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L’imaginaire et les migrations

3.3 Explorations inspirées par la sociologie compréhensive

3.3.2 L’imaginaire et les migrations

Quant aux imaginaires sur la migration et les migrants, nous voudrions souligner les travaux de Felipe Aliaga (2008, 2012) qui, en se concentrant sur l’immigration dans l’Espagne, interroge les imaginaires sociaux 70 autour

l’immigrant et nous offre une définition, même s’il la qualifie de tentative, par rapport à l’’imaginaire social migratoire’. Celui-ci « serait constitué par la représentation faite !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

70 Aliaga comprend ‘les imaginaires sociaux’ en intégrant les perspectives systémiques et

phénoménologiques de Juan Luis Pintos (Espagne) et de Manuel Antonio Baeza (Chili), respectivement. À ce sujet, l’auteur exprime que « L’union entre l’individu et les systèmes sociaux, serait donnée par l’imaginaire social, où celui-ci fonctionnerait comme un mécanisme transversal quel que soit le sommet considéré comme le point de départ de la réalité, puisque la masse nucléaire de la

de la migration par rapport aux éléments qui permettent d’identifier un groupe, soit les propres migrants, soit les individus locaux, les unissant quant à ce qui est communiqué et ce qui est caché autour le processus migratoire » (Aliaga, 2012 :4). Par ailleurs, cet imaginaire impliquerait des communications diverses selon le moment et le contexte migratoire, il agirait par des moyens différents et serait vulnérable à des transformations à cause des pratiques à son entour.

D’après Aliaga (2012), les imaginaires sur les migrations : « nous permettent d’observer le traitement que la société fait aux migrants et le type de société qui prend forme » (Ibid. p. 6), « nous offre [nt] une compréhension sur la réalité migratoire et sur la forme sous laquelle ses diverses interprétations sont confrontés » (Ibid. p. 9) et sont « un élément fondamental de la compréhension de la forme qui assume la réalité postmoderne et ses transformations » (Ibid. p. 7). Chacune de ses réalités à observer, et à comprendre, serait étroitement liées aux autres dans la mesure où supposent la distinction entre des locaux et des étrangers, où « les asymétries dans les conceptions des immigrants se font sentir au niveau de l’intérieur / l’extérieur de la société, dans toutes ses structures » (Aliaga, 2008 :9). La notion de migrant fait partie de la définition des frontières et limites décidant qui est intra-muros, qui est définitivement en dehors, qui peu transiter et quelles sont les conditions de ce transit, dans un contexte où coexistent les célébrations de et les restrictions à la mobilité.

Selon Aliaga, dans la configuration de l’imaginaire migratoire, le protagoniste, l’immigrant, devient la figure de l’altérité. Cette figure sera conformée à partir d’une pluralité des imaginaires, en raison d’une diversité des ‘systèmes’, leurs constructions et leurs légitimations, et aussi d’une diversité de ‘fondements’ (selon le cas, réels ou perçus) : statut légal, apparences, différences culturelles, classe ou tout mélangé (Penninx et Martiniello, 2006)71, de façon spécifique et contextuelle72. Ces

imaginaires pourraient ‘se fonder’ à partir d’un regard stigmatisant de l’altérité et aussi à partir d’un regard plus nuancé, les deux avec des conséquences pour la vie quotidienne des immigrants. De ce fait, si d’après Aliaga, « la construction principale de ce sujet [l’immigrant] commence par l’imaginaire social de l’existence d’un autre » !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

71 Cité dans Aliaga, 2012, p. 9

72 À ce sujet, il serait très intéressant de pouvoir discuter à l’avenir la perspective de Saskia Sassen

quand elle dit : « Actuellement la différence dans la culture ou la religion ou le phénotype est considérée comme une différence «objective» et donc «problématique». Mais en regardant le passé de l’Europe, il indique clairement que le simple fait que l’immigrant soit un outsider pourrait être le facteur principal derrière l’expérience de la différence » (Sassen, 1999 : XVI).

(Aliaga, 2008:9), il serait intéressant, même si cela mérite une discussion indépendante et plus élargie, de réfléchir sur les récits qui participent à la création et à la recréation de ces imaginaires. Ainsi, nous pouvons trouver des auteurs qui remarquent la contribution, entre autres, des perceptions du rapport entre des pays de départ et d’accueil migratoire, des mémoires sélectives quant aux migrations passées, des politiques de contrôle migratoire et des médias, dont nous présenterons certaines références.

Par exemple, Saskia Sassen (1999) se montre critique sur la vision de l’Europe occidentale comme une région d’émigration et aux potentialités de ce récit pour rendre invisible le rôle de l’immigration dans son histoire et élaborer des ‘récits d’expulsion’. Ainsi, elle indique que « Les migrations internationales se tiennent à l’intersection d’un certain nombre de processus économiques et géopolitiques qui lient les pays concernés, elles ne sont pas simplement le résultat de personnes à la recherche de meilleures opportunités. Une partie du problème de la compréhension de l’immigration est de reconnaître comment, pourquoi et quand les gouvernements, les acteurs économiques, les médias et les populations en général dans les pays hautement développés participent au processus d’immigration » (Ibid. p. 1). De ce fait, le récit de « l’Europe de l’émigration », « ne peut pas être dit sans tenir compte des représentations culturelles et politiques des migrants dans différentes périodes et dans des conditions différentes » (Ibid. p. 4).

