• Aucun résultat trouvé

La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 2. L’efficacité du traitement judiciaire du défaut

B. Les mécanismes de prise de décision

3. Une vente aux enchères

Une troisième voie de résolution des difficultés financières consiste à faire appel non pas à un juge mais au marché. Selon Thorburn (2000), plusieurs pays européens (parmi lesquels la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Norvège, la Finlande et la Suède) ont modifié leur législation en matière de défaillance en faveur d’un système davantage orienté

75 Ce système est appliqué en Alsace-Moselle.

110

vers le débiteur, à l’instar du droit américain. Ces changements ont cependant été opérés en dépit de l’absence d’un questionnement empirique sur l’efficacité d’une procédure orchestrée non pas par le tribunal mais par le marché, à savoir une vente aux enchères publique. Or, celle-ci constitue le mécanisme le plus à même de déterminer la valeur la plus appropriée (ou élevée) de la firme (Bebchuk, 1988)77. Si les marchés sont efficients, cette procédure devrait être efficace ex post. En outre, le fait que tous les actifs de l’entreprise soient convertis en espèces78 constitue un frein aux éventuels « marchandages » des créanciers, ceux-ci se voyant distribuer ces espèces en fonction de l’ordre absolu des priorités (Hart, 2000). Pour autant, il n’existe dans la littérature aucun consensus quant aux vertus de cette règle.

La Suède en est un exemple intéressant, dans la mesure où elle prévoit une procédure organisée selon un tel procédé79. Une vente aux enchères conduit, dépendamment de l’offre la plus élevée, soit à la continuation de l’entreprise, soit à la liquidation fragmentée de ses actifs. Si un administrateur indépendant est certes nommé par le tribunal, il ne se voit conférer qu’un rôle d’arbitre. La direction et les actionnaires sont quant à eux déchus de leur pouvoir de contrôle, tandis que les créanciers sont soumis au respect de l’ordre de priorité, ainsi qu’à la règle « automatic stay » afin d’éviter un démantèlement des actifs avant que la vente n’ait lieu. Les salariés sont quant à eux protégés par l’existence d’un salaire garanti par le gouvernement. A l’instar de la procédure collective américaine, il existe en outre en Suède des ventes aux enchères « prepackaged ». Le principe est le même qu’aux Etats-Unis, à savoir qu’un acheteur a été trouvé préalablement à la procédure et que les droits sur les actifs de l’entreprise lui ont été transférés en échange d’espèces. Néanmoins, le déclenchement d’une procédure collective est nécessaire pour deux raisons. D’une part, le montant payé par l’acheteur est moindre que celui des dettes de l’entreprise. D’autre part, l’entérinement de l’accord « prepack » est conditionné à l’aval de l’administrateur judiciaire, ainsi qu’à celui des créanciers dont le collatéral est inclus dans la vente.

77 Selon Easterbrook et Fischel (1982), les coûts associés aux erreurs d’évaluation sont cependant plus élevés dans le cadre d’une vente aux enchères que d’une procédure mise en œuvre par le tribunal.

78 Il existe également des ventes aux enchères « non cash », dans le cadre desquelles des titres sont substitués aux espèces. Nous développons ici les enchères « cash ».

79 Il existe toutefois une alternative à ce mécanisme de marché, qui prévoit une supervision de la procédure par un tribunal. Un débiteur peur ainsi déclencher une « procédure d’accord » (ackord) par laquelle les contrats de dettes chirographaires sont renégociés dans un cadre légal. Cependant, ce mécanisme n’est utilisé qu’exceptionnellement, principalement parce qu’il ne protège pas l’entreprise des actions éventuelles de ses créanciers privilégiés (Eckbo et Thorburn, 2000).

111

Une telle situation a été notamment étudiée par Thorburn (2000) qui, à partir d’un échantillon de 263 petites entreprises suédoises ayant fait faillite entre 1988 et 1991, compare une procédure classique de réorganisation –le chapitre 11 américain- aux enchères suédoises afin de mettre en avant les mérites de ces dernières. Notons que l’auteur ne met pas uniquement en balance ces deux modes de résolution des difficultés dans leur version « traditionnelle », mais également dans leur version « prepackaged ».

L’auteur compare l’efficacité de ces deux modes de résolution des difficultés à l’aune de plusieurs critères.

