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L’évolution historique du droit des procédures collectives

étude originale sur données françaises

Section 1. En quoi la législation française constitue-t-elle un objet de recherche intéressant ?

A. L’évolution historique du droit des procédures collectives

Historiquement, le remboursement de la dette revêtait un caractère moral ; l’incapacité à respecter cette règle impliquait l’interdiction de toute activité contractuelle ainsi que la suspension de tous les droits civiques. En excluant simultanément les faillis du marché et de la cité, les première procédures de faillite confondaient les dimensions civique et économique.

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Les objectifs du droit des procédures collectives99 ont beaucoup évolué. Conçu à l’origine afin de sanctionner l’entreprise et son débiteur, il s’est progressivement élargi au sauvetage de l’entreprise défaillante et au désintéressement de ses créanciers.

1. Les fondements du droit des procédures collectives : une

procédure pénale

La codification du droit des procédures collectives remonte à l’ordonnance Colbert de 1673 sur le commerce. Dès l’ouverture de la faillite, le débiteur est non seulement dépossédé de ses biens, mais également écarté de la gestion de son entreprise et de manière générale de la vie publique et commerciale. Cependant, il peut obtenir une remise partielle de ses dettes et la réhabilitation de ses droits civiques s’il est de bonne foi. En outre, il arrive souvent que le roi lui accorde sa grâce par l’intermédiaire de « lettres de répit ». Ces dérogations ont donné lieu à de nombreux abus, de sorte que beaucoup de dirigeants malhonnêtes échappaient à la procédure de banqueroute100, dont les sanctions allaient jusqu’à la peine de mort. Aucune vente collective des biens n’est encore réalisée, les créanciers devant exercer leurs saisies individuellement, même si en pratique, ils concluent un accord d’union.

L’application de l’ordonnance étant au début du XIXème siècle de plus en plus laxiste, il faut attendre les faillites retentissantes de 1806 pour que l’on prenne conscience de la nécessité de doter le droit commercial de procédures de faillite plus fermes à l’égard des débiteurs frauduleux. Le premier code de commerce est conclu en 1807 et s’applique, en matière de faillite, exclusivement aux commerçants, dont les créanciers sont traités cette fois collectivement. Le traitement des créanciers des emprunteurs non commerçants s’effectue quant à lui dans le cadre d’un régime de déconfiture101. L’esprit général de ce code est surtout de se montrer plus sévère à l’encontre du failli. La grande innovation est sans doute que celui-ci ne peut retrouver le contrôle de son entreprise que s’il est parvenu à un accord (concordat) avec ses créanciers, sans quoi ses biens seront liquidés. Les sanctions sont quant à elles plus

99 Le terme de « procédure collective » se doit cependant d’être employé avec prudence, dans la mesure où il n’existe à l’origine aucun traitement collectif des difficultés.

100 Dans l’ancien droit, ce terme fait référence à une faillite frauduleuse.

101 Situation d’un débiteur qui n’entre pas dans le champ des procédures collectives et qui ne peut plus faire face à ses obligations : ses créanciers exercent individuellement leur droit de poursuite, sans traitement collectif.

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sévères et plus généralement appliquées. D’après Thaller et Percerou (1931), le code de commerce a également eu pour mérite d’établir un « jugement déclaratif de faillite »102.

