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Des mécanismes de prévention contractuels encadrés par le tribunal : le succès du mandat ad hoc

étude originale sur données françaises

Encadré 1 : La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005

B. Le modèle social français : l’ « exception française »

4. Des mécanismes de prévention contractuels encadrés par le tribunal : le succès du mandat ad hoc

S’il existe un consensus sur la nécessité d’adopter des mécanismes de prévention afin de sauver les entreprises en difficultés, la France se distingue de la plupart des pays par la place qu’elle accorde aux mesures préventives. Lorsque les différentes législations ont pris conscience de la nécessité, outre la répartition optimale du produit entre les créanciers, de protéger l’activité, la plupart se sont attachées à mettre en œuvre des dispositifs afin de prévenir le défaut et non de redresser l’entreprise une fois celui-ci survenu. L’idée sous-jacente est que le sauvetage de l’entreprise est d’autant plus réalisable dans un environnement où les partenaires de l’entreprise lui témoignent encore leur confiance. Dans cette perspective, la prévention constitue, dépendamment de son issue, à la fois une alternative et un préalable à la liquidation judiciaire. En d’autres termes, soit elle parvient à déjouer la cessation des paiements, soit elle est impuissante à empêcher la défaillance de l’entreprise (et donc sa liquidation). Dans ce contexte, le législateur français s’est un temps interrogé sur la nécessité

En pourcentages Liquidation postérieure Plan de continuation Plan de cession 1997 65.3 24.1 10.6 1998 62.0 27.5 10.5 1999 64.4 26.5 9.1 2000 64.8 24.3 10.9 2001 61.6 25.9 12.5 2002 63.0 23.1 13.9 2003 62.0 22.3 15.7 2004 60.6 23.6 15.8 2005 58.7 27.4 13.9

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de conserver la procédure légale de redressement de l’entreprise lorsqu’un renforcement des procédures préventives pouvait se révéler suffisant, voire plus efficace ; depuis 1994, le règlement amiable offre en effet à l’entreprise une protection similaire à celle d’un redressement judiciaire. En définitive, il a estimé qu’il était préférable de considérer la prévention non pas comme une alternative ou un préalable à la liquidation mais comme le préliminaire d’une procédure légale de redressement judiciaire. Celle-ci se révèle ainsi particulièrement utile lorsqu’en raison de délais trop courts, la prévention n’a pas pu empêcher l’entreprise d’entrer en défaillance. Loin d’être un substitut au dispositif préventif, le redressement apparaît dans ce cas comme son complément afin d’étaler l’accord conclu en amont sur une période plus longue. A ce titre, le règlement amiable instauré par la loi du 1er mars 1984 peut être considéré comme une solution hybride entre une renégociation informelle et une procédure collective, ce qui en fait un mécanisme novateur en matière de prévention.

La spécificité, mais aussi le succès du règlement amiable tiennent au fait qu’il associe des procédures contractuelle et judiciaire, lorsque les législations étrangères prévoient quant à elles soit une négociation privée, soit une procédure légale. Le caractère mixte du règlement amiable présente en effet l’avantage pour les créanciers de l’entreprise de « s’approprier » la procédure par voie contractuelle, mais dans un cadre législatif qui les rassure, ce qui les incite à consentir à des sacrifices. Ils sont d’ailleurs d’autant plus enclins à négocier que la procédure est confidentielle. Certes, la réforme de 1994, en introduisant une suspension provisoire des poursuites, a ouvert la possibilité de rendre la procédure de règlement amiable publique. Pour autant, les parties peuvent toujours choisir de s’adresser à un mandataire ad

hoc, dont l’intervention est non seulement désormais codifiée, mais également confidentielle. Or, les dirigeants d’entreprises n’en ont pas toujours conscience. En effet, la plupart d’entre eux s’imaginent qu’il y a obligatoirement publicité, dès lors que tout se passe sous l’égide du président du tribunal. En particulier, ils craignent qu’une confrontation avec leurs fournisseurs rende leurs difficultés publiques dans la profession et entraîne de là des conséquences commerciales négatives, au-delà du simple aspect financier. Aussi, il arrive que, afin d’enrayer ce blocage, les créanciers aient recours à des moyens de pression telles que des « dénonciations conditionnelles » afin d’inciter le dirigeant à solliciter un mandat ad hoc. Sans cela, rien n’empêche de toute manière un créancier de s’adresser au président du tribunal qui, en vertu de la prévention-détection, peut convoquer les entreprises dont les difficultés rencontrées sont susceptibles de remettre en cause la continuité. En effet, les présidents des

