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La vallée de l’Apurimac et la cordillère de Vilcabamba dans les mythes inkas et les sources écrites anciennes

2.2.4 LA REGION DU MASSIF DE L’AMPAY

Les informations historiques sur la région d’Abancay sont abondantes. Ses terres, situées non-loin du Qhapaq Ñan, ont été réparties très tôt aux conquistadores espagnols. Grâce aux récentes études d’archives réalisées sur les terres des vallées de Cachora et Wanipaka (Duffait, 2005 ; Burga, 2008), nous disposons de données de première main sur la territorialité de ces vallées au cours des 16ème et 17ème siècles, à partir desquelles il est possible de déduire des informations sur la configuration territoriale de la région à l’époque inka.

2.2.4.1- Les « nations Takmara et Kiuñalla »

Aujourd’hui, les principaux villages du versant Apurimac du massif de l’Ampay sont Takmara et Kiuñalla. Ils sont localisés de part et d’autre de l’ample contrefort qui forme la façade nord du massif. Comme nous allons le voir, la mention de ces toponymes, dans plusieurs documents du 16ème siècle, suggère qu’ils pourraient s’agir du nom de groupes installés dans la région à l’époque préhispanique.

Garcilaso (1976[1609] : 195) relate ainsi que « dans la région d’Abancay, entre le

Qhapaq Ñan et la grande cordillère de glaciers [Vilcabamba], [Inka Ruqa] découvrit peu de villages qu’il intégra à son empire », et que « ces nations s’appelaient Tacmara et Quinualla. »81. D’autres documents anciens mentionnent ce Takmara, sans le localiser aussi précisément que Garcilaso. Dans l’encomienda d’Hernando Pizarro (Julien, 2001), on trouve, ainsi, un « Tasmaro (ou Talmaro) » appartenant aux terres de Caruanueva dans le repartimiento d’Urcon. Dans sa relation des tambos, Vaca de Castro (19890[1543]) mentionne le village de « Tamaran » ; ce village appartient aux terres de Pedro Alonso Carrasco dont les indiens servent au tampu d’Abancay. Enfin, il est aussi fait mention du « village de Tacamarca qui était sous la juridiction [du même] Pedro Alonso Carrasco »82 au sujet des terres de la vallée de l’Apurimac qui faisaient l’objet des négociations entre Pedro de La Gasca et Sayri Thupa (Burga, 2008 : 78). Même si ces

80 On ne trouve aucune trace de Waskatay, ni de Takmara dans les documents d’archives coloniales, ni même dans le dictionnaire géographique de Paz Soldan édité en 1877. Une recherche auprès des autorités locales serait nécessaire afin de résoudre ce problème de toponymie.

81 La citation originale dont il est fait mention est la suivante : « De Amancay echo a mano derecha del camino hacia la gran

cordillera de la Sierra Nevada, y entre la cordillera y el camino hallo pocos pueblos, y esos redujo a su Imperio. Llamanse estas naciones Tacmara y Quinualla. » (Garcilaso, 1976[1609] : 195). La traduction est nôtre.

82 La citation originale dont il est fait mention est la suivante : « el pueblo de Tacamarca, que contaba con 354 ayllus (350 a 400

sources ne font allusion que de façon anecdotique au village de Takmara, on ne peut mettre en doute qu’il s’agisse du même village situé dans la vallée de l’Apurimac, grâce aux témoignages de Garcilaso et de La Gasca. Enfin, signalons que la région pourrait avoir abrité une communauté appelée Yanasoca Camara, nom du repartimiento de Pedro Alonso Carrasco dans le recensement de 1561 (Hampe, 1979).

En ce qui concerne Quinualla, un seul document du 16ème siècle fait état de l’acquisition de ses terres par Arias de Sotelo, le puissant encomendero d’Abancay en 1553 (ibid. : 122). Certaines archives manuscrites du Legajo de Miguel F. Gutierrez (1936 Ms), qui n’ont pas encore été étudiées de façon approfondie, devraient, toutefois, fournir des informations complémentaires, et notamment sur les liens entre Kiuñalla et le village (voisin) de réduction San Miguel de Wanipaka.

