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CYCLE AGRICOLE PRODUCTIONS SEMENCES RECOLTES H

Avancé MISKA Céréales, maïs Début Août Janvier Culture avec Irrigation

MAWAY Tubercules Fin Juillet Novembre Culture Pluviale

Principal HATUN TARPUY Global Septembre Avril-Mai Irrigation jusqu'à décembre

Tardif K'EPA TARPUY Céréales (blé, orge) Janvier Mai Culture avec Irrigation

Adapté d'après : Farrington, 1984 : Vallée de Cusichaca, Cuzco ; Caminoet al., 1985 : Cordillère de Carabaya, Puno ; Mitchell, 1976 : Quinua, Ayacucho

Tableau 1.4- Calendrier de l’agriculture vivrière traditionnelle des régions de la cordillère sud- orientale.

Parmi la grande variété de cultigènes du paysage quechua, le maïs occupe traditionnellement une place importante. Depuis l’époque préhispanique, c’est un produit noble et rituel (Murra, 1983[1978]) dont la culture requiert un soin particulier78. C’est, en effet, à partir de maïs qu’on élabore la bière aqha, plus connue sous le nom de chicha. Cette boisson est fondamentale dans l’entretien des relations sociales, car c’est en chicha que l’on rétribue symboliquement les échanges de services entre membres de la communauté.

La région quechua forme donc le principal espace de vie et de résidence des sociétés montagnardes. Sur le plan écologique, son climat tempéré est favorable à l’agriculture vivrière et confortable pour l’habitat. Sur le plan culturel, ce paysage est traditionnellement conçu, comme

chawpi, centre de la communauté et cœur de l’espace domestique, constituant une sorte de pôle

de l’espace habité (Isbell, 2005[1978] ; Sanchez, 1978 ; Gow, 1978 ; Platt, 1978).

75 Dans la vallée du Yanama, très peu peuplée et sauvage, il est courant que les paysans sèment du maïs, de façon anarchique, sur les pentes les moins prononcées. L’aménagement préalable du terrain et l’entretien au cours du cycle de croissance sont presque nuls. S’il s’agit d’une pratique agricole marginale, elle démontre que la forte humidité atmosphérique des zones de forêt humide permet la croissance de maïs sans irrigation (Valencia, Com. Perso.).

76 D’après Flores Ochoa (1985) une espèce de maïs, dénommé puca sara, est cultivée dans la vallée du Mapillo jusqu’à près de 3800 m.

77 Notons que la période agricole est aussi plus étendue. Par exemple, la rareté des gels nocturnes est favorable aux semences avancées dès le début du mois d’août, qui permettent une récolte en janvier, au moment où les stocks de l’année antérieure commencent à s’épuiser.

78 Le maïs possède un cycle de croissance d’environ sept mois, soit le plus long des cultigènes andins (Brush, 1977). Il a besoin d’être irrigué toutes les deux semaines jusqu’en décembre lorsque les précipitations deviennent plus fréquentes (Farrington, 1984 ; Camino et al., 1985 ; Mitchell, 1976). Comme la plupart des cultigènes de la zone quechua, les parcelles de maïs sont exploitées de façon intensive sur plusieurs années consécutives jusqu’à ce que la terre s’épuise ; on laisse alors 1 à 2 ans de jachère (Camino

1.3.2.3- Les terres tempérées d’altitude de l’étage suni

Entre 3500 et 3900 m d’altitude, l’étage écologique suni constitue une sorte de prolongation de l’étage quechua. Bien que le climat y soit plus froid (avec des gelées nocturnes courantes durant la saison sèche), cette zone est également cultivée79. Il s’agit de la zone de production de plusieurs aliments de base nécessaires à la subsistance traditionnelle (Hastorf, 1993) tels la pomme de terre (Solanum tuberosum), la oca (Oxalis tuberosa), l’olluco (Ullucus

tuberosus) ainsi que le quinoa (Chenopodium quinoa) et le tarwi (Lupinus mutabilis).

L’agriculture est généralement pratiquée sans irrigation (dite de secano) suivant le cycle hatun

tarpuy80, avec une rotation intensive des terres81 dans les parties basses à la limite de l’étage quechua et une culture plus sporadique82 aux alentours des 4000 mètres.

