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Une fois installés

2.2 Cartographie globale et cartographie locale

2.2.5 Une fois installés

Comme nous l’avons déjà exposé, l’installation des migrants a été l’un des sujets centraux pour la théorie à propos des migrations. La réflexion sur cette question a donné naissance à des travaux sur les réseaux sociaux, les liens entre migrants et institutions et la réévaluation en permanence des motivations pour les déplacements. Toutefois, bien que les questions traditionnelles à propos de l’installation aient été pourquoi les migrants qui sont arrivés, sont restés dans les pays de destination et pourquoi d’autres continuent à venir, il nous semble pertinent de renouveler cette question et de commencer à nous demander comment les migrants se placent dans le monde aujourd’hui. En conséquence, nous allons traiter deux pratiques des migrants qui revêtent une grande importance dans le moment actuel : l’envoi de fonds et la création d’associations de migrants.

L’envoi de fonds est l’une des pratiques des migrants qui d’une part, impacte leurs formes d’installation et leurs activités dans les pays de destination, et d’autre part constitue une forme de lien avec les pays, les communautés et les familles d’origine. Plus spécifiquement « les envois de fonds sont composés d’espèces et de biens qui sont envoyés aux foyers et aux individus par les migrants qui sont en dehors de leurs communautés d’origine, dans d’autres régions du pays et à l’étranger » (Gomez, 2013 :161)57. Cette pratique a gagné progressivement de l’importance dans le

monde et, d’après les données de la période 2009-2010 de l’enquête Gallup World

Poll dans 135 pays, « environ 3 % des adultes dans le monde vivent dans des foyers

qui reçoivent des envois de fonds – sous forme d’argent ou de biens – de quelqu’un dans un autre pays » (OIM, 2011b:44) et « ce pourcentage est de 10 % de plus dans 35 pays, représentant une ressource vitale pour des millions de personnes » (loc.cit.). Parmi ces derniers pays le plupart d’entre eux se trouveraient dans la région subsaharienne (OIM, 2011b) et cela est cohérent avec les données du rapport d’IOM de l’année 2013 qui signalent qu’en 2010, la plus grande partie des transferts de fonds se sont faits en direction Nord-Sud (43 % à 62 %). Toutefois, il faut prendre en compte l’existence des circuits informels pour les transferts qui seraient très difficiles !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

à déterminer et que, en conséquence, les envois de fonds dans d’autres directions sont un phénomène très difficiles à quantifier, même s’il y a déjà des antécédents qui rendent visible la participation d’autres flux dans la circulation d’argent provenant de la migration internationale. À ce sujet, nous savons aujourd’hui que les migrants des flux Sud-Sud – un tiers des migrants au niveau global – réalisent 25 % des envois d’argent dans le monde (IOM, 2013).

Une autre perspective pour estimer l’importance de cette pratique, et cette fois plus connectée avec notre cas d’étude, se concentre dans les envois de fonds entre l’Amérique Latine et les Caraïbes et l’Europe. À ce sujet, le rapport d’IOM 2015 indique que les principaux pays récepteurs de fonds envoyés par l’Union Européenne en 2012 sont le Brésil, l’Équateur, le Pérou, la Colombie, la Bolivie et la République dominicaine; et que le montant total des fonds reçus au niveau du continent était de 7 397 millions de dollars. En 2013, les pays européens qui étaient les contextes les plus actifs pour les transferts étaient l’Espagne (62 %), l’Italie (11 %), l’Angleterre (10 %), le Portugal (5 %), la France (4%) et l’Allemagne (4 %). En sens inverse, d’après le même rapport, les principaux pays récepteurs de fonds envoyés par l’Amérique Latine et les Caraïbes en 2012 étaient l’Espagne, la France, le Portugal, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique ; et le montant total des fonds reçus au niveau communautaire a été de 4 606 millions de dollars. Dans la même année, les pays de l’Amérique Latine et les Caraïbes qui étaient les contextes les plus actifs dans les transferts étaient l’Argentine (29%), le Brésil (21%), le Venezuela (16%), le Mexique (8 %), le Chili (6%), l’Équateur (4 %), l’Uruguay (4 %) et la République dominicaine (4 %). Cela étant dit, il faut avoir à l’esprit que « seulement dans 40 % des pays de l’UE le flux des envois de fonds vers l’ALC est supérieur à celui reçu depuis les pays des Amériques » (IOM, 2012a :71). Parmi les pays avec un solde net positif, il y a l’Espagne, l’Angleterre et l’Italie ; et parmi ceux avec un solde net négatif, il y a le Portugal, la France et la Belgique.

