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Les destinations de la migration

2.2 Cartographie globale et cartographie locale

2.2.3 Les destinations de la migration

A propos des destinations, selon toute apparence il existe des changements. D’abord, les trajectoires traditionnelles basées sur des liens historiques entre des pays semblent se transformer à notre époque. Par exemple, des pays qui ont été caractérisés comme destination d’installation, sont devenus aussi dans certains cas des pays de transit. C’est le cas tristement célèbre du port de Calais en France, considéré comme une zone stratégique par les migrants qui veulent aller en Angleterre. En parallèle, nous sommes face au débordement tragique des lieux de transit comme l’île de Lampedusa en Italie, qui a reçu entre janvier et août 2014 plus de 100 000 personnes, fuyant les crises en Erythrée, Syrie, Libye, entre autres (Magi, 2014) et qui veulent arriver dans les pays d’Europe du Nord, comme la Suède. Ensuite, nous assistons à la reconversion de pays nommés ailleurs ‘d’immigration’ en pays ‘d’émigration’. Toutefois, l’inversion n’est jamais réellement définitive, mais c’est plutôt que des flux dans des directions différentes coexistent. Un exemple est le cas de l’Espagne et son émigration à partir de la crise économique des dernières années, qui se déroule en même temps que des migrants bataillent pour entrer dans le pays depuis les villes de Ceuta et Melilla. Par ailleurs, bien que les migrations Sud-Nord restent significatives à cause de leur place historique et de leur continuité au présent, les déplacements Sud- Sud ont pris de la force. Selon des données de l’année 2010, «plus de la moitié des vingt corridors migratoires principaux dans le monde, sont constitués par des personnes qui migrent depuis le Sud vers le Sud. » (IOM, 2013 :55).

Donc, il semble que nous ne sommes pas dans un moment de transformations définitives et consolidées, mais plutôt au milieu d’un processus de changement des destinations de la migration, dont les organismes internationaux, la presse et d’autres acteurs ont commencé à rendre compte. Ainsi, un troisième processus à regarder serait le déplacement des lieux habituels de réception de migrants vers de nouvelles destinations. À ce sujet, les voix du Migrant Policy Institute et des NationsUnies se sont rejointes en janvier 2014 pour expliquer à la presse que, même si les destinations classiques – Europe, États-Unis et Canada – allaient continuer à recevoir des flux migratoires, d’autres pays allaient assumer des rôles principaux comme destinations dans le continent asiatique (Chine, Inde, Turquie, Indonésie) en Afrique (Maroc) et même en Amérique latine (Brésil, Mexique45). A ce sujet, il devrait être pris en

compte que, par exemple, entre 2000 et 2010 40 % de l’augmentation globale des migrations correspondraient à des mouvements vers l’Asie (Paone, 2014).

Etant donné le contexte d’origine de la migration que nous traitons dans cette recherche, nous voudrions indiquer comment les tendances que nous avons évoquées se manifestent au Chili. Ainsi, les données indiquent d’abord qu’en ce qui concerne l’immigration les choses ont évolué. Si dans la première moitié du XXe siècle, le pays

a été une destination d’immigration européenne (70 % entre 1930 et 1950), dans la deuxième moitié du même siècle, le Chili est devenu un pays où l’immigration provenait principalement de l’Amérique latine (50 % en 1980)46. Ce changement

s’expliqué en raison de la diversification des origines de l’immigration, de la consolidation de flux internes en Amérique Latine, et du manque de rénovation de l’immigration européenne (IOM, 2011). Ensuite, compte tenu de cette transformation, pendant les premières années du XXIe siècle jusqu’a présent, l’immigration serait en

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45 Le cas du Mexique est particulièrement complexe, car le pays est aussi un lieu de transit pour des

adultes et des mineurs non accompagnés, ressortissants des pays de l’Amérique Centrale, qui veulent arriver aux États-Unis. Compte tenu de ces éléments, il n’est pas surprenant qu’une partie importante des développements théoriques contemporains sur les migrations se basent sur le cas des migrations Mexique-Etats-Unis.

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Il est très important de préciser que la ‘représentation’ de la prééminence de certaines origines dans l’immigration ne doit pas être confondue avec sa magnitude. Les premières mesures de l’immigration au Chili ont eu lieu en 1854 (1 %). Ensuite, nous avons des données en1907 (4,1 %, le pic historique), 1920 (3 %), 1970 (1 %) et 1982 (0,7 %). Les explications de l’augmentation dans les premières années du siècle sont les politiques pour attirer les colons européens et les migrations spontanées vers l’industrie minière. Les causes de la diminution pendant la deuxième moitié du siècle sont le développement des économies européennes, la croissance économique des autres pays latino- américains et le climat d’insécurité qu’a créé la dictature de1973 à 1990 (IOM, 2011a).

augmentation progressive47 : 0,9 % (1992), 1,2 % (2002) (Ibid.) et 2,5 % (2014), et

l’origine des flux migratoires les plus importants (73 %) continue à être régionale. À ce sujet, les données de résidences de longue durée au Chili, diffusées par le Departamento de Extranjería y Migración, indiqueraient que les cinq premiers pays avec le plus grand nombre de résidents au Chili sont le Pérou, l’Argentine, la Bolivie, l’Équateur et la Colombie (Matus, 2014).