2. La dissociation des aspects civils et pénaux

La loi de 1889 clarifie le traitement de la faillite en introduisant la liquidation judiciaire. Pour la première fois, la législation admet explicitement que le dirigeant n’est pas toujours animé d’un esprit de fraude et qu’il peut être victime de circonstances défavorables. Cette procédure non répressive, destinée aux débiteurs malchanceux, codifie le concordat entre le débiteur et ses créanciers sous le regard d’un liquidateur nommé par le tribunal. En outre, le dirigeant n’est pas forcément dessaisi de l’administration de son entreprise et peut être simplement assisté par le liquidateur. A défaut d’accord, le tribunal déclare qu’il y a faute et la procédure de faillite traditionnelle est appliquée. Celle-ci conduit soit à un concordat, soit à une restructuration de la dette à l’ensemble des créanciers chirographaires, soit à l’union qui débouche sur la vente des biens du débiteur représenté par le syndic. A la fin du XIXème siècle, le droit français est dès lors doté de deux grandes familles de résolution du défaut : la liquidation judiciaire et la faillite. Cette clarification a permis de compléter les tentatives de distinguer le sort des malchanceux (liquidation judiciaire), des maladroits (faillite avec concordat), des imprudents (faillite avec union), des incompétents (banqueroute simple) et des malhonnêtes (banqueroute frauduleuse) (Hautcoeur et Levratto, 2008). Par la suite, des efforts ont été entrepris afin d’adoucir le sort du failli en 1903, 1906, 1908 et 1919. Ainsi, la loi de 1919 présente un système amiable, ancêtre de celui de la prévention, permettant au débiteur de résoudre lui-même ses difficultés.

Or, au début du XXème siècle, de nombreux commentaires soulignant une tolérance excessive à l’égard du débiteur ont émergé, protestant contre la tendance de nombreux commerçants à adopter de plus en plus fréquemment le statut de société. Ce statut leur permettait jusque-là de ne pas engager leur patrimoine personnel ou familial. Aussi la loi de 1935 a-t-elle permis la poursuite des dirigeants malhonnêtes de sociétés en faillite. Dans le même esprit, la loi sur la responsabilité de 1940 pose une présomption de la responsabilité civile. Par ailleurs, la procédure de faillite, et notamment la possibilité d’un concordat qu’elle

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prévoit, s’est vu reprocher d’être trop laxiste à l’égard du dirigeant, alors qu’une procédure spécifique est dédiée aux débiteurs malchanceux et de bonne foi. Dans la pratique en effet, ce concordat se faisait sous la forme d’un chantage exercé par le dirigeant sur les créanciers qui devaient soit accepter le plan proposé, soit craindre de tout perdre au profit des créances de l’état dans la cadre d’une liquidation judiciaire. Ces critiques ont conduit en 1955 à la suppression du concordat dans la procédure de faillite et le remplacement de la liquidation judiciaire par une procédure de règlement judiciaire, d’ailleurs très similaire. Ce décret a en quelque sorte constitué le point de départ d’un combat contre les faillites suspectes, voire frauduleuses.

3. L’apparition de l’entreprise dans les procédures collectives

Le contexte économique de la période d’après-guerre place l’entreprise et son environnement au cœur des préoccupations juridiques ; c’est à partir de 1967 qu’on a progressivement tenu compte des enjeux économiques de la faillite. En effet, la modernisation de l’économie avait au cours de la première partie du XXème siècle conduit à des licenciements massifs notamment dans les secteurs de l’industrie lourde et traditionnelle (charbon, automobile, textile), mais également à la disparition de nombreux boutiquiers et artisans. Conjoncturelle ou structurelle, la hausse des défaillances d’entreprises à cette période a rendu nécessaire d’introduire le défaut dans la sphère économique et non plus seulement juridique.

La loi de 1967 s’est ainsi consacrée à convertir des mentalités figées dans l’idée de la responsabilité inconditionnelle du débiteur physique en distinguant explicitement le sort du débiteur de celui de l’entreprise ; le premier dépend du comportement du dirigeant en amont du défaut, tandis que le second est fixé en fonction des perspectives économiques de l’entreprise. L’appréciation du sort de l’entreprise par le tribunal ne doit être motivée que par des critères purement économiques et conduit à mettre en œuvre soit une procédure de règlement judiciaire, soit une liquidation des biens. Le sort du dirigeant est désormais séparé de celui de l’entreprise et dépend de la gravité de sa faute le cas échéant. Quelle que soit la procédure adoptée, il peut être sanctionné lourdement.

