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Nouvelles migrations, nouvelles compréhensions

Dans ce chapitre nous avons essayé de présenter une image des migrations actuelles construite à partir des données provenant de sources variées. Procéder de la sorte pour tramer les traces d’un ‘paysage’, d’une part répond à notre proposition méthodologique, mais d’autre part répond à une conviction sur le résultat hétéroclite de la tentative de ‘prendre une photographie’ à un instant des mouvements migratoires contemporains. Donc, même si les rapports des agences internationales montrent un

haut degré d’accord avec les analyses du milieu académique, l’introduction des récits des participants nous a permis de mettre en évidence des tensions par rapport aux versions que nous choisissons de raconter sur ce qu’est la migration. Cependant, en même temps, avoir essayé d’ouvrir l’espace à ces tensions, nous a distanciée du confort qu’implique le fait de trouver ‘une’ réponse sur les particularités du rapport entre les migrations et la globalisation, et de ce fait, sur ce qu’il y a de nouveau quant aux premières. Ainsi nous arrivons aux dernières lignes de ce chapitre avec la question encore ouverte de ce qui est entendu par ‘nouvelles migrations’ et quelles sont les limites de cette caractérisation.

En conséquence, nous voudrions reprendre la discussion en évoquant d’abord l’article « Un essai de typologie des nouvelles mobilités » de Catherine Wihtol de Wenden dans le numéro 1294 de la revue Hommes & Migrations (2001), intitulé ‘Nouvelles mobilités ». Quant à ce numéro, il faut dire que la notion qui apparaît dans son titre, fait référence aux changements quant aux motivations et aux destinations pour migrer et aussi à l’émergence de cadres institutionnels inédits à partir desquels s’organisent les déplacements aujourd’hui (Dewitte, 2001). Tous ces diagnostics sont cohérents avec les données que nous avons exposées auparavant. Cependant, une fois dépassées les consignes introductoires de l’édition, le travail de Wihtol de Wenden (2001) nous permet d’aller plus loin dans la discussion et de penser dans quelle mesure la notion de ‘nouvelles migrations’ nous parle de ‘nouveaux migrants’.

Alors, si d’une part, la sociologue et politologue dédie une grande partie de son article à renseigner des transformations diverses qui configurent le scenario où se placent les migrations actuellement, d’autre part – à notre avis, plus important encore – elle pose les bases pour le débat sur qui sont les migrants aujourd’hui et comment, à partir du domaine des sciences sociales, nous pouvons rendre compte des processus migratoires dans lesquels ils s’investissent. Alors, de notre point de vue, l’intérêt de la perspective de Wihtol de Wenden réside dans la question qu’elle pose sur ce que serait la performance des anciennes typologies migratoires au moment des ‘ nouvelles migrations’

Prenant en considération les changements du monde actuel, les déplacements qu’il abrite et les efforts précédents pour classifier et analyser ces derniers spatialement, socio-culturellement, par flux migratoires, par logiques migratoires, et d’autres ; elle avance : « la meilleure typologie est sans doute celle qui, loin d’être

construite artificiellement autour des critères abstraits, a une valeur explicative utilisable pour le contexte que l’on étudie. À l’heure de la mondialisation, une typologie distinguant les formes, les facteurs et les objectifs de la mobilité est peut- être la plus pertinente. Mais il faut toujours se garder de s’enfermer dans des modèles trop restreints car il y a, in fine, autant de types de migrations que de migrants eux- mêmes… » (Wihtol de Wenden, 2001 :12). Donc, si cette fois-ci la chercheuse nous propose de reconnaître et d’assumer les limitations des typologies, en même temps elle semble se prononcer en faveur de leur perfectionnement et non de leur abandon.