Premièrement, elle s’interroge sur l’impact des retards de déclenchement par le débiteur dans les deux pays. Une procédure collective étant d’autant plus efficace qu’elle commence tôt, son initiation tardive a pour conséquence d’aggraver l’insuffisance d’actifs et dès lors d’affecter une valeur de l’entreprise déjà dégradée. Comme nous l’avons vu plus haut, l’existence d’asymétries d’informations entre les débiteurs et les créanciers fait en effet que ces derniers ne prennent pas immédiatement conscience des premières difficultés. Ces asymétries peuvent ainsi compromettre la survie de l’entreprise, les dirigeants pouvant être tentés de fournir des informations erronées sur la valeur de l’entreprise afin de retarder le moment de la cessation des paiements. Thorburn (2000) suggère que la procédure pro-débitrice du chapitre 11 est moins susceptible d’être retardée que les ventes aux enchères suédoises, le dirigeant n’étant pas écarté de la gestion de l’entreprise après le défaut. Du reste, si le créancier peut en Suède lui aussi déclencher la procédure, elle constate cependant que ce n’est le cas que pour 10% des entreprises défaillantes. Strömberg (2000) souligne d’ailleurs qu’un tel régime pro-créancier peut mener à des liquidations sous-optimales. Cependant, Thorburn (2000) ne relève pas de différence notable entre les taux de survie80 suédois et ceux des firmes du chapitre 11 relevés par certains travaux (White, 1984 ; Flynn, 1989 ; LoPucki et Whitford, 1993). Elle justifie ce résultat par d’une part la similarité des conditions économiques et financières81 des firmes lors de leur entrée en défaillance. D’autre part, elle suggère que les dirigeants ont intérêt à initier à temps la procédure, ce afin d’augmenter leur chance de détenir le contrôle de l’entreprise à l’issue de la procédure collective.

80 Dans les deux pays, ils se situent autour de 75%.

81 Ces conditions sont estimées à l’aide d’indicateurs tels que la part de l’endettement (dettes/actifs), la valeur comptable des actifs, le nombre d’employés, le ratio de liquidité générale (actif court terme/passif court terme). Toutefois, les firmes de l’échantillon américain sont plus grandes que celles de l’échantillon suédois.

112

Les résultats de Thorburn (2000) appellent à notre sens plusieurs critiques. Tout d’abord, elle estime que le redressement d’une firme est conditionné au moment du déclenchement de la procédure. Or, ceci ne vaut que toutes choses égales par ailleurs. Du reste, la période considérée diffère selon les auteurs (de 1979 à 1989 pour Flynn, 1989 par exemple), de même que la taille des entreprises des échantillons (elle est beaucoup plus importante pour les firmes des échantillons américains). De plus, l’auteur ne mentionne pas la méthode utilisée afin de qualifier une entreprise de survivante ; il semble en effet qu’elle ne tienne pas compte des firmes redressées qui redeviennent défaillantes par la suite. Or, c’est le cas d’un grand nombre d’entre elles (Hotchkiss, 1995). Enfin, ne s’intéresser aux Etats-Unis qu’au chapitre 11 peut entraîner un biais lié au fait que certaines firmes sont directement liquidées dans le cadre du chapitre 7.

Un deuxième critère retenu par Thorburn (2000) est le coût des deux procédures, aussi bien direct qu’indirect. Concernant les coûts directs, elle relève des frais de procédure plus élevés aux Etats-Unis qu’en Suède. Ce résultat est confirmé lorsque l’on s’intéresse aux « prepacks » de chacune de ces deux procédures. Si l’auteur note toutefois que les coûts directs de la procédure suédoise ne comprennent pas ceux occasionnés avant la cessation des paiements, il n’en reste pas moins que celle-ci n’est pas plus onéreuse qu’une procédure classique de réorganisation. Elle souligne d’ailleurs le faible coût des « prepacks », quelle que soit la nature de la procédure. Néanmoins, les entreprises de l’échantillon suédois étant plus petites que celles de l’échantillon américain, il n’est pas surprenant de constater que les procédures collectives suédoises sont moins coûteuses, notamment car certaines dépenses administratives sont proportionnelles à la taille de l’entreprise.