Dans le cadre des envois de fonds, le Chili montre une participation comparativement discrète, mais qui semble se développer progressivement. Par exemple, d’après une enquête de la Banque mondiale pour la période 2007-2009, le Chili a reçu une moyenne annuelle de 240 millions de dollars et a été le lieu d’envoi d’une moyenne annuelle de 135 millions de dollars (IOM, 2011a). Cependant, des chiffres ultérieurs indiquent une augmentation, au moins des transferts qui sont faits

depuis le pays. Ainsi, prenant le cas des envois de fonds entre l’Amérique Latine et Caraïbes et l’Union Européenne, le Chili n’apparaît pas dans les statistiques de réception, mais les données sur l’envoi montrent que dans l’année 2010, depuis le pays ont été transférés approximativement 230 millions de dollars, principalement vers l’Espagne (49 %), la France (21 %), la Belgique (14 %), l’Allemagne (13 %) et l’Italie (3 %) (IOM, 2012a), et que la contribution du pays à l’envoi de fonds entre l’Amérique Latine et Caribes et l’Union Européenne en 2012 a été de 279 millions de dollars (IOM, 2015).

Concernant les participants de cette recherche, l’envoi de fonds n’est pas une pratique commune, certaines personnes le font de manière sporadique :

J’ai toujours été proche de ma famille (…) la question est qu’ils ont vécu des processus très durs pendant le temps où j’ai été ici. Je n’ai pas vécu les processus familiaux qui ont tout changé dans ma famille, et alors nous nous sommes rapprochés beaucoup plus, car je suis aussi un soutien, même en termes…bon s’ils sont vraiment pas bien, j’ai un travail stable… il ne s’agit pas du présent, ils sont bien maintenant, mais à des moments qui ont été difficiles pour eux, ça a été un soulagement de savoir que je suis bien ici et qu’ils peuvent compter sur moi (Louise). Seulement l’une

d’entre eux le fait de façon régulière : Quand nous pouvons, nous aidons certains

membres de notre famille avec de l’argent. Bon, avec une bourse tu ne peux pas faire grand-chose, mais de toute façon nous nous organisons pour aider quelqu’un de temps en temps. Au début, Gloria m’a dit ‘Excuse-moi d’utiliser ta bourse’ et je lui ai répondu ‘Gloria, c’est notre argent à tous les deux’ (Sebastián) J’étais le soutien économique et je me suis dit ‘Bon, je peux être le soutien économique peu importe où je me trouve’. Alors, je suis arrivée ici et d’abord çà a été difficile, mais j’ai trouvé un travail et je continue à aider économiquement ma mère, de la même manière que je l’aidais avant. Donc je suis ici, mais les choses se tiennent, je suis ici pour les maintenir (Gloria).

Enfin, nous voudrions faire référence au phénomène des associations de migrants, une pratique très intéressante et dont les potentialités sont à considérer. D’après Canales et Zlolniski (2001), il ne s’agit pas d’une nouvelle tendance, mais d’une pratique qui a toujours accompagné la migration internationale. Alors, peut-être que la nouveauté dans le cas des associations est représentée par les possibilités

(technologiques, communicationnelles) que lui donne le contexte actuel pour conserver des liens avec les lieux d’origine des migrants et mettre en jeu des pratiques transnationales. Ainsi, il serait possible de constater des continuités entre leurs fonctions et leurs objectifs ultérieurs et actuels, lesquels toutefois peuvent profiter au présent d’un contexte formel moins adverse pour leur réussite. Selon les auteurs déjà cités et d’autres qui ont étudié le contexte des Etats-Unis et de l’Espagne (Alvarez de los Mozos, 2007), les associations ont contribué historiquement à l’intégration et à la mobilité sociale des immigrants dans la société d’accueil et aussi à la conservation et la reproduction des liens parmi les immigrants eux-mêmes.

Dans le cas des participants de cette recherche et leurs processus migratoires, il y a seulement trois personnes qui participent ou qui ont participé activement au milieu associatif. À l’égard de la perspective académique que nous venons de citer nous trouvons des récits qui l’interpellent :

J’ai fait le projet d’une installation artistique et l’association est apparue pour pouvoir transporter cette installation au Chili (…) j’ai découvert les associations et j’ai pensé que c’était un bon pas pour concrétiser cette idée après, donc j’ai créé une association (…) Ce qui m’a le plus marqué en venant ici, c’était de trouver des gens du monde entier, pour moi cela a été impressionnant, et tous mes travaux avec l’association viennent de cela. Je pense que la richesse et tout ce que tu peux apprendre au niveau du contact avec un autre, cet autre qui vient avec une autre expérience de vie, une autre expérience culturelle, une autre expérience de tout ; pour moi c’était génial (…) mais dans la mesure où tu commences à t’impliquer, tu te rends compte qu’à la fin ce sont des ghettos latino-américains (…). J’avais une idée très naïve de mélanger les gens, mais il y a aussi des obstacles socio-économiques, si toi tu habites en banlieue ou une autre chose, ça ne marche pas, à moins que tu aies une chose forte, comme par exemple que la mairie te parraine. Dans tous les événements que j’ai faits, je vois les mêmes personnes, dans le fond c’est un ghetto intellectuel associatif. Il faut chercher une autre manière (Jimena).