Cependant, douze ans après la publication de l’article que nous venons de citer, la chercheuse reprend le sujet dans son ouvrage Les nouvelles migrations. Lieux,

hommes, politiques (2013), et reprend également son argumentation sur les difficultés

des catégorisations : les "nouvelles migrations’ étant représentées par des migrants qui, par exemple, « empruntent plusieurs profils au cours de leur vie et qui appartiennent à plusieurs profils à la fois » (Ibid. p. 9), les catégories seront rapidement dépassées par une diversité non maîtrisable. En plus, au-delà de leur insuffisance ou de leur inadéquation, cette fois Wihtol de Wenden s’etend sur les conséquences des typologies pour les individus à propos desquels elles sont employées et pour leur vécu migratoire. À cet égard, elle indique que des catégories autour la migration peuvent participer à la stigmatisation, l’enfermement, l’immobilité et la discrimination des migrants. Toutefois, dans la même ligne du travail antérieur, cette information vient précédée de l’idée qu’« il n’existe pas de classification unique ni parfaite : chacune correspond plutôt aux finalités de l’analyse que l’on cherche à approfondir » (Ibid. p. 10).

Quant à nous, nous avons décidé d’intégrer les critiques ici soulevées, mais non avec l’intérêt de trouver les ‘bonnes’ typologies ou catégorisations. Avec l’apport d’’autres sensibilités’, nous avons choisi de poursuivre d’’autres itinéraires’ qui admettent la possibilité de figurations exprimant des localisations diverses, internements multiples et plusieurs fois contradictoires, coexistant sur la scène migratoire actuelle ; et qui admettent aussi la possibilité narrative de rendre compte de ces localisations non comme une amélioration des catégories, mais comme un chemin alternatif aux dichotomies et aux réductions. Cependant, une fois que nous avons fait le choix – propre à tout processus de recherche – il reste à savoir si ce geste est situé au niveau des exigences, de la hauteur, de la nouveauté quant aux migrations, ou plus

proche d’un exercice d’autocritique par rapport à tout ce qui est nommé comme ‘nouveau’, mais qui à la fin fait partie du spectre de ce qui n’a pas été écouté sur l’expérience migratoire et en conséquence, n’a pas obtenu de place dans les explications universitaires.

À l’égard de ce doute, trouver une réponse claire n’est pas facile car si, d’une part il est délicat d’affirmer que la diversité des migrants eux-mêmes est un fait de nouvel ordre et doc soutenir la perspective que cela qui a été nommé ‘migration économique’ ou ‘migration politique’ a été plus que des catégories d’analyse, rendant compte de l’expérience de personnes de chair et d’os ; d’autre part, il est indéniable qu’aujourd’hui cette diversité compte sur de nouvelles conditions pour sa caractérisation et son déploiement – capitalisme avancé, technologie, communication, transport, politique migratoire globale et locale – qui touchent fortement les migrations.

Ainsi, dans tous le cas, nous considérons que s’il y a un défi que nous pose la compréhension des migrations aujourd’hui, il faut l’affronter en ayant à l’esprit que

« la solution du mystère était toujours inférieure au mystère lui-même (Borges,

1977:98) et ainsi résister aux restrictions et aux silences que nous imposent des catégories, avec le bruit d’une pluralité située de réponses possibles sur ce qui sont les migrants et ce que sont les migrations actuellement. Par conséquent, les chapitres suivants, consacrés à ce que nous avons nommé ‘autres sensibilités’ et ‘autres itinéraires’ pour l’entendement des migrations, n’envisagent pas d’être une proposition d’une connaissance ni plus vraie ni plus juste, mais plus ajustée à la complexité des mobilités humaines. De ce fait, notre intention est d’accentuer la potentialité d’ouvrir l’entendement sur la migration à des perspectives théoriques qui, d’une part ne discutent pas sur ‘les migrants’, mais sur ceux qui habitent, qui incarnent, la possibilité de mettre en mouvement la subjectivité, cette fois en se déplaçant dans le monde.

DEUXIÈME!PARTIE!!

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Chapitre!3!:!Autres!sensibilités!pour!l’étude!des!migrations!