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tribunaux de commerce qui, comme celui de Paris, possèdent un système automatique de détection, peuvent assigner de leur propre initiative un chef d’entreprise sous le sceau du secret. Ce procédé, au centre du dispositif de prévention, est propre à la législation française. Les convocations qu’il permet, si elles ne conduisent pas toujours à un mandat ad hoc, constituent néanmoins déjà un premier pas dans la prévention des difficultés.

Figure 6 : Nombre de dirigeants convoqués par le tribunal de 1997 à 2005

Source : OCED, graphique élaboré à partir des données fournies par les tribunaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil

La figure 6 rend compte du nombre de dirigeants convoqués et d’ouvertures de dossiers de défaillance par quatre tribunaux de la région francilienne de 1997 à 2005. Nous avons choisi de ne pas étendre la période au-delà de 2005 afin de ne pas tenir compte des retombées de la loi de sauvegarde des entreprises. Par ailleurs, nous concentrer sur la région parisienne nous permet de souligner l’impact des mécanismes de prévention-détection, dont les tribunaux franciliens ont été les pilotes. On constate que dans les années qui ont suivi la réforme de 1994, le nombre de dirigeants convoqués est en diminution constante. Cette tendance n’est pour autant pas surprenante au vu de la forte baisse des défaillances qui a suivi la crise du début des années 1990. Ce nombre remonte fortement avec la crise de 2000-2002, proportionnellement à celui des dossiers ouverts. Tandis que le nombre de défaillances stagne par la suite, celui des convocations continue à progresser ; cette augmentation soutenue à

11094 9038 8466 7337 7306 8112 8038 8046 8303 4503 4278 3572 1557 2399 2923 4797 6592 6700 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

Nombre d'ouvertures de la procédure collective Nombre de dirigeants convoqués

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l’issue de la crise traduit vraisemblablement une volonté des magistrats consulaires chargés de la prévention de s’assurer que les mesures prises par le dirigeant permettent effectivement de remédier aux difficultés rencontrées. Au cours des deux dernières années d’application de la législation de 1985, l’augmentation du nombre de convocations est d’ailleurs moindre, voire négligeable. A ce stade, cela reflète sans doute l’impact de la multiplication des mesures entreprises après la crise par les pouvoirs publics situées en amont de la prévention. L’amélioration des interventions publiques a ainsi, en permettant aux entreprises qui en bénéficiaient de rétablir leur trésorerie, probablement contribué à faire sortir ces dernières, momentanément ou définitivement, du champ de la prévention.

L’étude des spécificités françaises en matière de prévention doit être complétée par l’observation des évolutions respectives des règlements amiables et des mandats ad hoc sur la même période.

Figure 7: Nombre de règlements amiables et de mandats ad hoc de 1997 à 2005

Source : OCED, graphique élaboré à partir des données fournies par les tribunaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil

La figure 7 illustre le succès relatif des mandats ad hoc par rapport aux règlements amiables. Les procédures de mandat sont par nature plus empruntées que celles de règlement amiable, d’une part parce que les missions des mandataires ad hoc sont spécifiques (les conciliateurs sont quant à eux investis d’une mission générale), et d’autre part parce qu’elles

19 22 35 7 36 53 34 42 38 279 161 169 223 261 212 234 227 205 298 183 204 230 297 265 268 269 243 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Règlement amiable Mandat ad hoc