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Cessation des paiements

Règlement judiciaire Liquidation des biens

A pour but le sauvetage de l’entreprise Vise les entreprises destinées à disparaître du paysage économique

Avec cette loi, le nouvel impératif qui émerge est celui du sauvetage de l’entreprise. Or, cette sauvegarde a un coût, qui doit être supporté par les créanciers ; leur rôle est dans ce cadre affaibli au profit d’une prise de décision qui se judiciarise. Par ordonnance du 23 septembre 1967, on met en place un mécanisme de prévention pour les entreprises en difficultés mais non irrémédiablement compromises et dont la disparition serait de nature à troubler l’économie régionale ou nationale. On prévoit une suspension provisoire des poursuites pendant trois mois, période pendant laquelle le dirigeant, assisté d’un curateur, prépare un plan de redressement soumis au juge, sans crainte de poursuite de ses créanciers. Si le plan est homologué par le tribunal, l’entreprise peut étaler ses dettes sur un délai de trois ans maximum. En cas d’échec du redressement au terme de ce délai, on revient à la procédure de liquidation classique. Ainsi, pour la première fois, la sauvegarde de l’entreprise peut être imposée aux créanciers.

Finalement, cette réforme a été un échec car contrairement à l’objectif énoncé, elle instaure un régime fortement liquidatif, la poursuite de l’activité n’étant dans les faits choisie que par dérogation. Cela fut d’autant plus problématique dans le contexte de crise des années 1970. En dépit du concordat, les créances à terme devenaient en outre immédiatement exigibles et les créanciers munis de sûretés pouvaient poursuivre individuellement le débiteur. Enfin, cette loi offrait la possibilité de vendre l’entreprise à un tiers, transaction qui se faisait souvent « à prix fort », plus pour les salariés de l’entreprise que pour le repreneur cependant ; il était en effet courant que ce dernier acquière l’entreprise à un prix élevé, la démembre et réalise une plus-value sur la liquidation fragmentée des actifs. Ces pratiques allaient non seulement à l’encontre de l’objectif de sauvegarde de l’entreprise, mais soulevaient également des problèmes sociaux. En dépit de ces écueils, il n’en reste pas moins que la loi de 1967 a préfiguré le droit des entreprises en difficultés actuel avec une politique volontariste qui sera véritablement mise en œuvre en 1985.

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4. La responsabilité de l’entreprise devant la propriété sociale de

l’emploi

Avec la crise des années 1970, on se rend compte de la nécessité de réformer le système en faveur d’une plus grande protection de l’entreprise et de ses salariés. Dans l’axe de l’orientation sociale du droit des procédures collectives, la première avancée notable fut la loi du 27 décembre 1973 établissant une garantie des salaires, qui conduit à la création en février 1974 de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS). L’AGS a pour mission « d’assurer, en cas de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, le paiement des créances résultant du contrat de travail ». La loi du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel implique quant à elle plus de responsabilité des partenaires sociaux, parfois à la limite de l’ingérence dans les affaires privées de l’entreprise. En effet, en exigeant davantage de transparence comptable, économique et financière aux entreprises, elle risque de mettre en danger le secret professionnel et d’être préjudiciable à l’entreprise dans son environnement concurrentiel.

Toutefois, ce sont véritablement les lois du 1er mars 1984 et du 25 janvier 1985 qui marquent le début d’une époque où le sort de l’entreprise est guidé par des enjeux non plus seulement économiques mais également sociaux. Dans ce contexte, une nouvelle dénomination du droit des procédures collectives est introduite dans le jargon juridique : « le droit des entreprises en difficultés ». Cette qualification du droit de la défaillance, moins objective qu’auparavant, est révélatrice de l’objectif qui lui est désormais assigné ; sa finalité n’est plus seulement de désintéresser collectivement les créanciers, mais d’aider l’entreprise à surmonter une crise censée être passagère. Cette nouvelle orientation implique en premier lieu de traiter cette « crise » avant même qu’elle ne survienne.

B. L’entreprise en amont de la cessation des paiements : la