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étude originale sur données françaises

Section 1. En quoi la législation française constitue-t-elle un objet de recherche intéressant ?

D. Le déroulement de la procédure

2. La période d’observation

La période d’observation est une innovation majeure de la loi de 1985. Elle représente pour l’entreprise une phase active pendant laquelle elle poursuit son activité dans des conditions optimales car encadrées par la loi. Cet aspect actif est une avancée majeure par rapport au cadre législatif de 1967 dans lequel le fonctionnement de l’entreprise était gelé et réactivé seulement après diagnostic. Or, ce gel de l’activité avait souvent pour conséquence d’aggraver les difficultés. Le tribunal est pour sa part dans un premier temps « passif » afin d’apprécier les perspectives de redressement de l’entreprise, puis actif dans la préparation du plan de redressement (le cas échéant).

a. La poursuite de l’activité de l’entreprise

L’activité doit continuer au cours de la période d’observation ; pour que le redressement soit possible, elle doit se poursuivre dans des conditions proches de celles qui existaient avant le jugement d’ouverture. Cependant, dans la mesure où le potentiel économique de l’entreprise sera être affecté par l’ouverture de la procédure, la législation a dû mettre en place un certain nombre de dispositions afin de retenir les différents partenaires de l’entreprise mais aussi d’attirer des partenaires financiers potentiels.

- La répartition des pouvoirs entre administrateur et débiteur

C’est tout d’abord la répartition des pouvoirs au sein de l’entreprise qui va être modifiée. Nous supposons ici que nous nous plaçons dans le cadre du régime général, ce qui implique que le dirigeant est en parti écarté de la gestion de l’entreprise au profit d’un administrateur. Les pouvoirs de l’administrateur varient selon le degré de défiance du tribunal à l’égard du dirigeant. Les pouvoirs de ce dernier vont dès lors dépendre de l’étendue des missions confiées à l’administrateur, de sorte que l’on peut parler de « dessaisissement à la carte ».

Cependant, quelle que soit la décision du tribunal sur ses pouvoirs, certaines compétences propres sont réservées à l’administrateur. Il doit ainsi décider de la

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continuation ou non d’un contrat en cours, ou encore exiger du chef d’entreprise qu’il accomplisse tous les actes nécessaires à la conservation des droits de l’entreprise contre les débiteurs de celle-ci (par exemple inscrire ou renouveler une sûreté) et à la préservation des capacités de production. A défaut, l’administrateur entreprend lui-même ces mesures. Ainsi, si le débiteur est en situation d’interdit bancaire, il reviendra à l’administrateur de faire fonctionner ses comptes.

Au-delà de ces actes, le rôle de l’administrateur dépend de la situation ; il est chargé soit de surveiller simplement les actions du débiteur, soit de le seconder, soit d’administrer l’entreprise. Dans le premier cas, l’administrateur exerce un contrôle a

posteriori du débiteur, qui ne peut par conséquent se voir interdire de passer tel ou tel acte. En cas de désaccord, l’administrateur peut éventuellement demander un élargissement de sa mission. Dans le deuxième cas, il peut lui être demandé d’assister le débiteur pour soit tous ses actes, soit certains. En d’autres termes, on se place soit dans un système de cogestion, qui nécessite un contreseing de l’administrateur pour tous les actes, soit dans un système plus souple dans lequel l’acte ne relevant pas de la mission de l’administrateur ne peut être entaché de nullité. Dans le dernier cas, il peut y avoir une représentation du débiteur par l’administrateur, entièrement ou en partie.

Afin de faciliter la poursuite de l’activité de l’entreprise, le législateur a par ailleurs prévu un certain nombre de dispositions vis-à-vis des partenaires de celle-ci.

- L’interdiction des paiements et la suspension des poursuites

L’une des règles immuables du droit des procédures collectives est celle de l’interdiction du paiement des créances antérieures à l’ouverture d’une procédure collective, à l’exception de celles munies d’un gage (droit de rétention116) ou d’une clause de réserve de propriété117 dont le détenteur peut exercer un droit de revendication118. Cette interdiction du paiement des créances s’applique également au paiement des intérêts. Quoiqu’il en soit, cette interdiction est bénéfique pour la

116 Ce droit permet au créancier de retenir un bien du débiteur, lorsque ce bien fait l’objet d’un gage. Ce type de privilège ne bénéficie bien sûr qu’aux fournisseurs de biens, et non de services.

117 Clause du contrat de vente en vertu de laquelle le vendeur demeure propriétaire des marchandises jusqu’au paiement complet du prix : le transfert de propriété est suspendu.

118 Ce droit permet à un créancier de récupérer un bien détenu par un débiteur qui n’en est pas le propriétaire légal. Ce type de privilège est fréquemment associé au crédit interentreprises.

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trésorerie, dans la mesure où l’ensemble des dettes à court terme est transformé en dettes d’horizon plus long.

Si le jugement d’ouverture interdit tout paiement de la part du débiteur, il doit en retour interdire aux créanciers dont la créance est née antérieurement à la cessation des paiements toute poursuite du débiteur ainsi que toute voie d’exécution, que ce soit sur les meubles ou les immeubles.

