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L’intérêt discutable de la coordination des créanciers

La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 2. L’efficacité du traitement judiciaire du défaut

A. Les vecteurs d’efficacité ex post

1. L’intérêt discutable de la coordination des créanciers

La littérature relative à l’insolvabilité des entreprises s’accorde sur la nécessité, afin qu’une législation de faillite soit efficace, que celle-ci assure la préservation, voire l’augmentation de la valeur dont bénéficieront les ayants droit collectivement (Radin, 1940 ; Mooney, 2003). Pour ce faire, de nombreuses études ont souligné l’importance de coordonner les intérêts des créanciers afin de maximiser cette valeur ainsi que l’efficacité de la solution judiciaire à réduire le problème du pool commun (Bulow et Shoven, 1978 ; Gertner et Scharfstein, 1990 ; Asquith, Gertner et Scharfstein, 1994 ; Longhofer et Peters, 2004). Or, plusieurs auteurs identifient d’autres critères d’efficacité ex post du traitement du défaut, que ce dernier soit orchestré par le tribunal ou par d’autres acteurs.

Dans un premier temps, les théories de la défaillance ont mis en évidence la nécessité de résoudre les problèmes d’action collective des créanciers. Elles partent du constat que le défaut peut résulter d’une détresse économique, financière, ou des deux. La première décrit l’incapacité d’une entreprise à dégager une rentabilité suffisante afin de faire face à ses coûts d’exploitation. La valeur économique d’une telle firme est négative, ce qui se traduit par une

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valeur de continuation inférieure à sa valeur de liquidation. La deuxième correspond à la situation d’une entreprise qui n’aurait pas été exposée à des problèmes d’insolvabilité si elle n’avait pas été endettée. En d’autres termes, une firme est en détresse financière seulement si ses revenus sont négatifs avant le paiement de ses charges financières. Dans la mesure où les créances sont gelées pendant le redressement, l’endettement n’influence pas l’issue de la procédure collective. Toutefois, cette dernière sera a posteriori (i.e. après le jugement de clôture) efficace dès lors que ce sont les firmes en détresse économique qui sont liquidées. En réalité, les créanciers sont davantage concernés par la question de savoir s’il existe des actifs suffisants pour recouvrer leurs créances que par celle de sauver l’entreprise en détresse67. S’il existe suffisamment d’actifs, ils risquent de s’en emparer, ce qui risque de conduire à une liquidation fragmentée. Cependant, si l’entreprise n’est pas en détresse économique, une poursuite de l’activité maximise l’intérêt collectif des créanciers. Or, une continuation implique une coordination coûteuse des créanciers, de sorte qu’à l’équilibre, tant les firmes en détresse financière qu’économique sont liquidées de manière fragmentée (Ghosal et Miller, 2003 ; Longhofer et Peters, 2004). Aussi une procédure collective efficace a-t-elle vocation à empêcher cet équilibre sous-optimal en coordonnant les intérêts des créanciers, à tout le moins le temps qu’un administrateur judiciaire décide si l’entreprise mérite d’être redressée (Jackson, 1986 ; Adler, 2002).

S’il confirme qu’une procédure collective efficace se doit de résoudre les problèmes d’action collective de créanciers animés par des intérêts personnels, Georgakopoulos (2003) souligne que l’action collective ne constitue au fond qu’une motivation des procédures collectives parmi d’autres. En particulier, il soutient que celles-ci constituent des déterminants essentiels de la productivité et de la croissance mises à mal par la détresse financière. Au-delà de cette conception positive du rôle de la défaillance, l’auteur adopte une approche normative des régimes de faillite ; outre remédier aux conséquences négatives du défaut en termes de productivité, ils devraient être précisément élaborés dans l’optique d’améliorer la productivité. Pour autant, ces deux objectifs (i.e. la coordination des intérêts individuels des créanciers et la relance de la productivité) sont tout à fait conciliables, dans la mesure où la résolution du problème du pool commun peut être bénéfique pour la productivité, dès lors moins susceptible d’être affectée par des divergences personnelles. A cet égard, une

67 Cela vaut principalement pour les créanciers privilégiés. Les créanciers chirographaires –dont la priorité est faible- peuvent quant à eux trouver, à l’instar des actionnaires, intérêt à la poursuite de l’activité.

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procédure collective efficace a avant tout vocation à relancer la croissance et la productivité, la nature collective de la procédure ne faisant que refléter un des moyens d’y parvenir. Cependant, si l’auteur est convaincu que les créanciers sont, en théorie et en pratique, à même de surmonter leurs problèmes de coordination, il souligne que leur contribution au bien-être social est moindre comparée à celle des autres expressions du regain de productivité associé à une procédure collective efficace. Il propose notamment deux mesures afin de relancer la productivité, sans qu’aucune d’elle ne puisse être expliquée par l’action collective. D’une part, une « politique de nouveau départ » qui accorde à un débiteur individuel honnête des remises de dettes rend celui-ci plus productif dans sa gestion de l’entreprise. D’autre part, un processus de réorganisation empêche la destruction de la valeur de l’entreprise dans des contextes de rationnement du crédit ou d’asymétries d’information qui détériorent la valeur de la firme.

Brogi et Santella (2004) montrent quant à eux que l’efficacité du traitement judiciaire du défaut est davantage conditionnée à la capacité du système judiciaire à protéger les créanciers qu’à coordonner les intérêts de ces derniers. Ils estiment que l’insuffisance de pouvoir dont sont dotés les créanciers constitue une des explications de l’inefficacité du système de faillite italien. Les auteurs s’interrogent sur les caractéristiques d’un régime de faillite efficace, en plus de sa capacité à coordonner les actions individuelles des créanciers. Le débat avait été introduit par Jackson en 1982, favorable à la suspension du gel des créances et pour qui seule une procédure collective permet de coordonner les intérêts. D’autres auteurs mettent en évidence d’autres mécanismes coordonnés de distribution d’actifs, tels que les enchères, la reconversion des créanciers en actionnaires (Baird, 1986 ; Bebchuk, 1988 ; Aghion, Hart et Moore, 1992 ; Bradley et Rosenzweig, 1992 ; Adler, 1993 ; Hart, 2000), ou encore la négociation (Bowers, 1990 ; Rasmussen, 1992 ; Rasmussen et Skeel, 1995 ; Schwartz, 2002). Quoiqu’il en soit, Brogi et Santella (2004) préconisent la reconnaissance d’importants pouvoirs de décision aux créanciers et la nécessité d’accorder aux autorités administratives et judiciaires le contrôle de ces procédures, sans qu’elles n’en soient pour autant les initiatrices.

Ces débats sur la place accordée aux créanciers soulève la question de l’identification des parties dont les intérêts doivent être privilégiés lors de la procédure et celles qui en supporteront les coûts.

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