2.2.4.2- Les plantations de coca des bas versants

Les archives relatives à la composition des terres de la région de San Miguel de Wanipaka, à laquelle appartenait, sans doute, le village de Kiuñalla, font référence à des litiges territoriaux pour le contrôle de terres vacantes, abandonnées depuis l’époque inka. Ainsi, en 1581, Cristobal de Sotelo (le fils de Gaspar) sollicite la propriété des terres de l’établissement de

Chuquibamba et des « bois de l’inka » dénommés Moyopampa83 (Burga, 2008 : 120). Ces terres, que nous ne sommes pas en mesure de localiser avec précision, devaient, néanmoins, se trouver dans les environs de Kiuñalla, juste en face de Choqek’iraw. Il est donc possible que certaines terres de la rive gauche de l’Apurimac aient appartenu au domaine royal de Choqek’iraw, hypothèse que nous examinerons plus loin, au regard des données archéologiques.

Dans la même série de documents d’archives sur la composition des terres de la région d’Abancay (ibid. ; Legajo de Miguel F. Gutierrez, 1936 Ms), on apprend également l’existence de plusieurs plantations de coca, aux lieudits Loaclla, Alcaguanca, Uncalla, Mandurque, Ycnay,

Cusillohuayco, Culluqui, Chontaguayco et Guayo-guayo, Tiracanche. Ces endroits, dont les

toponymes n’ont, pour la plupart, pas changé, se situent sur le bas-versant de la rive gauche de l’Apurimac. Ce dernier était donc intensément exploité pour la culture de coca ; et ceci, d’après les mêmes sources, depuis l’époque inka. Or, comme en témoigne Garcilaso (1976[1609] : 161), il semble que les Inkas entreprirent un aménagement spécifique des terres chaudes du fond de vallée de l’Apurimac. A ce sujet, il relate, ainsi, que « l’Inka déplaça des indiens de la nation

Nanasca [vraisemblablement Nazca, sur la côte Pacifique] pour les installer dans la vallée de l’Apurimac, [...] dans les environs de Rimac. [...] Les mitma [...] étaient peu nombreux à cet endroit car, en raison du relief extrêmement accidenté, il y avait peu de terres cultivables sur les rives de l’Apurimac. Mais comme l’Inka ne voulait pas que ces terres se perdissent, il fit

83 Il faut rappeler ici que les terres de l’Etat inka étaient généralement désignées sous le terme « moya » (Espinoza Soriano, 1973).

aménager des jardins afin de cultiver les très bons fruits qui poussaient sur les rives de ce fameux fleuve. »84.

2.2.4.3- Relations territoriales entre les vallées de Wanipaka et Cachora

Dans l’état actuel de la recherche, on ne dispose pas d’information détaillée sur les villages d’origine préhispanique réduits en San Miguel de Wanipaka. On sait néanmoins qu’à la fin du 16ème siècle, les habitants de cette réduction étaient unis par des liens familiaux et territoriaux à ceux de San Pedro de Cachora, située dans la vallée voisine. Une visita datée 1596 relate en effet que les caciques principaux des deux villages se trouvaient à Cachora (Burga, 2008 : 117). Les mêmes sources font aussi état de litiges quant à la juridiction de certaines terres de Wanipaka, revendiquées par des membres de la communauté de Cachora (Hostnig et al., 2007 : 113), comme les plantations de coca de Loaccla (Burga, 2008 : 119). Faut-il déduire du fait que les habitants de Wanipaka et Cachora partageaient des liens familiaux et des zones de production, qu’ils appartenaient à des communautés liées avant l’époque des répartitions espagnoles et des réductions tolédanes ? Ou, faut-il voir, ici, plutôt une forte rivalité entre ces communautés, lors de l’époque coloniale ancienne, pour l’appropriation des terres de l’Inka laissées vacantes à la chute du Tawantinsuyu et l’abandon du domaine de Choqek’iraw ?

A la fin du 17ème, les données disponibles montrent que Wanipaka est plus peuplé que Cachora (Villanueva, 1982 : 178 et 207). La grande hacienda de San Ignacio de Tambobamba avec son cañaveral, dont on peut encore apprécier les vestiges, non-loin du pont qui donne accès à Choqek’iraw, concentre, alors, une forte population. Quant au versant de la vallée de l’Apurimac entre Takmara et Kiuñalla, il abrite de nombreuses fermes85, telles Guayguayo,

Socos, Casqueque, Mandurque, Labramqui et Caclla, qui, comme les Inkas l’ont fait plus tôt

avec les plantations de coca, tirent profit des conditions privilégiées de la vallée de l’Apurimac pour la production de canne à sucre et d’autres produits de climat chaud.