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Reconnaissance archéologique du CMVA

4.1.2 LA PROSPECTION PEDESTRE

4.1.2.1- Organisation des terrains : aspects administratifs et logistiques

Au moment de la planification du projet de recherche, de nombreuses inconnues se sont présentées quant aux modalités de la prospection terrestre sur un tel terrain. D’abord, notre méconnaissance humaine de la région ne nous garantissait pas d’emblée une accessibilité totale au territoire, suivant des contraintes sociales et logistiques. Par ailleurs et compte tenu de l’originalité d’une démarche de prospection intensive au cœur d’une vallée interandine, nous ne disposions pas d’une idée quantifiable du coût en temps et en efforts physiques des reconnaissances à réaliser. Pour remédier à ce problème, nous avons programmé une phase de terrain préliminaire en 2006. Cette dernière consista en la reconnaissance succincte des vallées du Yanama et du Mapillo, afin de nous familiariser aux paysages vilcabambinos, et en une première mission de prospection archéologique dans la vallée d’Arma.

En 2007, trois missions de prospections ont été réalisées dans les zones : (1) du versant du massif Chuntawilka, (2) du versant du massif Toroyuq et (3) du vaste versant du massif Yanaqucha. Afin de disposer des autorisations administratives pour réaliser ces prospections, un projet, intitulé « Proyecto de investigación arqueológica valle del Apurímac 2007 »14 (Saintenoy et Gallegos, 2007) a dû être élaboré. Cependant, dans une telle région rurale marginale, qui a été touchée de plein fouet par la violence de l’époque du Sentier Lumineux (dans les années quatre- vingt) et qui est, aujourd’hui, le théâtre de flux de contrebandes liés au narcotrafic, le bon déroulement du projet ne dépendait pas exclusivement d’une autorisation administrative. Le développement et l’entretien d’un bon rapport avec les autorités locales et la population a constitué un enjeu permanent qui nous garantissait l’accès aux terres des communautés paysannes et aux parcelles privées15. Nous avons ainsi toujours été bien accueillis dans les zones d’étude, où

13 Parsons (et al., 2000 : 84) et Bauer (1992 : 68) qui ont réalisé des prospections (qu’ils qualifient de « systématiques ») dans diverses régions montagneuses des Andes centrales, ont également pris le parti de ne pas prospecter les pentes fortement inclinées. Remarquons cependant qu’il n’est pas exclu que, par endroit, certaines zones en pente puissent abriter, ponctuellement, des vestiges, comme à Choqek’iraw, où les terrasses à lamas sont installées sur un versant incliné à plus de 50°. Cela dit, il nous parait difficile que des sites d’habitat aient été établis sur de telles pentes.

14 Le projet a été autorisé par la résolution n°836 de l’Instituto Nacional de Cultura. Le rapport correspondant, déposé à l’INC, consigne l’ensemble des informations d’ordre administratif et logistique (Saintenoy et Gallegos, 2007).

15 Pour cela, nous avons pris le soin de réaliser une mission préliminaire dont le but était de soumettre notre projet d’étude de terrain aux autorités locales. La réalisation des prospections aurait, en effet, été impossible sans la collaboration des communautés paysannes de la région, dont nous profitons de remercier ici l’intérêt et le soutien.

nous avons, en outre, pu recueillir de nombreuses informations d’ordre archéologique, écologique et ethnologique, auprès des habitants de la région, grâce à leur intérêt et leur générosité.

4.1.2.2- Déroulement des terrains : méthode de prospection pédestre

4.1.2.2.1- Logistique des prospections

En raison de l’éloignement de la région et des conditions difficiles d’accessibilité16, les missions se sont organisées en trois phases de prospection indépendantes, étalées entre juin et août 200717. Chaque mission s’est déroulée sur une quinzaine de jours de terrain, au-delà desquels la fatigue et la quantité de données accumulées devenaient difficilement gérables.

Sur le terrain, l’amplitude des zones d’études conjuguée à la précarité, voire à l’inexistence, du réseau routier nous a souvent contraints à l’itinérance. Nous ne disposions pas de camp de base permanent, ni d’électricité pour le traitement immédiat des données. Nous résidions chez l’habitant et, généralement tous les deux ou trois jours (en fonction de l’avancée des prospections), nous déplacions notre campement depuis lequel nous rayonnions.

16 Il faut près de deux jours pour se rendre sur les zones d’étude, en empruntant plusieurs bus.

17 Notons que ces mois correspondent à la saison sèche, la plus appropriée pour la prospection archéologique dans cette région proche du bassin amazonien.

