• Aucun résultat trouvé

Reconnaissance archéologique du CMVA

4.1.1 ETUDES PRELIMINAIRES

4.1.1.1- Définition des terrains

Avec ses 2000 Km², le cours moyen de la vallée de l’Apurimac forme une aire d’étude trop vaste pour une approche de terrain exhaustive1. Pour cette raison, les reconnaissances archéologiques ont dû être circonscrites à des zones sélectionnées de façon préliminaire. Des quatorze zones orographiques qui composent la région d’étude, nous en avons ainsi retenu quatre qui sont présentées dans le tableau 4.1 et localisées sur la carte 4.1.

Zone 1 Zone 2 Zone 3 Zone 4 T

O T A L Zone Massif de Chuntawilka Massif Hatun Urqu Massif Yanaqucha Vallée d’Arma Type de zone (physiographie) Versant Versant Versant Vallée

Rive de l’Apurimac Droite Gauche Gauche Droite

Superficie (Km2) 138 30 167 242 577

Nombre de sites archéologiques déjà connus 3 1 1 44 48

Tableau 4.1- Zones du CMVA sélectionnées pour les prospections

La sélection des zones à prospecter s’est opérée sur des critères archéologiques et géographiques que nous expliquons ci-dessous.

Du point de vue archéologique, nous avons opté pour les zones les moins connues, à l’exception de la vallée d’Arma qui avait été prospectée au préalable par Silva en 2003 (voir

supra, 3.4.3). La reconnaissance de la vallée nous permit, en effet, de nous familiariser avec le

paysage archéologique régional. Ainsi, c’est sur la base de l’examen des vestiges identifiés par Silva (2003a et 2003b) et de leur distribution dans le paysage2 que nous avons mis au point une méthode de reconnaissance adéquate pour les prospections que nous avons réalisées ultérieurement dans les trois autres zones.

Du point de vue géographique, il nous a semblé important d’étudier les deux rives de l’Apurimac afin d’être en mesure de comparer leur occupation respective. En ce qui concerne les types de configurations physiographiques que nous avons définis dans le chapitre 1, nous avons privilégié les zones de versant ; d’une part, car l’archéologie des zones de vallée était déjà, au

1 Signalons, à titre de comparaison, que les prospections menées par Parsons (et al., 1997) dans la région Tarama-Chinchayqocha, et par Bauer (2004) dans la région de Cuzco, ont couvert 800 et 1200 km², respectivement. Ces deux antécédents de prospections de régions montagneuses, au terrain abrupt (comparable à notre aire d’étude), montrent bien que la reconnaissance de l’ensemble du CMVA était hors de notre portée.

2 La vallée d’Arma présente, avec ses vastes versants découpés par de longs éperons, une configuration physiographique assez similaire à celle de la vallée de l’Apurimac (voir supra, 1.1.2.2.1).

moins partiellement, documentée, et d’autre part, parce que les zones de versant, qui se situent au cœur du CMVA, nous ont semblé plus représentatives de l’occupation de la vallée comme telle.

4.1.1.2- Etudes préliminaires du paysage

Avant d’entreprendre les reconnaissances sur le terrain, nous avons étudié, de façon approfondie, les caractéristiques géo-environnementales de la région, avec l’objectif de mettre au point une logistique adaptée à un tel terrain et d’optimiser la probabilité de découverte de vestiges. Cette démarche visait aussi à déterminer les terrains prospectables et à conférer une certaine représentativité écologique et physiographique aux itinéraires de prospection sélectionnés (Binford, 1964 ; Schiffer et al., 1978 ; Gallardo et Cornejo, 1986). Pour ces études préliminaires, les ressources cartographiques, l’imagerie aérienne et les modèles numériques de terrain disponibles ont été examinés de façon détaillée.

4.1.1.2.1- Cartographie et toponymie

Une quinzaine de cartes, dont la plus ancienne remonte à 1786, possèdent des données toponymiques pour la région3. Les toponymes consignés dans ces cartes ont été étudiés

3 Les cartes les plus intéressantes pour leur toponymie proviennent des sources suivantes : Oricaín, 1783 (dans Aparicio 1970) ; Colpaert, 1865 ; Wiener, 1880 ; Samanez, 1883 ; Bües, 1958[1936]) ; Instituto Geográfico Militar del Peru, 1943, 1946 et 1957 ;

Instituto Geográfico Nacional del Peru, 1969-1970, 1996, 1998 et 1998[1978] ; Ministerio de Educacion - UEE, 2003. Le lecteur

attentivement afin (1) de localiser les sites historiques (mentionnés dans les sources écrites) et (2) de déceler des indices de l’existence de sites archéologiques4.