Ensuite, Mereike Köning et Rainer Ohliger (2006) indiquent : « L’Europe a hérité d’une histoire riche de diverses formes de migrations. Cependant, cette histoire ne fait pas habituellement partie de la narration générale européenne » (Ibid. p. 13). Ce diagnostic coïncide avec celui exposé par Gerard Noiriel à propos du développement du travail historique en France au début des années 1980 : « L’immigration était alors un ‘non lieu de mémoire’, en dépit de son importance extrême pour l’histoire contemporaine de la France » (Noiriel, 2006:1). Selon Köning et Ohliger (2006), le travail historique sur les migrations de ces dernières années serait un exercice très intéressant de décentrement d’une mémoire historique, concentrée jusque-là sur les limites nationales et leurs élites. Spécialement par le rôle attribué de manière consensuelle à la mémoire dans la conformation des identités collectives et politiques d’appartenance. Dans la même optique, l’absence de ces travaux, mais plus largement, l’impact quotidien des représentations et des récits sélectifs par rapport aux

migrations a été illustré d’une façon dramatique par l’écrivain José Saramago en 2009, quand il a dit « Celui qui auparavant avait été exploité et avait perdu sa mémoire de l’avoir été, il explosera. Celui qui a été méprisé et qui prétend l’avoir oublié, il affinera sa propre façon de mépriser ».

Par ailleurs, d’autres récits sur la migration qui participeraient à la conformation des imaginaires proviendraient du travail des médias. À ce sujet, Helen Creighton (2013) remarque que « Les médias jouent un rôle majeur dans la diffusion d’une certaine image de l’immigration et des immigrants, et, à notre avis, ils contribuent à constituer l’idée de la différence » (Ibid. p. 85). Les médias peuvent promouvoir des représentations qui stigmatisent, soit à travers un ‘dramatisme’, à travers d’un ‘paradigme négatif’ et aussi à travers de l’invisibilité. En cohérence avec cette vision critique, Rutvica Andriajasevic (2000) a mis l’accent sur la participation des médias dans la création d’une image de la migration comme ‘problème’, en signalant le travail de Teresa Fiore dans l’identification des pratiques spécifiques à ce sujet. Ainsi, les médias agiraient « en fournissant des chroniques partielles, mettant l’accent sur l’information non pertinente pour l’analyse des faits – comme les caractéristique somatiques ou le pays d’origine–, en omettant d’autres points de vue – les points de vue des migrants ne sont pas signalés–, instrumentalisant les faits – couvrant la plupart des cas où les migrants sont les agresseurs et non les victimes – et en ayant des titres d’articles sensationnalistes » (Ibid. paragraphe 13). Toutefois, d’après Creighton (2013), les médias ont eux-mêmes le potentiel pour ‘déconstruire’ ce chemin et promouvoir des images alternatives des immigrants et des minorités. Il semblerait alors que l’identification de ce potentiel est liée à la reconnaissance des contextes changeables, dans lesquels les médias s’inscrivent comme pratiques plus que contenus, et dans lesquels circulent et s’informent des différents récits ici mentionnes, et d’autres.

Compte tenu de cette dernière idée, différents auteurs soulignent la participation des politiques migratoires dans l’élaboration des représentations spécifiques sur les migrations. Ainsi, il serait fondamental d’avoir un regard complexe par rapport au contrôle migratoire, et de comprendre que celui n’a pas seulement une dimension limitante quant aux flux migratoires, mais aussi une dimension créative quant à la image des migrations. Du point de vue pratique, cette dernière aurait une relation directe avec la redéfinition des trajectoires migratoires. Cependant, un autre

visage de cette dimension nous intéresse, lié au discrédit des migrants. Selon les chercheurs de Cultures & Conflits (2002), les impacts des politiques de contrôle migratoires sont émotionnels et instrumentaux, de façon simultanée et complémentaire. C’est-à-dire, d’une part elles ont des conséquences sur la façon de concevoir la migration comme phénomène, le migrant comme sujet et ses liens avec les sociétés d’accueil. D’autre part, elles ont des conséquences sur la planification, l’implémentation et la légitimation des mesures concrètes pour affronter ce qui a été avant défini négativement et pour recréer cette image. Par exemple, dans le cas particulier des centres d’enfermement pour les migrants en situation irrégulière, selon Intrand et Perrouty (2005), nous serions face à une « déshumanisation des migrants à l’intérieur du camp qui se double d’une criminalisation à l’extérieur » (Ibid. paragraphe 37). Pour sa part, Mathieu Bietlot (2005) nous rappelle qu’à travers la ‘stigmatisation des étrangers’ sont obtenus des dividendes quant à la cohésion au niveau national et communautaire, ainsi que le contrôle et la précarisation au niveau des populations immigrantes. De ce fait, d’après Bietlot, « L’ensemble du dispositif de contrôle des flux migratoires contribue à confiner l’étranger dans l’image, la place et le rôle que lui réservent nos sociétés » (Ibid. paragraphe 20).

Alors, nous pouvons saisir un regard éminemment critique et l’absence de nuances dans le diagnostic sur les perceptions à propos des migrants circulant dans les sociétés d’accueil. De ce fait, à partir d’un tel scénario, il nous semble que la considération de l’analyse du rapport entre l’imaginaire et les migrations, à partir des protagonistes de la mobilité eux-mêmes, acquiert une importance singulière. Si la conception de l’altérité semble fondamentale pour comprendre les imaginaires autour de l’immigration et des migrants, l’éveil du désir migratoire, ses motivations et sa concrétisation, sont au centre de la discussion sur les imaginaires des migrants.