Aujourd’hui, seuls quelques villages et hameaux sont établis dans ces zones d’altitude. L’essentiel de leurs habitants consacrent une grande partie de leurs activités à l’élevage. Les hameaux, comme Occoro et Lirio, ne sont habités que de manière saisonnière, en fonction du calendrier agricole (Tableau 1.4) et de la transhumance du bétail. Les villages les plus hauts sont Choqetira dans la vallée du Mapillo et Kewiña dans la vallée d’Arma. Tous deux sont situés au cœur de la cordillère de Vilcabamba aux carrefours d’importants axes de communication. Cette situation leurs confère le statut de pôles socio-économiques entre les différentes zones de production. Cet aspect, nous le verrons, semble avoir été privilégié pour le développement des villages les plus importants de l’époque préhispanique tardive.

1.3.2.4- Les paysages pastoraux : la puna

Au-delà de 3900 m d’altitude, il n’existe aujourd’hui aucun établissement humain. On y trouve toutefois quelques rares champs de tubercules généralement regroupés autour des lacs qui offrent un microclimat propice.

Les páramos d’altitude sont traditionnellement les écosystèmes de base exploités pour l’activité pastorale (Flores Ochoa, 1977). Pourtant, cet espace semble délaissé aujourd’hui, car les habitants de la région se consacrent surtout à l’élevage d’ovins qui s’alimentent des graminées tendres des ch’ampa de l’étage suni83. A en croire nos informateurs84, l’élevage de lamas et

79 L’étude de White (1982 Ms) des environs de Vilcabamba (sur le versant nord de la cordillère éponyme) montre que le paysage de l’étage écologique suni est très hétérogène. Il s’assimile à un patchwork de terrains aménagés –champs de tubercules, pâturages, bosquets, matorrales- qui sont complémentaires du point de vue de la subsistance. Par exemple, White explique que durant le long cycle de jachère se forment de vastes étendues de graminées, appelées ch’ampa, qui sont destinées à l’alimentation des troupeaux de moutons. Par endroit, des bosquets sont conservés pour disposer de bois de chauffe et de plantes médicinales. Sur les pentes les plus prononcées, qui sont les moins propices à la culture, on laisse se développer les herbacées (ichu) qui servent de fourrage, pour la couverture des habitations ou pour la confection des litières.

80 L’expression quechua « hatun tarpuy » signifie les « semences principales » et se réfère donc au cycle agricole principal. Notons qu’il existe aussi des cultures avancées de tubercules plantés en juillet et récoltées en novembre-décembre. Ce dernier est appelé maway (Camino et al., 1985). Il est généralement pratiqué dans les endroits abrités ou aux alentours des lagunes et des bois d’altitude dont l’humidité limite la chute des températures nocturnes, et ce jusqu’à 3700 m (Farrington, 1984).

81 Dans son étude de la communauté de Cuyu-cuyu (région orientale du département de Puno), Camino (et al., 1985) relève un cycle de rotation de 6 ans : 1. Pomme de terre 2. Oca/olluco 3. Polyculture oca/olluco 4. Monoculture de fèves et d’orge 5. Jachère 6. Jachère.

82 Impliquant près de six ans de jachères pour une année de récoltes (Camino et al., 1985 ; White, 1982 Ms). 83 Flores Ochoa (1985) appelle ce type de pâturage « mío-mío » et signale qu’il ne convient pas aux camélidés.

d’alpagas n’est pas pratiqué dans la région. Pourtant, Bowman signale la présence de camélidés dans la cordillère de Vilcabamba, au début du 20ème siècle. Au 16ème siècle, Titu Kusi (1992[1570] : 53) relate que Vilcabamba comptait un cheptel de près de cinquante milles camélidés avant que les Espagnols n’en dérobent une grande partie aux Inkas ; dires confirmés quelques décennies plus tard par le gouverneur de la région Baltasar de Ocampo (1999[1610] : 14). Ainsi, il ne fait pas de doute que les camélidés andins abondaient dans les steppes d’altitudes du CMVA. La découverte de nombreux ossements de camélidés dans les fouilles de Choqek’iraw (Lecoq et al., 2004, 2005, 2006) et de Yuraq Rumi (Araoz, 2008) pourrait d’ailleurs aller dans ce sens, bien que les camélidés pourraient aussi provenir de régions voisines aux espaces de puna plus étendus, comme les haut-plateaux du département d’Apurimac, par exemple.