Comme nous l’avons déjà signalé dans le chapitre 2 (voir Tableau 2.5, p. 93), plusieurs sites mentionnés dans les sources historiques ont été identifiés sur les cartes. Les sites localisés dans les zones d’étude de terrain, tels que Qarku, Takmara et Kiuñalla, ont donc fait l’objet d’une attention particulière lors des prospections. Des vestiges archéologiques y ont été identifiés (voir

infra, 9.1.1).

Dans les Andes, comme ailleurs, il est courant que les toponymes traditionnels se réfèrent à la dimension historique du lieu qu’ils désignent. Le cas échéant, ils constituent parfois de bons indicateurs de l’existence de vestiges archéologiques. Dans le CMVA, c’est le cas des toponymes quechua Inkaraqay et Inkawasi, qui signifient, respectivement, « le village abandonné de l’inka » et « la maison de l’inka »5 (d’après Holguín, 1989[1608]) et se réfèrent sans doute donc aux vestiges d’architecture préhispanique identifiés sur ces sites6. Mais, l’étude des toponymes consignés sur les cartes disponibles n’a pas permis de développer d’autre piste, car la plupart des noms de lieux se réfèrent aux caractéristiques physionomiques du paysage7.

4.1.1.2.2- L’imagerie aérienne

Le recours à l’imagerie aérienne est courant pour la reconnaissance archéologique. L’observation attentive des photos aériennes et des images satellites permet, en effet, d’identifier des sites archéologiques potentiels8. Dans des conditions optimales de visibilité des vestiges, ces images permettent même de dessiner des planimétries approximatives, comme l’ont fait Déodat et Lecoq (2009) pour certains villages préhispaniques de la région voisine de Chungui du département d’Ayacucho9.

4 Dans la région, l’essentiel de la toponymie est en langue quechua mais aussi, et plus rarement, en aymara dont l’on trouve parfois des bribes dans les noms de montagnes (voir annexe, tableau 1 et 2, p. 436 et 437). Nous tenons, ici, à remercier le linguiste César Itier, qui nous a bien aidé pour l’étude toponymique. Il ressort de cette étude que les toponymes possédant une sémantique à dimension historique sont rares. Ils sont surtout beaucoup moins nombreux, dans le CMVA, que dans d’autres régions andines, comme la région Intersalar en Bolivie, par exemple, où l’indication toponymique est à l’origine de 20% des sites identifiés par Lecoq (1999 : 42).

5 Dans le dictionnaire quechua d’Holguín (1989[1608]), on trouve « pueblo despoblado » à l’entrée « Racay racay » et « corral » pour « Racay ». Quant à « Wasi », c’est le mot quechua courant pour désigner la maison.

6 D’autres toponymes se réfèrent aussi probablement aux vestiges archéologiques des lieudits. C’est le cas, par exemple, de « Ninarumiyuq » et « Ninabamba », termes quechuas qui signifient respectivement « lieu qui possède des pierres ardentes » et « la petite plaine ardente » ; il est en effet courant dans les montagnes andines d’écouter des témoignages au sujet de flammes et de lueurs visibles la nuit sur les sites archéologiques contenant des tombes et autre caches aux trésors.

Les termes « Patallaqta », « Machullaqta », « Ushnupata » et « Quchapata » se réfèrent aussi sans doute aux vestiges archéologiques : le premier signifie « village d’altitude », le second « l’ancien village », le troisième « des puits en altitude » et le dernier à des « réservoirs en altitude ». Cela étant dit, signalons que l’ensemble de ces toponymes ont été recueillis sur le terrain et ne sont pas consignés sur les cartes, si bien qu’ils ne nous ont pas servis pour élaborer les itinéraires de prospections au préalable. 7 Lors des prospections, nous avons pu constater que la plupart des toponymes des endroits visités (aussi bien ceux mentionnés sur les cartes que ceux indiqués par les habitants de la région) se réfèrent aux caractéristiques du paysage : à la forme du relief, à la présence de faune ou de flore, à l’activité humaine réalisée en ce lieu, où encore à une combinaison de ces éléments.

8 Depuis Willey (1953), l’étude la photographie aérienne, et désormais de l’imagerie satellite, constitue une « étape obligée » et souvent très efficace, des approches régionales en archéologie (voir Garcia San Juan, 2005).

