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La vallée de l’Apurimac et la cordillère de Vilcabamba dans les mythes inkas et les sources écrites anciennes

2.2.2 LE VERSANT SUD DE VILCABAMBA

2.2.2.1- La région occidentale : le village de Qarku et le río Acobamba

Dans les archives du 16ème siècle, la section de la vallée de l’Apurimac, située au niveau de sa confluence avec le Pampas, au pied du massif d’Inkawasi, est fréquemment désignée « Acobamba »70 (Guillén, 1976-1977 ; Caceres, 1984). Les informations disponibles les plus anciennes sur la région datent de 1565-1567 et se trouvent dans les lettres relatives aux négociations du traité d’Acobamba (Guillén, 1976-1977 et 1980). Ce traité marque un moment crucial des négociations entre Inkas et Espagnols. En échange, (notamment) de la concession de terres et du mariage de son fils Kispe Titu avec Doña Beatriz, la fille héritière de Sayri Thupa71,

Titu Kusi se fait vassal du roi d’Espagne, s’engage à maintenir la paix et accepte un corregidor

espagnol, ainsi que l’entrée de missionnaires dans Vilcabamba. C’est ainsi que Rodriguez de Figueroa devient la première autorité espagnole sur Vilcabamba et que le dominicain Antonio de Vera baptise Kispe Titu le 20 juillet 1567.

Le baptême est célébré dans le village de Qarku, terres de l’Inka au-dessus du río Acobamba (Ibid.), où une église à été édifiée pour l’occasion. Suite au baptême, Antonio de Vera entame une campagne d’évangélisation dans la région ; on regrettera que, dans sa transcription, Guillén (1980 : 644) ait dû omettre plusieurs noms de villages illisibles qui auraient constitué une information de premier ordre pour notre étude. Il est, néanmoins, fait mention, dans le même document, du village d’Apaylla72 où Figueroa est témoin d’échanges entre les producteurs de coca de la région et des éleveurs de bétails des communautés aymaraes et kichwa, venus d’Andahuaylas73. Alors qu’on se trouve en temps de guerre, Figueroa s’étonne de constater qu’il existe des échanges et une mobilité pacifique entre les indiens des terres espagnoles et ceux des terres de l’Inka ; jusqu’à cette date, Qarku était en effet hors de la juridiction espagnole. La région formait alors visiblement un front inka face aux terres de l’encomienda de Nuño de Mendoza situées juste en face sur la rive gauche de l’Apurimac (voir infra, 2.2.3.1). Les ambassades espagnoles qui pénétraient dans la cordillère de Vilcabamba depuis la région d’Andahuaylas par cette voie avaient coutume, une fois rendues sur le versant sud de la vallée de l’Apurimac, d’allumer des feux auxquels leur répondaient les Inkas de la région de Qarku (Guillén, 1980 : 643 ; Esquivel y Navia, 1980 : 223). D’après un document d’archive, daté de

70 Ce nom se réfère probablement à la terre ocre rouge des bas-versants de la région de la confluence du Pampas avec l’Apurimac (Ballón Aguirre et al., 1992). Dans cette section, le fond de vallée est très ouvert, en relation à ce qu’il est en amont ; ce qui pourrait expliquer le terme pampa qui désigne, de façon générique, les terrains plats dans les Andes. Il est donc peu probable que le río Acobamba, théâtre de la seconde rencontre entre Titu Kusi et Figueroa à l’origine du traité éponyme, corresponde à la vallée du Mapillo, comme le pensent Hemming (1993[1970] : sa carte de Vilcabamba, notamment) et Beauclerk (1979). Leur confusion pourrait être née de l’existence d’un village appelé aujourd’hui Acobamba en plein cœur de la vallée du Mapillo où il existe des ruines inkas (Beauclerk, 1979 ; Lee, 1989). Bien que leur hypothèse ne doive pas être définitivement écartée, il faut signaler que plusieurs documents coloniaux qui mentionnent le río ou la région d’Acobamba, se réfèrent sans équivoque à la section de l’Apurimac au niveau de sa confluence avec le Pampas (Caceres, 1984 ; Titu Cusi (1992[1570] : 64 ; Guillén, 1980 : 643). De plus, le recensement des établissements ecclésiastiques du 17ème siècle, fait état d’un Acobamba situé à trois lieux de