1.3.2.5- Le domaine des sommets : urqu

« Urqu » est un terme quechua désignant la haute montagne (Holguín, 1989 [1608] : 357). Il s’agit d’une région sauvage, où l’homme ne fait que passer en croisant les cols d’altitude au pied des neiges éternelles. Bien que les principales zones de vie se trouvent à distance des sommets, les pics montagneux sont omniprésents dans les paysages du CMVA. Ils constituent ainsi des marqueurs évidents pour l’orientation géographique et servaient probablement aussi, souvent, de repères calendaires sur la ligne d’horizon (Zuidema, 1995 ; Bauer et Dearborn, 1998). Du point de vue économique, cet étage n’est pas exploité. Il s’agit néanmoins d’une zone de prime importance pour la subsistance paysanne car les glaciers et les lacs constituent une ressource hydrique incommensurable. D’ailleurs, les sommets sont souvent associés symboliquement à la fertilité car ils sont la source de l’eau qui alimente la terre et garantit la subsistance. A Andamarca (Ossio, 1977) et dans la région du Titiqaqa (Bastien, 1996), cette réalité fait l’objet d’une métaphore qui compare les cours d’eau des versants de la montagne au sang du Wamani.

Le Wamani (tel qu’il est appelé dans la sierra central du Pérou) est l’essence personnifiée de la montagne. Il est aussi appelé « guaca pacarisca » (par Albornoz dans Duviols, 1984 : 198),

Apu (à Cusco, ou encore Roal), Achachila (en aymara) ou encore Mallku (à Isluga au Chili et

dans la cordillère Intersalar en Bolivie), selon les régions et les époques. Dans les mythes et les légendes, il est souvent considéré comme une divinité tutélaire maîtresse du paysage (Taylor, 1974-76 ; Martinez, 1983 ; Lecoq et Fidell, 2001 ; Williams et al., 2006), garantissant la fertilité des cultures, la reproduction des troupeaux, la clémence du climat, etc. Sur le plan cosmologique, il constitue parfois l’emblème de l’espace géographique auquel il appartient, et souvent aussi un marqueur territorial (Molinié, 1986-87 ; Martinez, 1989[1976] ; Lecoq, 1999 ; Sanhueza, 2008). Ainsi, le Salkantay figure, aujourd’hui, l’ensemble de la cordillère de Vilcabamba pour les habitants des départements de Cuzco et d’Apurimac (Nuñez del Prado, 1970 : 71).

Remarquons aussi que l’idée d’une certaine hiérarchie des sommets au sein d’une même cordillère, voire d’une région, est courante (Nuñez del Prado, 1983 : 158 ; Martinez, 1989[1976] ; Isbell, 2005[1978] ; Reinhard, 1983 ; Bouysse-Cassagne et Bouysse, 1984 ; Bellenger, 2005 ; 84 Les personnes interrogées ne se souviennent pas avoir vu de camélidés dans la région. Au cours de nos visites, nous n’avons eu qu’une fois l’occasion d’apercevoir un groupe d’une vingtaine d’alpagas récemment introduits (de façon expérimentale) par une

Ricard, 2007). Même s’il n’existe aucune donnée ethnohistorique à ce sujet, il est donc envisageable que les vingt-cinq nevados de la cordillère de Vilcabamba aient pu être intégrés à une sorte de « panthéon » de divinités tutélaires aux aires d’influences variables et aux attaches territoriales spécifiques, comme cela existe dans d’autres régions des Andes, et comme nous le discuterons dans le contexte du paysage préhispanique.

Aujourd’hui, les nombreuses croyances liées aux sommets sont véhiculées par les mythes et les légendes (Girault, 1958 ; Nuñez del Prado, 1970 et 1983 ; Casaverde Rojas, 1970 ; Earls et Silverblatt, 1978 ; Martinez, 1983 ; Lecoq, 1999 ; Gose, 2006). Ces croyances sont matérialisées lors d’hommages rituels ou encore de pèlerinages dont le plus connu est celui de l’Ausangate où, chaque année au mois de mai, convergent des milliers de personnes afin de célébrer la fête du Qoyllur Riti (Molinié, 2003 ; Rostworowski, 2003 ; Ricard, 2007). Même si elles sont souvent masquées sous un catholicisme (ou autre courant religieux) de façade, il semble que les croyances associées aux apu soient bien vivantes dans le monde paysan de Vilcabamba. Des rites sont, en effet, pratiqués aux moments importants du calendrier agricole et, en particulier, durant les mois d’Août et de Février lorsque la terre est considérée « ouverte » (Ossio, 1978 ; Isbell, 2005[1978] ; Zuidema, 1981 : 328). ETAGE ECOLOGIQUE OCCUPATION HUMAINE EXPLOITATION

ECONOMIQUE AGRICULTURE H2O ELEVAGE

AMÉNAGEMENT