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sont souvent le préalable à un traitement amiable. En outre, elles présentent l’intérêt d’être confidentielles, ce qui n’est plus le cas des règlements amiables depuis 1994. De la même manière que le tribunal a réduit ses convocations à partir du milieu des années 1990, les procédures préventives ont en début de période connu une forte diminution, essentiellement imputable à celle des mandats ad hoc, ce qui confirme le caractère cyclique de la prévention. La croissance du PIB une fois stabilisée, l’impact de la réforme de 1994 est perceptible ; on constate à partir de la fin des années 1990 un creusement de l’écart entre les deux types de procédures préventives au profit du mandat ad hoc. Cette orientation va dans le sens d’une préférence des dirigeants à l’égard d’une procédure permettant une résolution confidentielle des difficultés. La hausse du recours aux mandats ad hoc a manifestement conduit à une augmentation des règlements amiables en période de crise. La relative stagnation des procédures amiables en fin de période est vraisemblablement attribuable, tout comme celle des convocations des dirigeants, à l’intervention des pouvoirs publics.

Hypothèse 4 : Le renforcement de la prévention après 1994, en préservant la valeur des actifs, devrait avoir un impact positif sur les taux de recouvrement.

Toutefois, le faible niveau de procédures préventives nuance le succès des procédures extrajudiciaires. Il faut attendre la loi du 26 juillet 2005 pour que les mécanismes de prévention soient renforcés et que les conciliations (anciennement règlement amiable) gagnent en importance. En tout état de cause, l’importance accordée à la confidentialité des mécanismes de prévention laisse penser que celle-ci n’est pas encore suffisamment entrée dans les mœurs. Le fait que la défaillance reste pour beaucoup d’entrepreneurs associée à un sentiment d’échec atténue d’ailleurs la vision moderne que le droit français des procédures collectives se targue d’avoir ces dernières décennies adoptée. En effet, si la France est à l’instar des Etats-Unis un système pro-débiteur, les deux pays ont traditionnellement des attitudes différentes vis-à-vis du risque et de l’échec, et il est probable que les Etats-Unis offrent un terrain plus propice à la prévention.

Si les deux législations ont adopté des dispositions visant à protéger le débiteur, leurs finalités divergent : le maintien de l’activité n’est pas, contrairement aux Etats-Unis, une finalité de la législation française, mais un moyen. La France a ainsi traditionnellement fait de la défense de son « modèle social » sa mission, y compris dans le monde de l’entreprise,

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premier lieu d’intégration sociale. Dans cette perspective, la législation française a ajouté à l’objectif de sauvetage de l’entreprise celui de la protection de l’emploi. Afin de mener à bien sa mission, elle a mis en place des dispositifs ayant vocation à faciliter le sauvetage de l’entreprise : pouvoirs substantiels accordés au juge, article 40, possibilité de vendre l’entreprise sans interruption de l’activité, des mesures préventives intensifiées enfin. Ces spécificités reflètent un biais légal intentionnel en faveur de l’issue qui garantit le plus d’emplois plutôt que celle qui maximise la valeur de la firme, à savoir la somme des valeurs de marché de toutes les créances. Cet objectif de redressement de l’entreprise a théoriquement pour conséquence de faire passer au second plan l’intérêt des créanciers. Or, l’on pourrait objecter que les emplois se trouvent également chez ces derniers et que le non-recouvrement des créances est susceptible de les mettre en péril et de provoquer des défaillances en chaîne142. Toutefois, ce raisonnement ne tient pas compte de la réalité économique ; parmi les créances les plus importantes figurent les dettes fiscales et les grands établissements bancaires. Les fournisseurs devraient quant à eux être moins affectés, d’autant que beaucoup peuvent faire jouer la clause de réserve de propriété, leurs droits de rétention et de revendication ou encore une restitution amiable. D’ailleurs, les défaillances en chaîne ne concernent véritablement que certains types d’entreprises, notamment celles fortement dépendantes d’un client unique et qui recourent au crédit interentreprises, ou encore les sous-traitants qui dépendent d’une firme donneuse d’ordre.

