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L’impact de l’orientation du droit sur la structure financière

La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 2. L’efficacité du traitement judiciaire du défaut

B. L’impact des règles légales sur la structure financière

1. L’impact de l’orientation du droit sur la structure financière

Si les bienfaits des déviations de priorité sont manifestement les plus controversés dans la littérature relative à l’efficacité ex ante, il n’en reste pas moins que les auteurs s’accordent sur leur impact sur les incitations aussi bien des créanciers que des débiteurs. Aussi la règle de priorités absolue conduit-elle à s’intéresser, plus généralement, à l’encadrement juridique de la défaillance95, et notamment à la mesure dans laquelle celui-ci est favorable aux créanciers et aux débiteurs. L’enseignement habituellement retenu des modèles théoriques et des études empiriques sur l’efficacité ex ante réalisées à la suite de La Porta et al. (1997,1998) est qu’il convient de promouvoir un haut niveau de protection des créanciers afin d’assurer le financement de l’économie. Néanmoins, certains pays européens (Royaume-Uni, Allemagne) ont récemment réformé leur législation de défaillance dans un sens qui privilégie la préservation du débiteur (Etats-Unis, France). S’intéresser à l’influence

94 Nous ne revenons pas sur la théorie financière et les asymétries d’informations qui accompagnent l’endettement évoquées dans la section 1.

95 Il convient de distinguer l’environnement juridique de la tradition juridique, laquelle peut être de droit civil ou de common law.

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de l’orientation juridique des codes de défaillance sur les comportements de l’entreprise et de ses partenaires en amont de la cessation des paiements conduit essentiellement à s’interroger sur la pertinence d’adopter une loi favorable aux créanciers ou au débiteur. La première approche est soutenue par des lois sévères à l’égard de l’entreprise défaillante afin d’exercer un effet disciplinant sur celle-ci. La seconde a pour objectif de privilégier le sauvetage de l’entreprise afin de minimiser les conséquences sociales de la détresse financière ex post. Les règles du droit de la défaillance qui protègent ainsi les débiteurs défaillants sont, par exemple, la suspension provisoire des poursuites des créanciers, la possibilité offerte aux dirigeants d’établir puis de proposer un plan de redressement ou le privilège accordé aux créanciers qui apportent de nouveaux fonds à l’entreprise défaillante. En retour, on peut imaginer qu’un système clément à l’encontre du dirigeant peut également instaurer des incitations permettant d’améliorer l’efficacité ex ante.

De fait, si le code de défaillance constitue un déterminant majeur des coûts de faillite, on peut également s’attendre à ce qu’une législation de faillite aura différentes implications sur la structure de capital selon qu’elle favorise le créancier ou le débiteur. Par exemple, on peut supposer que des régimes sévères à l’égard de l’entreprise découragent le financement par dette. Or, les études empiriques ne sont à ce jour pas parvenues à un consensus quant à cette relation. Ainsi, Rajan et Zingales (1995), dans une étude internationale incluant les pays du G7, trouvent que les firmes de régimes pro-créanciers tels que l’Allemagne et le Royaume-Uni se financent moins par dette que celles d’un système pro-débiteur tel que le chapitre 1196. Cependant, ils observent que certains pays pro-débiteurs du G7 se financent également plus par dette que l’Allemagne et le Royaume-Uni, bien qu’ils ne soient pas autant favorables au débiteur que les Etats-Unis. A l’inverse, François et Morellec (2004) ne corroborent pas l’intuition selon laquelle un régime pro-créancier conduirait à un endettement plus faible. Ils modélisent l’impact de la législation américaine sur le choix d’une structure financière et suggèrent que les entreprises d’un régime pro-débiteur recourent moins à la dette que celles d’un régime pro-créancier. Recasens (2003) justifie ce résultat par le fait que plus la loi se montre clémente à l’égard du débiteur, plus les établissements bancaires, craignant des négociations défavorables à leur encontre ex post, sont réticents à accorder des prêts. De la même manière, les études de Jappelli et Pagano (1999) et La Porta et al. (1997, 1998), qui

96 Si l’on se place néanmoins du côté de l’offre de crédit, un régime de défaillance sévère à l’égard du débiteur peut signaler aux créanciers un projet de bonne qualité, dans la mesure où il dissuade le débiteur d’entreprendre des risques excessifs. De ce point de vue, une telle législation encourage le financement par dette.

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portent sur la comparaison des financements bancaires dans plus d’une quarantaine de pays, montrent que le ratio dette bancaire/produit intérieur brut est positivement corrélé au niveau de protection des créanciers offert par la loi.

Acharya, Sundaram et John (2004) développent un modèle liant le choix d’une structure de financement à l’orientation du code de faillite. Ils supposent que dans le cadre d’un régime pro-créancier, les droits de contrôle sont transférés aux créanciers, et inversement dans un régime pro-débiteur. Or, les conflits d’intérêt entre créanciers et actionnaires quant au sort de l’entreprise peuvent mener à des décisions inadéquates, les premiers étant favorables à une poursuite de l’activité et les seconds à une liquidation de l’entreprise. Les auteurs dérivent les structures de financement optimales de chaque code de faillite et les comparent. Ils montrent que la structure financière ne dépend pas uniquement de la mesure dans laquelle le droit protège les créanciers ou le débiteur mais du degré de spécificité des actifs. Or, cette spécificité affecte la valeur de liquidation des actifs de la firme. Ainsi, la valeur de liquidation des actifs est d’autant plus faible que ceux-ci sont spécifiques à un usage particulier. Les auteurs concluent que les entreprises d’un régime pro-débiteur dans lesquelles les actifs sont fortement spécifiques se financeront davantage par dette que celles d’un régime pro-créancier dans les mêmes circonstances. En effet, plus les actifs sont spécifiques, moins leur valeur de liquidation est élevée et plus le choix d’une continuation est optimal. Cela réduit les coûts induits par des continuations excessives dans un système pro-débiteur mais augmente ceux liés à des liquidations excessives dans un système pro-créancier.

Dans la même contribution, Acharya, Sundaram et John (2004) proposent un test empirique des principales conclusions de leur analyse théorique sur un échantillon d’entreprises britanniques et américaines de 1990 à 2002. Ils testent l’hypothèse selon laquelle la différence entre les taux d’endettement des entreprises britanniques et américaines devrait augmenter avec le degré de spécificité des actifs. Ce faisant, ils calculent tout d’abord la différence des ratios d’endettement des entreprises des deux pays pour des industries à actifs très spécifiques. Puis, ils lui retranchent la différence des ratios d’endettements pour les industries à actifs peu spécifiques. Conformément à ce qu’ils avaient avancé dans leur modèle, les auteurs trouvent une « différence des différences » positive.

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