4.1.2.2.2- Intensité de la prospection

Les prospections pédestres ont été réalisées par cinq ou six prospecteurs, soit généralement quatre archéologues et un ou deux guides locaux18. Les zones de prospections préférentielles, définies au préalable, ont été couvertes par un balayage régulier. Lorsque la topographie le permettait, les prospecteurs ont été agencés en ligne et séparés par une distance, approximative et variable selon les conditions de visibilité, d’une cinquantaine à une centaine de mètres. Par ce type d’organisation, qui peut être qualifié d’ « extensif à basse intensité » (Schiffer

et al., 1978 ; Cherry, 2005), nous avons privilégié l’amplitude de la couverture du terrain plutôt

qu’une résolution détaillée19. L’objectif du projet était de déterminer la nature du peuplement de la région et focalisait donc l’établissement humain comme unité d’étude. La méthode employée ne permettait donc pas de disposer d’un registre systématique et détaillé des vestiges « hors- sites » (Ebert, 2001), comme des artefacts isolés par exemple. Enfin, il faut mentionner que plusieurs sites ont été identifiés grâce aux renseignements d’informateurs locaux (c’est le cas de la plupart des sites sous-couverts).

4.1.2.2.3- Registre des données

Sur le terrain, nous avons consigné les données archéologiques et géo-environnementales sur des fiches et des carnets de notes20. La localisation des sites d’intérêt a été relevée par le système de positionnement par satellites21. Nous reportions les plus importants sur les cartes de terrain22 et sur les photos aériennes, afin de saisir immédiatement l’insertion des sites dans le paysage. L’ensemble des vestiges archéologiques et des paysages a été photographié et parfois aussi dessiné, afin de disposer d’un registre le plus exhaustif possible et de former une base de données visuelles pour l’étude postérieure en laboratoire. Les ensembles architecturaux les mieux

18 Nous tenons à remercier, ici, les personnes qui ont participé aux terrains : le co-directeur Homar Gallegos, les archéologues Rolando Ajata Lopez, Olivier Fabre et Isabelle Bejar Quispe, ainsi que les étudiants Henry Quispe, Wilbert Gamarra et Jefferson Reynaga Farfán. Enfin, Julio Mase, Mauro Mase, John Vallejo, Gregorio Urbano, Elias Marino, Fredy Aiquipa, Sr Roldan, Sr José, Sr. Urbano et Javier Chirino Reinaga, se sont tous révélés être d’excellents guides, sans lesquels nous n’aurions pas obtenu d’aussi bons résultats.

19 Comme nous pouvons le voir sur la carte 4.2, l’amplitude latérale maximale de nos balayages fut donc de l’ordre des six cent mètres. C’est aussi la mesure que nous avons utilisée pour évaluer les surfaces couvertes. Il convient, toutefois, de remarquer que cette valeur est légèrement surestimée. Afin d’enregistrer avec précision la couverture de la prospection, il eut été nécessaire que chaque prospecteur soit équipé d’un récepteur GPS ; or nous disposions que de deux ou trois dispositifs.

20 Pour ce faire, nous avons élaboré une fiche d’enregistrement de site avant les missions de terrain. Cette fiche a été adaptée au cours des missions, en fonction des spécificités du paysage archéologique régional. Finalement, les fiches de site ont été mises au propre en laboratoire. Les données ont été reportées dans un système de base de données, sous le software Microsoft Excel dont la flexibilité permettait, à la fois, l’analyse statistique et le traitement SIG sous Esri Arcgis.

21 Nous avons utilisé des récepteurs GPS simples qui localisent l’objet d’intérêt dans un rayon d’incertitude de plus ou moins cinq mètres. Les détails sur l’utilisation des GPS sont présentés dans la section géomatique en annexe.

22 Ces cartes ont été élaborées d’après la topographie, au 1/100000, de l’Instituto Geografico Nacional del Peru. Le modelé du terrain est représenté par des courbes de niveau tous les cinquante mètres. Ces cartes de terrain nous ont permis de localiser les sites d’intérêt, de recueillir et de confronter la toponymie usuelle à celle de l’IGN, ainsi qu’à évaluer la précision et l’exhaustivité des données topographiques fournies par l’IGN. Nous avons ainsi pu mesurer l’imprécision de la topographie IGN, concernant la toponymie et le réseau hydrographique, qui ont, de ce fait, pu être corrigés.

conservés ont fait l’objet d’un relevé topographique élémentaire23, qui illustre la morphologie des établissements. Enfin, nous avons procédé au ramassage sélectif du matériel céramique de surface24, afin de disposer de données relatives à l’affiliation chrono-culturelle des gisements.

4.1.2.3- Remarques relatives aux conditions de visibilité et de perception des vestiges

Selon les paysages en présence, les conditions de perception des vestiges archéologiques ne sont pas homogènes dans les zones d’études. Cet aspect mérite quelques commentaires afin de mieux cerner la nature du corpus de vestiges identifiés.

PUNA(3500-4000m)

Physiographie Unités physiographiques en présence : Sommets, Terrains plats et Pentes généralement peu prononcées. Panorama : dégagé (le plus souvent)

Couvert végétal Herbe Ichu Condition de

visibilité

Les vestiges architecturaux sont identifiables dans un rayon de près de deux cent mètres. En revanche, l’herbe ichu d’altitude rend presque impossible l’identification de petit matériel en superficie (comme la céramique).

QUECHUA(2300-3500m)

Physiographie

Unités physiographiques en présence : Crêtes, Replats et Pentes +/- prononcées.

Panorama : Les zones de crêtes présentent un horizon ouvert et une bonne visibilité sur les pentes latérales. Dans les zones de pentes, la visibilité est satisfaisante vers l’aval.