Quelles que soient les dispositions mises en place par le droit des procédures collectives français en vue de défendre le « modèle social » français, l’adoption d’un tel régime implique a priori un arbitrage entre la promotion de la continuation de l’activité et les intérêts financiers. Lorsque le défaut survient, un choix doit être opéré sur la manière dont va être réglé le sort de l’entreprise ; or, le design de la procédure collective est susceptible d’influencer un tel choix et d’affecter l’efficacité financière et/ou sociale. Dans la plupart des pays, la maximisation de la valeur du projet économique ex post met l’accent sur la valeur des droits détenus par les créanciers. Or, certaines législations, et notamment la France, intègrent des considérations sociales dans la définition d’un projet économique. Dans ce cas, l’efficacité ex post peut être soit sociale, soit financière. En ce sens, nous modifions les frontières traditionnelles entre efficacité ex ante/ex post au profit d’une opposition, au sein de

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l’efficacité ex post, entre une efficacité au profit de l’emploi et des parties détenant les intérêts financiers.

Nous considérons d’une part l’efficacité financière. Deux conceptions, étroite ou large, peuvent être envisagées. Dans une perspective large, des procédures collectives efficaces financièrement doivent promouvoir la réallocation des actifs du débiteur vers les projets alternatifs les plus efficaces, à savoir ceux qui maximisent la valeur de marché de l’entreprise. Une conception plus étroite restreint cette réallocation à une alternative unique, à savoir l’issue (redressement ou liquidation) qui doit être privilégiée. Cet aspect a été étudié en profondeur dans la littérature de la faillite. Si l’on adopte le raisonnement de White (1989), une procédure collective sera considérée comme efficace dès lors qu’elle privilégie l’issue qui maximise la valeur de la firme, définie comme la somme des créances globales. Dans notre étude, nous nous attachons à comparer les valeurs alternatives des propositions d’offres de rachat rivales, ce qui est le seul moyen de mesurer l’efficacité ex post dans une perspective étroite. Néanmoins, notre contribution se limite au cas particulier des cessions.

D’autre part, nous nous intéressons à l’efficacité sociale des procédures collectives. Cette approche est novatrice, dans la mesure où à l’exception de Korobkin (1991), peu de chercheurs se sont penchés sur les implications autres que financières de la faillite. Or, la prise en compte croissante des intérêts sociaux par les différents codes de faillite justifie que la littérature de la faillite soit étudiée empiriquement, notamment en contexte de crise. Tout comme pour l’efficacité financière, deux conceptions (large ou étroite) de l’efficacité sociale peuvent être proposées. Dans une perspective large, la procédure collective peut être considérée comme efficace socialement si elle promeut la réallocation de la main d’œuvre vers les projets alternatifs les plus à même de préserver l’emploi. Une approche plus étroite consiste à réallouer cette force de travail vers l’issue la plus favorable à l’emploi, à savoir le redressement. Ainsi, contrairement à l’efficacité financière, le redressement est dans une perspective étroite le seul moyen d’atteindre l’efficacité sociale.

En pratique, il existe deux moyens d’encourager l’un de ces deux types d’efficacité ex

post. Soit la loi instaure des règles de prise de décision collectives (un vote), soit elle attribue à un tribunal des pouvoirs d’application substantiels. Dans le premier cas, les droits conférés aux différentes parties affectent indirectement l’issue de la procédure, dans la mesure où

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celle-ci est en théorie choisie dans l’intérêt du créancier résiduel (Blazy et Combier, 1998). Lorsque le tribunal se voit attribuer un pouvoir discrétionnaire, comme c’est le cas en France, l’orientation du droit revêt une importance toute particulière, dans la mesure où elle influe sur le déroulement de la procédure collective et les prises de décision. Les conséquences financières de l’orientation sociale du droit français des procédures collectives, notamment pour les créanciers, sont évaluées dans notre étude empirique. Dans la prochaine section, nous testons les spécificités du code de défaillance français à travers quatre questionnements :

(1) Les décisions des tribunaux quant à l’issue de la procédure collective (liquidation versus redressement) reflètent-elles un biais de sélection ? (2) L’issue choisie est-elle prédéterminée par des facteurs ex ante ou

résulte-t-elle des mesures engagées par les tribunaux au cours de la période d’observation ?

(3) La hiérarchie des objectifs est-elle préjudiciable à l’efficacité financière (estimée par les taux de recouvrement) ?

(4) Le renforcement de la prévention en 1994 a-t-il un impact sur le comportement des tribunaux et sur les taux de recouvrement ?

Section 2 : Une étude originale sur le processus de défaut et sa