• Aucun résultat trouvé

La complexité du processus de défaillance et son impact sur l’efficacité économique

Section 2. L’efficacité du traitement judiciaire du défaut

B. Les mécanismes de prise de décision

4. Le pouvoir de décision des actionnaires

D’autres modes de résolution des difficultés, proposés par Bebchuk (1988, 2000), préconisent de conférer aux actionnaires le pouvoir de décision. Dans la mesure où ces solutions ne sont appliquées dans aucun pays, elles ne sont présentées que dans un cadre théorique. En 1988, l’auteur suggère de placer l’avenir de la firme entre les mains de nouveaux actionnaires. Cette solution est selon lui bénéfique en termes d’efficacité ex post, dans la mesure où les actionnaires ont de fortes incitations à voter une continuation. Ce mécanisme permettrait également de protéger l’emploi des salariés, ce qui permettrait par la même occasion d’atteindre une efficacité ex post non seulement « financière » mais également « sociale »83.

L’octroi du pouvoir de décision aux actionnaires peut s’effectuer dans le cadre d’une procédure d’options d’achat. Bebchuk (1988, revisité en 2000) propose ainsi une approche

115

selon laquelle les différentes parties d’une réorganisation se voient attribuer des options sur titres en fonction de leur rang de priorité. Il suppose qu’il existe trois types de participants au recouvrement des créances : les créanciers séniors, les créanciers juniors et les actionnaires actuels. En principe, la classe prioritaire (les créanciers séniors) reçoit initialement 100% des actions de l’entreprise. Cependant, la classe dont le rang se situe juste après (les créanciers juniors) a la possibilité de racheter ces actions aux créanciers prioritaires pour un montant équivalent aux créances de ces derniers. Les suivants dans l’ordre de priorité, à savoir les actionnaires, ont à leur tour le droit d’exercer une option d’achat sur les titres des créanciers séniors et juniors en échange d’une somme correspondant au montant des créances de ceux-ci. Ces options d’achat sont distribuées aux créanciers juniors et aux actionnaires au prorata de leur part dans le total des dettes ou actions de l’entreprise84. Ceux-ci ayant la liberté d’exercer ou non leur option, cette procédure présente l’avantage d’être équitable, dans la mesure où aucune partie ne peut s’estimer avoir été lésée dans le partage de la valeur.

Tant que la procédure d’insolvabilité est en cours, aucune prise de décision ne peut être efficace, le(s) détenteur(s) des actifs de l’entreprise n’ayant pas encore été identifié(s). Ce n’est qu’une fois les options attribuées et exercées et un nouveau corps d’actionnaires déterminé que la procédure prend fin. Les actifs appartenant désormais à une entité non plus défaillante mais « normale », leur allocation n’est dès lors plus tributaire des distorsions induites par l’état d’insolvabilité de l’entreprise. Les nouveaux actionnaires, conjointement avec le nouveau conseil d’administration, décident alors de l’issue à adopter, généralement une continuation. Aghion, Hart et Moore ont en 1992 suggéré de compléter l’approche de Bebchuk (1988) en introduisant la possibilité de soumettre aux actionnaires des offres « cash » ou « non cash », les dernières pouvant tout à fait constituer des offres de gérer l’entreprise sans pour autant déchoir les actionnaires de leurs parts. Les actionnaires sélectionneraient ensuite l’offre la plus en conformité avec leurs objectifs. Pour autant, l’apport d’Aghion, Hart et Moore (1992) ne fait que confirmer ce que Bebchuk avait énoncé en 1988, à savoir que le vote des actionnaires examine plusieurs alternatives. En effet, il est probable que ce choix soit déjà en partie effectué avant le choix des administrateurs, ceux-ci

84 Le mécanisme des options est quelque peu différent concernant les créances munies de sûretés. La partie munie de sûretés de ces créances se voit, au même titre que les créances séniors, attribuer le rang le plus élevé, tandis que la part restante est assimilée à une créance junior. Aussi la procédure préconise-t-elle d’évaluer la valeur de ces sûretés avant d’attribuer les options d’achat à leurs détenteurs.

116

étant sélectionnés certes en fonction de leurs qualifications mais également des plans qu’ils proposent (Bebchuk, 2000).

Selon l’auteur, une procédure d’options permettrait d’améliorer l’efficacité ex post, dans la mesure où elle serait plus rapide qu’une procédure de réorganisation et conduirait à une prise de décision efficace. Néanmoins, nous émettons une réserve par rapport à ces conclusions. Si les options constituent à notre sens un mécanisme équitable, elles ne nous semblent en revanche pas répondre aux critères d’efficacité évoqués supra. Tout d’abord, elles ne fournissent aucune réponse au problème de la coordination des créanciers. Certes, il est possible que le respect de l’ordre de priorité, en rendant la procédure d’autant plus prévisible, puisse exercer un impact positif sur la valeur de l’entreprise. Pour autant, cet ordre ne solutionne pas les divergences d’intérêt des parties. En effet, défini en amont de la cessation des paiements, il ne permet pas, lorsque l’entreprise est entrée en défaillance, de concilier ces intérêts. Toutefois, comme nous l’avons vu précédemment, il n’existe en définitive pas de consensus dans la littérature quant à la nécessité de faire de la coordination des créanciers un critère d’efficacité des procédures collectives. Dans cette perspective, l’incapacité des procédures d’options à coordonner des intérêts divergents ne représente dès lors pas en problème en soi. Cependant, améliorer l’efficacité ex post de la procédure implique d’identifier les intérêts les plus à même de maximiser la valeur de la firme et de les privilégier. S’intéresser à ces intérêts conduit, comme nous l’avons vu, à s’interroger sur la pertinence de respecter les règles de priorité. A cet égard, les procédures d’options sont atypiques. D’une part, elles prévoient le respect des ordres de priorité, ce qui devrait a priori pénaliser les actionnaires. D’autre part, en attribuant des options d’achat aux classes de rang inférieur, elles bouleversent d’une certaine manière l’ordre établi en octroyant les pouvoirs de décision aux actionnaires. Or, cette « préférence » a un impact sur l’optimalité de l’issue choisie, les actionnaires étant en faveur d’une continuation de l’entreprise. Par conséquent, une telle procédure risquera de commettre des erreurs de type 1. En d’autres termes, elle commettra des erreurs d’évaluation des performances de l’entreprise, ce qui va à l’encontre de l’efficacité ex post.

En définitive, l’efficacité ex post des procédures collectives sera atteinte à partir du moment où les intérêts des parties prenantes seront identifiés et coordonnés et où le traitement des difficultés aboutira à une issue optimale. Dès lors, peu importe le cadre dans lequel ces

117

difficultés sont résolues, pour autant qu’il réponde aux critères susmentionnés. Si les travaux tant empiriques que théoriques sont relativement consensuels quant aux objectifs et critères d’efficacité des procédures de défaillance, ils ne s’accordent pas sur la définition d’une procédure optimale. Aussi Hart (2000) suggère-t-il que chaque pays mette à la disposition des entreprises différentes alternatives. Il est toutefois possible d’affirmer que quel que soit le mode de résolution adopté, celui-ci sera d’autant plus efficace qu’il s’adapte à son environnement, notamment en termes de traditions culturelles et juridiques. En retour, on imagine aisément que ces modes de résolution du défaut auront un impact sur les stratégies prenant place avant tout éventuel défaut.