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La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 2. L’efficacité du traitement judiciaire du défaut

A. Les vecteurs d’efficacité ex post

3. La détermination de l’issue optimale

Si l'objectif principal de la mise en œuvre des procédures collectives consiste en la maximisation de la valeur de l’entreprise pour en faire profiter les ayants droit (et notamment les créanciers), il est donc logique que seules les entreprises en détresse financière mais efficaces économiquement soient sauvées. En effet, pour une entreprise jugée inefficace financièrement qui entre en défaillance, la meilleure solution est qu’elle soit liquidée. En revanche, dans le cas d’une société qui a de fortes chances d'être rentable à long terme, il est préférable qu’elle soit redressée puisqu’on ne peut qu’en augmenter la valeur. En réalité, il est difficile de distinguer les entreprises susceptibles d’être sauvées des autres. C’est pourquoi tout régime de faillite qui inclue un plan de redressement risque de commettre des erreurs de type 1 ou 2.

En définitive, déterminer l’issue la plus efficace revient à estimer laquelle de la continuation, cession ou liquidation est la moins coûteuse et/ou génère le plus de valeur.

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White (1996) analyse les coûts associés à différentes formes de procédures collectives dans quatre pays, à savoir la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Dans un premier temps, elle considère un système de faillite dans lequel toutes les entreprises seraient liquidées. Ceci est de facto le cas de l’Allemagne et du Royaume-Uni, où très peu de firmes sont redressées ; les erreurs de type 1 sont dès lors nulles ou presque puisqu’il n’existe que très peu de réorganisations. En revanche, les erreurs de type 2 peuvent être nombreuses, des firmes efficaces économiquement pouvant figurer parmi les entreprises liquidées. Enfin, les coûts directs sont bas, une liquidation étant en général plus rapide qu’une réorganisation. En revanche, une fois que l’entreprise est en détresse financière, ses dirigeants peuvent être incités à adopter des comportements de surinvestissement ou de sous-investissement afin d’éviter l’ouverture d’une procédure collective à tout prix. Enfin, ils risquent de retarder le déclenchement de la procédure, ce qui est susceptible de détériorer la valeur de l’entreprise.

Dans un second temps, elle soutient que si l’on considère un régime d’insolvabilité dans lequel la priorité est le redressement de l’entreprise comme c’est le cas en France, les coûts associés à des erreurs de type 1 sont susceptibles d’être importants.

Enfin, White (1996) considère une procédure collective qui permet soit de redresser, soit de liquider l’entreprise, à l’instar des Etats-Unis où l’on peut se placer soit dans le cadre du chapitre 11, soit dans celui du chapitre 7. Aux Etats-Unis, la législation permet au débiteur de demeurer à la tête de l’entreprise lors de la procédure, ce qui peut le désinciter à entreprendre des sur ou sous-investissements. En outre, le fait d’être traité avec indulgence peut l’inviter à déclencher la procédure collective avant que la valeur de l’entreprise ne se dégrade davantage.

Plus que de l’issue de la procédure collective proprement dite, les implications d’un retard de déclenchement dépendent finalement de l’efficacité économique de l’entreprise ; si l’entreprise est efficace économiquement, une procédure retardée n’entraîne a priori aucun coût et ne réduit pas la valeur de l’entreprise. Plus exactement, sa valeur estimée de continuation n’est pas perdue, ceci même si l’entreprise est cédée, puisqu’un nouveau dirigeant prendra le contrôle de l’entreprise après la défaillance et la rouvrira. Aussi, si le coût

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induit par la fermeture d’une entreprise efficace n’est que temporaire à cet égard, les relations entre l’entreprise, ses clients et ses fournisseurs peuvent quant à elles être coûteuses à rétablir. En outre, des employés qualifiés peuvent être tentés de quitter l’entreprise, ce qui peut diminuer sa valeur lors de sa vente par l’administrateur de la faillite. Inversement, si l’entreprise est inefficace et continue son activité, retarder la procédure augmente les coûts de la défaillance et réduit l’efficacité ex post.

Déterminer l’issue la plus efficace revient avant tout à identifier le créancier résiduel, puisque le sort de l’entreprise dépendra de son intérêt. Il s’agit de déterminer quelle solution, de la liquidation ou de la continuation, est optimale. En cas d’insolvabilité, la valeur de continuation est dans tous les cas inférieure à la valeur actualisée de ses échéances. Or, comme nous l’avons vu précédemment, la continuation de l’entreprise peut toutefois être préférable à la liquidation si sa valeur de continuation dépasse celle de la liquidation.

D’autres considérations justifient de réorganiser une entreprise. Lorsque des juristes réorganisent de grandes entreprises publiques, ils motivent leur décision par le souci de « préserver l’entreprise afin de protéger sa valeur de continuation » (LoPucki et Whitford, 1993). Or, les partisans de la théorie de négociation des créanciers jugent que la valeur de continuation de l’entreprise n’est pas menacée par la détresse financière, dans la mesure où sa vente permet d’en maximiser la valeur ; il est peu probable qu’une entreprise défaillante génère davantage de valeur entre les mains de l’équipe dirigeante actuelle qu’entre celles de tiers. Si la liquidation n’est pas choisie, ils préfèrent par conséquent que l’entreprise soit redressée par voie de cession (Jackson, 1986).

La théorie de la production d’équipe justifie quant à elle la continuation de l’entreprise de deux manières, quand bien même cette dernière pourrait être vendue à un prix supérieur à sa valeur de continuation. D’une part, la continuation constitue une issue optimale et cohérente avec ses principes, étant donné qu’elle est la seule à prévoir le maintien de l’équipe dirigeante. D’autre part, elle rappelle que la valeur de continuation ne tient compte que des recouvrements des créanciers et des actionnaires. Dès lors, vendre l’entreprise pour l’unique raison que le repreneur peut offrir plus que le montant distribué aux bailleurs de fonds serait injuste socialement. Cela ne signifie pas pour autant que les défenseurs de cette théorie s’opposent systématiquement à une cession, mais que celle-ci ne devrait avoir lieu que

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si le conseil d’administration le décide et qu’elle est dans l’intérêt de l’équipe. Korobkin (1991, 1996) et Teo (2009) insistent sur la nécessité de guider les procédures collectives par des considérations sociales, à savoir la protection des clients, du débiteurs, et notamment des employés. Cela apparaît d’autant plus important que leurs intérêts sont peu pris en compte en-dehors de la procédure collective. En Allemagne, dans le cadre de la cogestion (Mitbestimmung), les salariés sont traditionnellement associés aux décisions majeures touchant l’entreprise (Pochet, 2001). Nous testerons s’il existe un arbitrage entre considérations sociales et financières dans le prochain chapitre.

L’efficacité ex post du traitement du défaut implique ainsi de coordonner des intérêts divergents, d’identifier les intérêts à privilégier et de déterminer l’issue optimale de la procédure collective. Cela revient à définir le mode de résolution des difficultés le plus à même d’atteindre ces objectifs.