Les salariés bénéficient quant à eux d’un traitement particulier. Ils peuvent échapper dans une certaine mesure à l’interdiction des paiements, la poursuite de l’activité étant conditionnée à leur participation. Ils disposent en effet d’un « superprivilège » sur les deux derniers mois de salaire précédant le jugement d’ouverture, lesquels doivent être payés dans les dix jours. Les salaires dus après le déclenchement de la procédure collective sont réglables à échéance. Si l’entreprise ne dispose pas de fonds suffisants pour le règlement des salaires, celui-ci est pris en charge par l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS)119. Les licenciements économiques ne peuvent avoir lieu que sur autorisation du juge-commissaire et s’ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable ; ils doivent dans cette optique demeurer exceptionnels. Tout comme les salaires non superprivilégiés, le règlement des indemnités ne s’effectue en principe qu’à l’échéance.

- La continuation des contrats en cours

Selon l’article 37 de la loi de 1985, l’administrateur peut décider de la continuation des contrats en cours, à savoir dont les engagements n’ont pas été totalement exécutés au moment du jugement d’ouverture. Tous les contrats sont concernés par l’article 37, à l’exception des contrats de travail.

Cette modalité conduit à deux orientations. En amont, les contrats souscrits par l’entreprise doivent en dépit de la perte de confiance de ses partenaires être maintenus afin qu’elle puisse continuer à percevoir des liquidités, jouir de ses locaux et s’approvisionner (maintien des comptes bancaires, du bail et des contrats fournisseurs120). En aval, l’entreprise doit à son tour respecter pour l’avenir les engagements qu’elle a souscrits antérieurement au jugement d’ouverture, pour autant

119 Voir supra.

120 Au sein des contrats fournisseurs, seule une vente avec clause de réserve de propriété est considérée comme un contrat en cours.

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qu’ils soient, selon l’administrateur judiciaire, indispensables à l’activité de l’entreprise (les contrats négligeables seront rompus).

- Le financement de l’activité de l’entreprise

Outre un remaniement de la place des différents acteurs dans la procédure, le maintien de la valeur de l’outil économique implique d’attirer de nouveaux financements. Or, il n’est pour un investisseur pas évident de contracter avec une entreprise dont les capacités de paiements sont amputées. Aussi la loi a-t-elle, dans son article 40, prévu des garanties afin d’inciter de nouveaux créanciers à investir dans l’entreprise.

D’une part, ces nouveaux bailleurs de fonds échappent aux contraintes imposées aux créanciers antérieurs à l’ouverture de la procédure relatives à l’interdiction des paiements et à l’arrêt des poursuites. D’autre part, on déroge à la règle selon laquelle le droit antérieur prime sur le droit postérieur en accordant aux créances nées après le jugement d’ouverture une priorité sur celles le précédant, à l’exception du superprivilège des salaires.

Cette priorité des créances de l’article 40 n’a pas été sans soulever de vives contestations, notamment de la part des établissements bancaires. Ces derniers affirmant qu’il allait à l’encontre du principe d’ égalité des créanciers, l’article 40 a été porté devant le Conseil Constitutionnel. Celui-ci l’a validé, après avoir rappelé un autre principe qui impose de traiter de la même manière les créanciers dans une même

situation ; une discrimination fondée sur la date de naissance de la créance est dès lors envisageable. Néanmoins, sous la pression de nombreux lobbies, la réforme de 1994 a restreint la portée de ce droit prioritaire en les faisant passer après les créances munies de sûretés en cas de liquidation121. On a alors parlé de « renouveau des sûretés réelles ».

b. L’appréciation de la situation financière de l’entreprise

Si la préservation du potentiel économique de l‘entreprise permise par la poursuite de l’activité est essentielle, c’est avant tout pour que le tribunal puisse établir un diagnostic précis de sa situation.

121 Le maintien du rang prioritaire des créances de l’article 40 en cas de redressement (continuation ou cession) peut s’interpréter comme une volonté du législateur de « récompenser » leurs détenteurs de leur contribution à la préservation de la valeur de l’entreprise.

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- L’observation de l’entreprise et l’élaboration du plan de redressement

La période d’observation donne ainsi au juge, dans la période qui suit le jugement d’ouverture, l’occasion d’analyser en profondeur les difficultés ayant mené l’entreprise au défaut afin de déterminer laquelle d’une liquidation ou d’un plan de redressement constitue la meilleure option.