Guarancarque, soit la distance qui sépare Amaybamba (ex-hacienda Huarancalqui ; voir Flores Ochoa, 1985) d’Inkawasi sur la

crête du contrefort éponyme (Villanueva, 1982 : 176).

71 Par ce mariage, Titu Kusi pensait récupérer notamment les terres de Yucay qui avaient été octroyées à Sayri Thupa à sa sortie de Vilcabamba en 1557.

72 Il existe un village nommé Apaylla dans la vallée du Mapillo, non-loin duquel, on trouve aujourd’hui plusieurs plantations de coca.

1594, mentionné par Duffait (2007 : 57), deux sites permettaient alors de traverser l’Apurimac :

« la voie royale de l'Inca [qui] traverse les dites terres [Apaylla, dans la vallée du Mapillo] et va jusqu'au grand fleuve [Apurimac] en un lieu appelé Pomachaca » qui communiquait donc avec le

massif de Wayrapata, et une autre voie que « les Espagnols ont découverte [...], située à l'est

d'Apaylla et Carco [Qarku] qui se dirige jusqu'au fleuve Apurimac dans un lieu appelé Pasaje »

qui permettait ainsi de rejoindre le massif d’Hatun Urqu. Notons qu’à l’époque des négociations de Figueroa, il n’existait apparemment pas de pont, car celui-ci traversa l’Apurimac en radeau ; une expérience périlleuse et peu recommandable, selon lui (Guillén, 1980 : 643).

Suite au baptême de Titu Kusi (1992[1570] : 66) en août 1568 à Rayangalla, non-loin de Vitkos (Duffait, 2007 : 56), le frère augustin Marcos García se rend dans la région d’Inkawasi et de Wayrapata où il érige cinq croix et fonde trois églises (dans huit villages de la région). Malheureusement, le récit de Titu Kusi ne fait pas mention des toponymes.

En 1572, en remerciement pour les services rendus lors de la conquête de Vilcabamba, la région d’Acobamba est confiée par le vice-roi Toledo à l’encomendero Juan de Fonseca (Regalado de Hurtado, 1992). Acobamba constitue, dès lors, la frontière sud de la gobernación de

Vilcabamba (Caceres, 1984 : 95).

Au 17ème siècle, Acobamba est une annexe modeste de San Francisco de La Victoria de Vilcabamba. Le site possède une église mais aucun habitant, car les paysans de la vallée vivent, pour la plupart, dans des hameaux dispersés. Certains d’entre eux sont regroupés dans les

estancias de Guarancarque (l’ex-hacienda Huarancalqui aujourd’hui dénommée Amaybamba

dans la vallée du Mapillo), Pilpicancha, Abrota (dans les hauteurs de la vallée d’Arma) et

Ianama (dans la vallée éponyme). Si l’on s’en tient au recensement ecclésiastique de 1689, la

région est peu peuplée (Villanueva, 1982 : 175).

Ces données sur l’histoire des relations diplomatiques entre Inkas et Espagnols livrent donc de précieuses informations sur la région occidentale de la cordillère de Vilcabamba, mais tel n’est pourtant pas le cas de la région orientale.