En conséquence, les manifestations concrètes de la contribution évoquée par les universitaires, doivent être, à notre avis, problématisés en considérant les interprétations des migrants eux-mêmes.

Ce qui précède, n’est pas en contradiction avec le fait qu’aujourd’hui, de façon générale, les associations aient des objectifs et des modalités de fonctionnement divers et qu’on reconnaisse leurs impacts dans la création de liens avec les pays d’origine, mais aussi dans la construction de réseaux de protection – diffusion et formation autour des droits des migrants, etc. –, d’assistance – juridique, psychologique, etc.–, d’accompagnement – soutien à l’intégration au marché du travail, à la sécurité sociale, etc. – et d’échange culturel – célébrations, commémorations, rencontres – dans les pays de destination (IOM 2012b, IOM 2011a). Par ailleurs, si nous pouvons mentionner des actions que réalisent les associations ayant pour objectif leurs membres et autres immigrants, il n’en est pas moins vrai qu’elles mobilisent aussi des demandes ayant comme objectif les gouvernements des lieux d’origine et des lieux de destination.

Concernant ces demandes – même si elles sont assez variées – les plus transversales sont l’amnistie, la régularisation et l’accès aux droits sociaux et politiques. Donc, il n’est pas surprenant que l’IOM considère que « les réseaux et les associations ont une grande valeur parce qu’ils sont un instrument de grand potentiel pour l’intégration sociale et culturelle de leurs membres, en même temps qu’ils leur permettent d’avoir un impact sur la politique des sociétés d’origine et de destination » (IOM, 2012b : 58). En allant encore plus loin, compte tenu des potentialités des organisations, la pratique associative commence à être considérée comme une nouvelle forme non traditionnelle d’exercice de la citoyenneté et, dans certaines analyses, une alternative à l’exercice de la citoyenneté même – sujet qui nous traiterons ultérieurement – et cela devient plus intéressant encore si nous considérons le fait que bien qu’il existe des associations qui réunissent des personnes d’une seule nationalité, il y a de plus en plus d’associations qui sont formées par des migrants de différentes nationalités et aussi qui intègrent des personnes non migrantes. Par rapport au premier cas, nous trouvons chez nos participants des récits comme ceux-ci :

Il n’y avait pas d’autre objectif que de travailler comme collectif sur des actions pour soutenir ce qui se passe au Chili de nos jours, c’est quelque chose que nous considérons très important, historique et nécessaire (….) pour nous tous il y avait déjà ces inquiétudes. C’est-à-dire, ce n’est pas que l’intention de soutenir les luttes sociales ait émergé ici, mais quand nous étions au Chili, nous l’avions déjà fait, d’une manière ou d’une autre (…) Bien sûr nous le faisons parce que nous croyons que

c’est nécessaire, que c’est juste et que ça fait partie de notre vie. En d’autres termes, ce n’est pas que nous ayons inventé un telos à partir d’un regard intellectuel, c’est une chose très concrète, corporelle. Nous avons vécu… j’ai vécu la répression, j’ai vécu la faim. Je ne sais pas, toutes ces choses, je les ai vécues (…) Le militantisme c’est une chose vitale pour moi (…) maintenant il se place ici, mais cela ne veut pas dire que nous n’essayons pas d’être en contact avec les gens là-bas (…) Nous essayons de communiquer et c’est vrai qu’au niveau de l’écrit et de la communication c’est plus froid, mais c’est quelque chose. Nous essayons de… il y a beaucoup de gens qui font partie du collectif qui vont rentrer au Chili et qui vont continuer à travailler là-bas. Peut-être que je rentrerai, peut-être pas. Je ne sais pas. Tant que nous serons ici, nous ferons tout ce que nous pourrons. C’est ça. C’est une logique de survie que nous avons depuis l’enfance. Faire ce que nous pouvons faire (Hugo).

Il m’est arrivé ici… bon, une chose qui m’a marquée aussi c’est que je suis arrivée en août et en octobre sont arrivés les dirigeants [chiliens] du mouvement des étudiants et cela a été très émouvant. Ça a été très émouvant, comme pouvoir dire ‘ De ce Chili je me sens partie, même si je suis d’une génération avant et nous ne l’avons pas fait, je veux faire quelque chose sur ce dont ils parlent’ ou ‘Je veux faire partie, je veux réfléchir à cela’. Il y a aussi cette question de voter à l’étranger et je me suis sentie touchée par cela, je ne l’ai jamais vécu avant non plus (…) Alors ça a été comme ça. Mon rapport avec le Chili… j’ai eu plus l’envie de participer à des choses plus pratiques et d’être présente et me mettre… me mettre à réfléchir en groupe à certaines choses qui se passent au Chili, cela m’inspire. Cela m’inspire car je sens que les petits groupes et le niveau local te permettent de faire du pouvoir quelque chose de plus relatif (Catalina).