Les coûts indirects sont mesurés à partir de la durée de la procédure. L’auteur suggère qu’ils sont d’autant plus élevés, en termes de réputation et de coûts d’opportunité résultant du fait que le dirigeant se consacre à la réorganisation de sa société, que la procédure est longue. Elle relève une durée plus élevée chez les firmes du chapitre 11 que chez celles soumises à une vente aux enchères traditionnelle, même dans le cadre d’un chapitre 11 « prepackaged », qui pourtant présente l’avantage d’accélérer la réorganisation. Cependant, utiliser la durée de la procédure comme « proxy » des coûts indirects est à notre sens discutable. D’une part, elle a également un impact sur les coûts directs de la procédure ; toutes choses égales par ailleurs, plus elle est importante, plus les rémunérations des professionnels sont conséquentes. D’autre

113

part, les coûts indirects ne dépendent pas uniquement de la durée de la procédure. En effet, comme nous l’avons évoqué précédemment, ils peuvent apparaître en amont de la cessation des paiements, lorsque l’entreprise et/ou ses partenaires (clients, fournisseurs, créanciers, salariés) anticipent la défaillance.

Enfin, Thorburn (2000) estime l’efficacité des deux modes de résolution des difficultés au regard d’un troisième critère, à savoir les montants recouvrés par les créanciers, ceux-ci étant différenciés selon leur classe. Elle distingue dans un premier temps ceux perçus dans le cadre d’une continuation de ceux recouvrés en cas de liquidation fragmentée. Sans surprise, les premiers sont supérieurs aux seconds. Dans un second temps, elle constate pour l’échantillon américain que les « prepacks » génèrent des recouvrements plus élevés que la réorganisation classique du chapitre 11, tandis qu’elle ne relève pas de différence notable entre les enchères traditionnelles et « prepackaged » en la matière. Enfin, elle obtient des recouvrements similaires à ceux de Franks et Torous (1994) dans le cadre du chapitre 11.

Si Thorburn (2000) a démontré que les ventes aux enchères étaient plus rapides, moins coûteuses et tout aussi efficaces en termes de recouvrements que la réorganisation américaine, elle s’est néanmoins vu reprocher par certains auteurs (Aghion, Hart et Moore, 1992 ; Shleifer et Vishny, 1992) l’omission d’inefficacités dues à l’illiquidité du marché et à l’importance des coûts de transaction. Strömberg (2000) compare ainsi lui aussi l’efficacité du mécanisme de vente aux enchères et de la procédure classique de réorganisation, selon d’autres critères toutefois. Pour ce faire, il développe dans un premier temps un modèle théorique de vente aux enchères dans lequel il estime le degré de liquidité du marché ainsi que l’importance des éventuels conflits d’intérêt entre les divers ayants droit. Dans ce modèle, les issues de la procédure sont distinguées non plus selon la poursuite ou non de l’activité, mais selon que les actifs sont vendus ou non à un tiers. Dit différemment, l’entreprise peut soit être rachetée par son ancien dirigeant82, soit être vendue. Dans le deuxième cas, elle est soit, dans l’optique d’une continuation de l’activité, cédée dans sa totalité, soit sous la forme d’une liquidation fragmentée de ses actifs. Dans un second temps, l’auteur applique son modèle en s’appuyant sur une base de 205 petites et moyennes entreprises suédoises.

82 Une des hypothèses du modèle est que le dirigeant possède la totalité du capital de l’entreprise, ce qui est d’ailleurs d’autant plus plausible que celle-ci est de petite taille.

114

Ses résultats empiriques vont dans le sens des prédictions de son modèle. Tout d’abord, il constate qu’il est fréquent que l’entreprise défaillante soit reprise par son ancien propriétaire. La probabilité qu’elle lui soit revendue dépend positivement et significativement de la qualité de celui-ci, mesurée par notamment les performances économiques de la firme avant l’apparition des premières difficultés. En revanche, cette probabilité dépend négativement de variables mesurant la liquidité du marché, telles que la performance financière du secteur ou encore la non spécificité des actifs. Dans ce cas en effet, la vente des actifs de l’entreprise à des tiers est certainement une alternative préférable. Lorsque l’entreprise est reprise par son ancien dirigeant, l’auteur admet cependant qu’il peut exister, à l’instar du chapitre 11, des déviations de priorité. La valeur de rachat de l’entreprise étant dans ce cas généralement moindre que sa valeur de continuation, les créanciers privilégiés pourront bénéficier du surplus, lequel aurait normalement dû revenir aux créanciers juniors. Par ailleurs, il montre que les ventes aux enchères sont exemptes de conflits d’intérêt entre les divers ayants droit. Aussi le mode de résolution des difficultés le plus à même de coordonner les différentes parties serait-il une vente aux enchères, suivie par une procédure orchestrée par un tribunal, un vote des créanciers étant le moins apte à homogénéiser les intérêts de ces derniers.