Couvert végétal Champs / Végétation graminée / Végétation arbustive humide / Forêt

Condition de visibilité

La visibilité dépend fondamentalement du type de couvert végétal :

- Les champs labourés et les zones de culture sont propices à l’identification de petit matériel ; les vestiges architecturaux y sont, en revanche, souvent démontés.

- Les zones de végétation à graminées et arbustive sont favorables à l’identification des vestiges architecturaux.

- Les zones de forêts ont, à qqs exceptions près, été écartées des itinéraires de prospection. La plupart des vestiges architecturaux identifiés dans les bois l’ont été suivant les indications des informateurs locaux. Les découvertes fortuites sont rares.

YUNGA(1000-2300m)

Physiographie Unités physiographiques en présence : Promontoire, Terrasse fluviale, Plateau et Fortes pentes Panorama : dégagé sur les promontoires de fond de vallée ; sinon généralement restreint. Couvert végétal Sol rocailleux / Végétation arbustive sèche / Forêt

Condition de visibilité

Hormis dans les zones de forêt, les vestiges architecturaux sont identifiables à distance, d’autant plus en terrain plat. Cependant, le caractère accidenté des fonds de vallées constitue une limite d’horizon visuel. Sur les terrains rocailleux, le petit matériel n’est pas perceptible à plus de 3 m compte tenu de l’effet d’homochromie.

Tableau 4.2- Paysages et conditions de visibilité des vestiges archéologiques, dans le CMVA

Les conditions de visibilité varient beaucoup selon les étages écologiques et le caractère « ouvert/couvert »25 du paysage. Les principaux facteurs relèvent de l’orographie et du type de couvert végétal (lui-même fonction de l’exploitation du sol). Le tableau 4.2, ci-dessus, résume les

23 Les mesures ont été prises à l’aide d’une boussole à visée, d’un clinomètre, d’une mire topographique et de décamètres. Les plans ne possèdent donc qu’une précision relative. Néanmoins, ils illustrent bien la morphologie de l’établissement et l’organisation spatiale des structures architecturales.

24 La méthode de ramassage de céramique est expliquée dans le chapitre 6, consacré à la céramique.

25 Par « paysage ouvert », nous qualifions les terrains occupant une situation topographique élevée (et/ou dégagée) et où le couvert végétal est peu développé. Dans le CMVA, les paysages ouverts sont, le plus souvent, de nature anthropique. Quant au « paysage couvert », il présente généralement une situation topographique encaissée (dans une quebrada, par exemple), où se développent naturellement, et rapidement, les forêts andines.

caractéristiques physiographiques et le faciès végétal de chaque étage écologique et synthétise leurs conditions de visibilité spécifiques pour l’identification des divers types de vestiges archéologiques.

4.1.2.4- Couverture et représentativité des prospections

Pour apprécier de façon critique les résultats des reconnaissances archéologiques et la pertinence de la méthode développée, nous présentons maintenant les données relatives à la couverture effective des prospections, ceci afin d’évaluer la représentativité géo- environnementale des itinéraires réalisés.

4.1.2.4.1- Couverture effective des zones d’étude

Sans compter la vallée d’Arma (la zone 4 qui, comme nous l’avons déjà expliqué, n’a pas été reconnue de façon ordonnée), les prospections ont permis de couvrir une petite centaine de kilomètres carrés (voir figure 4.1 et tableau 4.3) ; soit près du tiers de la superficie totale des zones d’étude (1, 2 et 3)26, et 50% des zones « physiquement prospectables »27.

Figure 4.1- Couverture générale des zones d'étude

4.1.2.4.2- Représentativité géo-environnementale

Afin de dresser un panorama représentatif de la diversité géo-environnementale de la région, la prospection a été rationalisée suivant une stratification fonction de l’étagement

26 Comme le montre le tableau 4.3, dans les zones 1 et 3, près du tiers de l’espace a été examiné ; dans la zone 2, nettement moins étendue, plus de la moitié a été couverte.

27 Le concept de zone physiquement prospectable est défini plus haut (voir supra, 4.1.1.3). Ces 50% ont été calculés suivant l’exclusion des terrains de plus de 25º d’inclinaison, de la superficie des zones d’étude (sur le modèle numérique de terrain

IGN/SRTM). Idéalement, une approche exhaustive du territoire doit être fondée sur une prospection systématique et une

description géographique aussi complète que possible de l’espace en jeu (Johnson, 2005). Dans les Andes centrales, cependant, et à fortiori sur un tel terrain, la couverture totale est improbable (du moins sans la mise en place de moyens colossaux). Aussi, lorsqu’on lit l’expression « prospection systématique » (Parsons et al., 2000 ; Bauer, 2004), il est courant que les auteurs ne tiennent pas compte de l’intensité réelle de la prospection et éludent les zones d’accès difficile. A ce propos, il faut signaler qu’il est généralement délicat d’évaluer l’intensité réelle des prospections dans les publications disponibles. Depuis quelques années, l’un des nombreux intérêts du développement des SIG, est la possibilité qu’ils offrent pour la quantification de la prospection archéologique, ce que nous proposons ici.

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