Toutefois, malgré la croissance de l’immigration au Chili, l’émigration a été et est encore un sous-processus significatif. Ainsi l’ont exprimé les chercheuses Veronica Cano et Magdalena Soffia en 2009, en concluant que « le nombre des ressortissants qui ont émigré a dépassé historiquement la quantité des immigrants dans le pays, l’émigration étant la face la plus visible des processus migratoires au Chili » (Ibid. p. 141). Un diagnostic qui coïncide avec celui indiqué par l’Instituto Nacional de Derechos Humanos : « Au Chili, la population étrangère a augmenté de façon constante au cours des dernières décennies, même si en termes nets le pays est encore un pays d’émigrants » (INDH, 2013 :7). Situation qui a été confirmée par l’État du Chili qui, dans l’année 2010, « a rapporté que pour chaque immigrant au Chili, trois émigrants chiliens restent à l’étranger » (Loc.cit.)

À ce sujet, et en dépit des difficultés pour rendre compte de l’émigration chilienne, il est possible de trouver des antécédents, même si limités et non actuels, cohérents avec l’interprétation des chercheuses et de l’Institut que nous venons de citer. D’abord, pour la période 2000-2002 les données ont montré que l’immigration représentait 1,3 % de la population nationale, tandis que l’émigration 2,9 % (CEPAL, 2006). Ensuite, comme nous l’avons déjà mentionné, le rapport du DICOEX et INE (2005) a présenté parmi ces résultats que le nombre de Chiliens à l’étranger pour la période 2003-2004, était de 487 174, la population nationale étant estimée pour l’année 2004 à 16 093 378 personnes. Malheureusement, pour la même période, nous !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Il y a divers arguments pour essayer de comprendre ce scénario. Même si nous sommes consciente de la nécessité de les traiter en considérant des cas particuliers où la perspective des immigrants eux- mêmes doit être un élément indispensable, nous pouvons souligner le travail de Carolina Stefoni (IOM, 2011a) qui fait référence à une série de conditions positives que présente le Chili pour l’immigration d’origine latino-américaine. Parmi celles-ci la croissance économique et la stabilité politique après la récupération de la démocratie, semblent fondamentales. De plus, des facteurs tels que la proximité géographique, les frais de voyage et la continuité historique de certains flux, qui a permis de construire des réseaux migratoires, sont considérés aussi comme des ‘attracteurs’. Enfin, un contexte de contrôle et de découragement des tentatives migratoires de la part des pays de l’Union Européenne et des États- Unis, versus une politique chilienne d’entrée sans visa, aurait aussi un rôle significatif.

n’avons pas de données sur l’immigration au Chili. Après, et pour continuer avec la comparaison, nous pouvons mentionner le projet Peoplemovin. Migration flows

across the world selon lequel durant l’année 2010 l’immigration au Chili a été de

1,9 % tandis que l’émigration chilienne était de 3,7 %48.

Comme l’émigration chilienne est notre centre d’intérêt, nous voudrions aller plus loin en disant que, bien que l’information par rapport à celle-ci porte principalement sur la deuxième partie du XXe siècle, il n’est pas surprenant que cette

époque ait une place privilégiée, car elle est sans doute le moment du plus grand mouvement international de personnes dans l’histoire du pays. Ainsi, dans un contexte de dictature, les principales destinations des Chiliens ont été : la France, la Suède, l’Italie, l’Allemagne, le Canada, l’Australie, les États-Unis, le Mexique, l’Équateur, le Venezuela, le Costa Rica et l’Argentine (IOM, 2011a ; Cano et Sofia 2009). Cependant, la quantification de l’exil chilien a été et continue d’être une tâche très difficile à accomplir49. Même si nous pouvons les considérer comme provisoires,

pour le cas de la France les données indiqueraient un nombre d’exilés provenant du Chili variant entre 10 000 (Bail, 2004 ; Morales de la Mura, 2014) et 15 000 (Jedlicki, 2001; Rebolledo, 2012) exilés provenant du Chili. Ainsi, en France, « la communauté chilienne était devenue la communauté latino-américaine la plus importante, suivie par les communautés brésilienne, argentine (…) et mexicaine » (Gonzalez, 2007 : 10).