9 Google Earth consigne un cliché, en haute résolution (inférieure au mètre par pixel), fourni par l’entreprise GeoEye, de la région de Chungui. Dans les zones de puna, on perçoit distinctement les vestiges architecturaux, qui se trouvent dans un bon état de conservation. Sur la base de ces images et de quelques mesures complémentaires de terrain, une dizaine de plans de site ont pu être produits suivant cette technique, pour un résultat qui illustre très bien la morphologie et l’organisation spatiale des grands villages préhispaniques des alentours de Chungui (Lecoq, Déodat et Vivanco, 2009).

Mais peu de photographies aériennes existent sur le CMVA (voir Annexe, p. 437). Les séries disponibles ont été scrutées, sans résultat probant au niveau de l’identification de vestige archéologique, si ce n’est la localisation des principaux systèmes de terrasses agricoles.

Quant aux images satellites, les clichés Landsat ETM+ proposés par la NASA (exploités pour les études géographiques présentées dans le chapitre 1) ne possèdent pas une résolution assez précise pour l’identification de vestiges10. Quelques images de meilleure qualité sont visibles parmi la mosaïque du logiciel Google Earth (voir Annexe, p. 438). Nous les avons également étudiées, mais à l’exception de deux sites de la vallée d’Arma où l’on distingue le plan au sol de quelques structures circulaires, aucun autre vestige architectural n’a pu être identifié ; ceci s’explique par la végétation dense et humide qui couvre une grande partie de la région et par l’état de conservation médiocre des vestiges.

Pour conclure sur ce point, signalons que l’étude de l’imagerie aérienne n’a donc pas été fructueuse sur le plan archéologique (car seul deux sites ont pu être repérés), mais qu’elle s’est tout de même révélée très utile, à posteriori, pour la délimitation précise des sites identifiés sur le terrain. Sur le plan géographique, ces images, qui fournissent une vision précise du couvert végétal, des habitats et des sentiers (etc.), ont aussi été précieuses pour l’orientation sur le terrain et pour la définition préliminaire des zones à prospecter de façon préférentielle.

4.1.1.3- Définition de zones de prospection préférentielle

En raison du relief accidenté et de la couverture végétale souvent exubérante, le CMVA forme un terrain peu adapté à la prospection archéologique. Ces limitations nous ont conduit à écarter certaines zones que les caractéristiques géo-environnementales rendaient difficilement accessibles.

Dans un premier temps, nous avons décidé d’exclure la plupart des zones couvertes de forêt de nos itinéraires de prospection. L’identification fortuite de vestiges architecturaux y est, en effet, très improbable sans une logistique conséquente que nous n’avions pas les moyens de mettre en œuvre. De plus, la végétation limite beaucoup la visibilité des vestiges dont la description devient problématique et aléatoire11, ce qui pose problème pour la comparaison des sites sous-couverts avec les sites d’espace libre de végétation12. C’est pour cette raison que la partie orientale de la zone 1 (versant du massif Chuntawilka), que nous aurions souhaité prospecter, a dû être écartée.

Dans un deuxième temps, il nous a paru raisonnable d’écarter les pentes les plus prononcées des zones de prospection. Pour ce faire, nous avons, sur la base des modèles numériques de terrain disponibles, discriminé les zones de pente supérieure à 25° ; ils sont, en effet, peu appropriées à la conservation des vestiges architecturaux et, de toute manière, peu

10 Les Images Landsat ETM+ ont une résolution d’approximativement 15 mètres par pixel (http://landsat.gsfc.nasa.gov/), bien insuffisante pour l’identification de vestiges archéologiques. On distingue d’ailleurs à peine les villages actuels.

11 Dans les forêts du CMVA, il est possible de passer à quelques mètres d’une structure architecturale sans pouvoir la distinguer dans la forte végétation. Quant aux chances d’identifier du petit matériel comme la céramique, elles sont presque nulles.

propices pour l’implantation humaine13. Les terrains plats et dégagés correspondent, le plus souvent, aux crêtes des contreforts et des éperons latéraux (voir supra, 1.4.1.1). Nous avons donc pris le parti de prospecter de façon systématique les lignes de crête, d’autant plus qu’elles forment des contextes physiographiques correspondant au mode d’occupation du sol typique de l’époque préhispanique tardive (voir supra, 3.2.2.1.1.2). Dans les quatre zones d’études, les fortes pentes forment près de 65% de l’espace, alors que les terrains plats (inférieurs à 10°) n’en représentent que 5%.

Pour conclure, nous soulignerons donc que si la zone d’étude est vaste, le terrain « physiquement » prospectable est, en revanche, assez réduit.