2.2.2.2- La région orientale : Chuquicarando et ses environs

A la différence de la plupart des palais inkas de la région de Cuzco, il n’existe aucune référence sur Choqek’iraw dans les chroniques. Outre le Chuquicarando de l’encomienda d’Hernando Pizarro (Tableau 2.3, p. 90), on trouve la référence directe la plus ancienne du site dans un document daté de 1661 qui expose le voyage de Lorenzo de Messa à la recherche de terres vacantes abandonnées par l’Inka afin de se les approprier. Celui-ci « parcourut ainsi le

chemin royal des Inkas à travers le grand fleuve Apurimac vers les yungas de Chuquequirau où l’inka avait sa forteresse »74. Plus tard, en 1710, c’est lors d’une prospection minière dans la cordillère de Vilcabamba que Diaz Topete signale l’existence de « quatre anciens villages de la

74 Le texte original dont il est fait mention est le suivant : « […] don Lorenzo de Messa que recorrió el camino real de los yngas

por los minerales de Ferronayoc [sic] por el río grande de Apurima por las yungas de Chuquequirau donde tenía su fortaleza el ynga » (publié par Burga, 2008 : 124). La traduction est nôtre.

« gentilidad » totalement abandonnés »75 : « Chuquiquirao », « Chuquitiray », « Vilcabamba la

Grande » à l’intérieur des terres, résidence principale de l’inka, et un autre village (sans nom) où

habitaient les orfèvres de l’inka (Huertas, 1972 : 204).

Bien que Choqek’iraw fasse apparemment partie des terres espagnoles depuis 1539, il n’existe, dans l’état actuel des recherches en archives, aucune donnée complémentaire sur les environs du site dans la partie sud-orientale de la cordillère de Vilcabamba, antérieure au recensement ecclésiastique de 1689 avec la brève mention d’une « ferme à Yanama où vivent

quatre indiens, six indiennes et quelques enfants et qui possède une église sans rente »76

(Villanueva, 1982 : 176). D’après ce recensement, la région était très peu peuplée ; ce que confirme l’échec des tentatives d’exploitation minière espagnole en raison du manque de main d’œuvre, malgré la présence de plusieurs mines d’argent sur les contreforts du Chuquitacarpo, au pied du Sauani, sur le cerro Victoria et au lieu-dit Chuquitarango, qui pourraient se situer dans la vallée du Yanama (Regalado, 1992 : 103-113 ; Duffait, 2007 : 252). Avec ses nombreuses mines (Cardenas et al., 1997) et la mention d’une seule petite ferme, dénommée Abrota (Villanueva, 1982 : 175), la situation de la vallée voisine d’Arma, appartenant également à la juridiction de la paroisse d’Acobamba, apparait similaire. Cela explique peut-être pourquoi Chuquicarando, situé dans une région ayant subi une très forte chute démographique après l’abandon des domaines royaux, a été intégré à la juridiction de Cachora, bien que localisé dans la cordillère de Vilcabamba.

2.2.2.3- Commentaires

Selon les sources écrites connues des 16 et 17ème siècles, il semble que le versant sud de la cordillère de Vilcabamba n’ait jamais formé un territoire homogène. A l’ouest de la cordillère, la région du massif d’Inkawasi a, apparemment, toujours été bien peuplée. Comme le montre l’histoire de la résistance inka, elle formait, aussi, un pôle important, à l’articulation de la région d’Andahuaylas et du versant nord de Vilcabamba. Le bassin du Yanama était, en revanche, une région très peu peuplée et isolée au cœur de la cordillère ; cette situation marginale s’explique, peut-être, par l’abandon du domaine royal de Choqek’iraw qui, comme nous le verrons au regard des données archéologiques, devait comprendre une partie du bassin du Yanama.

Nous nous intéressons à présent aux régions de Waskatay et du massif de l’Ampay qui forment l’autre versant du CMVA.

75 Le texte original dont il est fait mention est le suivant : «cuatro pueblos antiguos de la gentilidad totalmente despoblados» (Huertas, 1972 : 204). La traduction est nôtre.

76 Le texte original dont il est fait mention est le suivant : “una estancia donde habitan cuatro indios, seis indias y niños y niñas