par rapport aux considérations sur qui sont les migrants et qui ils pourraient devenir.

Par exemple, bien que la transition depuis les modèles abstraits vers les récits des migrants pour rendre compte des migrations (Lacomba, 2001)78, ait mis en valeur

le vécu personnel et particulier des protagonistes au niveau de la recherche académique sur les migrations, ces expériences sont souvent interprétées dans le registre de l’impuissance. Également, au niveau des associations et militants critiques des conséquences du néolibéralisme et de la globalisation, les migrants sont considérés comme l’un de leurs effets tragiques. Ils deviennent ainsi une composante de la liste des personnes et groupes représentés comme « (…) de simples victimes, en les privant d’une position en tant que protagonistes ou des sujets sociaux actifs dans les processus contemporains de transformation globale. » (Mezzadra et Neilson, 2003 : paragraphe 5). Au contraire, d’après Sandro Mezzadra (2005), si nous comprenons les mouvements migratoires comme une transgression des frontières !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

78 Joan Lacomba (2001), face au diagnostic de l’usure des analyses économiques classiques par rapport

aux migrations, propose la confrontation de la performance des nouvelles et des anciennes perspectives théoriques avec les récits des immigrants en étape d’installation.

nationales, il paraît évident que ceux-ci, en tant que des comportements sociaux, interpellent la généalogie de la globalisation.

La présence de la subjectivité dans l’étude des migrations, en général, semble avoir des difficultés à dépasser la narration sur la nostalgie, la souffrance ou le traumatisme attribués au processus, et aussi à se mettre en dialogue avec d’autres dimensions du vécu. Donc, la considération de la subjectivité comme objet d’étude ou comme axe d’analyse dans les migrations, ne garantit pas un changement par rapport au regard qui existe sur les migrants. À ce sujet, et en reprenant ce que nous avons exposé dans l’introduction, nous considérons très important de réfléchir sur ce qui a été suggéré par Michel Wieviorka (2011)79, car, nous sommes d’accord que la prise en

compte de l’’expérience subjective des migrants’ pour mieux comprendre le phénomène ne se traduit pas nécessairement dans une considération des migrants comme sujets ‘créatifs’, mais qu’il faut développer un effort intentionnel d’écouter et de mettre en valeur la diversité et la complexité du vécu par les migrants, avec leurs nuances, tensions et contradictions.

Par ailleurs, quant aux pratiques militantes, la mise en question que nous avons mentionnée suivrait un chemin différent. Ainsi, lorsque Sandro Mezzadra expose ses doutes sur la suffisance d’une représentation ‘victimisante’ à propos des migrants, il ne considère pas qu’il existe une prise en compte de la subjectivité réductrice, mais plutôt une absence qui peut être corrigée à travers la recherche. Donc, par rapport au contexte italien, le théoricien nous dit « (…) il est nécessaire de reconnaître que la plupart des travaux effectués au nom de la solidarité avec les migrants en Italie les ont traités comme des victimes, comme des gens qui ont besoin d’aide, de soins ou de protection. Sans doute, ce travail a été inspiré par des motifs nobles, mais il a aussi une certaine ambiguïté. En explorant l’aspect subjectif de la migration, on est capable d’aller au-delà de cette vision paternaliste et de voir les migrants comme les protagonistes centraux des processus actuels de transformation globale » (Mezzadra et Neilson, 2003 : paragraphe 26).

D’un autre côté, mais en cohérence avec cette argumentation, il serait très important de prêter attention aux positions actuelles qui mettent en question la distinction entre migrations volontaires et migrations forcées et de problématiser leurs conséquences. Par exemple, selon Irantzu Mendia (2000), quoique la notion de !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

migration forcée ait été élaborée par opposition à la notion de migration volontaire, la distance entre elles peut devenir opaque en raison de la complexité des situations qui sont à l’origine des déplacements. Ainsi, d’après Mendia, les migrations économiques qui sont couramment considérées comme volontaires, en réalité se caractérisent par l’absence ou la faiblesse de pouvoir de décision des personnes. En conséquence, la proposition de Mendia est d’établir une graduation pour évaluer le caractère forcé des mobilités, en concluant que toute migration peut être forcée, mais à des degrés divers. Bien que des propositions comme celle de Mendia visent à promouvoir une sorte de protection des ‘migrants économiques’, souvent utilisés comme boucs émissaires dans le cadre des discours anti immigration80, il est très important de penser aux les

conséquences, inattendues ou imprévues, d’une telle ‘démocratisation’ de la figure de la victime, pour la subjectivité des migrants81. En même temps, il convient de garder à

l’esprit que « au milieu des tensions et des contradictions, la migrante (ou le migrant) se forge une nouvelle subjectivité qui ouvre des possibilités de changement, car même si elle demeure sujette aux dynamiques de la globalisation capitaliste, elle est aussi sujet de transformation » (Bedford, 2009:23).

L’interrogation qui guide ce chapitre alors, est comment diversifier au cœur de l’étude des migrations, la lecture sur la subjectivité des migrants pour, par la suite, ouvrir une réflexion sur une subjectivité qui migre aussi; deux gestes que nous évaluons comme nécessaires pour rendre compte des migrations contemporaines ou des ‘nouvelles migrations’. À cet égard, nous considérons que les développements sur la « subjectivité migrante » de Sandro Mezzadra (2003 , 2005) et sur l’« autonomie des migrations » de Dimitris Papadopoulos, Niamh Stephenson et Vassilis Tsianos !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

80

Un exemple de cette pratique commence à se développer au milieu des années 80, à partir de la distinction entre réfugiés et « faux réfugiés » (Kobelinsky, 2005). Alors, depuis cette époque il est diffusé institutionnellement la notion de ‘flux mixtes’, autrement dit, l’idée que « quelques réfugiés s’entremêlent au flot des migrants économiques » (Valluy, 2005 : paragraphe 30). C’est ainsi que débute un discours officiel qui affirme que la cause de la crise de l’asile réside dans les ‘faux demandeurs’ qui abusent du système, étant en réalité des migrants économiques. Par rapport aux conséquences de ce discours, d’après Zigmunt Bauman, « on espère que les barrières frontalières, consciencieusement établies pour éviter l’entrée des ‘faux’ réfugiés politiques et des ‘simples’ immigrants économiques, servent pour fortifier une existence instable, irrégulière et imprévisible » (Bauman, 2009 :27)

81 Par exemple, nous pouvons trouver des exemples d’appropriation de ce discours de la part des

migrants eux-mêmes. Ainsi, si au Chili, la notion d’exil a toujours été liée à la politique et particulièrement au contexte dictatorial, aujourd’hui il existe un groupe d’étudiants universitaires chiliens en Argentine qui, dans le cadre des manifestations pour le droit à l’éducation gratuite et de qualité entamées depuis l’année 2006 au Chili, se dénomment eux-mêmes « Des exilés à cause de l’éducation » (Exiliados por la educación).

(2008) nous permettraient de nous approcher d’une interprétation différente de la subjectivité des personnes qui se déplacent autour du monde, même quand le point de départ de ces chercheurs est souvent les personnes les plus vulnérables parmi elles, raison pour laquelle cette sorte d’’air frais’ est encore plus significatif. D’ailleurs, le « nomadisme » de Michel Maffesoli (1997, 2010b et d’autres) et le « sujet nomade » de Rosi Braidotti (2011a, 2011b et d’autres), sont les théorisations/figurations qui nous permettraient d’avancer dans la compréhension des possibilités de se transformer pendant les processus migratoires.