Quant à cette ‘communauté chilienne’, les familles de certains des participants de cette recherche en ont fait partie. Ainsi, parmi les 54 personnes interviewées, 9 sont des fils ou des filles d’anciens exilés. Parmi ces derniers, 5 participants sont nés en France :

Je n’ai jamais vécu avec mon père car il est parti avant que je naisse. Pour des motifs politiques, il a dû de partir en exil et la première fois que je l’ai vu, j’avais déjà 8 ans. Il a fait sa vie ici en France et je l’ai connu comme un visiteur. C’était une relation à

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48 Information disponible sur: Http://peoplemov.in/#f_CL 49

À cet égard, Ana Vásquez-Bronfman et Ana María Araujo (1990) nous offrent l’interprétation qui suit : « En principe, les exilés ont fui, ils arrivent sans passeport et doivent adhérer au statut juridique des réfugiés. Mais déjà dans les premières vagues d’exilés il a été constaté que ceux qui avaient réussi à partir avec leur passeport ont fait de leur mieux pour le préserver. Être accroché au passeport répondait à un désir très profond: marquer avec un document la volonté de retour. Cette attitude a eu comme corollaire une énorme difficulté pour apprécier la taille de la communauté des exilés, car à côté de ceux qui ont un document administratif officiel, il y a une énorme quantité d’exilés de fait, survivant avec des papiers provisoires, avec des titres d’étudiant, avec des permis de touriste et même avec la double nationalité » (Cité en Rebolledo, 2012, p. 179).

distance, quelque chose de très intangible. Il s’agit d’une personne que tu ne connais pas, il n’y a pas de photographies, il n’y a rien, car l’époque ne le permet pas. Ça a toujours été plutôt une relation à travers ma mère, elle me le faisait connaître (…) En Première au lycée je suis venue pour la première fois à Paris. Je crois que mon père avait tout planifié avant, il a tout fait pour que moi, petit à petit, je sois enchantée. Il y a eu une préparation pour une migration éventuelle (…) Je suis venue en 2008. Le voyage me rendait nerveuse, je savais que c’était un changement de vie. J’allais cesser d’être avec ma famille et j’allais vivre avec mon père, deux choses que je n’avais jamais faites avant. Je venais chez mon père, mais il était aussi un inconnu

(Isabel).

Bon, je suis arrivé en 2003, en avril. Il y a déjà 10 ans. Je suis venu pour faire des études supérieures car j’avais toujours été dans le système scolaire français. Là-bas

[au Chili], j’avais été à l’Alliance Française50 avec une bourse parce que je suis

français, j’ai la nationalité (…) J’ai très peu de souvenirs de mes premières années en France. Il y a toujours, je ne sais comment te dire, ce réseau. On peut arriver à créer ou à recréer certains souvenirs à travers ce qu’on te raconte ou à travers des photographies ou des vidéos, du peu de vidéos que nous avions à cette époque. Alors je sais quelques choses, qui sont les choses les plus traumatiques d’une certaine façon. Ce sont des souvenirs, cela est clair, mais il y a d’autres choses que je suppose on essaye de recréer, nous recréons l’histoire (Teo).

Ultérieurement, dans la dernière décennie du XXe siècle, l’émigration

chilienne a été principalement régionale, mais les déplacements vers les États-Unis ont doublé (IOM, 2011a). Selon l’enregistrement volontaire de la période 2003-2004 déjà cité, l’Argentine et les États-Unis accueillent le plus grand nombre de Chiliens résidants à l’étranger (DICOEX et INE, 2005). En même temps, prenant en considération les changements dans le contrôle migratoire et les régimes du visa dans ce dernier pays, les flux migratoires d’Amérique Latine ont été ouverts aussi vers l’Europe (Ayuso, 2009). À cet égard, les données indiquent que pour l’année 2010, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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À Santiago du Chili, le lycée de l’Alliance Française, ou Lycée Antoine de Saint-Exupéry depuis 1967, est un établissement d’enseignement dont la particularité est de dispenser une éducation bilingue de la petite section de maternelle à la Terminale.

presque 55 % de l’émigration chilienne a été extra régionale et que 24 % de ces émigrés résident dans un pays de l’Union Européenne (IOM, 2012a). Parmi ces derniers, les données des recensements français des années 1999 et 2007 ont montré que les Chiliens résidents en France étaient respectivement 9 638 (Gonzalez, 2007) et 11 055 (INSEE, 2007)51. Ensuite, pour l’année 2010, selon IOM 14 615 Chiliens

habitaient en France et ce pays occupait la troisième place mondiale parmi les pays accueillant des Chiliens résidents (IOM, 2012a).

Après avoir traité le sujet des destinations de la migration actuelle, il nous semble cohérent de parler des changements par rapport aux flux migratoires dans un monde global. Examiner ces flux reste un travail intéressant et nécessaire au milieu de l’étude des migrations, dans la mesure où ils reflètent des cadres dans lesquels des mobilités se concrétisent, la plus part des cas, sous des formes pas complètement autonomes, mais non plus forcées, et plutôt bien comme un exemple des différences par rapport à l’accès à la mobilité. À cet égard, nous avons déjà explicité que nous ne partageons pas le regard strict qui, en analysant les migrations, les réduit à une réponse mécanique aux inégalités et de ce fait à une expérience exclusive des ‘exilés’ des modèles économico-politiques. En conséquence, nous nous appuyons sur des données provenant des rapports, qui même avec des perspectives traditionnelles sur le phénomène, soutiennent, à sa manière, la proposition à notre avis primordiale, sur la diversité des processus migratoires.