Les difficultés de l’entreprise et ses perspectives de redressement s’évaluent notamment au regard du bilan économique et social122. Ce document est élaboré par l’administrateur avec le concours du débiteur et éventuellement l’assistance d’un ou plusieurs experts, mais surtout du juge-commissaire qui dispose de très larges pouvoirs d’investigation. Sur la base de ce document, l’administrateur propose soit une liquidation immédiate, soit un plan de redressement. Dans un régime simplifié, il appartient au débiteur d’élaborer un plan à partir des rapports du représentant des créanciers ou du juge-commissaire, que le juge-commissaire soumet au tribunal après avoir fait part de ses recommandations123. Ce plan définit les moyens de financement, les perspectives d’emploi et les modalités d’apurement du passif. Lorsque plusieurs offres de reprise émanant de repreneurs potentiels lui parviennent, l’administrateur évalue leurs avantages et inconvénients à partir de plusieurs indicateurs renseignés par le candidat : le prix de cession ; les motivations du repreneur ; les perspectives d’activité, d’emploi et de financement, et depuis 1994, un état prévisionnel des cessions d’éléments d’actif. Ce rapport récapitulatif est alors adressé au tribunal afin qu’il sélectionne l’offre qui lui paraît préférable au regard des objectifs de la loi.

- L’estimation du patrimoine de l’entreprise

L’inventaire des biens de l’entreprise ne peut se faire au jour du jugement d’ouverture ; la détermination de l’actif et du passif peut prendre quelques semaines, d’autant que les méthodes appliquées par le tribunal ne reflètent pas un calcul tout à fait objectif.

L’établissement de l’actif consiste d’une part à le reconstituer en entachant de nullité certains actes et d’autre part à le clarifier en tenant compte des droits de propriété conservés par certains vendeurs de biens. Dans un premier temps, il est recherché si avant la procédure, le débiteur n’a pas fait sortir de son actif des éléments dans des

122 Il peut être complété par un bilan environnemental.

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conditions susceptibles de porter atteinte aux droits des créanciers. En d’autres termes, on va faire jouer la nullité de la période suspecte. Dans la mesure où celle-ci se dévoile rétroactivement lors du jugement d’ouverture, il est possible que le débiteur et ses créanciers n’aient pas conscience d’être dans la période suspecte et commettent des actes pouvant apparaître choquants. Quelques mois avant le jugement d’ouverture, le débiteur, se rendant généralement compte des difficultés de son entreprise, peut être tenté d’avantager ses créanciers les plus indispensables pour en obtenir des crédits afin de redémarrer l’activité plus facilement après la liquidation. Or, cela met en jeu la responsabilité pénale du dirigeant, ses actes ayant conduit à une rupture d’égalité entre les créanciers et à une diminution de leur gage commun ; soutenu abusivement par certains de ses créanciers, il a frauduleusement diminué son actif124. Les sommes sorties de l’actif vont y être réintégrées afin de financer la période d’observation et favoriser les chances de redressement ou, en cas de liquidation judiciaire, bénéficier aux créanciers dont l’égalité est désormais rétablie. Par ailleurs, lorsqu’une créance sur un bien meuble est assortie d’une clause de réserve de propriété, le créancier reste propriétaire du bien qu’il a vendu jusqu’à son paiement complet. A ce titre, il peut faire jouer son droit de revendication et demander à tout moment la restitution du bien à son détenteur (le débiteur). Tenir compte de ces revendications va permettre à l’administrateur (ou au débiteur le cas échéant) de préparer l’avenir ; informé que le patrimoine de l’entreprise contient des biens qui ne lui appartiennent pas, il peut rétablir l’actif à sa valeur réelle.

La détermination du passif de l’entreprise s’effectue en deux temps : sa « fixation » d’abord, sa déclaration ensuite. Elle impose une discipline collective à l’entreprise qui vient considérablement diminuer les droits des créanciers. En effet, le but avant 1985 étant d’organiser le paiement des créanciers, l’actif n’était affecté qu’au paiement des créances déclarées. Or, la sauvegarde de l’entreprise étant aujourd’hui l’objectif du droit, la déclaration des créances a désormais pour objectif de connaître le passif de l’entreprise afin d’évaluer ses chances de redressement. Pour ce faire, il est nécessaire d’arrêter le cours du passif à un moment donné125. En d’autres termes, on gèle le passif des créanciers antérieurs qui doivent, afin de récupérer leurs créances, se manifester. Le gel du passif est mis en œuvre par quatre principes majeurs : l’interdiction des

124 Voir note 30 au sujet du soutien abusif des banques.

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paiements, la suspension des poursuites et des voies d’exécution, l’interdiction des inscriptions postérieurement au jugement d’ouverture (i.e. hypothèques, nantissements, privilèges) et l’arrêt du cours des intérêts. Une fois le passif fixé, le débiteur doit remettre une liste des créances à jour au représentant des créanciers, ce dont il est parfois dans l’incapacité. Les créanciers doivent donc chacun déclarer leurs créances dans les deux mois suivant la publication du jugement d’ouverture. Or, cette déclaration reflète le passif vu par le créancier mais qui ne sera pas forcément le passif retenu par le tribunal. En effet, ces créances déclarées vont d’abord être vérifiées par le représentant des créanciers puis proposées au juge-commissaire qui éventuellement rejettera celles qu’il juge contestables. De plus, le législateur a prévu certaines subtilités qui permettront d’écarter certaines créances afin d’artificiellement diminuer le passif. Par exemple, les créanciers trop négligents peuvent se voir sanctionnés par un effacement de leurs créances.